Compliments pour le début de saison.
Il est d’usage, dans les théâtres du temps, de marquer le début de la saison théâtrale, après Pâques, par un compliment adressé au public.
1789
Comédie française, lundi 20 avril 1789.
Mercure de France, n° 20 du 16 mai 1789, p. 127-128
COMÉDIE FRANÇOISE
LE Lundi 2o Avril, on a fait l'ouverture de ce Théatre par une représentation d'Athalie, Tragédie de Racine, & de la Matinée à la mode, Comédie de M. Rochon de Chabannes.
Avant la première Pièce, M. Talma, dont nous avons annoncé la réception, a prononcé le Discours suivant.
Messieurs,
« C'est en faveur d'un Art difficile & qui vous est cher, qu'en rouvrant le Spectacle de la Nation, nous osons réclamer vos encouragemens & votre indulgence. Chargés, par état, de reproduire sous vos yeux (du moins autant que nos efforts peuvent y atteindre) les Chef d'œuvres nombreux de la Scène Françoise, nous voyons avec une espèce d'effroi, l'étendue de nos devoirs & de nos richesses. Quel Théatre que celui qui fait les délices d'un grand Peuple, doué d'une sensibilité exquise, que l'honneur anime dans toutes les classes, qui porte l'admiration jusqu'à l'enthousiasme, & qui interrompt quelquefois son plaisir même, dans la noble impatience d'applaudir tout ce qui porte le caractère de l'héroïsme & de la vertu !
» S'il est vrai, Messieurs , que les Productions dramatiques dont s'honore la France, soient une acquisition précieuse pour toute l'Europe, s'il est vrai qu'elles fassent une partie de l'éducation publique, & même une branche de la gloire nationale ; avec quelle ardeur ne devons-nous pas cultiver un Art qui nous appelle à vous procurer le plus noble & le plus utile des plaisirs de l’esprit humain, un Art qui nous associe en quelque sorte à tout ce que le génie inspira de plus grand & de plus heureux à ces hommes extraordinaires qui vous parlent par notre organe, qui semblent se ranimer encore sur la Scène, & sentir l'immortalité au bruit de vos acclamations & de vos suffrages ?
» Quel fardeau nous est imposé ! nous ne l'ignorons pas, Messieurs ; mais cette sûreté de goût & de jugement qui appartient aux hommes rassemblés, ce noble privilége d'être, pour ainsi dire, la raison vivante qui s'explique, au lieu de nous effrayer, nous rassure, parce que l'étendue des lumières n'est jamais séparée de l'indulgence.
» C'est sur-tout pour moi, Messieurs, que je viens la solliciter. J'ai eu le bonheur inappréciable de n'avoir débuté dans la carrière que sous vos yeux, je n'ai reçu que vos leçons, car ceux qui m'ont enseigné ne m'ont donné que les vôtres. Me voici maintenant, graces à vos bontés qui ont décidé celles de mes supérieurs, attaché au Théatre de la Capitale. Nous ne le savons que trop, Messieurs, des talens dignes de vous sont rares, le souvenir de nos pertes ne nous en avertit que trop tous les jours ; mais combien de fois, en daignant attendre l'effet de vos leçons & de votre indulgence, n'avez-vous pas, Messieurs, créé & développé des talens foibles ou timides qui ne demandoient qu'à éclore, & n'avez-vous pas fini par applaudir vous mêmes à votre ouvrage, quand nous n'avions que le bonheur de vous faire jouir de vos propres dons « ?
Ce discours, écrit avec noblesse, & dont les détails ne pouvoient que flatter beaucoup, l'amour propre des Spectateurs, a été récité par M. Talma avec beaucoup de sensibilité & de grace. Il a été couronné par les applaudissemens les plus universels.
Comédie Italienne, lundi 20 avril 1789.
Mercure de France, n° 20 du samedi 16 mai 1789, p. 132-133 :
COMÉDIE ITALIENNE.
Avant la première Pièce, on a exécuté trois petites scènes en Vaudevilles, pour tenir lieu de Compliment.
Des Paysans attendent leur Seigneur ; ils se préparent à lui offrir une couronne de fleurs, comme un hommage de leur amour & de leur reconnoissance.
Nous avons déjà dit que ce cadre étoit fort usé ; cependant nous devons convenir qu'il a été, pour ainsi dire, rajeuni par les détails. Dans aucun des Complimens faits jusqu'ici sur ce modèle, on n'avoit fait paroître le Seigneur : on l'a introduit dans celui-ci, ce qui a amené les deux Couplets suivans :
JULIEN présentant la couronne au Seigneur.
Air : Avec Iseult & les Amours.
On ressent un plaisir bien doux
Quand on fête l'objet qu'on aime :
En chantant vos bontés-pour nous,
On ressent un plaisir bien doux !
Ces fleurs qu'on rassembla pour vous,
Prouvent au cœur, à l'esprit même,
Qu'on ressent un plaisir bien doux
Quand on fête l'objet qu'on aime,
LE SEIGNEUR.
Air : Avec les jeux dans le Village,
Refuser ce que le cœur donne
Ce seroit blesser la raison ;
Oui , j'accepte votre couronne,
Mais pour l'offrir en votre nom.
AU PUBLIC.
Messieurs, agréez-en l'hommage,
C'est vous qu'ainsi l'on a fêté ;
De leur Maître je suis l'image,
Vous êtes la réalité.
Ces Couplets ont été fort applaudis. Il ne faut juger ces petites Productions que dans l'intention qui les a fait naître ; & c'est ici que la sévérité seroit absolument déplacée. On a dit depuis long-temps au Public tout ce qu'on pouvoit avoir à lui dire; peut-être seroit-il de renoncer à lui adresser des fadeurs, & de s'en tenir à lui prouver son zèle par l'intelligence & par l'étude.
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