Cimarosa
Cimarosa, opéra comique en deux actes, paroles de M. Bouilly, musique de M. Nicolo ; 28 juin 1808.
Théâtre de l'Opéra-Comique.
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Titre :
Cimarosa
Genre
opér comique
Nombre d'actes :
2
Vers / prose
en prose, avec des couplets en vers
Musique :
oui
Date de création :
28 juin 1808
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra-Comique
Auteur(s) des paroles :
Bouilly
compositeur(s) :
Nicolo
Almanach des Muses 1809.
Cimarosa est logé à Naples, dans la maison du signor Fiorelli, riche propriétaire, grand amateur des arts, qui s'est plu à recueillir chez lui un compositeur aussi distingué. Un talent éminent n'est pas toujours le garant d'une conduite réguliere, et Cimarosa contracte des dettes, en même temps qu'il devient de plus en plus épris des charmes de la jeune Florina, fille unique du signor Fiorelli. Un de ses créanciers a obtenu une sentence contre lui, et on vient pour l'arrêter dans le moment où l'on répete un de ses opéra, où les acteurs lui demandent des changements. Ambrogio, son veux domestique, homme fertile en expédients, le tire d'embarras, en offrant à l'officier chargé d'exécuter la sentence, de lui livrer les meubles qui garnissent l'appartement, à condition qu'il les enlevera pendant la nuit. L'offre est acceptée, et les meubles sont enlevés. Ambrogio, alors, réunit de vieux croquis de musique de son maître, qui s'est absenté pour n'être pas témoin de l'exécution arrangée par son domestique, y met le feu, les jette par la fenêtre, et crie à l'incendie. On s'attroupe devant la maison ; le tocsin est sonné, et bientôt le bruit se répand que Cimarosa a tout perdu. Cimarosa accourt lui-même, saisi d'effroi. Il reçoit des visites de gens qui viennent, les uns pour le consoler, les autres pour lui offrir des secours et d'amples dédommagements. Mais, après avoir ri du stratagème de son vieux domestique, il renvoie les présents qu'on lui apporte, se borne à accepter la proposition que lui ont faite les acteurs de jouer son opéra, sans insister sur les changements qui lui ont été demandés, et déclare à son ami Fiorelli qu'il ne veut être libéré de ses dettes que par le produit de son talent, et non par une supercherie. Ce dernier trait augmente encore l'estime et l'attachement que lui portait Fiorelli, qui se décide à lui donner sa fille.
Succès partagé entre l'auteur et le compositeur ; tâche difficile pour celui-ci, qui l'a remplie en grand maître.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1808 :
Cimarosa, opéra-comique en deux actes, Paroles de J.-N. Bouilly ; musique de Nicolo Isouard ; Représenté pour la première fois, à Paris, sur Théâtre impérial de l'Opéra-Comique, le 28 juin 1808.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VIII, août 1808, p. 271-278 :
[Un bien long compte rendu pour une pièce jugée entièrement négative. Le critique commence par dire longuement le mal qu’il pense de ces pièces sur un personnage illustre. C’est visiblement le genre à la mode, et il en souligne la facilité (il suffit d’un nom et de quelques éléments de biographie, vrais ou faux, pour croire avoir fait une pièce. Pour ce minime effort, on livre au jugement de tous la renommée du héros involontaire de la pièce. Cette réduction de l’histoire aux formes du roman ou de la comédie est le signe de la stérilité des auteurs actuels, et faussent la connaissance des grands hommes. Et c’est d’autant plus grave que le personnage est proche. Ce doit être bien pénible pour l’homme célèbre de savoir qu’il va être mis en pièce sous une forme qu’il ignore. Tout cela pour parler de la nouvelle pièce dont le parolier a d’ailleurs choisi l’anonymat (pour éviter ce qu’il a fait subir à son héros ?). Sa pièce n’est d’ailleurs qu’un cadre commode pour mettre la musique de Nicolo, que le critique condamne : au lieu de sa propre production, c’est dans les œuvres de Cimarosa qu’il aurait dû puiser. Il suggère des situations dans lesquelles il aurait pu placer son personnage agissant au son de sa musique. Mais Nicolo a choisi de créer une musique nouvelle, qui rappelle parfois celle de Cimarosa, mais qui en est parfois fort éloignée (beaucoup de couplets en particulier sont infignes de la renommée de Cimarosa). La tentative neuve de similer un incendie, étroitement lié à l’intrigue a fait l’objet d’interprétations diverse. Mais l’essentiel n’est pas là, ce qui choque le plus le critique, c’est la façon dont a été représenté Cimarosa, « le meilleur des époux et des pères, l'homme le plus aimable, le plus aimé de tout ce qui l'a connu », bref, l’incarnation de la perfection. Le livret en donne une idée absolument fausse, et qui scandalise ceux qui le connaissent. Il n’est pas le débauché joueur que le librettiste a cru pouvoir faire de lui.]
Les théâtres sont en quelque sorte devenus depuis quelques années des galeries de portraits ; chacun d'eux en a formé une plus ou moins étendue ; souverains, ministres, hommes d'état, hommes d'église, de robe, ou d'épée, poëtes, littérateurs, artistes, femmes célèbres par leurs vertus, leurs écrits, leur beauté, leur talent, leur galanterie même ; tous les noms devenus fameux ont été offerts, on pourrait même dire traduits sur notre scène, et les dictionnaires historiques ont été pour l'imagination de beaucoup d'auteurs, ce qu'est le dictionnaire des rimes, pour la verve de certains poëtes. Malheureusement il manque à la plupart de ces ébauches, le premier mérite exigé dans un portrait, la ressemblance et la vérité.
On conçoit aisément comment ce genre a séduit la facilité et le désir de paraître d'une foule de jeunes auteurs : le choix d'un nom qui fixe l'attention, l'intérêt, la curiosité ou la malignité publique ;. une anecdote vraie ou fausse, des. traits attribués au personnage, quelques mots qu'on lui a prêtés, une intrigue bannale, et voilà une pièce faite, et voilà un homme célèbre livré au jugement de la postérité, quelquefois de ses contemporains, trop souvent au souvenir de sa famille et de ses amis.
Quelque soit le danger de ces sortes de productions qui donnent à l'histoire les formes du roman ou celles de la comédie, qui dénaturent les idées reçues, ou donnent des notions fausses, qui favorisent la paresse, déguisent la stérilité des auteurs, et donnent à des lecteurs ou à des spectateurs oisifs, une trop facile et trop fausse instruction, ils ont moins d'inconvéniens quand le personnage est ancien, que sa vie est bien connue, et qu'en effet l'histoire qui peut médire, est là pour rectifier le roman, s'il calomnie; mais l'inconvénient est grave quand la mort récente du personnage n'a pas permis de répandre sur les détails de sa vie domestique, sur son personnel, autant de notions que son talent a jetté d'éclat sur sa renommée.
C'est une idée fort triste et presque décourageante pour l'homme qui de son vivant jouit de quelque célébrité, que de se dire : après ma mort combien de temps laissera-t-on ma cendre en paix ? Combien de temps ma mémoire sera-t-elle respectée? Quel auteur s'emparera de ma réputation pour commencer la sienne ? Sur quel théâtre figurerai-je ? Me fera-t-on parler en prose, en vers, en vaudeville ? Quelle figure me donnera-t-on ? Comment serai-je peint par des hommes qui ne m'ont vu qu'à peine, ou point du tout, et qui cependant décriront précisément mes mœurs, ma vie intérieure, mes habitudes, ma manière d'être, de sentir, de penser, et voudront les exprimer comme s'ils avaient passé toute leur vie avec moi ? J'avoue qu'il y a vraiment quelque plaisir à être dispensé par son obscurité de concevoir une telle inquiétude, dont j'ai vu singulièrement frappés des hommes qui en effet avaient des droits à la ressentir.
Ces réflexions nous sont venues à l'esprit toutes les fois que nous avons dû parler d'une pièce prétendue historique, et nous les hasardons en cette circonstance, parce que l'auteur du nouvel opéra, intitulé Cimarosa, paraît se les être faites à lui-même, puisqu'il a gardé l'anonyme, et que dans cet ouvrage il n'a certainement voulu que donner un cadre musical, un canevas à un compositeur dont les succès au théâtre-Feydeau se succèdent avec tant de rapidité : le lecteur a nommé avant nous M. Nicolo. C'était en effet une idée assez heureuse, si elle n'était pas téméraire, et une sorte de bonne fortune pour un musicien de l'école italienne, que de mettre en scène l'un des grands maîtres de cette école, l'ingénieux, l'aimable, le riche et brillant Cimarosa.
Peut-être, et le public paraissait s'y attendre, le compositeur eût-il dû avoir la réserve discrette de ne faire chanter ou composer Cimarosa que des morceaux choisis dans ses plus belles partitions ; tout le reste eût appartenu au compositeur moderne, et là même, son infériorité eût été de quelque prix : elle eût été, si l'on peut le dire, théâtrale , puisqu'elle eût contribué à faire ressortir le mérite et l'éclat des morceaux empruntés. Dans cette idée, Cimarosa, par exemple, eût pu être présenté composant dans toute la fraîcheur de ses-idées musicales, son délicieux Pria che spunti : il eût pu faire étudier à un chanteur bouffon son piquant rondo Sei Morelli, ou faire exécuter une de ces belles scènes de l'Italienne à Londres que l'admirable voix de Mme. Duret eût encore embellie, ou répéter un de ces morceaux finals qu'il partage, avec Paësiello, l'honneur d'avoir rendus si riches d'harmonies, et même quelquefois si scéniques.
Dans cette hypothèse, plus les morceaux auraient été connus, et véritablement classiques, plus ils auraient été bien choisis, plus le public aurait aimé à les retrouver et à les entendre dans la bouche de nos chanteurs français, dont quelques-uns n'ont à redouter aucune concurrence étrangère.
Ce parti n'est pas celui adopté par l'auteur anonyme : tout ce que Cimarosa chante, compose, accompagne et fait chanter, est de M. Nicolo : il a pris la tâche toute entière et toute entière la responsabilité : sans le rapprochement du nom du maître, et sans les souvenirs que ce nom ramène sans cesse à notre oreille, le compositeur aurait certes brillé davantage ; cependant s'être soutenu à côté de ce nom, et avoir lutté contre ces souvenirs n'est ni sans mérite, ni sans gloire. Dans plusieurs morceaux agréablement écrits, M. Nicolo a rappellé le style de Cimarosa sans se permettre de réminiscence positive. Son ouverture est bien dans la manière du maître, et rappelle particulièrement la forme et la coupe de celle du Matrimonio. L'introduction où des interlocuteurs dérangent un accordeur de piano, est un morceau fort piquant et vraiment bouffon ; c'est celui de l'ouvrage qui est écrit avec le plus de verve et d'originalité : les couplets de l'élève du conservatoire de Naples sont médiocres ; et qu'ont de commun en effet des couplets avec un élève de ce conservatoire si fameux qui a transmis à celui de France la mission de continuer sa renommée ? L’invocation que Cimarosa est censé composer est un morceau un peu vague, mais c'est le défaut inséparable de ces sortes de sujets ; Martin le chante d'une manière supérieure : son goût et sa méthode ont ici paru s'épurer encore, et sa voix gagne en éclat, étendue et flexibilité.
Le duo entre Cimarosa et son intéressante élève (Mme. Duret), a des passages d'une mélodie pure et d'un effet enchanteur ; mais l'ensemble du duo nous aurait paru devoir être conçu d'une manière plus grande, et offrir des formes plus larges et plus savantes : le final du 1er. acte a des parties excellentes : la coupe en est habile et l'effet très-heureux.
Dans l'entr'acte et derrière la toile, il se passe bien des événemens ; le musicien commence par imiter le calme profond de la nuit. Puis tout à coup des cris retentissent sur le théâtre, l'allarme se répand, le tocsin sonne, on crie au feu, on jette les meubles par la fenêtre. Le tumulte enfin cesse avec l'incendie, les choristes se reposent, l'orchestre se taît et la toile ne se lève pas encore : cet effet, nécessaire à l'intrigue et neuf à la scène, a paru piquant à quelques-uns : d'autres, l'œil fixé sur cette toile qui ne se levait pas, impatientés d'entendre tout et de ne voir jamais, ont trouvé l'intention bizarre et l'exécution un peu longue. Au deuxième acte, il y a peu de musique et elle n'y est pas bien en scène. Mme. Duret chante un air de bravoure avec une hardiesse d'exécution qui commence à rivaliser avec la beauté de ses moyens. Cimarosa a le tort d'y chanter aussi une romance qu'il dit être répétée dans Naples, et dont le style est tout-à-fait étranger aux cansonnettes, aux barcarolles, aux nocturnes qui nous viennent de ce pays.
Voici bien des détails sur le genre et sur la musique d'un ouvrage dont nous n'avons pas encore dit le sujet : l'énoncer nous semble assez inutile : Cimarosa fut le meilleur des époux et des pères, l'homme le plus aimable, le plus aimé de tout ce qui l'a connu. Sa taille était extraordinairement épaisse ; mais sa tête charmante avait presque le caractère de son talent et de ses ouvrages ; on ne connaît de lui que des traits qui l'honorent, des ouvrages qui l'immortalisent, une vie sans reproche et une mort déplorable ; il ne paraît s'être livré, à aucune époque de sa vie, à ces écarts, à ces déréglemens, à ces folies qu'on pardonne quelquefois aux grands talens, mais qui ne laissent pas que de les déparer et les rendre moins estimables ; cependant on le peint ici comme joueur et assez dissipé, comme accablé de dettes, en proie à des usuriers qui le dépouillent, ruiné au pharaon, et réduit à user de l'artifice d'un valet qui met le feu chez lui pour que tout Naples l'accable de présens et de gratifications. Il refuse tout, il est vrai, et déclare le subterfuge de son valet; mais en ce cas à quoi bon ce subterfuge, et qu'a d'heureux et de comique une telle conception ? Certes l'auteur n'a pas eu l'idée d'offenser la mémoire d'un homme dont il a choisi le nom comme garant et moyen de son succès ; il est à cet égard complettement justifié sur l'intention. Mais il a mis son personnage dans une position désagréable, humiliante et presque punissable, sans vraisemblance et certainement sans vérité. Nous avons vu des amis, des élèves de Cimarosa profondément attachés à sa mémoire, vivement affectés de cette erreur de, l'anonyme, et ce sentiment seul hautement exprimé, faisait assez l'éloge de Cimarosa pour démentir la fable sur laquelle repose l'ouvrage. S....
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 13e année, 1808, tome IV, p. 157-158 :
[Le peu de succès de la pièce est expliqué par certains par la volonté du parolier de fournir un cadre au compositeur, qui seul devait montrer son talent. Propos un peu infamant pour le parolier : nos opéras comiques sont des comédies, à la différence des opéras bouffons italiens (distinction très importante). La pièce repose sur une anecdote arrivée à Cimarosa. Elle vaut par la musique de Nicolo, « très-agréable ». Certains reprochent au compositeur d’avoir fait chanter le personnage de Cimarosa, mais il a été supérieurement joué par Martin. Pièce qui peut subsister, « avec quelques coupures et de petits changemens ».]
THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.
Cimarosa, joué le 28 juin.
La pièce n'a pas eu beaucoup de succès. On s'est empressé de dire, pour justifier l'auteur des paroles, que sa pièce n'étoit qu'un cadre pour faire entrer des morceaux de musique, un canevas qui ne devoit briller que par le talent du musicien. C'est une épigramme contre l'auteur, qui a trop de bon sens pour avoir voulu imiter à ce point les faiseurs d'opéras bouffons italiens. Les opéras comiques sont chez nous des comédies ou des drames réguliers que la musique doit rendre plus agréables, mais qui ne lui sont pas sacrifiés. L'auteur qui a fait ses preuves dans plusieurs ouvrages à grand succès, s'est trompé dans celui-ci, c'est tout ce qu'on peut dire.
Voici le trait qui a servi de base à la pièce. Cimarosa perdit dans un incéndie tout ce qu'il possédoit ; et dut à ce malheur la preuve de l'estime et de l'amitié de ses concitoyens qui s'empressèrent de lui faire oublier ses pertes en les réparant généreusement. Dans la pièce, c'est un valet qui met le feu chez Cimarosa, après en avoir soustrait sa musique et ses effets les plus précieux.
Ce qu'il y a de plus original dans la pièce, c'est un chœur tout entier chanté derrière la toile, entre les deux actes, et exprimant une émeute populaire.
M. Nicolo a fait une musique très-agréable : quelques personnes sévères ont trouvé téméraire à lui · d'avoir entrepris de faire chanter Cimarosa. Au reste, on entend avec grand plaisir Martin dans le rôle du célèbre compositeur, et Madame Duret Saint-Aubin dans celui de son élève.
Sans être une des meilleures de ce théâtre, la pièce pourra y rester avec quelques coupures et de petits changemens.
Nicole Wild, David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris: répertoire 1762-1972, p. 394 : autre titre, Amorosa ; Cimarosa a été joué jusqu'en 1810.
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