La Cabale en défaut, comédie en un acte. 13 pluviose [an 12].
Théâtre du Vaudeville
Almanach des Muses 1805
Mercure de France, tome quinzième, n° CXXXVII (24 Pluviose an 12, Samedi 11 février 1804), p. 368-371 :
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
La Cabale en défaut, vaudeville en un acte.
On croyait, sur le titre de cette pièce, qu'elle pouvait avoir quelque rapport à la vive querelle qui s'est élevée tout-à-coup entre quelques écrivains et quelques journalistes, ou à la guerre civile qui a éclaté entre ces derniers. Elle avait en conséquence attiré un concours assez nombreux. La curiosité et la malignité publique ont été en défaut de toute manière. Elles n'ont trouvé aucun aliment dans cette prétendue:nouveauté ; qui n'a rien de nouveau que son titre, et n'est au fond qu'un réchauffé de la Métromanie, et même des Deux Poètes, de M. Rigaud, que celui-ci aurait pu intituler aussi bien les Trois Poètes. Cette comédie de M. Rigaud, jouée, il y a deux ans, au Théâtre de la République, ne tomba ni ne réussit complètement ; elle renfermait plusieurs tirades bien écrites, et-qui furent, très-applaudies. Sa ressemblance trop marquée avec le chef-d'œuvre de Piron et un de ceux de Molière (les Femmes Savantes), fut une des causes principales du médiocre accueil qui lui fut fait. Celui qu'à reçu la Cabale en défaut a été plus que froid, et ceux qui en ont été les témoins doivent être étonnés qu'on l'ait exposée à une seconde avanie : nous pensions avoir assisté à son enterrement.
Il y a trois poètes aussi dans cette pièce. Lisimon, qui est fort riche ; Fiervills qui ne l'est pas, et voudrait le devenir en devenant son gendre : c'est un jeune fat, sans talent et sans esprit; enfin, Valcour, le favori des muses, l'amant préféré par Isabelle, que se disputent les deux concurrens. Le vieux poète la lui a promise, quoiqu'il penche pour son rival, si le vaudeville qu'il fait jouer ce jour-là même réussit. Lisimon en donne un aussi de son côté, qui doit être représenté immédiatement après l'autre. On se doute bien que Fierville cabale pour Lisimon et contre Valcour. Tandis que le public est assemblé pour décider du sort des deux pièces, aucun des auteurs n'est au théâtre. Valcour explique à Lisimon le sujet de la sienne : c'est un jeune homme aimé de sa maîtresse, mais qui craint qu'un rival ne la lui souffle, et qui, en conséquence, se propose de l'enlever. Valcour, par ses signes, fait connaître à son oncle (qui ne se trouve que dans cette scène et pour y jouer un fort sot rôle), ainsi qu'à Isabelle, que, craignant la décision du parterre, il désire s'assurer de sa maîtresse par un enlèvement. Après une courte résistance, l'oncle et Isabelle font entendre qu'ils y donnent les mains. Lisimon, qui croit qu'on parle de l'intrigue du vaudeville, demande comment l'amoureux exécutera son projet. Valcour répond que ce sera par une porte qui donne sur le jardin. L'auteur a cru sauver le décorum en faisant sanctionner l'enlèvement par l'oncle. Le public a été révolté de la platitude d'un tel moyen qui n'avait pas même pour excuse ce que les amans appellent la nécessité.
Fierville, instruit du projet, le fait manquer au moment de l'exécution, et vient annoncer à Lisimon cette nouvelle et celle de la chute de Valcour. Il n'est pas entré dans la salle du spectacle ; mais des coulissses il a entendu siffler impitoyablement, et il est accouru donner cet avis charitable à Lisimon, auquel il annonce en même-temps que (grâce à ses amis) son vaudeville est aux nues. Le vieux métromane, transporté de joie et de reconnaissance, lui donne Isabelle. Le prévoyant Fierville tire de sa poche un contrat de mariage en vers, tout rédigé. Comment en vers, dit Lisimon.... — « Oui, un poète peut-il marier sa fille en prose ? » Fierville lit le contrat. L'hémistiche qui doit servir de niche à la dot est à remplir. Le vers précédent finit par le mot vertus. Lisimon dit : cinquante mille francs. — La rime n'y est pas. — Changez l'autre vers, mettez. : riche en talens. — Non, vertus est le mot propre. Je ne puis consentir qu'on supprime les vertus d'Isabelle, — Eh bien ! mettez donc cinquante mille écus. — Quelle richesse de rime, s'écrie Fierville ! Cette jolie scène a été universellement applaudie.
Valcour arrive, et trouble la joie des interlocuteurs. Il leur apprend que l'ordre dans lequel les deux pièces devaient être jouées, a été dérangé par un accident ;' que la cabale, qui n'en était pas instruite, a travaillé à contre-sens, abymé la pièce de Lisimon et fait valoir la sienne. L'auteur sifflé, furieux de la méprise, éconduit Fierville et donne sa fille à l'auteur couronné. On a fait répéter un seul couplet, dans lequel on dit que Fierville est au très-sec. C'est le seul petit grain de sel qu'on ait cru trouver dans les couplets. Mais, comme je l'ai dit, il y a une scène agréable dans ce vaudeville, qui est d'ailleurs au-dessous du médiocre. On l'a jugé sans passion et sifflé sans affectation. On est toujours néanmoins affligé de cette manière d'énoncer son avis sur une production dramatique, il semble qu'elle n'est tout au plus pardonnable qu'à des écoliers, qui feraient même beaucoup mieux de n'en pas user. C'est une grossièreté qui n'est pas moins condamnable, pour nous avoir été transmise par nos ancêtres, qui la tenaient des Romains, auxquels peut-être elle était venue de la Grèce. Les spectateurs honnêtes se contentent de ne pas applaudir, et ce silence est un mode d'improbation tout aussi efficace et plus digne d'une nation polie, chez laquelle on ne devrait plus trouver ce qu'Horace appelait vestigia ruris , des vestiges de rusticité.
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