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Caïus-Gracchus

Caïus-Gracchus, tragédie en 3 actes, par [Marie-Joseph Chénier]. (9 février 1792).

Théâtre de la République

Titre :

Caïus Gracchus

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

9 février 1792

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

Marie-Joseph Chénier

Almanach des Muses 1794

Pïèce analogue aux circonstances. On y plaide la cause du peuple. Les sénateurs romains conspirent la perte de Gracchus, voilà tout le fond de cette tragédie.

Point d'intrigue, peu d'action. De grandes beautés dans le rôle de Gracchus et dans celui de Cornélie.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Moutard, 1793 :

Caïus Gracchus, tragédie en trois actes, Par Marie-Joseph Chénier, Député à la Convention Nationale ; Représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre de la République, le 9 Février 1792, l'an I de la République Française.

Des Lois, & non du sang. Acte II, Scène II.

Révolutions de Paris, quatrième année de la liberté française (1792), onzième trimestre, n° 136 (du 11 au 18 février 1792), 313-317 :

Caïus-Gracchus, tragédie.

Rome conquérante venoit de reculer considérablement ses limites. Tibérius-Gracchus, tribun du peuple, voulut saisir cette occasion pour faire distribuer des terres aux plébéiens pauvres qui n'avoient pas où reposer la tète. Au nom de la loi agraire, les patriciens du sénat se liguèrent contre le peuple, & firent massacrer son défenseur. Douze ans après Caïus-Gracchus, frère de Tibérius, marcha sur ses traces, & redemanda le partage des terres conquises ; mais après de brillans succès à la tribune, proscrit par le sénat, abandonné de ceux-là même à la cause desquels il s'étoit dévoué, Caïus fut tué en sortant de Rome.

Une fin aussi déplorable n’est pas encourageante pour les défenseurs des droits de l'homme & du citoyen.

Tel est le sujet que M. Chenier a mis en scène, & qu'on représente sur le théâtre de la rue de Richelieu. L'auteur l'a traité sévèrement & dans le genre des pièces historiques anglaises, & il est plusieurs scènes que Shakespeare & Corneille n'eussent point désavouées.

Les principaux acteurs & les circonstances le servent parfaitement. Il est vrai qu'il s'est placé dans les temps de Rome qui ressemblent le plus au nôtre. Comme chez nous à présent, il y avoit alors des nobles insolens & orgueilleux, qu'on appeloit patriciens. Ces messieurs, comme les nôtres, caressoient, menaçoient tour-à-tour le peup!e, & lui souffloient ou la guerre pour l'appauvrir, ou la paix pour l'énerver. Il y avoit aussi à Rome, comme en France, & sur-tout à Paris, des citoyens ardens & éclairés qui ne peuvent voir de sang froid la multitude aveugle & confiante devenir le jouet de l'aristocratie militaire & sacerdotale ; on les désignoit, comme parmi nous, sous le titre de factieux. Comme chez nous encore, il y avoit à Rome des ramas de mauvais sujets disséminés dans toutes les classes, & qu'on chargeoit, moyennant un salaire proportionné, de calomnier les patriotes & de frapper dans l'ombre l'homme à caractère & à principes, qu'ils n'osoient attaquer en face & au grand jour.

Le Caïus-Gracchus de M. Chenier n'est pas tout-à-fait celui de l'histoire. Le poëte a épuré son personnage pour le rendre plus digne de nos applaudissemens ; en sorte qu'il faudroit être d'une insigne mauvaise foi pour accuser les Parisiens d'avoir accueilli sur leur scène un tribun du peuple dont Cicéron & plusieurs autres philosophes graves ont improuvé la conduite. Le Caïus de M. Chenier invoque constamment la loi, même contre le juste ressentiment de Cornélie, sa mère. Les spectateurs aristocrates eurent la bouche close, quand ils le virent se placer entre la multitude & le consul qu'elle vouloit immoler. Cet hommage rendu à la loi par un ami du peuple, a été parfaitement senti & vivement applaudi ; mais en applaudissant aux bons principes, les spectateurs n'ont pas non plus laissé échapper les endroits qui prêtoient aux rapprochemens ; par exemple, à ce vers récité par Monvel avec une sombre énergie :

Autour de nous veille la tyrannie.

On entendit un cri presque unanime : Oui, oui, aux Tuileries ! Si les tyrans sont mûrs pour leur chute, le peuple est mûr aussi pour sa liberté. C'est bien cordialement qu'il déteste ses chefs, quand il les voit marcher obliquement dans le droit sentier des loix constitutionnelles, & la plus légère occasion lui suffit pour manifester ce sentiment.

La loi agraire, dont on ne pouvoit se dispenser de faire mention dans un drame historique dont Gracchus est le héros, devoit servir de pierre d'achoppement ; il n'en fut rien ; il ne fut question que du partage des terres conquises par le peuple romain, & non des terres occupées par les riches, & il n'est pas hors d'œuvre de pressentir là-dessus le public, à la veille d'une guerre dont l'issue, malgré notre renonciation aux conquêtes, peut faire rentrer dans les mains du pauvre de vastes territoires échappés à celles de nos ancêtres.

Après avoir rendu justice aux intentions louables & même au talent de M. Chenier, qu'il nous soit permis de lui dire que le troisième acte de sa pièce, excepté la scène entre le consul Opimius & Gracchus le tribun, ne, répond pas à l'attente que font concevoir les deux autres actes. Le serment sur l'urne est d'un grand effet ; malheureusement il est délayé dans, beaucoup trop de vers, & c'est presqu'un lieu commun sur le théâtre ; mais ce qui est neuf & piquant même après la Mort de César de Voltaire, c'est ce combat éloquent du patriotisme plébéien aux prises avec l'aristocratie patricienne, qui s'engage avec le plus grand éclat dans la tribune aux harangues du forum. Nous n'en avions qu'une idée confuse, & nos débats dans la mesquine tribune de l'assemblée nationale, sont loin d'avoir cette solennité qui frappe au second acte de la tragédie de M. Chenier. Nous connoissons bien les principes qui constituent un peuple libre ; mais nous ignorons encore ces formes grandes &. imposantes que possédoient les Romains au-plus haut degré, & qu'on sent jusque dans la décoration (1) inexacte de cet endroit de la tragédie de Gracchus.

A la fin de ce second acte, l'auteur a fait un changement heureux. Ce n'est plus le consul qui arrache l'enfant des bras de la femme de Caïus pour avoir un otage de la conduite du tribun. C'est le père lui-même qui le remet généreusement aux mains de ses ennemis, comme un sacrifice au salut de la patrie en danger.

Mais l'auteur n'a fait que des coupures au troisième acte, & peut-être falloit-il en changer toute l'ordonnance. Pourquoi sur-tout s'écarter de l'histoire sans nécessité ? pourquoi faire périr Gracchus de ses propres mains ? L'attentat commis sur sa personne eût intéressé bien davantage, sur-tout s'il eût été mis en action & non pas en récit. On auroit dû peut-être nous ménager cette scène, afin d'exposer à l'indignation du spectateur ces scélérats subalternes lâchés parmi le peuple pour l'avilir, & apostés par sa faction patricienne pour le défaire d'un tribun qu'elle n'avoit pu corrompre ; cela eût mieux valu encore que les adieux de Gracchus à sa patrie, & la leçon eût été plus forte.

Les derniers momens de ce grand homme qu'on apporte au bord du théâtre sur une civière sont touchans, mais pénibles & un peu longs. On doit être sobre du temps qu'on donne à ces situations un peu forcées ; on ne nous instruit pas non plus assez par quel motif le fils du mourant lui est renvoyé ; est-ce par un raffinement de barbarie pour lui rendre le trépas plus amer ? Quelques beaux vers tombent de sa bouche expirante ; mais la toile devoir se baisser à celui-ci, le meilleur de tous :

Voici mon dernier vœu, que le peuple soit libre !

Il y a peut-être aussi un peu de déclamation & d'emphase dans le rôle de Cornélie ; cette dame romaine est célèbre dans l'histoire de son pays, par un caractère imperturbable de sagesse, d'énergie & de simplicité. Peut-être est-ce la faute de l'actrice (2) qui croit nécessaire de crier pour se faire entendre.

Un des momens les plus beaux de toute la pièce est celui où le tribun Gracchus empêche dans ses embrassemens son ami Fulvius de se justifier des calomnies du consul. Ce trait rappelle la scène sublime de Brutus & de Cassius dans le Jules-César de Shakespeare.

Mais une observation plus importante qu'a pu faire l'ami de notre révolution, c'est que ces mœurs héroïques de la république de Rome n'ont point paru étranges & surnaturelles aux spectateurs. On disoit que l'esprit public est déjà formé parmi nous, & qu'il ne demande qu'à être entretenu par les représentations de drames analogues ; la haine de toutes les tyrannies est dans tous les cœurs, & le feu de la liberté n'a besoin que d'aliment ; encore un peu de temps, & avec quelques soins nous parviendrons à- ce degré de force morale & politique qui nous rendra inaccessibles aux tentatives d'une cour pervertie, & inabordables pour tous les ennemis du dehors qu'elle nous suscite de toutes parts ; mais aussi gardons-nous de regretter ceux de nos hommes publics que la destinée des deux Gracchus seroit capable de décourager. Nous terminerons cette notice par la citation d'un vers dont nous recommandons le sens à nos représentans :

Législateurs !

S'il est des indigens, c'est la faute des loix.

Mercure français, n° 9 du 3 mars 1792, p. 30-32 :

[Un peu d’histoire d’abord pour rappeler qui sont les Gracques, mais une histoire bien mise dans la lumière qu’imposent « les circonstances présentes ». L’action politique de Caïus Gracchus expliquée, le critique peut passer au résumé de l’intrigue. Après avoir révélé le dénouement, il porte un jugement double sur la pièce : le sujet est « insuffisant », et il est mal traité (une énorme invraisemblance que l’enlèvement du fils de Caïus, d’autant plus qu’il « ne produit absolument rien »  mais la pièce est sauvée par son style, ses nombreux vers superbes, et encore par « les rapports fréquens de cette Piece avec les circonstances présentes », tout comme la force des passions opposées qu’elle montre, en particulier dans la scène des harangues, dont le critique dit qu’elle « sera toujours d’un effet inexprimable. Bémol final : l’auteur est en train de réécrire son troisième acte. Un acteur extraordinaire, les autres le secondant parfaitement.]

Le Théâtre de Richelieu a donné avec un succès éclatant une Tragédie en 3 actes, intitulée Caïus Gracchus, par M. de Chénier.

On sait quels étaient les Gracchus, ces illustres Républicains, élevés par leur mere Cornelie dans la haine du Sénat & des Grands. Tous deux, successivement, placerent leur ambition dans l’amour du Peuple. Leur projet favori était de faire passer la Loi agraire, qui consistait à partager entre le Peuple, non pas comme beaucoup de gens paraissent le croire aujourd’hui, les terres patrimoniales qui appartenaient aux familles ; mais les terres conquises par le Peuple Romain, & qui, selon eux, devaient appartenir à tout le monde, puisqu’elles n’étaient à personne en particulier.

Un Licteur qui avait traité insolemment un homme du Peuple, est massacré. Le Sénat veut rendre le Tribun du Peuple, Caïus, responsable de ce meurtre. Fulvius, son ami, vient l’en avertir, & lui amene une foule de ses partisans. Gracchus les fait jurer sur l’urne cinéraire de son frere Tibérius, assassiné douze ans auparavant par les ordres du Sénat, & venger sa mort. Licinia, femme de Gracchus, veut en vain adoucir des sentimens dont elle sent le danger ; Cornelie les encourage. On voit au second Acte que le projet du Sénat est de traiter Caïus comme son frere. Il paraît avec ses amis. On l’accuse. Fulvius le défend à la Tribune. Caïus, à cette même Tribune, propose la Loi agraire, & dévoile aux yeux du Peuples les injustices & les vexations des Grands. Drusus, second Tribun, mais vendu au Sénat, s’efforce de le défendre. A la fin de ce combat de Harangues, l’éloquence de Caïus l’emporte, & le Peuple, à qui il reproche de se montrer aussi barbare qu’eux. Le Consul Opimius, qui n’ose dans ce moment ordonner la mort d’un homme si chéri des Plébéiens, se contente de lui faire enlever son fils, qu’on arrache des bras de sa mere & de ceux de Cornelie aux yeux de ce même Peuple. Au troisieme Acte, le Consul cherche à gagner le Tribun par les moyens ordinaires, en lui offrant des richesses & des honneurs. On croit bien qu’il n’y réussit pas. Mais Fulvius vient lui apprendre que leurs têtes sont mises à prix. Tous deux se condamnent à un exil volontaire. Une troupe d’assassins les poursuit. Caïus se donne la mort pour ne pas tomber dans leurs mains, & revient expirer entre les bras de ses amis & de sa famille.

Comme Ouvrage dramatique, ce sujet est sans doute insuffisant. Les moyens même employés par l’Auteur ne sont pas exempts de reproches : l’enlévement du fils de Caïus, hors de toute vraisemblance, ne produit absolument rien. Le troisieme Acte est sans aucun effet ; mais la beauté du style, presque d’un bout à l’autre de l’Ouvrage, la foule de vers superbes dont il est semé, les rapports fréquens de cette Piece avec les circonstances présentes, ne pouvaient manquer d’obtenir un grand succès, augmenté encore par le conflit des passions différentes. La Scène des Harangues à la Tribune, sera toujours d’un effet inexprimable. L’Auteur, dit-on, s’occupe à refaire le 3e. Acte.

M. Monvel, qui a été demandé, rend avec une supériorité marquée le rôle de Caïus. Il est parfaitement secondé par les autres Acteurs.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 4 (avril 1792), p. 358-359 :

[La pièce a dû affronter l’hostilité d’une partie du public, et le compte rendu permet d’entrevoir les difficultés d'une représentation dès lors qu’on y joue une pièce qui traite de questions politiques (« le choc des opinions contraires »). On retient aussi le jugement sur la tragédie selon Chénier, « peu d’action et beaucoup de discussions ; mais il y a dans ces discussions un grand nombre de beaux vers, & le dialogue est souvent nerveux & précis ». Large place laissée à l’interprétation, louée sans retenue.]

THÉATRE DE LA RUE DE RICHELIEU.

Le jeudi 9 février, on a donné la premiere représentation de Caius Gracchus, tragédie nouvelle de M.. Chenier.

Ce sujet étoit plus difficile à traiter, & moins favorable à la cause populaire qu'on ne le croiroit d'abord. Mably, dont la censure n'est point suspecte lorsqu'il parle des républiques & des tribuns, nous dépeint Caius Gracchus comme un homme plus épris de la faveur du peuple, que d'amour pour la république ; & la loi agraire qui servoit de prétexte à ses projets ambitieux, lorsqu'on a voulu la faire revivre dans ces jours de crise & de révolutions, a été repoussée même à la tribune des Jacobins.

Pour le rendre intéressant, M. Chenier a été obligé de changer le caractere connu des Caius. Des loix & point de sang, dit-il, & plus loin:

Non, non, la liberté n'est point l'indépendance.

Quelques particuliers ont voulu faire sortir de la salle les personnes qui applaudissoient ce vers. Ces particuliers ne sont sûrement ni les amis de M. Chenier, ni ceux de la chose publique.

II y a dans cette tragédie peu d'action & beaucoup de discussions ; mais il y a dans ces discussions un grand nombre de beaux vers, & le dialogue est souvent nerveux & précis.

On a fort applaudi les deux premiers actes, quoiqu'il résultât beaucoup de bruit du choc des opinions contraires.

Le troisieme acte a été moins heureux, quoiqu'il n'ait point essuyé de murmures.

En général cet ouvrage ne peut que confirmer la haute estime qu'ont inspirée les talens & les succès de M. Chenier.

M. Monvel a rempli le rôle de Caïus avec ce talent profond & élevé qui le place à la tête de ce qui nous reste d'acteurs tragiques. Le caractere superbe de Cornélie, & le caractere doux & sensible de l'épouse de Caïus ont été parfaitement saisis par Mmes. Vestris & des Garcìns. Le rôle de M. Talma étoit moins important, mais il a déployé sur la tribune aux harangues ces attitudes antiques & pittoresques qui s'étoient fait admirer sur le théatre de la nation dans le personnage de Proculus.

M. Valois a rendu, avec beaucoup de sens & de noblesse, le rôle du consul Opimius.

La richesse & la fidélité des costumes & des décorations si nécessaires à l'illusion théatrale méritent beaucoup d'éloges, & font honneur aux entrepreneurs de ce théatre.

Dans la base César, 29 représentations (26 du 9 février 1792 au 6 octobre 1793 au théâtre français de la rue de Richelieu, et 3 autres en 1795 (dans un lieu non précisé) et 1796 (au théâtre du Marais)).

(1) Elle a été dirigée par M. David. Nous reprocherons à cet artiste estimable un anachronisme qui a choqué les connoisseurs en antiquité. Est-ce que du temps des Gracches il y avoit à Rome des obélisques égyptiens, qui n'y furent amenés que sous les premiers empereurs ? & cette colonne trajane, comment en justifier la vue ? Autre faute capitale : on voit bien l'emplacement de la tribune aux harangues ; mais rien ne marque la tribune elle-même qui étoit fermée par un bord orné de rostres, rostra, proues, éperons de vaisseau. Envoyant Gracchus haranguer avec véhémence, on a peur que, dans un de ses élans, il ne donne du nez en terre.

(2) Son costume est le plus fidélement dessiné de tous.

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