Le Coin du feu

Le Coin du feu, comédie en un acte et en prose, mêlée d'ariettes, de Favières, musique de Louis Jadin, 10 juin 1793.

Théâtre de l'Opéra Comique National.

Titre :

Coin du feu (le)

Genre

comédie mêlée d’ariettes

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

10 juin 1793

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique National

Auteur(s) des paroles :

Favières

Compositeur(s) :

Louis Jadin

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 9 (septembre 1793), p. 299-304 :

[L’auteur de l'article nous raconte fort longuement l’intrigue de cette pièce en un acte, avant de rendre son verdict : construite sur un couplet de chanson, c’est une simple bagatelle, dont même l’auteur, déjà connu par des « ouvrages estimables », ne prétend à rien avec « un aussi frêle fondement ». Le jugement ne doit pas oublier cette absence de prétention. C’est la musique qui est le mieux traitée dans ce compte rendu. Le compositeur a fait de ce sujet « un des plus jolis opéras que nous ayons au théatre ». Il ne manque à son contre-point, fleuri et mélodieux, que d’offrir « plus de nuances & d'oppositions ». Paradoxalement, « c'est un beau défaut que celui d'être trop uniformément agréable ». Il ne pourrait pourtant à éliminer ce défaut qu’en disposant d’un livret peignant des sentiments mieux caractérisés et plus énergiques. « La musique ne peut rendre que les mouvemens impétueux de l'ame, ou les sentimens extrêmes ». Mais elle a besoin pour cela « de comparaisons puisées dans la nature » pour distinguer amour et amitié, la langueur et la tristesse, la satisfaction et la joie, etc. La démonstration passe par un long exemple empruntant à Métastase toute une série de comparaisons éclairant des sentiments (fureur et lion blessé, passions violentes et vents opposés ou mer mugissante, etc.). Le critique invite poètes et musiciens à « imiter en ceci les Italiens ». Et il estropie un peu le nom de l'auteur...]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE NATIONAL.

Le Coin du feu, comédie en un acte & en prose, mêlée d'ariettes ; par M. Favier, musique de M. L. Jadin.

Vainement Céphise veut se déguiser à elle-même ses sentimens ; vainement elle craint d'être obligée de se faire une raison pour les oublier ; elle aime Dorval, son époux, & sans doute, elle l'aimera toujours, puisque l'aimable Lindor, son cousin, ne peut parvenir à lui inspirer du dégoût pour ses devoirs. Cependant il faut s'étourdir quelquefois sur les inquiétudes qui nous assaillent, & c'est pour cela qu'on va la plupart du tems au spectacle & au bal. Qui pourroit d'ailleurs moins faire jaser en y accompagnant Céphise, que le petit Lindor ? Elle aimeroit, sans doute, beaucoup mieux y aller avec Dorval, si depuis quelque tems Dorval ne la négligeoit pas. Peut-être même ne songeroit-elle pas à aller au bal, si son époux étoit auprès d'elle ; mais l'ingrat la délaisse; il est inconstant, & la curiosité d'une femme la porte presque toujours à désirer de savoir par elle-même si son époux est infidele.

Le suisse Fribourg entre. C'est un billet qu'il apporte à Madame. Bon, l'odeur de l'ambre décele qu'il est de quelque petite-maîtresse. L'adresse ? Elle est en blanc. Il faut donc voir ce que c'est. Céphise ouvre le billet, le lit, & est d'autant moins instruite qu'elle ne reconnoît pas l'écriture, & que le laconisme qui l'a dicté est allé jusqu'au point de le borner à ces mots : Venez ce soir à minuit.

Plus de doutes, ce billet s'adresse à Dorval, & il est le garant de son infidélité. Ah ! si les larmes rappelloient un volage, Dorval seroit bientôt aux genoux de Céphise ; mais les larmes fatiguent un époux & ne le ramènent pas. Que fera donc Céphise ? quels moyens mettra-t-elle en usage ? qu'opposera-t-elle à l'infidélité ? ses charmes ; ainsi donc :

Pour se venger de son époux,
Point d'humeur, point de bouderie,
L'air du bonheur à son retour,
Le. ton de la galanterie,
Quelque peu de coquetterie,
Et l'indulgence de l'amour.

A peine cette résolution est-elle prise que Céphise recommande à sa femme-de-chambre de mettre dans sa toilette tout son art, toute son adresse & tout son génie ; c'est un combat à mort qu'elle veut livrer à Dorval.

Mais il rentre avec son fidele Lafleur. Descends vîte, lui dit-il, chez le suisse, j'attends une lettre intéressante, & je suis impatient de savoir si elle est arrivée. Livré à ses réflexions, il ne conçoit pas comment il n'aime pas sa femme, elle qui est si jolie ! & sur-tout comment il est possible qu'il poursuive vingt objets qui ont moins d'attraits qu'elle, & qu'il faut cependant attaquer, courtiser, presser souvent pour ne rien obtenir. Ah ! que les hommes sont foux.

Eh bien ! Lafleur, ma lettre ? --- Monsieur, elle est venue ; mais le suisse l'a remise à Madame. --- O ciel !....... Il est clair, d'après cette exclamation, que le rendez-vous de minuit étoit pour Dorval, & que Céphise & Lindor avoient raison de croire que Chloé pourroit bien y être pour quelque chose. Quel embarras ! comment sortir de cette crise ? Un mari peut avoir des torts, mais on ne sauroit les excuser, quand ils ne sont pas cachés sous le voile épais du mystere ; & Céphise n'ignore plus rien.

Sa toilette achevée, cette tendre épouse revient dans le sallon. Elle est parée d'un domino de la plus grande élégance. Quelle est son dessein ? E!le ordonne à Marton de sortir, après avoir éteint toutes les bougies. Céphise veut se faire désirer, & elle sait qu'il faut ménager l'orgueil d'un mari qui revient à sa femme. Ah ! quelle heureuse obscurité, dit Dorval en entrant ; profitons-en. Il s'approche de Céphise, ils parlent, ils s'expliquent; Dorval reconnoît qu'aucune femme ne mérite mieux son amour que Céphise ; il renonce au rendez-vous de minuit, & pour prouver à sa femme combien son retour est sincere, il lui promet de rester avec elle.

Cependant, le petit cousin arrive avec sa voiture pour accompagner Céphise au bal. Ira-t-elle ? Oui, mais avec son mari, & le petit cousin sera en tiers dans la partie. C'est fort bien ; mais il faut encore le punir de ses prétentions immorales, il faut le contraindre à jouer du violon pour faire répéter à Dorval & à Céphise l'allemande qu'ils doivent danser au bal. Ce projet est exécuté quoiqu'il joue d'assez mauvaise grace. Lindor, au-lieu de danser avec sa cousine, la voit danser avec son mari, & ce n'est pas ce qu'il trouve de plus agréable. Ah ! dit Céphise au comble de la joie :

Un ciel brillant a ses orages,
Ils en obscurcissent l'azur ;
Au sein des plus heureux ménages ?
Le bonheur n'est pas toujours pur.
Un époux parfois est volage ;
Mais si cette erreur dure peu,
L'hymen indulgent & sage,
Pardonne tout au coin du feu.

Le sujet de cette piece est pris dans un couplet de la chanson du coin du feu, que tout le monde connoît. Quelle intrigue pourroit-on élever sur un aussi frêle fondement ? Mais si un plan semblable n'attire pas une bien sérieuse attention, il ne décele pas non plus une grande prétention dans son auteur, qui, en faisant entrer dans ce cadre beaucoup de choses agréables, auroit prouvé qu'il étoit capable de s'occuper d'un plus grand sujet, s'il n'avoit, déjà fait cette preuve par les ouvrages estimables qu'il avoit auparavant au théatre. Ne mettons donc pas plus d'importance dans notre jugement, que l'auteur n'en a mis dans la composition de son ouvrage.

Heureusement le musicien ne l'a pas traité comme une bagatelle, & il en a fait un des plus jolis opéras que nous ayons au théatre. Son contre-point est extrêmement fleuri, fort mélodieux, & il ne laisseroit rien à desirer, s'il offroit plus de nuances & d'oppositions. C'est un beau défaut que celui d'être trop uniformément agréable. Nous conseillerions toutefois à M. L. Jadin, qui, lorsqu'il aura quelques années d'expérience de plus, est fait, s'il continue à travailler, pour marcher à côté de nos meilleurs musiciens, nous lui conseillerions, disons-nous, de le faire disparoître. Mais la chose lui est impossible, parce que les sentimens que lui a donnés à peindre le poète, ne sont pas assez caractérisés, & n'ont pas assez d'énergie. Qu'on ne se le dissimule point, la musique ne peut rendre que les mouvemens impétueux de l'ame, ou les sentimens extrêmes ; encore faut-il souvent, pour qu'elle puisse peindre ceux-ci, qu'ils soient mis en opposition avec eux-mêmes. Mais elle ne sauroit rendre, si ce n'est à l'aide de comparaisons puisées dans la nature, une infinité d'affections sentimentales. Comment distingueroit-elle, par exemple, l'amour d'avec l'amitié ; la langueur d'avec la tristesse, la satisfaction d'avec la joie, &c. ? Les poètes lyriques italiens ont si bien senti cette vérité, qu'ils dirigent toujours, par quelque comparaison, le pinceau du musicien. Ainsi, un des héros de Métastase est-il furieux, c'est le lion blessé qui rugit. Celui-ci éprouve-t-il en son ame le combat de passions violentes, ce sont les vents qui soufflent en sens contraires, c'est la mer mugissante. Celui-là veut-il, dans sa colere, poursuivre, exterminer ses ennemis, c'est l'éclair qui sillonne la nue, c'est le tonnerre qui gronde bientôt après. Sans l'aide de ces comparaisons, comment le musicien auroit-il pu rendre ces passions d'une maniere distincte ? Et si un grand poète, tel que Métastase, les a employées pour rendre des sentimens si tranchans, à combien plus sorte raison les poètes lyriques ne doivent-ils pas employer un moyen si adroit ? Ils feroient donc bien d'imiter en ceci les Italiens, comme tous les artistes les ont imitée en tant d'autres choses. Le poète & le musicien y gagneroient également, & ils ouvriroient une nouvelle mine, dans laquelle ils puiseroient des richesses inappréciables. Si cela venoit jamais à arriver, le faire naturel & facile de M. Favier lui procurerait des avantages dont beaucoup d'autres ne pourroient peut-être pas profiter, quelle que fût leur bonne volonté.

D’après la base César, l'auteur est Edmond de Favières, le compositeur Louis-Emmanuel Jadin. Première le 10 juin 1793 au Théâtre Italien (salle Favart). 7 représentations jusqu'au 25 août 1793. 4 représentations en avril et mai 1798, toutes au Théâtre Italien.

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