Le Contrat signé d'avance, ou Laquelle est ma femme ?

Le Contrat signé d'avance, ou Laquelle est ma femme ? opéra en un acte, de Ligier, musique de Bianchi, 6 vendémiaire an 13 [28 septembre 1804].

Théâtre Molière.

Courrier des spectacles, n° 2772 du 8 vendémiaire an 13 [daté par erreur du 26 septembre 1804 : 30 septembre 1804], p. 3 :

[Si la pièce a réussi, ce n'est pas à son « poëme » qu'elle le doit, mais à la musique de Bianchi, présenté comme un excellent musicien. On peut en effet, en Italie comme en France, « faire d'excellente musique sur de très mauvaises paroles ». Et « le Contrat signé d'avance est un ouvrage dénué de raison, de vraisemblance, et très-souvent d’intérêt ». Ce jugement, le résumé de l'intrigue va le confirmer : le « poëme » repose sur une invraisemblable histoire de contrat de mariage en blanc permettant d'épouser un jeune homme riche : les candidates sont nombreuses, et il faut récupérer par la surprise ce papier tombé dans les mains d'une vieille femme qui se verrait bien mariée à un jeune homme riche. Le contrat finit par revenir dans les bonnes mains qu'il n'aurait pas dû quitter, et tout s'arrange : le jeune homme épousera celle qu'il aima. Le jugement qui suit cette bonne nouvelle est sans appel : «  il est difficile de réunir plus d’absurdités en moins d’espace » (une série de questions pointe les plus belles absurdités de la pièce), la pièce ne respecte pas « la première règle de toute composition », le bon sens. Si la pièce a survécu, c'est grâce à la musique et à « plusieurs morceaux d'une expression et d'un goût très-heureux », dont le critique signale quelques exemples. En plus, elle a « du mouvement, quelles situations assez piquantes » : c'est bien assez « pour les spectateurs non lettrés » (un peu méprisés ?).

Théâtre Molière.

Première représentation du Contrat signé d'avance.

Ce n’est point au mérite du poëme, mais à la musique de Blanchi que cet opéra a été redevable de son succès. Il est depuis long-tems reconnu en Italie que l’on peut faire d’excellente musique sur de très-mauvaises paroles. Plusieurs de nos grands opéra modernes, tels qu'Anacréon, Olivier de Clisson, le Pavillon du Calife, et les Bardes eux-mêmes ont prouvé la même chose en France.

Le Contrat signé d'avance est un ouvrage dénué de raison, de vraisemblance, et très-souvent d’intérêt. M. Richard. homme enthousiaste, a un fils qu’il aime éperduement, et qu’il veut marier absolument pour le rendre tout-à-fait heureux. C’est à ce jeune homme lui-même qu’il laisse le choix de sa compagne, et pour lever toute difficulté, il lui fait signer d’avance un contrat de mariage où il ne s’agira plus que d’inscrire le nom de l’heureuse personne qui aura l’avantage de plaire à M. Richard fils.

Un Monsieur Renardin, qui sait que Richard est riche, forme le projet de lui faire épouser l’aînée de ses deux filles ; il les amène pour les faire voir ; il vante leur mérite et leur savoir-faire ; et comme la cadette est en effet pleine de talens, il ne manque pas de présenter ses ouvrages comme les chefs-d’œuvre de sa sœur ; ce sont des broderies parfaites, des dessins charmans. Richard père aime la musique ; on fait cacher Lucile, et sa sœur aînée paroît chanter, tandis que c’est la plus jeune qui exécute le morceau de musique. Richard père ravi de tant de perfection, ne croit pas que son fils puisse se refuser à épouser une si adorable personne ; en conséquence, il remet à la demoiselle le contrat de mariage qu’il a signé en blanc. Richard fils qui dans le même tems s’est pris d’une belle passion pour Mad. Florville, est désespéré de cette nouvelle, et jure de brûler la cervelle à Renardin, s’il ne lui rend pas son contrat. Renardin qui n’est pas plus brave qu’il ne convient, se hâte de conjurer l’orage ; mais malheureusement une vieille femme nommée Mad. de Vieux-Bois est parvenue à s’emparer de cette pièce importante, et paroît décidée à épouser Richard. On ne trouve d’autre expédient, pour se tirer de ce mauvais pas, que de faire une peur subite à la vieille : elle s’évanouit et laisse tomber le contrat, Richard, le ramasse et le donne à Mad. de Florville.

Il faut avouer qu’il est difficile de réunir plus d’absurdités en moins d’espace. Quel père s’est jamais avisé d’expédier un contrat en blanc, comme on fait une procuration ? et depuis quand s’expose-t-on a être marié sans le savoir, parce qu’une avanturière aura trouvé le moyen de s’approprier votre contrat de mariage, et qu’elle viendra le présenter à votre acquit comme un effet au porteur ? La première règle de toute composition est d’observer les lois du bon sens :

Scribendi rectè sapere est et principium et fons.

Et elles sont ici violées avec une extrême liberté. Mais la musique est très agréable ; on a applaudi avec raison plusieurs morceaux d’une expression et d’un goût très-heureux ; entr’autres deux trio, l’un entre Renardin et ses deux nièces, l’autre entre Richard fils et les deux jeunes personnes qu’on veut lui faire épouser. La pièce, malgré ses défauts, a eu du succès, parce qu’il y a du mouvement, quelques situations assez piquantes, et qu’il n’en faut pas davantage pour les spectateurs non lettrés.

Ajouter un commentaire

Anti-spam