Le Château de Pierre Scise

Le Château de Pierre-Scise, ou l’Héroïsme de l’amour filial, mélodrame en trois actes, en prose, à spectacle, de J.-A.-M. Monperlier, musique de  Quaisain, 30 juin [1812].

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

Almanach des Muses 1813.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1812 :

Le Château de Pierre-Scise, ou l'héroïsme de l'amour filial, mélodrame en trois actes, en prose, à spectacle, par M. J. A. M. Monperlier ; Musique de M. Quaisain. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique, le 30 juin 1812.

Le château lyonnais de Pierre Scize (ou Scise) occupait une place stratégique : il était placé à l'entrée ouest de Lyon, sur la rive droite de la Saône, à la frontière entre royaume de France et Saint Empire romain germanique. Il a été détruit pendant la Révolution.

Journal de Paris, n° 183 du 1er Juillet 1812, p. 2-3 :

[Le compte rendu s'ouvre par le résumé de l'intrigue, une histoire bien compliquée, mais en même temps familière : une rivalité entre deux hauts personnages autour du mariage de la fille de l'un que l'autre convoite. Le critique s'applique à suivre les méandres de cette terrible rivalité, ceux qu'on retrouve régulièrement dans les mélodrames : prison, évasion, retour au cachot, présence d'un allié, coup de feu, et ainsi de suite. Le critique s'amuse beaucoup de ces événements en cascade, qui jouent avec les nerfs des spectateurs : le coup de feu était une simple ruse. Le dénouement arrive, et c'est le moment d'un bilan : la pièce respecte la « poétique » du genre, et même se montre plus exigeant, mais en restant en-deçà des exigences d'un vrai mélodrame : pas d'odeur de poudre à canon, pas d'incendie (mais au théâtre on se contente de feux d'artifice); juste « deux pauvres petits coups de pistolet » qui « ne tuent personne ». Le critique montre sa déception, réelle ou simulée : le directeur du théâtre risque fort de détourner le public, en se montrant trop modéré dans le choix des ouvrages qu'il propose. Toutefois, la pièce respecte une part des codes du mélodrame : invraisemblances, scènes à effet, style pas toujours correct (mais le critique refuse d'insister sur ce point par crainte des polémiques avec l'auteur). La pièce est, de toute façon, une production provinciale, lyonnaise, mais le critique fait semblant de ne pas voir dans ce fait une cause de ses faiblesses, Paris étant tout à fait capable de produire des œuvres de cet acabit. L'article conclut sur l'interprétation, satisfaisante, avec une actrice curieusement présentée (elle se travestit en homme ou elle a vraiment une moustache ?) et un acteur généreux, mais qui risque l'extinction de voix, et sur les auteurs, paroles et musique. Pas de ballets : c'est assez inhabituel pour qu'on le signale. Mais cela n'empêche pas le succès de la pièce].

THÉÂTRE DE L’AMBIGU-COMIQUE.

Première représ. du Château de Pierre-Scise, ou l'Héroïsme
de l'Amour filial
, mélodrame en 3 actes.

Gaston de Monlac est un de ces êtres impérieux et féroces qui donnent à toutes leurs passions une teinte de leur caractère. Il est violemment épris de la belle Célestine. (de pareilles ames devraient-elles connaître l'amour !) Ses vœux sont dédaignés, son amour se change en fureur et il ne respire plus que la vengeance-

Le comte Ernest de Nevers, père de Célestine, a le malheur de ne pas réussir dans une négociation dont son souverain l’avait chargé. Ses ennemis profitent de cette circonstance pour le perdre ; ils le peignent au roi sous les plus odieuses couleurs, et le monarque trompé signe l'ordre d’arrêter l'innocent Ernest. Où conduit-on le prisonnier ? au château de Pierre-Scise, dont le farouche Monlac est gouverneur. L’heure de la vengeance sonne délicieusement à l'oreille de ce monstre, qui sollicite et obtient l’ordre de faire juger promptement le comte de Nevers. Un conseil de guerre s’assemble, Monlac souffle dan» tous les cœurs la haine qui dévore le sien ; 1'arrêt de mort est .prononcé, et le malheureux Ernest, qui n’a que son innocence pour défenseur, va périr sous les coups de la calomnie et de la vengeance.

Un ange veille sur lui. C’est sa fille Célestine. Instruite du sort de son père, elle part pour Lyon, déterminée à tout entreprendre pour sauver une vie a laquelle la sienne est attachée...... Ses graces, ses larmes, ses prières parviennent à attendrir les soldats d’un détachement qui va entrer Dans Pierre Scise, et vêtue d’une uniforme [sic], elle se mêle dans leurs rangs et s'introduit dans la forteresse.

On se figure aisément tous les dangers qui environnent cette héroïne de l'amour filial, Elle réussit pourtant à se faire connaître de son père, à qui la vue de sa fille chérie rend tout le courage qu’il avait perdu.

Le Comte et Célestine ont encore un. ami dévoué dans Fulbert vieux militaire, qui a jadis servi sous Ernest. Leurs efforts réunis vont être couronnés du succès. Encore un instant, et le comte est sauvé. Mais cet éclair de bonheur n'a lui à ses yeux que pour lui faire apercevoir dans toute son horreur la perspective du sort auquel il est réservé. Il retombe au pouvoir de son persécuteur qui, craignant de voir sa victime lui échapper, veut hâter 1'instant de sa mort. « Prends cet arme [sic], dit l'infâme Monlac à un geolier en lui remettant un pistolet ; entre dans le cachot d'Ernest, et..... je veux bien encore lui épargner la honte de mourir sur l’échafaud. »

On entend un coup de feu..... c’en est fait, le comte n’est plus, et l’on vient bientôt annoncer à Monlac la nouvelle de sa mort. Le crime triomphe : mais tout-à-coup le duc de Montmorency se fait ouvrir les portes de Pierre-Scise. Il était l’ami, le protecteur du comte de Nevers,et Célestine lui avait adressé les pièces justificatives de l'innocence de .son père.

Montmorency avait désabusé le roi, et il apporte lui-même l'arrêt qui rend à Ernest l’honneur et la vie. Il n'est plus temps, le malheureux a tranché ses jours, et l’amitié n’a plus que des larmes à répandre.

L’action est finie, terminons aussi notre analyse Oh ! non, il y aurait de la cruauté à laisser mes lecteurs dans de pareilles angoisses.... Qu'ils se rassurent, qu’ils s’égaient même, et pour les mettre en train, je leur dirai qu »on prépare la cérémonie funèbre du comte Ernest.... qui n'est pas mort. – Comment, Il n'est pas mort ? – Non? – Et ce coup de pistolet ? – Ah ! c'était une ruse du vieux Fulbert et de Célestine, qui, persuadés qu’on surveillerait moins les démarches d’un mort, espéraient, par ce moyen, faciliter la fuite du comte. Mais une indiscrétion instruit Monlac, qui fait enfermer étroitement Célestine et Fulbert; et se félicite d'avoir à immoler trois victimes au lieu d’une. Rien ne peut les sauver, mais le ciel ne permet pas que le traître comble la mesure de ses forfaits

Le duc de Montmorency, instruit de 1a vérité, paraît, interroge Monlac, le presse, l'embarrasse et lui déclare enfin qu'il veut répandre une dernière larme sur le corps de son ami. Monlac se trouble, le duc insiste et finit par ordonner qu’on enfonce les portes de la chapelle où Monlac a fait enfermer ses victimes. L’ordre s'exécute , les portes s'écroulent, et Célestine et son père se précipitent dans les bras de leur libérateur.

Cette pièce réunit une grande partie des des conditions exigées par une poétique moins indulgente que celle des mélodrames. Un rôle principal, touchant et bien tracé, un intérêt vif et soutenu, des alternatives de crainte et d'espérance qui laissent à peine aux spectateurs le temps de répandre quelques larmes ou celui de les essuyer, enfin un dénouement naturel et satisfaisant  ; mais, entre nous, je ne puis m’empêcher de trouver tout cela bien simple pour le genre. Qu’on ne me parle ni d’un mélodrame qui ne sent pas la poudre à canon, ni d’un dénouement sans flammes du Bengale. Dans toute la pièce on ne tire que deux pauvres petits coups de pistolet, et encore ils ne tuent personne ; ce n’était que pour rire.

Pourquoi, par exemple, n’avoir pas chauffé le tableau final par quelques petits accessoires, comme le jeu d’une mine, ou l’explosion de la forteresse de Pierre-Scise ? Voilà déjà plusieurs ouvrages que M. Corsse fait jouer sur son théâtre, et dans lesquels on a négligé ces grands ressorts. En vérité, s’il continue, il perdra le bon gout aux boulevards.

Qu’on n’imagine pas cependant que Pierre-Scise n’ait aucun air de famille avec les tours et les forteresses qu’on elève depuis longtemps sur le boulevard du Temple. Cette pièce se rapproche du genre par des invraisemblances et l'ambition trop marquée d’accumuler des scènes à effet. Je ne chicanerai point l'auteur sur quelques incorrections de style ; il éplucherait peut-être le mien, et je suis las de pareilles escarmouches.

Ce mélodrame d’ailleurs a été écrit à cent lieues de Paris. Il a été adressé de Lyon au théâtre de l’Ambigu. Je nie [sic] garderai bien de dire : c'est un assez beau style pour un style de province. Hélas ! Paris fait en ce genre dans les départements de si mince qualité.

La pièce a été jouée d’une manière satisfaisante. Mlle Leroy a prouvé qu’une petite moustache retroussée donnait du piquant à sa physionomie naturellement sévère. Douvry a joué le rôle fatigant de Fulbert avec une chaleur et un mouvement qui lui ont valu beaucoup de bravos, mais qui pourraient bien lui valoir une extinction de voix.

La pièce est de M. Montperlier, de Lyon, la musique de M. Quaisain; et les ballets !! Entraîné parla phrase banale, j allais dire une sottise, il n’y a pas de ballets. Ainsi l’auteur ne doit qu’à lui tout le succès de son ouvrage. Il a été complet, et je me félicite que notre journal soit le premier qui en porte la nouvelle à Lyon.

A,          

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