Barbanera

Barbanera, vaudeville en un acte, 21 juin 1814.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Barbanera

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

21 juin 1814

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

 

L’Ambigu, ou variétés littéraires et politiques, volume XLVI, n° CCCCVI (10 juillet 1814), p. 43-45 :

[Pour parler de Barbanera, le critique a besoin de raconter une histoire drôle, dont il fait le prototype de la pièce nouvelle. La farce des trois Gascons, c’est trait pour trait le mauvais tour que les « trois belles insulaires » jouent à Barbanera, leur ravisseur. Elles s‘enfuient vers leur île, que le critique ne connaît pas (derrière cette précision, le souci de l’exactitude qu’on retrouve souvent dans les comptes rendus). Au bilan, pièce pas très gaie, ce qui n’a pas empêché le public de s’amuser... à ses dépens, malgré la présence d’« une poignée d'hommes de l'équipage », la claque, que le critique ne se prive pas de ridiculiser. Puis il s’élève à des considérations générales sur le vaudeville, qui « n'est pas tout-à-fait, comme on paraît le croire, un ouvrage sans conséquence ». Il y voit au contraire « une petite comédie » qui a besoin des mêmes ingrédients, caractères, situations, comique. Le vaudeville, genre français (à opposer donc à l’opera buffa italien) qu’il ne faut pas perdre en le laissant aux mains de jeunes débutants soucieux de réussite rapide. Il faut respecter le public qui n’a que faire de pièces faites à la hâte, et ne pas croire qu’il ne vient que pour voir de jolies actrices et écouter des « épigrammes obscènes » : on se lasse des jolis minois débitant des bêtises, et les plaisanteries grivoises sont « de nature à révolter les oreilles les plus aguerries » (le critique parle même de « la pudeur du public »). Si le Vaudeville, qui est en crise, veut survivre, il lui faut passer par une « crise salutaire », « résultat de quelques ouvrages saillans ». Mais on peine à croire ce sursaut possible, tant « le plancher du Vaudeville est devenu […] glissant ».]

Théâtre Du Vaudeville.

Barbanera. [...]

Je parlais l'autre jour des Vaudevilles qu'on a pris dans l'histoire ; j'aime encore mieux qu'on les prenne dans les contes pour rire, parce qu'on ne s'expose pas au danger de déshonorer son sujet. Mes lecteurs ne connaissent pas Barbanera, mais qui ne connaît le stratagème de trois Gascons sans argent, comme tous les Gascons, qui sortirent d'une auberge sans payer la dépense ? l'histoire rapporte qu'après avoir feint de se disputer à qui ferait les honneurs du repas, ils terminèrent leurs débats en couvrant d'un mouchoir les yeux du garçon, et en convenant que celui qu'il saisirait au hasard serait chargé de l'écot. Les Gascons s'esquivent ; le garçon cherche, l'hôte est pris, et le dîner reste à sa charge. Cette histoire n'est pas neuve, et même elle n'est pas piquante, mais les auteurs du Vaudeville tiennent beaucoup à justifier leur devise :

Tout ce qui prête enfin
          Au refrain,
Chez nous on le chansonne.

Je crois même qu'en ce genre ils donnent plus qu'ils n'ont promis.

Pour se faire une idée du vaudeville nouveau, il faut mettre à la place de l'hôte un corsaire Barbanera qui descend dans une île près de Lipari, et qui la met à contribution ; à la place du garçon, un niais de Palino, qui est le plus insipide et le plus froid de tous les niais ; et à la place des Gascons, trois jeunes filles charmantes pour lesquelles Barbanera demande vingt mille écus de rançon. Les habitants de l'Ile, qui n'estiment pas ces dames à si haut prix, se gardent bien de les racheter, et Barbanera se trouve l'époux heureux de trois beautés entre lesquelles il n'est pas obligé de choisir ; mais ce Barbanera est un singulier corsaire ; c'est un loup de mer musqué, un petit-maître qui n'a de musulman que la barbe, et qui perd à faire des madrigaux à la française, le temps qu'il pouvait employer à faire des déclarations à la turque. On le décide très-facilement à remettre au hasard le choix de sa conquête, et le mouchoir qui' est destiné à la favorite devient pour un moment le bandeau de Colin-Maillard. Il est vrai qu'il n'en faut pas davantage aux trois belles insulaires pour s'élancer dans la pirogue du corsaire Barbanera, pour aller chercher main-forte à I’île de Lipari, et même pour en revenir, ce qui me fait présumer que l'île qu'elles habitent a été découverte nouvellement dans la mer de Tyrrhene, car je n'en connais point de si voisine de l'île de Lipari. Cependant, je ne prononce là-dessus qu'avec cette modeste retenue dont la sévérité de certains lecteurs m'a fait contracter l'habitude.

Cette petite pièce n'est pas très-gaie ; mais le public était d'une gaieté folle : il y a compensation. Les sifflets ont commencé à éclater à un couplet du corsaire qui aime mieux l'eau que le vin de l'Hermitage, et qui motive cette préférence, très-singulière chez un corsaire, par ce madrigal naïf :

La beauté sait nous enivrer
Mène en nous versant de l'eau claire.

C'est dans ce verre d'eau que le malheureux auteur s'est noyé. Cependant l'opinion n'était pas encore tellement prononcée que le parti de Barbanera crût devoir désespérer tout-à-fait de sa fortune. Il y avait au parterre une poignée d'hommes de l'équipage qui étaient chargés de la direction de sa barque dans les endroits périlleux ; et on remarquait à peine quelques siffleurs timides,

Rari nantes in gurgite vasta,

faciles à signaler par leurs couleurs ; un cri menaçant s'était élevé : A bas l'habit gris ! et tous les spectateurs vêtus de gris,

Pâles, muets d'une secrette horreur,

tournaient tristement les yeux sur leur frac réprouvé, avec cette pudeur naturelle à l'innocence qu'on accuse, et que le reproche le plus injuste effarouche. Enfin, le dénoûment est venu, et des sifflets unanimes ont condamné la pièce et absous l'accusé.

Il serait injuste de ne pas reconnaître dans Barbanera quelques couplets agréables ; mais il serait très-malheureux pour l'auteur de s'habituer à compter, pour le succès d'une pièce, sur l'effet d'un couplet. Un vaudeville n'est pas tout-à-fait, comme on paraît le croire, un ouvrage sans conséquence ; c'est une petite comédie où il faut des caractères, des situations du comique enfin, pour plaire et vivre quelque temps. Ce genre de composition est agréable ; il est, comme on dit, éminemment français. On perdrait quelque chose à le perdre, et on le perdrait en l'abandonnant sans réserve à des jeunes gens pressés de jouir de leurs succès, qui desserrent pièce sur pièce, et qui en font par conséquent très-peu de bonnes, quoiqu'ils aient assez d'esprit pour bien faire s'ils en prenaient le temps. Le public qui inonde toujours les théâtres aux premières représentations, encourage ainsi les auteurs dans leur malheureuse facilité à composer, et les directeurs dans leur facilité plus malheureuse encore à recevoir toutes les pièces qu'on leur présente. Nous sommes avides de spectacles, et une chute est un spectacle comme un autre : mais c'est un spectacle sur lequel on finira par se blaser au Vaudeville, si l'on ne parvient pas à améliorer son répertoire. Il n'y aurait cependant rien de plus aisé aux auteurs mêmes qui l'alimentent, moyennant qu'ils voulussent bien travailler en conscience et traiter le public avec les égards qu'il mérite. Je ne saurais trop le répéter à ces Messieurs: un millier d'honnêtes gens qui s'assemblent après le dîner, pour leur argent, dans une salle étroite et incommode, avec l'espérance de s'amuser, entendent qu'on les amuse, et ne se payent pas des prétextes frivoles du poëte du Misantrope:

                 Au reste, vous saurez
Que je n'ai demeuré qu'un quart-d'heure à le faire.

Ils répondent comme Alceste :

Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l'affaire.

En littérature, les choses qui coûtent très-peu valent ordinairement ce qu'elles coûtent. Cette précipitation ne diminue pas grand chose à la gloire des autres qui ne peut jamais passer de certaines bornes assez modestes ; mais elle nuit considérablement au théâtre du Vaudeville, qui ne se soutient plus que par artifice, et dont les moyens d'existence s'épuisent à vue d'œil. Le public est encore attiré à ce spectacle par la réputation un peu exagérée de quelques jolies actrices, et on a cherché dans ces derniers temps à irriter son goût que tant de fades couplets ont usé, par le sel graveleux de quelques épigrammes obscènes. La première de ces ressources n'est pas mauvaise pour un nouveau venu ; mais elle perd son effet sur les habitués, et la plus jolie figure du monde finit par avoir tort quand on ne lui entend dire que des sottises. La seconde serait dangereuse si l'on en tirait un parti plus adroit ; heureusement pour les mœurs, la crudité des équivoques grivoises qu'on a essayé de mettre en vogue est de nature à révolter les oreilles les plus aguerries, et la pudeur du parterre en fait presque toujours justice. Je vois donc le Vaudeville atteint d'un marasme qui menace d'être incurable, miné par une consomption intérieure dont les palliatifs les plus puissants ne peuvent réparer l'irréparable outrage, et tous près de mourir de mort, comme l'Adam de Klopstock. II n'y a qu'une crise salutaire qui puisse renouveler sa vie ou retarder au moins de quelques moments l'agonie qui le presse; et cette crise serait le résultat de quelques ouvrages saillants qu'on ose à peine espérer après tant d'essais malheureux. Il y a plus : un ouvrage saillant lui-même aurait à combattre maintenant la prévention générale ; une longue suite d'expériences se convertit peu à peu en certitude, et le plancher du Vaudeville est devenu si glissant que les bonnes pièces auraient peine à s'y tenir.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome III, p. 394 :

[Pièce vite exécutée : elle n’a pas atteint son terme...]

Barbanera, vaudeville en un acte, joué le 21 juin.

Un corsaire, qui s'amuse à jouer à Colin-Maillard dans une ville qu'il vient de prendre d'assaut : c'est là la moindre invraisemblance de cet ouvrage, que le public n'a pas voulu entendre jusqu'à la fin.

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