Cloris et Lycas, ou le Triomphe de l’amour, opéra pastoral, en un acte & en prose, mêlé de chant, 3 novembre 1792.
Date fournie par André Tissier, Les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2 (2002), p. 305.
Théâtre patriotique.
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Titre :
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Cloris et Lycas, ou le Triomphe de l’amour
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Genre
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opéra pastoral mêlé de chant
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose ?
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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chant
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Date de création :
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3 novembre 1792
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Théâtre :
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Théâtre patriotique
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Auteur(s) des paroles :
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Compositeur(s) :
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 12 (décembre 1793), p. 318-323 :
[Le critique commence par souligner combien l’opéra pastoral (les « amours langoureux d'un berger rebuté par une bergere cruelle ») sont éloignés des préoccupations du temps. Il n’en entreprend pas moins le récit d’une intrigue bucolique au plus haut point, non sans montrer le caractère convenu d’une telle intrigue qui fait naturellement intervenir Cupidon et ses flèches. Bien sûr, le dénouement est celui qu’on attend, et il ne reste plus qu’à passer à la critique proprement dite.
Pour cela, il faut d’abord régler le sort du chant. La musique de cette pastorale paraît mal adaptée au genre qu’elle accompagne : comme les paroles, elle est trop éloignée de « la simplicité de goût & de mœurs qu'on doit supposer aux bergers ». Il faut d’abord éliminer « les éternels préludes qui coupent la marche de l'action, & les ritournelles sans fin qui la ralentissent ». Il faut ensuite renoncer aux roulades, « presque toujours un contresens à la scene » : à travers un exemple, celui de la légèreté du papillon, le critique fait percevoir le ridicule de ces vocalises censées représenter le vol du papillon, mais qui dépasse les « bornes qui lui ont été prescrites par le goût & la nature ». la prohibition des roulades s’étend aux « échos de flûte » qui s’insère dans les moments où le chanteur reprend haleine : « sur quelle regle, sur quelle observation de la nature, un pareil effet est-il fondé ? ». Le débat rebondit sur la question de la prononciation : les chanteurs « italiennnisent » en prononçant « amourre » au lieu d’« amour ». mais la langue française est trop éloignée de la structure de l’italien pour qu’on puisse l’imiter sur ce point.
Après ce long (trop long ? même le critique se pose la question) développement, très intéressant pour la compréhension de la perception de la musique au théâtre, retour au théâtre patriotique, qui est félicité pour son jeu : ensemble et entente y sont remarquables, et le critique souhaite que ce théâtre devienne une sorte de lieu de formation des jeunes compositeurs à qui il donnerait la possibilité de faire jouer leurs œuvres.
Mais on ne saura pas grand chose de l'œuvre elle-même (bien écrite ? avec un plan cohérent ?) et de l’interprétation.]
THÉATRE PATRIOTIQUE.
Cloris & Lycas, opéra pastoral, en un acte & en prose, mêlé de chant.
Lorsqu'on ne connoissoit pas encore la bonne tragédie & la bonne comédie, on abandonnoit volontiers la représentation des Mysteres, des Farces & des sottises, pour aller voir une Pastorale, & cela devoit être. Mais aujourd'hui que notre théâtre fourmille, pour ainsi dire, de chef-d'œuvres, aujourd'hui que les passions les plus actives fomentent dans tous les cœurs, quel intérêt pouvons-nous prendre aux amours langoureux [sic] d'un berger rebuté par une bergere cruelle ? Aucun. Lorsque la trompette guerriere & le bruit des armes frappent perpétuellement l'oreille, pouvons-nous entendre le doux murmure des pipeaux rustiques ?
Le berger Lycas ne vit plus depuis l'instant où il a vu l'inhumaine Cloris. Vainement il lui a déclaré son amour ; vainement il a arrosé ses mains blanches & potelées de larmes que sa rigueur lui fait verser ; rien ne peut l'attendrir, & Cloris sera toujours cruelle, si les dieux ne sont pas touchés des tourmens que Lycas endure.
Quelle agréable harmonie se fait entendre ! D'où partent ces sons enchanteurs, & suaves comme l'odeur des roses qui semblent les rendre ? I.'air est tranquile, & les feuilles des rosiers s'agitent ! les roses même se courbent sur leurs tiges épineuses ! eh ! oui, c'est pour livrer passage à un jeune enfant, qui, bravant leurs dards, s'élance du milieu d'elles, & montre à nos yeux étonnés celui qui est, qui fut ou qui sera notre maître : l'amour.
Cloris fuit à son approche, mais quand il voudra, il saura bien l'arrêter ; le berger demeure & prie ; quelle injustice ce seroit de laisser périr ce pauvre Lycas ! Aglaé & une de ses compagnes, que les sons mélodieux qui se sont fait entendre ont attirées vers ce lieu, reconnoissent aussi-tôt Cupidon, & se glissant furtivement près de l'arbre, auprès duquel il a déposé son arc, ses fleches & son carquois, les emportent pour mettre l'amour dans l'impuissance de blesser désormais les bergeres.
Cloris, plus audacieuse, se joint à elles, & les amene auprès de Cupidon ; & c'est mutuellement qu'elles s'enhardissent pour l'attaquer. Plus fortes que ce foible enfant, elles le prennent, l'attachent à un tremble agité, & elles vont couper les aîles de ce pauvre petit malheureux, pour se venger de toutes les espiègleries qu'il a faites. En auront-elles bien le courage ? oh ! oui ; & pour le coup, ce seroit fait des aîles de l'amour, si Lycas n'accouroit & ne lui prêtoit une main secourable.
Heureusement l'amour est par fois reconnoissant ; aussi le premier usage qu'il fait de sa liberté est de décocher une de ses fleches dorées dans le cœur de Cloris, qui devient sensible aussi-tôt, & récompense par un tendre retour la constance de Lycas.
La musique de cette pastorale est chantante & agréable, mais elle ne nous paroît point assortie à la simplicité de goût & de mœurs qu'on doit supposer aux bergers. Quand on fait parler ces paisibles habitans des campagnes, il faut donner à leur langage du naturel, de la douceur & de la tendresse, & c'est ce que n'ont pas toujours fait les auteurs des paroles & de la musique de Cloris & Lycas.
Que le compositeur de cette pastorale, qui annonce de grandes dispositions, & qui, sans doute, est jeune encore, se garde bien d'oublier que le musicien n'obtiendra jamais un succès véritablement dramatique, s'il n'élimine, avec le plus grand soin, du théatre, les éternels préludes qui coupent la marche de l'action, & les ritournelles sans fin qui la ralentissent de la maniere la plus désagréable.
II faut aussi qu'il se souvienne que la roulade, qui n'est quelquefois qu'une coquetterie de complaisance, est presque toujours un contresens à la scene, parce qu'on ne peut pas concevoir comment une bergere, en parlant de son amant, qu'elle compare au pavillon léger, peut faire voltiger les dernieres syllabes de cette épithete sur toutes les fleurs de la mélodie, à-peu-près comme le pavillon voltige sur toutes les fleurs d'un parterre. L'imitation, comme toutes choses, a des bornes qui lui ont été prescrites par le goût & la nature. Qu'un simple trait, qu'une volate nous indiquent la légéreté du pavillon, à la bonne heure. Mais si le musicien, pour exprimer cette légéreté, s'appesantit pendant un quart-d'heure sur toutes les gammes diatoniques & chromatiques que la combinaison des tons peut lui fournir, il abuse de notre patience, & nous prouve qu'on peut être pesant même dans la légéreté, & il nous autorise à parodier le mot de Fontenelle, en disant à ces sons insignifians : Roulade, que me veux-tu ? Cette question seroit d'autant moins déplacée, que nous savons qu'en voltigeant de fleurs en fleurs, le papillon léger butine toujours quelque chose ; & que nous n'ignorons pas que le musicien léger en voltigeant, de modulation en modulation, ne fait que des notes, & ne produit que des sons, au-delà desquels il n'est rien.
Mais si les roulades sont déplacées au théatre, quel est celui qui osera prendre le parti de ces échos de flûte, de cor ou de hautbois, qui répetent avec complaisance fa, mi, ré, mi, ré ; la, sol, fa, sol, FA, lorsque le chanteur ou la cantatrice reprennent haleine, après avoir ingénieusement dit : é, é, é, é, É ; a, a, a, A ? sur quelle regle, sur quelle observation de la nature, un pareil effet est-il fondé ?
N'est-il pas aussi désagréable à entendre que ces personnages qui italiennisant gravement à la scene leur chant & leur prononciation, nous fendent l'oreille en disant : Amourre, séjourre au-lieu d'amour & séjour ? Qu'une vieille rencuniere, dont un jeune homme aura méprisé les vœux, dise, en faisant une horrible grimace : oh ! la vilaine chose que l'amourre ! passe ; mais qu'une gentille bachelette, qu'un aimable pastoureau, qu'un petit-maître doucereux, & qu'une femme à prétention, nous mettant dans leur confidence, assurent qu'ils ne sont en ce séjourre, que pourre fairre l'amourre, c'est ce qu'ils ne sauroient nous apprendre sans nous occasionner des grincemens de dents. Nous savons bien que les Italiens, qu'on imite si mal-adroitement, ainsi qu'en tant d'autres choses, prononcent fortement, en chantant, la derniere syllabe de certains mots ; mais qu'on fasse attention que c'est souvent nécessaire que cette derniere syllabe ne soit pas perdue pour le spectateur, & que cette syllabe offre toujours un son ouvert & brillant, puisqu'elle ne peut être qu'une de leurs voyelles : a, é, i, o, ou; tandis que, dans l'imitation françoise, elle ne présente jamais qu'un son sépulchral & sourd, & ne fait entendre que séjourreu & amourreu : effet diabolique de notre e muet & de notre u, inconnus dans la langue italienne. Veut-on se convaincre de la vérité de ces observations ? Qu'on prie un Italien de chanter les mots dont il est question ; qu'on l'écoute avec attention, & on l'entendra dire très-distinctement : amourré, séjourré ; &, si l'on observe en même tems le mouvement de ses levres, on verra qu'elles accentuent, pour ainsi dire, un sourire gracieux, tandis que le chanteur françoís ne peut dire : amourreu, séjourreu, qu'en se livrant, pour nous servir des expressions du Bourgeois gentilhomme, à l'action de quelqu'un qui veut faire la moue.
Mais revenons au théâtre patriotique, d'où ces observations nous ont peut-être trop écartés, & disons que la pastorale de Cloris & Lycas y est jouée avec de l'ensemble, de l'entente, & qu'il est à désirer, pour l'encouragement des jeunes compositeurs, que M. Sallé fasse mettre plus souvent des nouveautés à son théatre. Combien ne seroit-il pas avantageux, pour les progrès des arts, qu'il y eût dans la capitale des théatres où les jeunes musiciens puisent, sans être repoussés, produire leurs ouvrages, comme il en est où les jeunes acteurs peuvent facilement débuter & jouer ? N'est-il pas à présumer qu'une pareille institution procureroit bientôt aux grands théatres autant de bons compositeurs que les spectacles des boulevards,. & notamment celui de M. Audinot, leur ont procuré de bons acteurs ? Certes, un semblable avantage ne seroit pas à dédaigner.
César : titre complet : Cloris et Licas, ou le triomphe de l'amour. Auteur, date et lieu de création inconnus.
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