La Belle Marie

La Belle Marie, comédie-anecdote en un acte, mêlée de vaudevilles, de Dumersan et Pain, 28 ventose an 13 (19 mars 1805).

Théâtre du Vaudeville.

Le nom des auteurs, absent de la brochure, est donné par le catalogue général de la BNF.

Almanach des Muses 1806.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mad. Cavanagh, an XIII (1805) :

La Belle Marie, comédie-anecdote en un acte, mêlée de vaudevilles, Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 28 Ventose an 13 (19 Mars 1805).

Courrier des spectacles, n° 2938 du 1er germinal an 13 [22 mars 1805], p. 2-3 :

[Voilà un étrange compte rendu. La première moitié est, après une critique du titre de la pièce, qui ne permet pas d'identifier le personnage que la pièce montre, un court d'histoire (telle qu'on voyait l'histoire en 1805) sur la manière dont Richelieu aurait sauvé La Rochelle contre les Anglais. La pièce de Pain et Dumersan serait la transposition de cette histoire, la belle Marion Delorme prenant la place de la reine. La courtisane devient une patriote sauvant la France. Le critique la rapproche d'une autre héroïne de théâtre, Fanchon la vielleuse, autre repentie, héroïne au grand succès. Et surtout, il souligne combien le coauteur de la pièce, le tout jeune Dumersasn est un personnage peu recommandable. On a ainsi une pièce à la morale douteuse, écrite en collaboration par l'honorable Pain et celui que le critique présente comme un personnage infréquentable...]

Théâtre du Vaudeville.

La Belle Marie.

Il me semble que le moyen le plus simple de faire connoître les personnes dont on parle est de les appeler par leur nom. On ne connoît guères de Belle Marie qu’une femme d’une extrême beauté que des Cophtes envoyèreni à Mahomet, et que ce prophète garda auprès de lui comme un modèle accompli.

Je m’attendois donc à voir au théâtre du Vaudeville des Turcs, des Cophtes, des Arabes et tout l’appareil du luxe oriental.

Mais les grands poètes ont de grands privilèges ; les noms, l’histoire et les règles même de la raison ne les embarrassent guères. Ce n’est donc ni de l’Arabie , ni de Mahomet, ni de la belle esclave qu’il s’agit ici, mais de Marion-de-Lorme, de cette courtisanne qui vécut sous Henri IV, qui vécut sous Louis XIII, qui vécut avec le Cardinal de Richelieu, qui vécut avec le duc de Bukingham, qui vécut avec Cinq Mars, qui vécut avec tout le monde, et qui aura bien de la peine à vivre avec MM. Pain et Dumersan, ses nouveaux patrons.

A l’époque où les protestons formoient encore un parti en France, le Cardinal de Richelieu prit la résolution de leur enlever la Rochelle, qu’on appeloit le Boulevard des Calvinistes. Il fit faire le siège de cette ville par une armée royale dont il prit lui-même le commandement. Le prince de Rohan, qui étoit à la tète du parti calviniste, n’oublia rien pour tirer cette ville du danger qui la menaçoit. Le duc de Bukingham gouvernoit alors l’esprit du Roi d’Angleterre, comme le cardinal de Richelieu gouvernoit celui du Roi de France. Le prince de Rohan obtint de lui qu’il vint au secours de la Rochelle avec une flotte. On sait que c'étoit l’homme le plus beau de son tems, le plus galant, le plus fier, le plus généreux. Il avoit osé faire une déclaration à la reine de France, qui ne s’en étoit point offensée.

Ses témérités s’étoient tellement accrues, qu’il parvint même à pénétrer dans l’appartement de la princesse lorsqu’elle étoit au lit, et qu’il en fut quitte pour quelques reproches qui n’avoient rien d'inquiétant. Il est rare que les femmes, même les plus honnêtes, aient une colère bien soutenue contre les audacieux. Un peu d’insolence vaut bien mieux que beaucoup de respect.

Un Cardinal qui quitte la mitre et le rochet pour le casque et la cuirasse doit attacher plus d'importance qu’un autre à la victoire. S’il manque son expédition, les lazzis et les épigrammes ne lui manqueront pas. Le Ministre sentit donc combien il étoit important pour lui d’empêcher l’arrivée de la flotte anglaise. Il avoit fait venir d’abord une escadre espagnole ; mais comme les intérêts d’une nation doivent céder devant des considération [sic] d’une plus haute nature, cette escadre étoit partie, parce que le Roi n’avoit pas voulu que l’amiral espagnol mit son chapeau devant lui, lorsqu’il étoit enrhumé. Le plus grand tort du gouvernement français a presque toujours été de négliger sa marine. On n’avoit point de vaisseaux, et il falloit pourtant empêcher que ceux du. duc de Bukingham arrivassent. Le Cardinal eut recours à ses moyens ordinaires. Au défaut de la force, il employa l’adresse. Pour se tirer de cet embarras, il se servit de l’amour du Duc pour la Reine, et l’on exigea de la Princesse qu’elle écrivît au Duc. Elle le pria donc de différer l’embarquement, et l’amour d’une femme l’emporta sur l’amour de la patrie. On envoya quelques vaisseaux qui se montrèrent inutilement, et rentrèrent dans les ports d Angleterre.

On voit qu’il n’y a rien dans tout ceci pour Marion-de-Lorme ; mais en métamorphosant les vaisseaux en citadelle, et la reine en courtisanne, en supposant que cette courtisanne est grande patriote et excellente citoyenne, en lui faisant écrire de son propre mouvement au duc de Bukingham, nous aurons une piece qui pourra marcher après Fanchon, comme les suivantes qui se tiennent loin de leurs maîtresses, et nous sauverons à nos mœurs la honte d'abandonner une belle action à une femme honnête.

On sait que, suivant certains docteurs de théâtre, la vertu n’appartient plus depuis longtems, aux gens de bien ; qu’il faut au moins, pour quelque tems, avoir couru les grands chemins et détroussé les passans, pour acquérir la noblesse poétique, et devenir capable d’une belle action dramatique.

Une femme ne sauroit prétendre aux honneurs de la scène, sans avoir donné des gages suffisans de sensibilité et de complaisance. Respublica est, ici, l’objet d’un culte exclusif.

Les auteurs de la Belle Marie supposent donc que le duc de Bukingham, qui avoit partagé les faveurs de leur Respublica avec le Cardinal, se dispose à faire l’attaque d’une forteresse dont la possession peut enlever pour toujours la Rochelle à la France Le Cardinal, effrayé des suites de cette, entreprise, en amant de bonne composition, envoie aussi-tôt chez Marion, et la prie d’user de ses droits sur le cœur de son rival pour l’engager à différer l’attaque ; mais Marion est trop bonne patriote pour n’avoir pas tout prévu. Le Cardinal apprend que le billet doux est déjà arrivé à son adresse ; que le fort ne sera point attaqué, et que la Rochelle sera conservée à la France.

Voyez ce que peut l'exemple, MM. Pain et Bouilly raniment les cendres de Fanchon la vielleuse, ils la font paroitre sous les traits de la plus jolie actrice du Vaudeville, ils composent pour elle une pièce qui fait courir tout Paris, et qui obtient cent représentations de suite. Aussi-tôt toutes les émulations s’éveillent ;on évoque les ombres des plus célèbres pécheresses, et voilà Mad. Belmonl condamnée à être la représentante officielle de toutes les filles repenties ou non repenties de la France.

Marion-de-Lorme est très-belle sous les traits de Mad. Belmont ; c’est un vrai morceau de grand seigneur ; mais il ne faut pas que tous les sacrifices soient d’un côté. Si Mad. Belmont consent à associer l’ascendant de ses charmes à la fortune des auteurs, il faut que les auteurs associent plus de talens à ses charmes.

M. Pain est connu par plusieurs ouvrages qui ont obtenu des succès ; mais M. Dumersan n’est encore qu’un fantassin obscur des dernières escouades du Vaudeville ; il a besoin de faire long-tems l’exercice avant d’entrer dans les compagnies d’élite. Ses essais n’ont point été heureux, et quoique M. Pain lui ait donné le bras dans celte occasion, il n’a pu l’empêcher de faire des faux-pas.

On accuse M. Dumersan d’être l’auteur d’un petit écrit très-misérable, intitulé le Coup de fouet ; ce qui a fait dire plaisamment à M. Armand-Gouffé, que l’auteur avoit voulu nous rendre une fois ce qu’il avoit reçu toute sa vie.

Je ne sais jusqu’à quel point cette opinion est fondée ; mais si elle est vraie, il faut au moins savoir gré à M Dumersan d’avoir reconnu sa vocation. Voltaire dit que quand on est pas capable de produire un bon ouvrage, il faut se contenter de composer de ces petits livres que les latins ont appelé libelli, et qui consistent à dire des injures aux honnêtes gens. On les vend incognito à un libraire pour quelques écus, et quand on parvient à bien cacher son nom, on vit comme les scarabées qui ne paroissent que la nuit et n'ont pas le goût difficile.

Archives littéraires de l'Europe, Volume 6 (1805), Gazette littéraire, avril, mai, juin 1805, p. xxviii-xxix :

Théâtre du Vaudeville.

La belle Marie, comédie en un acte.

L'auteur de la belle Marie est l'un de ceux auxquels notre siècle et la postérité devront la fameuse comédie de Fanchon la Vielleuse. La belle Marie, connue sous le nom de Marion Delorme, fut aussi une illustre prostituée, dont l'auteur a voulu réhabiliter la mémoire, comme il a si heureusement réussi à le faire pour la Vielleuse des Boulevards. Dans la belle Marie, comme dans Fanchon, on voit des colonels et des marquis aux genoux d'une courtisanne. L'abbé de Lattaignant et M. de Sainte-Luce, assez mince officier, et un petit colonel Francarville forment la cour de la belle Fanchon. La non moins belle Marie a des favoris d'un bien autre calibre. C'est le marquis d'Effiat, c'est le cardinal de Richelieu, qui pourtant ne paraît pas sur la scène ; c'est le marquis de Cinq-Marcs, le littérateur Saint-Evremond et le poète Benserade. Mais le plus sérieux de ses amans est un lord Buckingham, auquel, suivant je ne sais quelle chronique adoptée par l'auteur, la belle Marion écrivit de suspendre, pendant trois jours, le siège de la Rochelle ; ce qu'il fit au grand détriment des Anglais, qui furent obligés de lever le siège à cause des secours que ce délai donna le tems au cardinal de Richelieu d'envoyer à la place. Voilà donc la belle Marie qui a sauvé les Français, comme autrefois Jeanne d'Arc, mais avec une qualité de moins que l'illustre Pucelle ; et ce n'est pas la faute de l'auteur; mais sa faute réelle est de n'avoir ni amusé, ni intéressé le public, qui n'a voulu rien voir, dans cet ouvrage, que des pointes et du bel esprit, et qui n'y a trouvé ni action, ni intérêt, ni rien de ce qui constitue l'art dramatique. Il faut même en chansons du bons sens et de l'art... Mais Fanchon la Vielleuse n'en reste pas moins un bel ouvrage, et qui continue d'attirer la foule au théâtre du Vaudeville.

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