Caroline de Lichtfield, mélodrame-vaudeville en 3 actes et en prose, de Simonnin et Brazier, 29 novembre 1806.
Théâtre des Jeunes-Artistes
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Fages, 1807 :
Caroline de Lichtfield ; mélodrame-vaudeville en trois actes et en prose ; Par MM. Simonnin et Brazier, Fils. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Jeunes-Artistes, le Samedi 29 Novembre 1806.
Si les guerriers sont les soutiens du trône,
Les femmes en sont l’ornement.
Acte II, Scène II.
La pièce s’inspire d’un roman d’Isabelle de Montolieu, Caroline de Lichtfield, ou Mémoire d’une famille prussienne (1786).
Courrier des spectacles, n° 3584 du 2 décembre 1806, p. 2-3 :
[Le nouveau mélodrame est joué sur un petit théâtre, et le critique tient à souligner combien il diffère de ce qu’on met le plus souvent sous ce nom de mélodrame : il est bien inspiré d’un roman, comme souvent, mais d’un roman jugé de façon très positive, pas « un de ces romans dénués de bon-sens, chargés de folies, noircis de forces lugubres » que les auteurs de mélodrame adaptent. Ce choix heureux des deux auteurs, Brazier et Simonin, qui ont surtout fait preuve de talent dans leur travail d’adaptation, amène le critique à de larges considérations sur l’avenir du mélodrame, capable de devenir un genre dramatique majeur. Dans celui-ci on a introduit une nouveauté remarquable, des couplets qui ont été redemandés. Pourquoi ne pas voir le mélodrame concurrencer l’opéra-comique, le vaudeville ? Si un « homme d’un vrai talent » en écrivait, il pourrait aller jusqu'à supplanter « le grand opéra que nos chanteurs français rendent si ennuyeux », voire la tragédie, après la disparition des grands interprètes actuels. On aurait alors des tragédies en prose, « ce que Voltaire appeloit l’abomination de la désolation ». Le mélodrame cesserait d’être « un amusement pour la multitude » pour être apprécié par « la bonne compagnie ». Après ces graves considérations, il faut bien revenir à la pièce nouvelle, dont le critique résume l’intrigue, l’histoire d’une femme mariée secrètement au comte Walstein, mais qui tombe amoureuse d’un ami de celui-ci, Lindorf. Les deux amants font tout pour cacher leur idylle, mais le comte finit par la découvrir, et il a un geste d’une grande générosité : il fait annuler son mariage pour laisser le champ libre aux deux amoureux. Ce « combat de sentimens et de générosité » est jugé admirable par le critique : « Combien de maris céderoient volontiers leurs femmes à ceux qui voudroient s’en charger ? » Mais les amants ont réfléchi : « La grâce d’en haut éclaire Lindorf et la vertu rentre dans son cœur. De son côté, Caroline se sent convertie. ». L'amour conjugal triomphe, et l’acte de séparation donné par le roi est d échiré par Caroline elle-même. La pièce est promise au succès. Elle est très bien servie par les interprètes, au milieu desquels le critique détache une débutante, aussi bonne actrice que bonne chanteuse. Attention toutefois pour les jeunes acteurs, qui « forcent quelquefois leurs moyens » : c’est « une ressource funeste qui énerve bientôt l’acteur et finit par le tuer ».]
Théâtre des Jeunes Artistes.
Caroline de Lichtfield.
Voici un des meilleurs ouvrages qu’on ait donnés à ce théâtre, depuis son ouverture sous une nouvelle administration. Il n’est point tiré d’un de ces romans dénués de bon-sens, chargés de folies , noircis de forces lugubres dont la plûpart des auteurs de mélodrames ont coutume d’emprunter leurs sujets. Comment Caroline de Lichtfield avoit-elle été délaissée jusqu’à ce jour ? La réputation de cet ouvrage est faite depuis long-tems , et son succès ne pouvoit pas être plus douteux sur la scène que dans le monde. MM, Brazrer et Simonin, auteurs du nouveau mélodrame, ont donc bien fait de s’en emparer ; et ce qui est mieux encore, c’est qu'ils n’ont point dénaturé leur sujet, qu’ils en ont tiré une pièce intéressante, qu’ils ont même sçu y attacher des scènes qui annoncent du talent. Aussi leurs efforts ont-ils été couronnés par le succès le plus complet. On a vivement applaudi plusieurs scènes et même des couplets qui ont été redemandés ; car il y a des couplets dans ce mélodrame, et ceci ne doit pas paroître aussi nouveau qu’on le croiroit d’abord. L’opéra-comique, le vaudeville n’ont-ils pas des couplets dans les drames lugubres qu’ils ont adoptés pour égayer leur auditoire ? Pourquoi le mélodrame seroit-il plus sévère que l’opéra-comique ? Qui sait ce qui arrivera, si jamais quelque homme d'un vrai talent s’empare du mélodrame ? Ne pourra-t-ou pas voir alors la chûte du grand opéra, que nos chanteurs français rendent si ennuyeux, ou celle de la tragédie, si jamais elle perd ses Talma, ses Lafond, ses Damas, ses Duchesnois ? C’est alors qu’on verra dans le temple d’Apollon ce que Voltaire appeloit l’abomination de la désolation, des tragédies en prose. Jusqu’à présent l’on n’a fait du mélodrame qu’un amusement pour la multitude. On s’est accommodé à sa capacité ; mais si la bonne compagnie y prend goût, peut-être verrons-nous bientôt une révolution dans l’empire de Melpomene et de Polymnie ; en attendant, il faut revenir à Caroline de Lichtfield.
Caroline, mariée secrètement avec le comte de Walstein, est à la campagne, chez une vieille baronne de Rindawe sa tante. Un jeune Baron du voisinage voit Caroline, en devient amoureux, et lui avoue ses sentimens. Si Caroline n’écoutoit que son cœur, elle ne repousseroit pas les hommages de Lindorf ; mais ses devoirs parlent aussi ; elle lui fait confilence de son mariage avec le Comte. Walstein est l’ami de Lindorf. Celui - ci, désolé d’avoir osé aimer la femme de son ami, fuit du château ; mais son étoile, ou le hazard le mènent précisément auprès du comte de Walstein. Ici commence un combat de sentimens et de générosité. Walstein fait tous ses efforts pour calmer les chagrins de son ami, et en découvrir la cause. Lindorf la lui cache obstinément ; mais Caroline arrive. Les deux amans se revoient ; Lindorf fuit de nouveau ; mais Walstein en a vu assez pour découvrir la vérité. Il quitte sa terre, et résolu de faire le bonheur de sa femme, et de son ami, il va aux pieds du Roi solliciter la dissolution de son mariage. Ces exemples seroient peut-être plus frequens, s’il étoit plus facile d’obtenir ce genre de grâce. Combien de maris céderoient volontiers leurs femmes à ceux qui voudroient s’en charger ?
Tandis que Walstein est occupé à faire casser son mariage. La grâce d’en haut éclaire Lindorf et la vertu rentre dans son cœur. De son côté, Caroline se sent convertie. Elle abjure pour toujours des sentimens coupables qui lui ont fait oublier, un moment, la tendresse qu’elle devoit à son époux. Lindorf, rendu à lui-même, retourne auprès de Mathilde, qu’il devoit épouser, et quand le Comte arrive avec le consentement du Roi pour la dissolution de son mariage, il ne trouve plus que les époux, les plus timorés. Caroline, honteuse de sa distraction, fait de nouveaux sermens au Comte, et déchire elle-même l’acte de séparation.
Cette pièce est une bonne aubaine pour le théâtre qui l’a adoptée ; elle ne sauroit manquer d’être suivie et recherchée. Le tôle de Caroline est confié à une jeune personne nommée Louise, qui annouce les plus heureuses dispositions comme actrice et comme cantatrice. Son jeu est sage et décent, sa figure et son extérieur agréables, sa voix douce et étendue. Les autres rôles sont remplis avec intelligence par Basnage, Le Peintre, Brouillon et Prudent Ces jeunes gens forcent quelquefois leurs moyens, c’est une ressource pour obtenir des applaudissemens, mais une ressource funeste qui énerve bientôt l’acteur et finit par le tuer ; alors qu’importent les applaudissemens ?
Ajouter un commentaire