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La Blanche haquenée

La Blanche haquenée, opéra lyri-comique, en prose & en vers, en trois actes ; par M. Sédaine, musique de M. Porta, 22 mai 1793.

Théâtre de l'opéra comique national, rue Favart.

Titre :

Blanche haquenée (la)

Genre

opéra lyri-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en prose et en vers

Musique :

oui

Date de création :

22 mai 1793

Théâtre :

Théâtre de l'opéra comique national, rue Favart

Auteur(s) des paroles :

Sédaine

Compositeur(s) :

Porta

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 10 (octobre 1793), p. 314-320 :

[Un récit de chute, avec explications. la pièce est de l’illustre Sedaine, et celui qui a connu les plus grands succès subit la pire des chutes : le critique fait un récit d’une représentation très fortement perturbée, à tel point qu’elle a té interrompue après le deuxième acte, et que le récit du dénouement lui a été fait par quelqu’un ayant assisté aux répétitions. Que manque-t-il à sa pièce ? Le critique énumère ce qu’on trouve dans ses autres pièces, et qui manquent ici :«  un plan, une conduite, de l'intérêt & de la gaieté ». Il dit ce qu’on trouve dans la nouvelle pièce : «  Beaucoup d'incohérence dans les idées ; des motifs sans développement ; des niaiseries pour des naïvetés ; de la prose rimée au-lieu de poésie », et du mauvais français (on nous donne un exemple de mauvais calembour). Même la musique est manquée. Rien à sauver donc (il n’est nullement question d’interprétation ou de décoration).]

La Blanche Haquenée, opéra lyri-comique, en prose & en vers, en trois actes ; par M. Sédaine, musique de M. Porta.

« Quiconque apprécie sans préjugé, disoit, en 1772, l'auteur du Traité du mélodrame, les ouvrages de M. Sédaine, verra que ce n'est pas chose aisée que d'entreprendre de mettre ses drames en musique. La fierté de ses desseins, la force de ses caracteres, l'énergie de son dialogue, le pittoresque de ses tableaux, la mâle concision de son style, toutes ces qualités imposent au musicien une tâche d'autant plus pénible, qu'elles le subjuguent, quoi qu'il fasse, & ne lui permettent pas de se jetter sur d'autres objets que ceux qui lui sont donnés à peindre. On aura beau donner le nom de petit genre aux productions de cet auteur ; je ne connois de petit genre que celui qui manque la nature, ou qui la peint foiblement. Or, le Roi & le Fermier, on ne s'avise jamais de tout, & enfin, Rose & Colas, n'auroient pas eu le succès qu'ils obtiennent, par-tout où l'on joue ces pieces, s'ils n'avoient égalé en mérite que les farces d'Arlequin ou les marionettes. sous l'apparence de la simplicité, dans le sujet & dans les tableaux, le regard fin des connoisseurs a bien démêlé les semences de cet intérêt, qui, dans la piece du Déserteur, devoit faire un jour verser tant de larmes. »

Voilà, dira-t-on, sans doute, un éloge bien saillant & vraisemblablement fait de main d'ami ; mais quel rapport peut-il avoir avec la chûte de la Blanche Haquenée ? Le voici. C'est qu'il prouve qu'un auteur n'en est pas moins accablé sous le poids de l'animadversion du public, soit qu'il tombe en entrant dans la carriere, ou au moment qu'il est près d'en sortir. On auroit dit, à la représentation de la piece qui va nous occuper , que chacun avoit lu l'éloge que nous venons de traduire, & qu'on étoit outré que M. Sédaine eût si peu justisié les louanges que son ami avoit données. Aussi, jamais chûte ne fut plus complette. Le bruit étoit épouvantable, & avec les coups de sifflets, il alla croissant jusques vers la fin du second acte. Alors les comédiens étourdis, excédés, vinrent proposer de donner Philippe & Georgette, à la place de la Blanche Haquenée ; ce que le public accepta avec reconnoissance.

Mais qu'est-ce que c'étoit donc que cette Blanche Haquenée ? Trois discourtois chevaliers osent disputer à Lisois, que sa tant belle & tant douce Iselle, n'est pas au-dessus de la beauté à laquelle ils sont chacun asservis, & ils osent le lui disputer dans un tournois. Lisois veut le leur prouver : la charge sonne, le combat commence, le premier chevalier est vaincu, & il vient aux pieds d'Iselle lui dire piteusement :

        Iselle, Iselle
        Est plus belle
Que la beauté que je sers ;
        Elle excelle
        Plus que celle

Dont mou cœur porte des fers.

Le second chevalier éprouve même déconvenue, & il vient en dire autant, & bientôt le troisieme n'ayant pas été plus heureux, arrive pour faire le même compliment à Iselle. La voilà donc au comble de la gloire, trois chevaliers ont confessé qu'elle étoit la plus belle.

Le pere de cette beauté, le sire de Rochefort, en est enchanté ; & il est si content de Lisois, qu'il veut l'armer chevalier. Celui-ci accepte cet honneur avec reconnoissance, mais il est un bien plus doux pour son cœur que le sire de Rochefort pourroit lui accorder, c'est la main d'Iselle. Je suis vrai, & je ne t'amuserai pas, lui dit ce chevalier, si tes possessions répondoient à ta naissance & à ton courage, je ne voudrois pas d'autre gendre que toi ; mais tu n'as que ton seul château, & je te refuse. Si ton oncle, dont tu dois être l'héritier, veut te donner dès aujourd'hui une de ses terres, je t'accorde ma fille.

Lisois est au comble du bonheur ; le sire Enguerrand, son oncle, le chérit comme son propre enfant, il ne lui refusera point cette demande ; Lisois ne se trompe pas, elle lui est accordée. Retourne à ton château, lui dit son oncle, c'est là que je veux signer le contrat & te donner ma terre. Quel beau moment pour Lisois, pour Iselle, & pour le troubadour Pierre Vidal, leur ami !

Au commencement du second acte, un homme de justice amene quatre garçons & quatre filles, que Lisois veut unir en même-tems qu'il s'unira à Iselle ; la bienfaisance est un besoin pour son cœur. Il prend ensuite son théorbe, Vidal son violon, & travaillent chacun de leur côté à la composition de la fête qu'ils veulent donner à Iselle.

L'écuyer d'Enguerrand paroît ; il apporte une lettre de son maître. Lisois en prend lecture ; ô ciel que contient-elle ? Il est accablé, il la laisse tomber, il sort avec fureur. Le troubadour désolé de cet inattendu contre-tems, ramasse la lettre, la lit, & il apprend qu'après avoir vu Iselle, le sire Enguerrand en est devenu amoureux, qu'il l'a demandée en mariage à son pere, & qu'il l'a obtenue. Vidal & les paysans, qui croient venu pour la fête, se désolent, & ils finissent ainsi le second acte. On sait déjà pourquoi l'on ne commença point le troisième.

Curieux cependant de savoir pour quelle raison l'auteur avoit donné le.titre de la Blanche Haquenée à sa pîece, & désirant sur-tout d'en connoître le dénouement pour en rendre compte à nos lecteurs, nous avons prié un de nos amis, qui avoit assisté à plusieurs répétitions, de nous donner quelques notes à ce sujet, & voici celles qu'il nous a fournies.

Lisois, au désespoir du malheur qui lui arrive, prend la résolution de se croiser & de partir aussi-tôt pour la Palestine. Vainement il remet à ses vassaux tout ce qu'ils lui doivent & tout ce qu'ils lui devront jusqu'à son retour ; ils veulent absolument l'empêcher de partir. Mais au moment où il va monter à cheval, une femme voilée & couverte d'une cape, ayant été emportée par son cheval, entre dans la cour du château. Grand Dieu ! dit Vidal, c'est elle-même, c'est la noble dame de Monseigneur, c'est Iselle, & c'est la Haquenée blanche du sire Lisois qui l'a amenée au-lieu de la porter chez le sire Enguerrand, qu'on alloit la contraindre d'épouser.

Jamais Lisois n'éprouva un plus doux embarras ; quelle obligation il a à son oncle de lui avoir emprunté sa Blanche Haquenée ! mais cet oncle, le sire de Rochefort & toute la noce, qui ont suivi les traces d'Iselle, arrivent fort en colere ; les vassaux de Lisois veulent le défendre. Par bonheur le sire Enguerrand revient tout-à-coup à la raison, & il engage le pere d'Iselle à donner sa fille à Lisois. Le sire de Rochefort y consent, après s'être assuré toutefois qu'elle n'a point eu de part à la marche de la Haquenée; & les chevaliers & les paysans, reconnoissant que le ciel lui seul a conduit à bien cette aventure, expriment en chantant & en se réjouissant le plaisir que leur fait éprouver la réunion du sire de Lisois & d'Iselle.

On voit assez, sans que nous le disions, quelles sont les raisons qui ont amené la chûte de la Blanche Haquenée. Si cette piece avoit été présentée par un jeune auteur, le public eût été peut-être plus indulgent. Mais n'avoít-il pas le droit d'attendre de celui du Philosophe sans le savoir & de Richard cœur de lion, un plan, une conduite, de l'intérêt & de la gaieté ? Que trouva-t-il à la place de tout cela ? Beaucoup d'incohérence dans les idées ; des motifs sans développement ; des niaiseries pour des naïvetés ; de la prose rimée au-lieu de poésie ; du françois comme celui-ci : Elle excelle plus que celle, dont mon cœur porte les fers. Des plaisanteries comme celle-là : On sonne la charge. Quoi une charge ! dit le fils de Thomas. – Oui une charge, reprend son pere. – Est-ce comme une charge de bois ? demande le petit garçon ! Notez bien qu'il fait cette question, en entendant la trompette. Or, quelle analogie peut avoir le son de cet instrument avec une charge de bois ? Le public fut également peu satisfait de la musique de cet opéra- Il n'y reconnut pas l'agréabíe auteur de celle du Diable-à-quatre. Que de motifs pour une chûte !

César : le nom de l'auteur est réduit à Daine. La musique est de Bernardo Porta. Représentation unique, le 22 mai 1793.]

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