Charles IX ou l'Ecole des Rois

Charles IX ou l'Ecole des Rois, tragédie, par Marie-Joseph de Chénier (4 novembre 1789). Paris, Bossange, in-8°. de 200 pages.

Théâtre françois

Titre :

Charles IX, ou l’Ecole des Rois

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

4 novembre 1789

Théâtre :

Théâtre François

Auteur(s) des paroles :

Marie-Joseph de Chénier

Almanach des Muses 1791

Tragédie qui a eu un très-grand nombre de représentations, et dont on a lié le succès à la cause publique.

Peu d'action et beaucoup de discours dans les premiers actes. De l'éloquence dans le rôle du chancelier de l'Hôpital. Au quatrième acte, tableau terrible et d'un grand effet.

Le Mercure de France a accordé une large place à la pièce de Chénier :

Mercure de France, tome CXXXVII, n° 46 du samedi 14 novembre 1789, p. 39

COMÉDIE FRANÇOISE.

Nous rendrons compte dans le prochain Mercure, des premières représentations de Charles IX, Tragédie de M. J. de Chenier, qu'on a donnée pour la première fois le Mercredi 4 de ce mois, avec un grand succès.

Mercure de France, n° 35 (29 août 1789), Journal politique de Bruxelles, p. 387-388 :

La Comédie Françoise oſſrit, la semaine dernière, un incident qui touche à une question délicate, celle de la liberté illimitée à accorder à toutes Piéces de Théâtres reçues par les Comédiens. Dans ce nombre, se trouvoit une Tragédie, apparemment interdite, intitulée Charles IX, ou la Saint-Barthelemi, et attribuée à M. de Chenier. Quelques Feuilles avoient déja réclamé le droit de circonstances en faveur de la réprésentation de cette Piece, lorsque le Public, il y a huit jours, intima aux Comédiens de donner Charles IX. Le sieur Fleury ayant fait observer au parterre que la Comédie Françoise s'étoit fait une Loi d'attendre la permission, on s'écria : Point de permission, nous vous la donnons : nous avons la liberté de faire jouer ce qu'il nous plaît, comme nous avons celle de penser. A cet ordre, reçu, comme on le suppose de reste, aux applaudissemens universels, M. Fleury opposa un mot sage : Monsieur, dit-il à l'Orateur principal, j'ose vous demander, si vous nous donnez la permission d'enfreindre des Lois que nous avons respectées depuis cent ans. Cette réponse juste et polie désarma l'Audience, qui se borna à requérir d'abord l'abolition de la censure, ensuite l'appel de la question à la Municipalité. Celle-ci a demandé la Piéce, et après l'examen, il est à présumer qu'elle prononcera. Cette Police de l'Hôtel-de-Ville s'étend également sur les Imprimés, jugés illégitimes.

Mercure de France, n° 43 (24 octobre 1789), Journal politique de Bruxelles, p. 216-217 (erreur pour 316-317) :

Les Etrangers seront, sans doute, étonnés qu'on ait choisi les conjonctures actuelles, pour jouer une Tragédie de Charles IX. Elle est annoncée au Theâtre François. Le District des Carmes s'est opposé à sa représentation ; mais le District des Cordeliers l'a ordonnée : nous ne savons pas encore ce qu'ordonneront ou défendront . 58 autres divisions de la Capitale. On assure que l'Auteur, connu par des Ouvrages estimables, a traité cet épouvantable sujet, de manière à en sauver la scandaleuse atrocité.

Mercure de France, n° 46 (14 novembre 1789), p. 39 :

Comédie Françoise.

Nous rendrons compte dans le prochain mercure des premières représentations de Charles IX, Tragédie de M. J. de Chenier, qu’on a donnée pour a première fois le Mercredi 4 de ce mois, avec un grand succès.

Mercure de France, n° 47 (21 novembre 1789), p. 68-69 :

Comédie Françoise.

Le désir de rapprocher, dans un seul Article, de la Tragédie de Charles IX, tous les Ouvrages dramatiques Nationaux ou Etrangers qui peuvent y avoir rapport, nous force à renvoyer au prochain Mercure le compte que nous avons promis pour celui-ci.

L'affluence se soutient à mesure que les représentations se succèdent, & les applaudissemens ne diminuent point.

Mercure de France, n° 48 (28 novembre 1789), p. 89-96 :

[Article repris dans l'Esprit des journaux français et étrangers, 1789, tome XII, p. 329-338 :

Très long compte rendu d’une pièce qui a marqué son temps. Pour dire ce qu’il pense, le critique a besoin de faire un long développement sur la Saint-Barthélemy et de rectifier en passant des inexactitudes de la pièce. Il cite également les autres œuvres consacrées à l’événement. Sur la pièce elle-même, il s’agit de souligner combien elle provoque des sentiments forts : elle fait naître l’horreur plus que l’intérêt. L’action est trop lente, et certains développements sont trop longs. Quant aux personnages, autant Catherine de Médicis est mal représentée, autant L’Hôpilal et Coligny disent de fortes choses.]

THÉÂTRE FRANÇOIS.

Le mercredi 4 novembre, on a donné, avec beaucoup de succès, la premiere représentation de Charles IX, tragédie nouvelle de M. de Chenier.

Transeat à me calix iste : voilà ce que tout François, ami de l'humanité, de l'honneur & de la gloire de sa patrie, doit se dire en se rappellant l'horrible nuit du 24 août 1573. C'est, en effet, un souvenir bien cuisant, bien amer, disons-le, bien humiliant(*) pour la nation, que celui d'un des plus odieux, des plus atroces forfaits dont aucun peuple ait à rougir. Cependant ce crime abominable, ce crime que l'enfer seul oseroit avouer, vient d'être porté sur notre scene ; on l'y retrace dans toute son horreur, on le développe, on y ajoute ! hâtons-nous d'articuler une réflexion qui nous presse. Disons, aimons à dire que l'auteur qui a choisi un pareil sujet, l'a cru, avec raison, profondément pathétique, & que, vraisemblablement, il en a jugé la représentation utile. Utile ! si cela est, que sommes-nous devenus : que deviendrons-nous ? c'est un chaos où la raison se perd, où l'esprit se confond, où le cœur se navre, & ne trouve que des causes de terreur & de larmes. Avant de jetter les yeux sur cet extraordinaire ouvrage, traçons rapidement ce que l'histoire (dont à cet article il faudroit pouvoir anéantir les pages) nous a conservé de l'événement détestable qu'il met en action.

Catherine de Médicis, reine sous le nom de son fils Charles IX, avoit juré la perte des huguenots, qu'elle avoit tour-à-tour, opposés & sacrifiés aux catholiques. Ambitieuse, altiere, vindicative, perfide & superstitieuse, elle haïssoit tout ce qui portoit auprès d'elle un caractere de fierté, & elle détestoit l'amiral de Coligny autant que ce grand homme étoit haï de la maison de Guise. On avoit essayé d'assassiner l'amiral, & le coup avoit manqué. Médicis sut feindre jusqu'à suivre son fils chez Coligny, dans l'intention, sans doute, d'éloigner de son ame généreuse les justes soupçons qu'il pouvoit former. Mais aussi-tôt elle s'empara de ceux qui entouroient le roi, pour séduire plus sûrement l'esprit de ce misérable prince, & elle convainquit trop facilement son fils, que la politique, la religion, la paix du royaume, le salut de sa personne & la majesté du trône exigeoient le massacre des protestans dans toute l'étendue de la France. On fixa l'heure fatale, & au son du tocsin frappé par l'horloge du palais, le carnage commença. Coligny périt un des premiers ; le sang inonda la ville & les provinces. L'ordre avoit été de n'épargner, ni les vieillards, ni les femmes grosses, ni les enfans gissans1 & à la mamelle(1). Presque par-tout il fut rigoureusement suivi. Le roi d'abord ne voulut point avouer qu'il avoit consenti à ce forfait ; mais bientôt il en fit l'aveu(2). La nouvelle de la mort de Coligny & du massacre fut reçue à Rome avec les transports de la joie le plus vive. On tira le canon, on alluma des feux. Il y eut une messe
solemnelle d'actions de graces, à laquelle le pape Grégoire XIII (Hugues Buoncompagno), assista avec tout l'éclat que cette cour donne aux cérémonies qu'elle veut rendre illustres. Le cardinal de Lorraine récompensa largement le courier, & l'interrogea en homme instruit d'avance(3). Abrégeons. » Le duc d'Anjou avoit tué à coups d'arquebuse sept personnes, & Charles IX, qui en tua trois, rioit si haut avec éclat, qu'on l'entendoit d'en bas(4) ». On frappa une médaille à l'occasion de la Saint - Barthelemi, où l'on voit la date du jour & de l'année, avec cette inscription : Pietas excitavit justitiam. Au revers, Charles IX est représenté auprès de son trône, tenant à la main droite une épée ; à la gauche une main de justice, foulant aux pieds quelques cadavres ; & autour est écrit : Virtus in rebelles. Cette médaille & d'autres(5), à l'exergue desquelles on lit, Carolo nono, regi piissimo, font présumer que si, dans ces tems malheureux, le maffacre des protestans fut blâmé & détesté tout bas, on n'osa point le blâmer publiquement, & tout cela rend fort suspect les remords dont quelques écrivains ont honoré les derniers instans de Charles IX. N'oublions pas de remarquer que Christophe de Thou, premier président, compara, à cette occasion, la prudence du roi à celle de Louis XI. Quelle lâcheté ! ou quel affreux reproche ! Voilà ce que dit l'histoire ; donnons, au fond, une idée de la tragédie de Charles IX.

Dans cet ouvrage, le cardinal de Lorraine, le duc de Guise & Catherine de Médicis ont juré la perte de Coligny & des protestans. Charles IX tour-à-tour foible, crédule & sensible, cede aux impulfions de sa mere, qui cache ses atroces projets de vengeance sous le masque de la tendresse & de la politique ; se soumet en fanatique aveugle aux ordres sanguinaires que le cardinal lui donne en profanant le nom de l'Eternel ; écoute avec admiration les nobles conseils de Coligny, & s'attendrit à la touchante persuasion des discours du célebre chancelier de l'Hôpital (6): mais entraîné, vaincu, subjugué par les terreurs dont on l'environne, par, la sèduction, par de faux intérêts, & fur-tout par un zele insensé pour la religion catholique, comme par les fameux & déplorables exemples qu'on lui rappelle, il donne lui-même l'ordre de la destruction & du massacre ; il demande au cardinal les bénédictions du ciel pour l'horrible attentat qu'il vient d'ordonner ; & le farouche ministre, après avoir béni les meutriers, promet à ceux qui rencontreraient la mort au sein du carnage, les palmes du martyre(7). On entend former le tocsin ; les flambeaux s'allument ; on voit briller le fer des assassins qui se dispersent, & l'Hôpital vient faire le récit de l'affreux événement. Le roi reparoît ; alors Henri, roi de Navarre (depuis Henri IV), qui a joué dans toute la piece un rôle assez subordonné, comme cela devoit être, lui reproche avec autant de chaleur que d'amertume, le crime dont il s'est souillé. Charles IX, que le repentir a déja saisi, gémit sous le poids de son forfait, se le retrace avec horreur, maudit, dans son delire, les perfides qui l'y ont entraîné, & tombe écrasé par les remords.

L'effet que produit cette tragédie tient presque entiérement à la terreur, on pourroit même dire à l'horreur. Si l'on excepte le rôle du chancelier de l'Hôpital, & quelques morceaux de celui de Coligny, qui intéressent sous des nuances très-différentes, très-bien apperçues & très-bien saisies, dans tout le reste on frémit, on frissonne, on est glacé d'effroi. L'action est généralement lente, & dans le sujet donné il étoit difficile de la rendre rapide ; mais des détails profonds, des pensées fortes, des peintures énergiques, des mouvemens bien contrariés nourrissent les développemens du dialogue, & le jeu des caracteres excite un intérêt de curiosité qui soutient l'attention & la fixe. On a reproché des longueurs à quelques-uns de ces développemens; & ce n'est pas sans fondement, parce que l'intérêt & la raison, qui sont les premieres regles de l'art dramatique, proscriront toujours, même les plus beaux détails, lorsqu'ils s'étendront assez pour faire languir l'action, en ajoutant à sa lenteur : or il y en a de ce genre dans Charles IX ; c'est ce qu'on pourra prouver quand la piece paroîtra imprimée. On pourra aussi alors examiner le style, qui nous a paru souvent fier & ferme, négligé quelquefois, & un peu épique de tems en tems. On doit des éloges à madame Vestris, pour la maniere vraie & profonde dont elle a su rendre le caractere de Catherine de Médicis ; mais on en doit particuliérement à M. Talma, qui, dans le rôle de Charles IX, a su attacher & émouvoir, sur-tout dans la scene des remords.

Il faut convenir que le rôle de Catherine de Médicis n'est qu'ébauché ; on diroit que l'auteur a craint de le finir : mais celui du chancelier de l'Hôpital, parfaitement dessiné, offre des maximes grandes & généreuses. L'amiral de. Coligny dit à Charles IX ces deux vers remarquables :

                                                Ne laissez pas
Errer de main en main l'autorité suprême,
Ne croyez que votre ame, & régnez par vous-même

Il prend ensuite un ton prophétique, & s'écrie :

Laissons faire le tems. A la grandeur du trône,
On verra succéder la grandeur de l'état :
Le peuple tout à-coup reprenant son éclat,
Et des longs préjugés terrassant l'imposture,
Réclamera les droits fondés par la nature.
Son bonheur renaîtra du sein de ses malheurs :
Ces murs baignés sans cesse & de sang & de pleurs,
Ces tombeaux des vivans, ces bastilles affreuses,
S'écrouleront un jour sous des mains généreuses.
Au prince, aux citoyens imposant leur devoir,
Et fixant à jamais les bornes du pouvoir,
On verra nos neveux, plus fiers que leurs ancêtres,
Reconnoisant des chefs, mais n'ayant point de maîtres ;
Heureux sous un monarque, ami de l'équité,
Restaurateur des loix & de la liberté.

Ces beaux vers ont été sanctionnés par la voix publique : toute la salle a retenti des cris redoublés de vive le roi.

On connoît assez généralement quelques ouvrages dramatiques(8) qui ont traité le même sujet, ou à-peu-près. En voici une idée rapide.

François de Chante-Louve donna, en 1575, une tragédie de feu Gaspard de Coligny, contenant ce qui arriva à Paris le 24 août 1572. Coligny est représenté, dans cet ouvrage, sous les couleurs les plus odieuses. Il y projette de tuer le roi, les Guises & les papistes ; mais on le prévient, il est alssassiné, & le peuple célebre cet heureux événement. Le style de cette piece, où Mercure joue un rôle, est aussi barbare que le sujet.

Environ un siècle après, Nathanaël Lée, auteur dramatique anglois, fit jouer à Londres le Massacre de Paris ou la St. Barthelemy. Le rôle de Charles IX, séduit par Catherine de Médicis, & entraîné au crime par la voix fanatique du cardinal de Lorraine, est du plus grand intérêt dans cette tragédie, où d'ailleurs les caracteres sont fortement prononcés.

En 1740, M. d'Arnaud a fait imprimer Coligny ou la St. Barthelemy, tragédie en trois actes & en vers. Cet ouvrage a plus pour objet la mort de Coligny, que le massacre général des protestans : on pourroit le regarder comme un assez long commentaire de quelques beaux vers du second chant de la Henriade.

Au mois d'août 1772, M. Mercier a fait imprimer à Lausanne, Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, drame en trois actes. Ce drame, dont le sujet est fait pour plaire à toutes les ames sensibles, à tous les cœurs amis de l'humanité, représente un évêque catholique, qui, tandis que Rome & l'église apostolique consacrent & autorisent, au nom. de Dieu, d'horribles assassinats, s'oppose aux ordres d'un roi foible & furieux, d'une cour lâche & vindicative, & défend avec courage les victimes infortunées que proscrivoit le fanatisme. Il seroit à défirer que M. Mercier revît cet ouvrage, qu'il y liât plus fortement l'action secondaire dont il a fait choix, avec le sujet principal, & qu'il ajoutât plus de pompe, de force & de dignité au dénouement, par un tableau pris dans le sujet même. Puisqu'on a placé sur la scene françoise un prince de l'église, ordonnant le meurtre au nom du ciel, on peut, avec autant de raison, y présenter un ministire des autels qui emploie l'autorité de son saint ministère à repousser le crime & à protéger l'humanité. Il nous semble qu'on n'entendroit qu'avec transport ces paroles qu'adreffe le respectable évêque au lieutenant de roi : « Je couvrairai ces malheureux de mes vêtemens sacrés.... Je tiendrai dans mes mains le dieu de clémence & de paix, & nous verrons alors, nous verrons si ces sacrileges passeront outre, s'ils fouleront aux pieds le dieu & le miniflre, pour massacrer plus librement leurs freres. » Le peuple court en foule à Charles IX ; il y apprend à détester les prêtres sanguinaires : craignons l'abus de l'exception, & hâtons-nous de lui apprendre aussi ce qu'il doit de respect à la religion, comme aux ministres qui sont dignes d'elle, & du dieu dont elle est l'ouvrage.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, volume VI, ventôse an 7 [février 1799], p. 167-174 :

[Article publié lors de la reprise de la pièce de Chénier en 1799. Le critique profite de cette occasion pour dire tout le bien qu’il pense de la pièce, choix du sujet, développement des caractères, « charme d’un style éloquent sans verbiage poétique sans enflure & ferme sans dureté, « leçon si néergique & si morale […] contre les dangers du pouvoir arbitraire, du fanatisme religieux & de la foiblesse des rois ». L’auteur est présenté comme « un défenseur énergique des principes, un ennemi courageux de toutes les tyrannies ». Bien sûr, la pièce a subi des modifications, et le critique entreprend de donner un aperçu de ces changements. C’est une modification à la fin du deuxième acte qui est longuement citée, jugée remarquable «  par la rapidité, par la force du dialogue, par son effet concis & serré ». La péripétie du quatrième acte est également mise en lumière, parce qu’elle fait passer de la terreur à la pitié. Par contre, l’allongement au cinquième acte est jugé plus sévèrement. Le dernier paragraphe est consacré à l’interprétation, jugée remarquable.]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

Charles IX, tragédie.

La reprise long-temps désirée de ce bel ouvrage du C. Chénier vient de confirmer le jugement qu'en avoient déjà porté les vrais littérateurs & , ceux qui connoissent l'art de la tragédie. Son nouveau succès, plus éclatant encore que le premier, prouve aussi que les solides beautés, les productions du véritable talent, s'épurent au creuset du temps, au lieu de s'affoiblir, & qu'elles passent sans s'altérer à travers les passions & les préjugés contemporains, pour arriver à la postérité qui les attend, les juge & les place.

Il est inutile de répéter ici que le mérite de cette tragédie vraiment nationale, est d'abord dans le choix du sujet le plus tragique que présentent les fastes de notre ancienne monarchie, ensuite dans le dessin vigoureux & dans le développement profond des caractères, qui, savamment opposés, se font mutuellement ressortir, & qui, conservant la vérité historique toute entière, se trouvent embellis par le charme d'un style éloquent sans verbiage, poétique sans enflure, & ferme sans dureté ; enfin, dans la triple leçon si énergique & si morale que I'on doit nécessairement y puiser contre les dangers du pouvoir arbitraire, du fanatisme religieux & de la foiblesse des rois. L'auteur de cette pièce a donc achevé le tableau que Voltaire avoit largement dessiné dans sa Henriade ; mais en lui imprimant le mouvement dramatique, il en a rendu l'effet plus rapide & l’impression plus durable.

On doit avoir dit tout cela sans doute ; mais ce qu'il faut répéter, ce me semble, de peur qu'on ne feigne de l'oublier, c'est que dès avant la révolution, l'auteur, quoique jeune alors, s'était mis, par cet ouvrage, au rang des ennemis courageux du fanatisme encore puissant, dans un temps où beaucoup de patriotes d'aujourd'hui traitoient peut-être encore son essor de hardiesse dangereuse ; ainsi il avoit déjà le double mérite de faire avancer à la fois par une création assez neuve, & l'art dramatique & la philosophie.

Lorsqu'on suit enfin le C Chénier dans sa carrière depuis Charles lX jusqu'à Fénélon, quand on se rappelle, qu'au plus fort de la terreur qui levoit alors ses poignards sanglans sur toute la France, il fit entendre seul ce bel hémistiche de Caius Gracchus :

Des lois & non du sang….

Comment ne pas reconnoître un défenseur énergique des principes, un ennemi courageux de toutes les tyrannies, qui reste inébranlable en voyant les hommes & les choses changer autour de lui, qui ne fait point comme tant d'autres, fléchir son opinion & son talent sous la couleur mobile du jour, & qui prêche aux hommes rassemblés cette religion des cœurs justes & droits, cette douce philantropie qui feroit le bonheur du genre humain, si la politique & les passions vouloient, ou pouvoient lui céder l'empire de l'univers. C'est avec cette énergie, quand elle est appuyée d'un grand talent, qu'on surnage au dessus de tout, qu'on franchit toutes les sottises & les folies de son siècle, & qu'on arrive à la vraie gloire.

L'auteur en revoyant avec l'œil de la mâturité cet ouvrage de sa jeunesse, a fait quelques additions & quelques retranchemens marqués également au coin du goût & du talent. Voici les principaux qui m'ont frappé.

Le premier acte étoit peut être un peu froid ; les caractères ne se développoient qu'en discours, & ne faisoient pas marcher l'action d'une manière assez dramatique : aujourd'hui cet acte, consacré à la signature solemnelle de la paix, où Charles IX, Catherine, le cardinal, Coligny, l'Hôpital & Henri signent ensemble le traité, les uns avec le projet atroce de l'ensanglanter, les autres avec la loyauté de la franchise confiante, développe également les caractères, mais en action ; il met sur le champ avec beaucoup d'art les victimes en présence de leurs assassins puissans, jette de l'intérêt sur les unes & de l'horreur sur les autres, & expose le sujet de la manière la plus adroite & la plus vive.

Au second acte, l'addition la plus heureuse fait croître encore l'intérêt & marcher l'action. Cette fin de scène & d'acte, par la rapidité, par la force du dialogue, par son effet concis & serré, est dans le genre des belles scènes grecques : je ne puis me refuser au plaisir de la citer toute entière :

LE DUC DE GUISE.

Désignez les proscrits.

    CATHERINE.

                       Ah! vous les connoissez !

LE CARDINAL DE LORRAINE

Coligni.

LE DUC DE GUISE.

           Cette main punira le rebelle.
LE CARDINAL DE LORRAINE.

Téligni.

    CATHERINE.

      C'est son gendre & son appui fidèle.

LE DUC DE GUISE.

Le Navarrois,

      CHARLES.

               Jamais. vous m'en répondez tous.

    CATHERINE.

Non, Guise.

      CHARLES.

            De ma sœur songez qu'il est l'époux

    CATHERINE.

Attenter à ses jours, c’est immoler ma fille.

      CHARLES.

De Saint-Louis du moins épargnez la famille.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Sire, aucun n'agira contre vos volontés.

LE DUC DE GUISE.

Meurent les protestants, les princes exceptés,

    CATHERINE.

Des gardes toutefois veilleront sur les princes.

LE DUC DE GUISE.

Les ordres souverains pour toutes les provinces.....

    CATHERINE.

Sont prêts & vont partir.

LE DUC DE GUISE.

                 Où nous rassemblons-nous ?

    CATHERINE.

Dans le Louvre, en ce lieu.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

                       L’heure du rendez-vous ?

    CATHERINE.

Minuit.

LE DUC DE GUISE, à haute voix.

            Minuit.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

                     Les chefs ?

    CATHERINE.

                               Guise, vous & les prêtres.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Le signal ?

    CATHERINE.

             Un tocsin sonnant la mort des traitres.

LE DUC DE GUISE.

Les mots de ralliment ?

    CATHERINE.

                              Dieu, Charles, Médicis.

LE DUC DE GUISE.

Aurons-nous quelque signe empreint sur nos habits ?

    CATHERINE.

La croix couleur de sang.

CHARLES, dans le plus grand trouble.

              Sortons.

CATHERINE, aux conjurés.

                                  Zèle et silence.
Retirez-vous, le roi chérit votre yaillance.

                 (A Charles.)

Ne calmerez-vous point cette secrète horreur ?

      CHARLES.

Ah! si j'étois proscrit, j'aurois moins de terreur.

On ne connoît point au théâtre de scène qui produise plus d'effet en si peu de temps & de mots. Le dernier vers de Charles me paroît sublime de mouvement dans la situation où il se trouve.

Au quatrième acte, les remords & l'irrésolution de Charles IX plus marqués donnant plus de développement à son caractère & à ses combats perpétuels entre le crime & la vertu, forment ce qu'on appelle vraiment péripétie, par l'espoir qu'ils laissent encore sur le sort des proscrits. C'est ainsi que l'auteur a fait succéder adroitement les deux ressorts tragiques de la terreur & de la pitié. Dans cet acte & dans tout l'ouvrage, le caractère du jeune Henri a reçu aussi quelques coups de pinceau qui renforcent un peu le coloris de ce rôle qu'on accusoit de pâleur.

Au cinquième, le récit des horreurs du massacre m'a paru allongé : j'oserai communiquer à cet égard un doute à l'auteur : cette addition n'est-elle pas superflue ? Si près encore de l'heure & du lieu de la catastrophe, le sensible & vertueux l'Hôpital peut-il être supposé en savoir si exactement les détails ? peut-il les dire avec tant d'ordre dans les idées & tant de pompe dans le style ? Dans les premières éditions, il me semble qu'on avoit évité de lutter contre le second chant de la Henriade ; & quoique l'auteur de la tragédie me paroisse rivaliser heureusement quelquefois avec celui du poëme pour les vers, n'a-t-il pas l'inconvénient de venir le dernier, de dire les mêmes choses, sans avoir, comme dans le reste, l'avantage du mouvement dramatique ? Au surplus si c'est une longueur, on est bien dédommagé par le tableau qui suit, des remords du monarque assassin & des imprécations de Henri : mon observation ne sauroit d'ailleurs nuire à l'effet du rôle entier de l'Hôpital, qui, par son éloquence sensible & vertueuse, inspire un enthousiasme universel.

La pièce est fort bien jouée par les CC. Talma, Saint Prix, Damas, Baptiste, Vanhove &
&
Duval, & par la citoyenne Vestris.

D'après la base César (dont les chiffres ne correspondent pas avec ceux que fournit André Tissier pour la période 1789-1795),

  • 17 représentations en 1789 au Théâtre de la Nation,

  • 12 en 1790 au Théâtre de la Nation (+ 1 au Grand Théâtre de Rouen),

  • 12 en 1791 (dans trois théâtre différents : 2 à Caen, 2 au Lycée dramatique et 8 au Théâtre français de la rue de Richelieu),

  • 8 en 1792 (6 au Théâtre français de la rue de Richelieu et 2 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles),

  • 2 en 1793 (au Théâtre français de la rue de Richelieu).

Il faut ensuite attendre 1797 pour voir de nouvelles représentations :

  • 4 en 1797 et 1 en 1798 (au Théâtre des Délassements comiques),

  • 10 en 1799 (au Théâtre français de la rue de Richelieu).

Au total, jusqu'à la fin de 1799, 66 représentations.

Au total, jusqu'à la fin de 1799, 66 représentations.

(*) La mémoire du massacre de la St. Barthélemi fera toujours rougir le François en sa qualité d'homme ; comme politique, il ne doit pas moins rougir de la révocation de l'édit de Nantes, opération aussi fanatique, au fond, que la premiere, & qui n'a guere moins épuisé la France d'un sang dont la perte est encore trop sensible,

1 gissant : équivalent de gisant, du verbe gésir : être couché. Il s'agit de désigner des bébés qui ne peuvent pas se lever.

(1) Termes propres des ordres envoyés par Charles IX & par le Duc de Guise

(2) Voyez l'Esprit de la Ligue, Tome II.

(3) Voyez l'Esprit de la Ligue, ibid.

(4) Mémoire» manuscrits de M. Felibien des Avaux, extraits des mémoires de M, Poullain, auteur du procès - verbal, contenant l'histoire de la ligue, sous le regne de Henri III.

(5) Voyez le P. Daniel, tome VIII, pages 786-787, édition in-4to. 1729.

(6) En 1572, l'Hôpital n'avoit plus les sceaux. La reine les lui avoit fait ôter en 1567, pour les donner à Jean de Morvilliers, évêque d'Orléans ; elle avoit même éloigné de la cour le chancelier, dont la vertu
lui étoit fâcheuse, & qu'on soupçonnoit de pencher vers le protestantisme, parce qu'il étoit humain & tolérant.

(7) Pour l'honneur de la religion, ce fait n'a point existé. Il est bien vrai que le cardinal de Lorraine avoit voulu établir l'inquisition en France, qu'il se réjouit à 1a nouvelle du massacre des protestans, & que peu de prêtres ont porté plus loin que lui le zele exagéré de la religion catholique ; mais il n'étoit point en France lors de la Saint-Barthelemi. Dans un sujet tel que celui-ci, où l'histoire demande à être rigoureusement suivie, sur-tout, quand on annocne la prétention d'éclairer, de faire preuve de patriotisme, il nous semble que ce seroit une erreur que d'admettre ce précepte d'Horace :

                              Pictorìbus atque poëtis,
Quïdlibet audendi semper fuit æqua potestas.

Mais ce que le cardinal de Lorraine a désiré, peut, dira-t on, autoriser l'auteur à lui prêter l'action fanatique qui fait l'objet de cette note. Non, Il s'agit d'un fait atroce, révoltant, sacrilege, dont il ne fut point coupable ; pourquoi en charger sa mémoire ?

(8) Nous ne citons point une mort de Charles IX. bergerie de Pierre de Monchault, qui, loin d'avoir aucun rapport avec la St. Barthelemy, sembleroit annoncer que le bourreau des protestans laissa des regrets après lui.

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