Le Baiser donné et rendu, comédie en un acte et en prose, de J. H. Guy, musique de Gresnich. 27 pluviôse an 4 [16 février 1796]. Barba.
Théâtre des Amis de la Patrie, rue de Louvois.
Almanach des Muses 1797.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1796. L'an ive :
Le Baiser donné et rendu, comédie, en un acte et en prose, mêlée d'ariettes. Représentée à Paris, sur le théâtre des Amis de la Patrie, le 27 Pluviôse, l'an 4e. Par J. H. Guy. Musique du Citoyen Gresnich.
..... Forcenés quand la chose les touche ; Esprits forts, Philosophes railleurs quand il s'agit d'autrui.....
Cephise, Scène IX.
Le texte de la pièce est précédé d'une préface :
[Réponse à trois reproches faits à la pièce, son invraisemblance, son indécence, le langage peu châtié du paysan (Lucas le jardinier).]
PRÉFACE.
Parmi ce que j'ai pu recueillir des divers jugemens que l'on a portés sur ce petit Ouvrage, il m'a semblé que la critique s'arrêtoit assez généralement sur ces trois points :
1°. L'invraisemblance du travestissement des deux époux.
2°. La part, qu'une fois déguisés, ils prennent aux différens morceaux d'ensemble, ce qui est, dit-on, révoltant.
Et 3°. La rudesse de certaines expressions du paysan.
Je passe volontiers condamnation sur le premier point. Cependant, s'il est vrai que l'exemple tienne souvent lieu d'autorité sans m'appuyer de celui de Pygmalion, de la Belle-Arsène, et d'autres pièces dont l'excuse émane peut-être du sujet même, on conviendra du moins que j'ai pu me prévaloir de celui de l'Amant-Statue.
Le second reproche ne me semble pas, à beaucoup près, aussi bien fondé que le précédent ; car enfin il n'est pas possible que le public, instruit du déguisement de Céphise, et devenu en quelque sorte le confident de ses projets, l'envisage, sur le socle où elle vient de se placer, du même œil que doivent le faire les personnages qui sont en scène : statue pour ceux-ci, elle n'est toujours pour lui que Céphise sur le piedestal. Or, du moment que son langage n'a point une liaison essentielle avec celui des acteurs intéressés à ignorer sa présence, qu'il n'est que la simple expression du trouble de son ame, que sa position ne lui permet pas de manifester autrement, je ne vois pas trop comment la chose pourroit paroître révoltante. Ce n'est point une statue qui parle, c'est l'épouse de Delmance qui débite un à parte entendu des spectateurs, mais qui n'est pas censé l'être de ceux qui occupe le théâtre.
A l'égard de l'inculpation relative au rôle du paysan, je pense ne pouvoir mieux y répondre que par ces vers du grand Maître :
» Sylvis deducti caveant, me judice, Fauni,
» Ne, velut innati triviis, ac penè forenses,
» Aut nimium teneris juvenentur versibus unquam.
HORAT. Art. Poët.
Un défaut de convenance plus réel que tout cela, suivant moi, et sur lequel la réussite des premières représentations, n'a suffit qu'à peine à me rassurer, c'est la scène du Baiser rendu. Cependant, grâce à la musique enchanteresse du citoyen Gresnich, au talent des acteurs, et surtout au jeu délicieux de Madame Méjan, qui sut allier dans cette conjoncture délicate la gaité à la décence, et la finesse à la dignité, ce que je redoutois comme un écueil, fut marqué au contraire par l'approbation la plus complette.
Au surplus, j'ai infiniment d'obligation aux estimables artistes qui ont bien voulu accepter un rôle dans ma pièce, ils m'ont tous manifesté le plus grand zèle, et c'est avec autant de plaisir que de sincérité que ma reconnoissance leur attribue la portion du succès que je ne dois point à l'indulgence du Public, et au mérite du compositeur.
La pièce comporte un rôle muet, pour lequel Guy a écrit un long programme qui montre un intérêt très fort pour le jeu muet, intérêt qui est peut-être assez nouveau.
PROGRAMME DU ROLE DE NICOLAS,
Personnage sourd et muet, dans le Baiser donné et rendu.
SCÈNE PREMIÈRE.
IMMÉDIATEMENT après le duo de Céphise et de Lucas, Nicolas entre sur la scène, chargé de plusieurs instrumens de jardinage, tels que pelle, pioche, rateau, binette, arrosoir ; etc. il les dépose en bloc, vis-à-vis le bosquet. Ensuite, il en sépare la binette et le rateau, et les appuie sur le mur de la terrasse. En ce moment Lucas lui frappe sur l'épaule, et lui fait signe de l'aider à enlever la statue : il y procède, et quand Céphise a prononcé ces mots :
Lucas le fera venir... on ne peut mieux trouvé.
Lucas rentre en scène avec le muet : Le premier gagne la partie occupée par Céphise ; Nicolas remonte tranquillement le théâtre, ramasse le reste des outils qu'il a laissés vis-à-vis la terrasse, et sort par le côté opposé à celui où il est entré, c'est-à-dire par la droite des spectateurs.
SCÈNE VII.
Delmance.
As tu peur que ton mari ne surprenne notre conversation ?
Ici Lucas entre avec Nicola ; il le laisse un instant pour faire signe à sa femme de venir lui parler ; Suzanne n'en tient compte ; le morceau de musique commence ; alors Lucas retourne à Nicolas, et lui montre l'usage qu'il doit faire de la lettre ; Nicolas répète tous les gestes pour faire voir qu'il les a compris ; il s'avance ensuite seul vers le berceau, mais appercevant le tête-à-tête chaleureux de Delmance et de Suzanne ; il revient niaisement vers Lucas. Celui-ci alors le prend vivement par la main l'introduit dans le berceau, et lui montre du doigt la personne de son maître.
Il faut nécessairement que les Acteurs calculent cette Pantomime, de façon à pouvoir la terminer au moment qne Delmance donne le baiser.
Pendant le reste du morceau d'ensemble, Nicolas montre le billet à Delmance, en lui indiquant qu'il veut le lui remettre.
Lucas.
Et qui d'sir bouter dans les vôtres, à c'que j'pouvons comprendre.
Delmance.
Voyons.
Delmance prend la lettre des mains de Nicolas, qui remonte imperceptiblement la scène, et va s'appuyer sur la statue qui fait face à Céphise.
Lucas.
Et qu'y m'jargonne un tas de signaux qui n'ont ni pieds ni tête.
Nicolas interrogé par Delmance, exprime pour toute réponse, qu'on lui a remis la lettre ; mais qu'il veut garder le secret.
Delmance.
Horrible anxiété !... l'a-t-il trouvée, la lui a-t-on remise ?...
Il retourne à Nicolas, et lui prend le bras brusquement ; ses gestes l'interrogent de nouveau... Le muet poussé à bout, lui indique alors, avec beaucoup de précision, comment Lucas l'est venu chercher, lorsqu'il traversoit le jardin ; comment ils ont ensemble enlevé la statue et enfin comment Lucas l'a amené dans le berceau pour lui faire remettre la lettre, au moment que Delmance embrassoit Suzanne ; il est à observer que lorsque Nicolas veut exprimer l'enlèvement de la statue, il touche celle de Delmance qui est à sa proximité.
Delmance.
J'irai l'y rejoindre à pied par le petit sentier.
Lucas et Suzanne sortent du berceau ; Nicolas veut les suivre, Delmance lui fait signe de rester ; il demeure.
SCENE VIII.
Pendant cette scène, Nicolas passant près de Céphise, montre de l'étonnement de ne point trouver le socle dégarni. Il entre dans la charmille où il a aidé à déposer la statue : lorsqu'il revient sur la scène, il porte la main sur l'habit de Céphise, qui lui fait signe de ne rien manifester ; ce qui lui cause une frayeur extrême. Pendant ce temps-là, Delmance débite ce qui lui reste à dire ; Nicolas regarde Céphise, et s'étonne de son immobilité... Il veut le faire remarquer à son maître ; mais celui-ci échauffé par son projet, lorsqu'il a prononcé :
Delmance.
Le cœur me dit qu'elle sera terrible.
S'en fait aider pour déplacer sa statue et la porter dans la charmille opposée. Delmance le renvoie. En passant il examine de nouveau Céphise. Lucas s'élance hors de la charmille, le saisit, et ils disparoissent.
SCÈNE IX.
Du moment que Delmance est sorti de la scène, Lucas y rentre avec Nicolas. Lorsque Céphise a quitté le piédestal, Nicolas exprime le plaisir que lui fait la supercherie de sa maîtresse, qu'il reconnoit seulement alors. Quand Lucas a dit :
Aussi vons-je faire, et si loin...
Il replace sur le socle, conjointement avec Nicolas, la statue de Céphise, et emmène le muet du côté où Suzanne est sortie.
SCÈNE XII.
Pendant le morceau d'ensemble, Nicolas revient avec Suzanne, et gagne le coin du théâtre, à la droite des acteurs. Ses yeux se portent sur Delmance ; il essaye de faire entendre à Suzanne, ce dont il est question ; mais elle, outrée de jalousie et de frayeur, fait signe à son mari de ne rien dire, et de quitter Céphise.
Delmance.
Voilà donc ce que m'exprimoit avec tant de feu ce Nicolas.
Nicolas qui a compris, son intention témoigne par sa joie et ses gestes multipliés, qu'en effet il avoit voulu lui parler du déguisement de sa femme.
Liste des personnages :
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PERSONNAGES.
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ACTEURS.
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DELMANCE,
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Le C. Laforet.
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CÉPHISE, son épouse.
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La Ce. Méjan.
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LUCAS, Jardinier du Château.
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Le C. Valville?
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SUZANNE, sa femme.
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La Ce. Nebel.
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NICOLAS, garçon Jardinier, personnage muet.
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Le C. Claparede.
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Le décor :
Une première indication très vague, complétée au début de la scène 1 :
La scène est à la campagne, dans le château de Delmance.
Le théâtre représente un jardin. La totalité du devant de la scène est occupée par un bosquet de charmille, terminé sur le milieu et de chaque [côté] par une ouverture ceintrée. Les voûtes latérales sont fermées par un taillis épais. Celle du centre doit laisser voir la totalité du jardin et la terrasse du château ; de chaque côté est pratiqué une niche de verdure pour les statues de Céphise et Delmance.
Dans la base César : deux auteurs, Jean-Henri Guy et Toussaint-Gaspard Taconet (qui est mort en 1774...). Mais il y a confusion, et seul Guy est auteur de ce Baiser donné et rendu. Les brochures ne citent d'ailleurs que lui.
Les représentations :
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une au Théâtre de Nicolet, le 14 janvier 1768 ; une au château de Versailles, le 19 mai 1770 : il ne s'agit pas de la pièce de J.-H. Guy
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et une longue série au Théâtre des amis de la patrie, du 17 février 1796 au 15 décembre 1796 (57 représentations).
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