Le Codicile, ou les deux héritiers, comédie en un acte & en prose, mêlée d'ariettes ; par M. Cuvelier de Trie, musique de M. Othon Vandenbrock, 5 août 1793.
Théâtre de Mlle. Montansier.
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Titre :
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Codicille (le), ou les deux héritiers
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Genre
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comédie mêlée d’ariettes
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose ?
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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ariettes
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Date de création :
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5 août 1793
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Théâtre :
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Théâtre de Mlle Montansier
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Auteur(s) des paroles :
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Cuvelier de Trie
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Compositeur(s) :
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Othon Vandenbrock
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 9 (septembre 1793), p. 316-322 :
Un bien long compte rendu, en bonne et due forme, pour une pièce qui n’en méritait peut-être pas tant. Long résumé, qui dispenserait presque de voir la pièce. Puis jugement, qui commence par les situations et les accessoires, qui « ne sont pas neufs » : démonstration à partir d’une scène a priori déjà vue, la scène du balcon. Ensuite, ce que le critique appelle « le style », lui aussi rempli d’idées tout sauf neuves : démonstration par quelques formules déjà entendues, ou précieuses, ou fausses. Après les paroles, la musique, elle aussi peu originale : « M. Otton, qui semble avoir pris N. Dezede pour modele, l'a peut-être trop exactement imité. » Conclusion : les deux auteurs sont invités à se méfier « de leur mémoire ». Le compte rendu s’achève par un jugement général, positif : « le codicile est un des plus gais & des plus agréables opéras en un acte qu'on ait mis depuis quelque tems au théatre ». M. Cuvilier a du cœur, même si les préceptes de morale et de philosophie qu’il prête à ses personnages sentent un peu l’épicurisme, et M. Otton dont on vante le talent et l’aminité. Dernier paragraphe sur l’interprétation : elle se limite à vanter le travail d’un « excellent comédien », qu’on invite seulement à ne pas « outrer ses carricatures ». Rien sur les autres acteurs.]
THÉATRE DE MLLE. MONTANSIER.
Le Codicile, ou les deux héritiers, comédie en un acte & en prose, mêlée d'ariettes ; par M. Cuvilier, musique de M. Otton.
Un vieillard meurt, & par un testament singulier, il institue pour héritiers d'un château & d'une maisonnette qu'il a dans le village, ses deux neveux, en laissant à l'aîné le choix de l'objet. Celui-ci préfere le château, cela va sans dire, & laisse à son cousin l'autre lot. Il y a un an qu'ils vivent, l'un dans la richesse, l'autre dans la médiocrité, lorsque Mme. Martin se décide à marier sa fille à M. Lazare, qui est l'aîné des deux cousins. Mais M. Lazare, ci-devant clerc de procureur, est une espece d'imbécile, qui, à l'exemple de tous ceux qui lui ressemblent, a la plus haute opinion de son mérite, & le plus mauvais cœur.
Isidore, au contraire, est doux, honnête, spirituel, bienfaisant, & l'on ne peut guere lui reprocher d'autre défaut que celui de ne posséder dans le monde qu'une simple maisonnette. Comment fera-t-il, s'il épouse Julienne qu'il aime ? Ils auront des enfans, & la naissance de chacun d'eux sera un malheur pour les deux époux, qui sont également pauvres. Ces réflexions, que Mme. Martin ne manque pas de faire, la décide à accorder la main de sa fille à l'homme au château, & à éconduire l'homme à la maisonnette. C'est ce qui arrive tous les jours dans le monde, le mérite n'est rien, la fortune est tout ; & il faut convenir que la misere montre quelquefois le mérite sous un masque si repoussant, qu'on ne doit pas être surpris de la défaveur qu'il éprouve auprès du plus grand nombre.
Le malheureux Isidore est au désespoir, il voit sa maîtresse sur le point de passer au pouvoir de son ridicule cousin. Que deviendra-1il, lorsqu'il aura perdu Julienne ? son amour étoit sa seule consolation, son seul plaisir ; étouffera-t-il ce tendre sentiment ? Ah ! il n'en aura pas plus la puissance qu'un pere n'auroit celle d'étouffer un enfant chéri. Le brave caporal Armand met tout en usage pour consoler son jeune ami, qui prend soin de lui depuis la mort de l'oncle, avec lequel ce vieux militaire vivoit dans le château ; mais il n'y parvient pas, & il seroit à craindre qu'Isidore succombât sous le poids de ses chagrins, si le notaire Candor, que Mme. Martin a mandé pour dresser le contrat du mariage de Lazare avec Julienne, ne venoit verser sur sa plaie un beaume consolateur.
Mes enfans, leur dit-il, vous vous souvenez bien que le testament de votre oncle, en vertu duquel vous jouissez de ses biens, annonce un codicile, dont l'ouverture ne doit être faite qu'un an après celle du testament. Eh bien ! il y aujourd'hui un an que le testament est ouvert, & il est bon de voir ce que contient ce codicile, avant que ma filleule Julienne épouse M. Lazare.
A ces mots, Candor tire le codicile de sa poche, le décachete, le lit, & il en résulte que l'oncle, qui, par une bizarrerie assez inconcevable, n'avoit pas parlé du caporal Armand, son ami, charge celui de ses neveux auquel le lot du château est échu, de payer â ce brave militaire une pension annuelle & alimentaire de douze cents livres. Grand Dieu ! s'écrie Lazare avec douleur, c'est à-peu-près la moitié de mon revenu. Le codicile ajoute que, pour réparer l'injustice apparente que le donateur avoit faite à un de ses neveux, celui auquel appartient la maisonnette, trouvera, dans l'épaisseur du mur qui sépare la chambre d'avec la laiterie, une somme de cent mille livres en especes.
Qu'on juge de la joie d'Isidore & d'Armand ; celui-ci court se convaincre de la vérité, & revient hors de lui-même, dire qu'il a vu, ce qui s'appelle vu, cent beaux sacs de mille livres rangés en bataille. Cet incident acheve de faire connoître le mauvais cœur de Lazare, qui se désole d'avoir à nourrir le vieillard Armand, & le bon cœur d'Isidore, qui supplie son cousin de lui laisser le soin de pourvoir aux besoins de l'invalide. Les cent mille livres suscitent de nouvelles réflexions à Mme. Martin, & elle ne tarde pas à convenir que si elle donnoit sa fille à Lazare pour faire bien, elle doit maintenant l'accorder à Isidore pour faire mieux. Les amans sont au comble de la joie, & Candor dresse leur contrat de mariage.
L'auteur a fait entrer dans ce cadre un assez bon nombre de situations & d'accessoires agréables ; mais, ils ne sont pas neufs, & doivent être considérés pour la plupart comme des hors-d'œuvres. Cela est si vrai, qu'en entendant certains passages, & en voyant certaines situations, on reconnoît des choses qu'on a déjà vues ou entendues. M. Cuvilier a abusé quelquefois aussi du privilege qu'ont les auteurs de nous faire prêter à l'illusion : la preuve en est dans la scene, où Isidore sur un arbre & Julienne sur son balcon, chantent un duo qui, étant entendu par Mme. Martin, l'attire auprès de sa fille. Elle lui demande ce qu'elle faisoit là. — Je chantois. — Avec qui ? — Seule. — J'ai entendu deux voix. — C'étoit la mienne & celle de l'écho. — Mais je ne connois point d'écho dans le village. — Vous n'y avez pas fait attention. — Eh bien ! chantez encore, & nous verrons si l'écho répétera. Julienne chante & Isidore, qui est sous le balcon, répete non-seulement les derniers mots des phrases, mais encore des phrases toutes [sic] entieres, sans que la mere s'apperçoive que cet écho est un peu trop savant, & qu'il rend la voix d'Isidore au lieu de celle de Julienne. Il faut convenir d'après cela que cette mere seroit bien digne d'épouser le pere grime d'Arlequin Afficheur, le bon Cassandre, qui a la complaisance d'entendre sans avoir l'air de s'en appercevoir, les déclarations de tendresse & les baisers qu'Arlequin fait à sa fille du haut de son échelle.
Le style des deux héritiers n'est pas exempt de reproches ; il nous retrace souvent des idées qui, comme le disoit plaisamment Voltaire, font le tour du monde depuis huit jours après le déluge. Le bouton de rose qui, posé sur le sein de Julienne, en formera trois, n'est autre chose que ces deux roses en feront trois d'Annette & Lubin. L'arrangement des fleurs du bouquet d'Isidore, de celui de Lazare, de celui du magister, & de ceux de tout le village, & les fleurs de rhétorique débitées à ce propos ne. sont pas plus rares que les fleurs qui leur serrent de prétexte. Le bouton de rose qui rougit d'être comparé aux boutons, dont il vient d'être question, est du genre précieux, ainsi que cette branche est comme un sopha que l'amour soutient, &c. ; mais une femme aime ce qu'elle a quand elle n'a pas ce qu'elle aime, est un de ces jeux de mots qu'on devoit élaguer avec d'autant plus de soin qu'il présente une idée absolument fausse.
En voilà bien assez pour prouver que notre jugement n'est pas injuste. Venons maintenant à la musique. Nous pouvons dire d'elle ce que nous avons dit du poëme ; elle est charmante, mais elle n'offre rien de nouveau. M. Otton, qui semble avoir pris N. Dezede pour modele, l'a peut-être trop exactement imité. Quelquefois, & particuliérement dans l'ouverture, qui est fort jolie, en croit reconnoître certains motifs qui nous ont frappé dans Blaise & Babet, & dans les trois Fermiers. Il faut donc que M. Cuvilier & M. Otton se méfient de leur mémoire comme de leur plus cruel ennemi. Quand ils seront en garde contre elle, ils pourront créer, comme le font tant d'autres qui ont bien moins de mérite qu'eux.
Malgré tout ce que nous venons de dire, , & les préceptes de morale & de philosophie, peut-être un peu trop épicurienne, qu'il développe, nous donneront une idée aussi avantageuse du cœur de M. Cuvilier, que l'agrément du chant & le gracieux de plusieurs airs nous font bien augurer du talent & de l'aménité de M. Otton.
M. Dozinville a rempli, comme un excellent comédien, le rôle du caporal Armand. Il y a mis toute l'intelligence dans la conception, & toute l'adresse dans l'exécution qu'on pourroit désirer. Si cet acteur joue tous les autres rôles de son emploi avec autant de naturel, & surtout s'il évite, comme il l'a fait dans le Codicile, d'outrer ses carricatures, il méritera bientôt d'être comparé à M. Juliette, qui a souvent mérité d'être comparé à Préville.
César : comédie en un acte, de Jean-Guillaume-Antoine Cuvelier de Trie, musique d'Othon Vandenbrock. Première le 5 août 1793. 16 représentations en 1793. Reprise le 7 juillet 1796 pour trois représentations (les 7, 8 et 9 juillet).]
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