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Clytemnestre
Clytemnestre, tragédie en cinq actes, de Touzet, 4 novembre 1808.
Créée à Strasbourg par les Comédiens français de cette ville.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Le Normant, 1806 :
Clytemnestre, tragédie en cinq actes.
Tuque
Rectius iliacum carmen deduceris in actus.
Horace, Art poétique.
La pièce est précédée d'un long avant-propos (P. v-xvij) :
[A partir d'un extrait de l'Odyssée, Touzet entreprend de montrer qu'il est bien le premier à traiter le sujet du retour d'Agamemnon à Argos, après la chute de Troie d'où il revient en compagnie de Cassandre, fille de Priam, retour qui amène son assassinat par Clytemnestre, sous l'influence d'Egisthe. Touzet revendique d'avoir, le premier, créé une tragédie du meurtre d'Agamemnon en respectant les données d'Homère. Pour justifier les choix qu'il a fait dans cette matière, il fait ce qu'on fait habituellement pour rendre compte d'une tragédie, il analyse chacune des tragédies antérieures sur le sujet. Successivement, il critique les choix faits par ses prédécesseurs, d'abord les anciens, Eschyle et Sénèque, qui montrent tous deux une Clytemnestre bien éloignée de ce qu'Homère dit d'elle dans l'Odyssée. Viennent ensuite les modernes, d'abord l'obscur Boyer, à qui Touzet reconnait devoir l'idée de faire arriver Cassandre avant Agamemnon, puis l'anglais Thompson, imitateur de Sénèque, et enfin et surtout Alfieri, connue en France par la traduction qu'en a fait Lemercier (la pièce de Lemercier, Agamemnon, n'est pas une traduction de la pièce d'Alfieri). Ce que Touzet reproche à Alfieri, c'est d'introduire un nouveau « système » dans la conception des tragédies, système qui transforme la tragédie en une espèce de drame bourgeois dont les personnages éprouvent des passions populaires, ce qui a une influence néfaste sur « la multitude ». Un exemple pris dans la troisième scène de la pièce d'Alfiéri esaie de prouver que ces choix conduisent au viol de toutes les bienséances. Touzet n'a pas de mots assez forts pour exprimer son rejet d'une telle conception de la tragédie : le livre lui tombe des mains, « toute la pièce est de la même immoralité ». La pièce de Lemercier, réduite à être une simple traduction, est traitée avec la même sévérité, sauf qu'elle échappe seulement à l'accusation portée contre Alfiéri d'avoir un système dramatique et un but politique, tous deux mauvais. Elle est pourtant tout aussi indécente et scandaleuse. Touzet arrive à sa conclusion : le sujet d'Agamemnon est neuf, et il l'a traité de façon à produite une pièce conforme à l'époque présente, où « le génie du héros qui le gouverne » rend au peuple français la noblesse de son caractère. Sa pièce s'inscrit pour lui dans un retour vers la tragédie française telle qu'elle a été conçue par les grands maîtres de l'âge classique. Il lui fallait encore justifier l'apparente indécence qu'il y a dans l'attitude d'Agamemnon, qui dans sa tragédie répudie sa femme dès qu'il apprend son infidélité, et annonce sur le champ sa volonté d'épouser Cassandre. Ce choix dramatique lui a été reproché, mais il argumente pour le justifier : il s'agissait de punir une femme jalouse, et non de céder à un penchant envers Cassandre.]
« Tandis que sous les remparts d'llion, nos jours s'écoulaient dans les combats (c'est Nestor qui parle à Télémaque), le lâche (Egisthe), caché dans un coin de la guerrière Argos, cherchait à corrompre par le miel de ses paroles, l'épouse d'Agamemnon. D'abord Clytemnestre eut horreur de ses desseins odieux. Née avec des sentimens élevés, elle avait auprès d'elle un de ces sages révérés, un chantre divin, auquel Agamemnon, à son départ, avait confié le soin de veiller sur son épouse. Mais lorsque les destins voulurent qu'Egisthe s'enlaçât en des rêts funestes, il transporta cet élève des Dieux dans une ile inhabitée, où il l'abondonna aux vautours. Alors l'amant emména sans peine l'amante en son palais. »
Odyssée, liv. 3, traduct. de M. Bitaubé.
Tout le monde sait quelle fut la suite de ce premier forfait. Clytemnestre subjuguée par Egisthe, s'unit à lui pour assassiner Agamemnon à son retour de Troie.
Rien de plus terrible et de plus théâtral que ce sujet présenté par Homère au génie des poètes dramatiques. Le caractère des deux principaux personnages, l'hypocrisie d'Egisthe et l'ame élevée ; mais trop facile de Clytemnestre, se trouve tracé dans le peu de mots que je viens de citer. Celui du Roi des Rois mis en action dans tout le cours de l'Iliade, est trop connu pour qu'il soit besoin de le rappeler :
Qu'Agamemnon soit fier, superbe, intéressé.
Telles ont été mes premières données, lorsque j'ai conçu le projet de cette tragédie ; et mon plan ne fait que développer ces divers caractères. Il s'éloigne tellement de celui des auteurs qui m'ont précédé dans cette carrière, que l'on me saura peut-être gré des efforts que j'ai tentés pour répandre de l'intérêt et de la nouveauté sur une fable qui après tant d'essais doit paraître usée.
J'ai dit des essais, et que l'on me pardonne cette expression sur des ouvrages dont les circonstances seules ont fait le succès. Circonstances déplorables ! où l'œil de la multitude familiarisé avec les scènes les plus atroces, rejetait dédaigneusement la peinture des sentimens nobles et délicats qui avaient dans des temps plus heureux fait la gloire de la scène française, et l'avaient élevée à cette hauteur vraiment divine dont parle Despréaux à l'occasion de la tragédie grecque.
Eschile et Sénèque ont traité ce sujet chez les anciens. La Clytemnestre d'Eschile n'est point celle d'Homère, née avec des sentimens élevés. C'est un monstre qui se livre à sa perversité avec la plus affreuse énergie. C'est, a-t-on dit, la Cléopâtre de Corneille, mais heureuse et triomphante. Le récit, ou plutôt l'apologie qu'elle vient faire de son crime épouvante l'imagination. Les terreurs de Cassandre, ses irrésolutions, son dévouement ; cette tendresse pour sa patrie, qui ne la quitte pas un seul instant; ses prédictions enfin soutenues de tout ce que la poésie et la musique avaient d'entraînant, devaient affecter l'ame des sensations les plus déchirantes. L'art était dans son enfance ; mais le pinceau d'Eschyle lui a donné dans cette pièce, des traits de la plus vigoureuse maturité..
Rien de tout cela dans Sénèque. Sa Cassandre est une Pythonisse déréglée qui ne présente aucun intérêt. Clytemnestre a des remords pour la forme ; et après avoir parlementé avec sa nourrice et Egisthe, elle se rend sans raison. Cependant il faut avouer que quoique cette œuvre de Sénèque ne soit pas bonæ frugis, de la bonne veine, il s'y trouve des beautés du premier ordre. Quelquefois son dialogue a de la grace et de la concision. Une situation qui lui appartient et qui devait être du plus grand effet, c'est que le meurtre d'Agamemnon s'exécute derrière le théâtre, tandis que Cassandre en développe les circonstances aux yeux des spectateurs. On trouve aussi dans cette pièce de très-heureuses sentences parmi le grand nombre de celles qu'il y a semées; enfin, pour m'expliquer entièrement sur ce poète, lorsqu'il est bon, peu d'auteurs soutiendraient la comparaison ; mais cela lui arrive rarement, et il semble qu'il n'ait eu de l'esprit et même du génie que pour en abuser.
Venons aux modernes. Un contemporain de Racine (voilà tout ce qu'il a de commun avec le premier de nos poètes), Boyer a laissé un Agamemnon totalement oublié. J'y ai pris l'idée de faire précéder Agamemnon par Cassandre dans Argos. Thompson, chez les Anglais, a imité Sénèque ; et enfin l'Italien Alfiéri, dans ces derniers temps, a traité ce sujet d'après un système qu'on a voulu faire adopter en France, et qui conserve encore des partisans. La pièce d'Alfiéri a obtenu les honneurs de notre théâtre, par la traduction qu'en a faite M. Lemercier.
On sait quels changemens la scène a éprouvés en passant des anciens aux modernes. Une intrigue plus compliquée, des intérêts plus variés, la science des caractères plus approfondie, ont remplacé chez nous le vide qu'entraînait la suppression des chœurs et de la musique. Heureux lorsque des intrigues romanesques n'ont pas été substituées à ces développemens de caractères que peut-être le seul Racine a entièrement connus, et qui sont la perfection de l'art. Je ne parle que du développement des caractères, qui appartient aux modernes; pour tous les autres détails qui exigent une imitation scrupuleuse de la. nature, nous les avons négligés, peut-être parce que nous ne les avons pas crus assez nobles. Cependant nous perdrions beaucoup, si les anciens avoient été aussi réservés que nous.
Pour en revenir au comte Alfiéri, voici quelle étoit la base du système qu'il prétendait avoir imaginé, et qui tenait, selon lui, le milieu entre la tragédie ancienne et la tragédie moderne, c'est-à-dire, la tragédie française, et qui, par une suite de la perfectibilité humaine, devoit mettre ses tragédies bien au-dessus des tragédies françaises : se jeter dès la première scène au milieu des passions, les traiter sans préparations et sans développemens, et sur-tout sans le secours des personnages secondaires, et ne laisser reposer le spectateur que lorsque la toile est baissée.
On sent quels inconvéniens doit nécessairement entraîner un pareil système. La tragédie, inventée pour représenter les aventures des personnages élevés, perd toute la pompe, le respect et la noblesse qui s'attache à leurs rangs ; on en fait de véritables bourgeois dont les passions devenues populaires, influent très-dangereusement sur la multitude ; enfin la tragédie n'est plus qu'un drame dans l'acception moderne de ce mot, mais un drame sec et aride qui n'inspire ni curiosité ni intérêt. Faisons l'application de ces principes à la tragédie d'Agamemnon.
Cette pièce n'a que quatre personnages: Agamemnon, Egisthe, Clytemnestre et Electre. En dépit du système qui bannit les confidens de la scène, cette Electre est la confidente universelle ; et si l'on pouvait la regarder comme personnage principal, elle serait tout-à-fait inutile. Ces quatre acteurs, forcés de se trouver continuellement en scène les uns avec les autres, violent toutes les bienséances. C'est ainsi que dès la troisième scène, Clytemnestre mise en présence de sa fille, obsédée par ses questions, lui fait l'aveu de sa flamme adultère. Amor t'acceca, dit Electre ; à quoi Clytemnestre répond : Amore ? Misera me ! chi mi tradia ?...... Tu stessa, gran tempo è già. Mais, continue la généreuse fille, qui paraît avoir de l'expérience,« je suis persuadée que vous avez à peine blessé les apparences : »
Forse ossendesti appena
Non il tuo onor, ma del tuo onor la fama.
« Vous avez eu de la pitié pour la jeunesse malheureuse d'Egisthe, et voilà l'amorce à laquelle vous vous êtes prise sans vous en apercevoir : »
Involontario affetto
Misto à pietà, che giovinezza inspira
Quando infelice ell' è ; son questi gli ami
A cui senza avvedertene, sei presa.
Clytemnestre, qui ne veut pas que sa fille conserve le moindre doute, se hâte de faire l'éloge d'Egisthe, de sa piété, de son grand cœur ; avoue que les choses sont allées jusqu'où elles pouvaient aller ; qu'elle est fille de Léda et sœur d'Hélène ; que d'ailleurs la longue absence de son mari, la beauté d'Egisthe, la fatalité, quelque diable aussi la tentant, tout s'est réuni contr'elle, et que par conséquent, etc.
Je cite, car on ne m'en croirait pas :
Elettra,
Piangi l'error di traviata madre,
Piangi ; che intero egli è. La lunga assenza
D'un marito crudel ; d'Egisto i pregi ;.....
Il mio fatal destin. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ma, e chi son io ? di Leda
Non son io figlia, e d'Elena sorella ?
Un sangue stesso entro mie vene scorre.
Voler d'irati numi, ignota forza
Mal mio grado mi tragge. . . . .
L'horreur fait tomber le livre des mains. Je le demande à toutes les mères, un pareil dialogue a-t-il pu avoir lieu entre une mère et sa fille ? Je ne veux point ici accuser Alfiéri, et lui prêter des intentions qu'il n'a peut-être point eues ; mais on sait qu'indépendamment de son système dramatique, il eut aussi son but politique. La société lui paraissait un composé d'institutions monstrueuses et contraires à la nature, et cet esprit se reproduit jusque dans ses pièces de théâtre qui paraissent le moins susceptibles de se prêter à ces rêveries scandaleuses. Ne serait-ce point par une suite de ces idées philosophiques, qu'il a introduit un pareil dialogue ? La pudeur, suivant ces messieurs, est de convention; il est bon d'en faire justice.
Toute la pièce est de la même immoralité. Le vice, dans toute son impudeur, se reproduit continuellement sur la scène. On a trouvé que le rôle de Clytemnestre était très-bien tracé. Oui, en vérité, il est très-bien tracé pour ce qu'on voulait qu'elle fût, et son caractère ne se dément nulle part ; c'est partout le même débordement. Elle se plaint de ce qu'Egisthe n'est pas le père de ses enfans ; elle exige qu'il lui accorde un jour (et probablement une nuit) ; elle veut courir après lui s'il part ; fait un crime à son époux de ce qu'il l'éloigne : enfin, toute persuadée qu'elle est que cet époux ne chérit qu'elle, sur une simple suggestion du lâche Egisthe, elle consent à l'égorger dans son lit. Elle y va, elle seule ! tandis que le monstre évoque l'ombre de Thyeste. Au moins, chez les anciens, le couple perfide se réunit pour cet assassinat, et l'on n'a pas le dégoût et l'horreur de voir le vil séducteur attendre, les bras croisés, que sa stupide complice lui ait taillé sa besogne.
Quant à ce malheureux monarque dont on a fait un bourgeois, sûrement pour rendre hommage à l'égalité, ce serait bien le plus plat personnage qu'on eût mis au théâtre, si celui de M. Lemercier n'existait pas. Il a bien quelque curiosité dans le cours de la pièce ; mais au moyen de deux ou trois petits mensonges que lui fait la bonne Electre sur le compte de la Reine, il se rassure, et va tranquillement se coucher et se faire assassiner.
Ce personnage, faux et idiot, ne m'étonne pas dans Alfiéri. Mais qu'on nous ait présenté sérieusement comme une haute conception dramatique, un roi dégoûté de puissance et de gloire, qui revient dans ses foyers chercher la paix de la vie privée, y a-t-on bien réfléchi ? Et le Roi des Rois en rentrant chez lui, n'aurait-il pas meilleure grace de travailler au bonheur de ses peuples, et de réparer les désastres de la guerre ? Peut-on travestir les caractères d'une manière aussi ridicule ?
Ajoutez à ces défauts cette Electre inutile dont j'ai déjà parlé, qui court sans cesse et sans motif d'Agamemnon à Clytemnestre, et de Clytemnestre à Agamemnon, et ne quitte la scène que pour aller soigner un Oreste qu'on ne voit pas, et qui se trouve en sûreté bien à propos lors de la catastrophe. Le style de la pièce est conforme à la conduite et aux caractères, sans noblesse et sans poésie, dur et entortillé. Il n'a pas tenu à Alfiéri que sous sa plume la langue du Tasse ne devînt aussi âpre qu'aucune langue du Nord.
Ce que je viens de dire s'applique à la traduction de M. Lemercier [Rappelons encore une fois que l'Agamemnon de Lemercier n'est pas une traduction de la pièce d'Alfieri, mais une pièce différente, même si elle s'inspire de la pièce italienne]. On ne peut pas lui reprocher à lui, de système dramatique ni de but politique. Si tous ses personnages sont ridicules, c'est de la meilleure foi du monde qu'il les a tracés tels. Les domestiques y tutoient les maîtres, parce qu'il a cru que cela avait un air vénérable d'antiquité, redolet antiquitatem ; même indécence dans le rôle de Clytemnestre que chez Alfiéri; moins de finesse, mais plus d'exaltation dans celui d'Egisthe, personnage fantastique et romanesque, qui rêve les yeux ouverts, et dont les séductions scandaleuses, a-t-on écrit, inspirent la terreur, sans inspirer le dégoût, comme si cela était conséquent ; un Strophus et un Oreste inutiles, créés pour remplacer l'inutile Electre de son modèle. Ce Strophus, père de Pylade et roi de la Phocide, et non pas de Corinthe comme l'avance M. Lemercier, fait dans la cour d'Agamemnon le métier de pédagogue. Il faut avouer que voilà une singulière occupation pour un roi. Enfin un Agamemnon beaucoup plus idiot que celui de l'auteur italien, véritable Cassandre, qui dans l'excès de ses tendresses conjugales, se trouve trop heureux que son épouse veuille bien être jalouse de lui. M. Lemercier a quelques beaux mouvemens qui lui appartiennent, mais qui ne peuvent racheter l'indécence et la trivialité de sa pièce. Le rôle de Cassandre, imité d'Eschyle, qu'il a lié assez adroitement au plan d'Alfiéri, offre nombre de vers précieux et qui surprennent par leur contraste avec le style général de l'ouvrage.
Le sujet d'Agamemnon n'était donc pas traité. Il s'agissait d'en enrichir la scène française ; et lorsque j'eus conçu ce dessein, c'est dans les écrivains du grand siècle que je dus chercher mes modèles. J'ai voulu en composant une tragédie toute française, essayer si à force de travail, je ne parviendrais pas à ranimer quelques étincelles du beau feu qui les inspira. Le moment m'a semblé opportun pour une telle entreprise. Le peuple français rendu à toute la noblesse de son caractère par le génie du héros qui le gouverne, doit nécessairement bannir de la scène les monstres étrangers qui l'ont désolée si long-temps, et accueillir les ouvrages qui tendraient à rappeler à ses yeux cette belle nature que l'on n'a trouvée nulle part chez les modernes, que dans notre théâtre tragique.
Je ne préviendrai point le public éclairé et impartial sur cet essai. Mes principes sont connus ; ils sont bons, et si mon ouvrage ne vaut rien, c'est que j'en aurai fait une fausse application. Un auteur ne réclame ordinairement l'indulgence qu'à titre d'encouragement, et je ne vois nul inconvénient à ne pas encourager des talens faibles et même médiocres. D'ailleurs, la franchise avec laquelle je me suis expliqué sur ceux qui m'ont précédé, appelle sur moi une justice entière. La seule chose que je sois en droit de demander, c'est qu'elle ne me soit rendue qu'après un mûr examen. C'est à messieurs les comédiens Français sur-tout à juger maintenant s'il y a une ressemblance entre ma pièce et l'ouvrage de M. Lemercier, autre que celle du sujet, et s'ils compromettraient leurs intérêts en admettant une concurrence qui, de tout temps, a tourné à l'avantage de l'art.
Je termine par une objection qui m'a été faite sur le plan, et qui touche à une matière assez délicate, les mœurs théâtrales.
Agamemnon, instruit au troisième acte de la perfidie de son épouse, la répudie, et forme sur-le-champ le dessein d'épouser la fille de Priam qu'il a amenée captive dans Argos. J'avais besoin de cette résolution d'Agamemnon pour motiver son assassinat par Clytemnestre. On a prétendu qu'en effet ce motif ne justifiait que trop Clytemnestre, et qu'il était indigne de la majesté du Roi des Rois de se livrer à cette petite vengeance qui ne tendait qu'à humilier sa coupable épouse. Puis on a ajouté que j'aurais dû dès le principe faire pressentir qu'Agamemnon était amoureux de Cassandre, afin que sa résolution ne parût pas inopinée; que les convenances théâtrales l'exigeaient ainsi.
Ces objections n'ont rien de fondé. Il n'y a d'autres convenances théâtrales que celles prises dans les mœurs générales et les mœurs particulières qu'un personnage doit réunir en lui ; cela suffit pour que ses mœurs soient poétiquement bonnes. La répudiation et le divorce sont dans les mœurs générales des Grecs. Agamemnon est fier, superbe, intéressé : voilà ses mœurs particulières que j'ai dû représenter avec la modification qu'y ont apportée dix ans d'expérience ; et certes je n'ai pas dû lui en chercher dans la perfection évangélique. Agamemnon fait une chose poétiquement bonne de répudier Clytemnestre et de l'humilier par l'hymen qu'il médite ; et la rendre témoin de cette union n'est point une vengeance proportionnée au délit. Il n'est pas vrai que j'aie dû le faire amoureux de Cassandre à quelqu'époque que ce soit. Au commencement de la pièce, c'eût été un véritable adultère; et lorsque je lui fais prendre la résolution dont il s'agit, c'eût été un de ces coups de sympathie, un de ces moyens de roman dont la puérilité n'a pas besoin d'être démontrée. Ces flammes romanesques d'ailleurs ne sont pas dans les mœurs : jamais les Grecs ne les ont introduites sur leurs théâtres ; elles n'avaient pour eux aucune noblesse. Si la résolution d'Agamemnon est inopinée, c'est que les circonstances le sont. Pourtant elle n'est pas si soudaine, qu'il ne s'y trouve conduit naturellement par la jalousie de Clytemnestre qui lui suggère ce dessein. Mais sur-tout il est très-faux de dire que l'hymen de Cassandre ne justifie que trop Clytemnestre : son caractère irascible et altier ne tient pas contre l'humiliation qu'on lui fait éprouver, elle se livre par orgueil au crime ; mais elle n'en est pas moins coupable, et l'horrible punition que j'ai su lui infliger, prouve assez que je ne la regarde pas comme justifiée.
Liste des personnages :
ACTEURS.
AGAMEMNON, roi d'Argos.
CLYTEMNESTRE, son épouse.
EGISTHE, fils de Thyeste.
CASSANDRE, fille de Priam.
ARCAS, confident d'Agamemnon.
MÉGARE, nourrice de Clytemnestre.
MÉGÈS, chef du sénat.
ARTAX, capitaine des gardes.
IPHISE, esclave troyenne.
Femmes troyennes.
Sénateurs et princes d'Argos.
Suite d'Agamemnon.
Peuple d'Argos.
La scène est à Argos, dans le palais des rois.
La pièce a connu une seconde édition, revue, et corrigée, suivie de Sapho, poëme élégiaque, à Paris, chez Amand Kœnig, libraire, quai des Augustins.
Almanach des Muses 1810.
[La courte notice de l'Almanach des Muses laisse entendre que la pièce n'a pas encore été jouée à Paris.]
De belles scenes, de beaux vers. Piece qui, au total, annonce du talent ; mais qui aurait besoin d'être revue, si l'auteur voulait la hasarder sur le théâtre de Paris.
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