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Le Corsaire ou le Combat naval

Le corsaire ou le Combat naval, comédie en trois actes & en prose, mêlée d'ariettes, paroles de Poisson de La Chabeaussiere, musique de Daleyrac, 1er juillet 1793.

Théâtre de l’Opéra-Comique National.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 1 (janvier 1794), p. 319-324 :

[Si l'Esprit des journaux dit vrai, il s'agit bien d'une nouvelle version d'une pièce jouée il y a dix ans ; mais la version jouée en 1793 est profondément modifiée. C'est une nouvelle fois une pièce mettant en scène corsaires algériens et esclaves français. Sans originalité, Florville, un jeune esclave français, est sollicité pour aider son maître à faire la conquête d'une jeune Française fraîchement arrivée, et qui n'est autre, bien sûr, que l'amante de Florville. Après maints épisodes par ailleurs rebattus, maints rebondissements, tout finit par s'arranger : les esclaves retrouvent la liberté et peuvent s'aimer, tandis que le maître pardonne à sa favorite, qui avait aidé Florville. Le critique avait bien raison, dit-il, de parler de pièce nouvelle, tant les changements par rapport à la version initiale sont importants. Cette nouvelle version est jugée très supérieure, par la musique comme par « des situations très-comiques & très-piquantes ». Il y a des détails que le critique trouve maladroits, mais ce sont « des minuties qu'il est facile de faire disparaître ». Le musicien a su créer de nouveaux morceaux qui ne déparent pas parmi ceux de la première version, le machiniste a su créer des machines remarquables pour le combat naval , décors et costumes « sont fort bien » : « cette piece est parfaitement mise ». Peut-on en demander plus ?]

THÉATRE DE L' OPÉRA COMIQUE NATIONAL

Le corsaire , ou le combat naval, comédie en trois actes & en prose, mêlée d'ariettes, paroles de M. Lachabeaussiere , musique de M. Daleyrac.

Il y a dix ans que cette piece avoit été jouée sur le théatre italien ; elle étoit alors en vers. Aujourd'hui elle est en prose, & les auteurs y ont fait de si grands changemens, qu'elle peut être considérée comme une piece nouvelle. Nous allons en rendre compte.

Mahamet , riche corsaire algérien, a pour esclave Florville, jeune françois, dont il a fait son ami, & qu'il a accablé de bienfaits. Toujours amoureux de Julie, & soupirant sans cesse après l'instant de la voir, Florville obtient sa liberté dans le moment où il reçoit une lettre d'elle. Ayant appris que celui qui devoit être son époux, étoit tombé dans l'esclavage, elle ne consulte plus que son amour, & devenue maîtresse de ses actions & de sa fortune, elle mande qu'elle s'est embarquée pour venir racheter Florville, qu'elle croit à Tunis.

Qu'on juge des craintes bien fondées de celui-ci, d'après l'erreur où le bruit public a jetté sa maîtresse. Elle le croit à Tunis, & il est à Alger. Que d'accidens peut occasionner cette méprise ! Cependant Mahamet, dont Florville est le confident intime, vient lui annoncer qu'il n'aime plus autant qu'autrefois sa favorite Zima, & que ce changement a été occasionné par l'arrivée d'une françoise. Mais cette françoise est cruelle, & il faut qu'en ami, Florville dise non-seulement à Mahamet comment il faut s'y prendre pour toucher son cœur, mais encore qu'il lui aide à faire cette conquête, en parlant pour lui. Florville peut-il refuser quelque chose à Mahamet ? il parlera à Florine.

Mais, ô malheur ! cette Florine est précisément l'amante de Florville, qui a cru devoir changer de nom. Prise elle-même par un corsaire algérien, elle a été vendue à Mahamet, & elle gémit aussi chez lui dans l'esclavage. Que devenir ? que faire ? Entrer dans la confidence de Zima, & combiner avec elle un projet de fuite, afin de soustraire la françoise à l'esclavage & aux poursuites de Mahamet. Les vives craintes, & l'ardent amour de Florville, l'empêchent d'abord de considérer que cette conduite est peu digne d'un homme délicat ; que trahir son bienfaiteur est un crime impardonnable ; qu'un homme tel que lui ne sauroit le commettre. Aussi se livre-t-il dans son cœur le plus violent combat entre la reconnoissance & l'amour, combat dans lequel celui-ci triomphe, parce que Mahamet, qui doit partir pendant la nuit pour aller combattre un de ses ennemis qui cherche à le surprendre, veut, avant de passer à bord, tout obtenir de son esclave, & il le veut, comme peut le vouloir un Africain, un Corsaire.

En cette fâcheuse & pressante extrêmité, il ne reste plus à Florville d'autre ressource que de prévenir Julie , par un billet , du danger qui la menace, & lui donner un rendez-vous auquel Zima doit lui fournir les moyens de venir. De-là on ira s'embarquer sur un navire françois, qui n'attend que Florville pour mettre à la voile, & l'on abandonnera le port d'Alger.

Ce billet est intercepté, & remis à Mahamet, qui entre en fureur. Il vient furtivement au rendez-vous, avec une troupe de gardes ; il y surprend les deux amans, les fait charger de chaînes, & ordonne qu'on les conduise en prison dans deux tours situées sur les bords de la mer.

Par bonheur, les geoliers de ces prisons ne sont pas si diables qu'ils sont noirs ; Narsit, l'eunuque favori de Mahamet, qui devoit passer en France avec Florville, auquel il s'est fortement attaché, touche leurs cœurs, à force de sequins ; & comme il sont ennemis l'un de l'autre , il parvient à persuader au premier, qu'il faut voler les clefs du second, au second, qu'il doit escamoter celles du premier, & les lui remettre, afin qu'ayant ouvert par ce moyen la porte de la tour, & fait sauver les prisonniers, la colere de Mabamet accable le geolier négligent. Tout cela est exécuté, & donne lieu à des scenes très-plaisantes. Narsit fait mieux encore, il suit les geoliers l'un après I'autre, quand ils veulent rentrer, & les poussant adroitement dans leurs tours, il les y renferme tous les deux.

Pendant qu'il respiroit le frais sur la terrasse de la tour où il étoit incarcéré, Florville qui, grace au soin de Narsit, est libre, ainsi que Julie & Lisette, a entendu des pirates, ennemis de Mahamet, complotter de l'attaquer, lorsqu'il sortiroit du port, de l'assassiner, & de s'emparer de son navire. Il forme aussi tôt le projet de faire avorter ce dessein criminel, en surprenant les pirates eux-mêmes. C'est pour cela qu'il abandonne Julie & sa femme de-chambre sur le rivage, & passe avec Mahamet à bord de son vaisseau, qu'on voit sortir du port. Celui des pirates arrive en même-tems : le combat s'engage. Quelques navires viennent au secours de Mahamet, & une frégate se range du côté de ses ennemis. Mais bientôt la valeur de Florville & de Mahamet, jointe à leur habileté dans la manœuvre, les fait triompher. Leurs pots-à-feu incendient la voilure de la frégate ; les canons la démâtent ; le feu prend à la sainte-Barbe, tous ses sabords vomissent les flammes, & elle s'engloutit dans la mer. Alors le vaisseau de Mahamet s'approche de celui de son ennemi ; on jette les grapins, on vient à l'abordage, & les pirates sont exterminés.

L'Algérien, pénétré de reconnoissance, descend sur le rivage avec Florville, & son soin le plus pressé est de lui rendre Julie, & de pardonner à Zima , en faveur de la belle action du François.

On voit, d'après tout cela, que cette piece a été presqu'entiérement refondue, & que nous avons eu raison de dire qu'on peut actuellement la considérer comme une piece nouvelle. Elle est d'un style agréable, & la poésie des airs qui ont été conservés ou ajoutés, est beaucoup plus soignée que celle de la plupart des comédies à ariettes : celle-ci offre d'ailleurs des situations très-comiques & très-piquantes. Celle de l'eunuque Narsit, dont Lisette devient amoureuse, & celle des geoliers, est de ce nombre.

Nous dirons, avec la franchise qui nous caractérisera toujours, que nous ne pensons pas que ces deux derniers personnages soient assez intimement liés à l'action, & que les motifs qui, dans le premier acte, les amenent sur la scene, sont trop vagues. Il semble même qu'il étoit inutile de les faire paroître alors, puisqu'il suffisoit d'annoncer dans le second acte, qu'on pourroit tirer parti de leur haine. On est inquiet encore de savoir comment il se fait que la lettre de Julie, adressée à Tunis, parvient à Alger, & pourquoi celle-ci quitte son nom pour prendre celui de Florine. Ce ne sont sans doute que des minuties qu'il est facile de faire disparoître ; mais elles sont pénibles à la représentation, comme pourroit l'être une dissonance que l'auteur de la musique n'auroit pas sauvée.

M. Daleyrac, à qui nous devons celle du Corsaire, jouit depuis trop long-tems du privilege de composer la musique infiniment gracieuse , naturelle & chantante, pour que nous puissions ajouter quelque chose à sa réputation, en faisant ici son éloge. Nous dirons seulement que les nouveaux morceaux qu'il a ajoutés à cette piece, ne different des anciens qu'en raison de ce que ceux-ci sont depuis long-tems sur les levres de tout le monde , & que ceux-là y passeront bientôt.

La maniere simple & ingénieuse avec laquelle M. Adam, machiniste du théatre de l'opéra comique national, a établi ses machines, pour l'exécution du combat naval, suffiroit peut-être pour lui faire un nom, si, depuis plusieurs années, il n'étoit connu à Paris, à Bordeaux, à Marseille, à Nismes, & dans tout le reste de la France, pour un artiste d'un mérite rare & distingué.

Les décorations & les costumes du Corsaire sont fort bien, & cette piece est parfaitement mise.

(Journal des spectacles.)

Pièce absente de la base César (où il faut chercher La Chabeaussière sous le nom de Poisson, mais il n’en devient pas pour autant l’auteur du Corsaire...)

André Tissier évoque dans les spectacle à Paris pendant la Révolution, tome 2, p. 47 le destin de ce Corsaire : joué en 1783, il réapparaît sous forme d’opéra comique en 1793 et s’achève désormais par un combat naval, allant dans le sens du goût moderne pour le grand spectacle.

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