Les Charlatans et les compères

Les Charlatans et les compères, comédie en 5 actes et en prose, de Picard, vers 1810.

Pièce non représentée.

Elle figure dans le tome 8 des Œuvres de Picard publiée en 1821 chez J. N. Barba, p. 309-527.

Le texte de la pièce est précédé d'une préface, p. 311-315 :

[Le Portrait du charlatanisme est l'œuvre de Joseph-Antoine Cerutti. Il fut publié en 1784 et vise sans doute un homme politique du temps.

PRÉFACE.

Je suis fort embarrassé pour parler de cette comédie. Dans les préfaces de mes autres pièces, éclairé par l'effet de la représentation, j'ai cru pouvoir me permettre de prononcer un jugement, soit en adoptant le jugement du public, soit en me hasardant à combattre sa rigueur et quelquefois même son indulgence. Ici, je n'ai d'autre règle que mon opinion et celle de quelques amis, que j'ai consultés. Je crois devoir me borner à bien peu de mots.

L'ouvrage a été commencé en 1808. Depuis cette époque, il est survenu de grands changements politiques qui ont amené de grands changements dans nos mœurs; ce sont ces changements, c'est la longueur de la pièce, la multiplicité des personnages, la difficulté de la jouer, peut être même l'impossibilité de mettre en scène le quatrième acte, qui m'ont empêché de l'exposer aux chances de la représentation. Je la soumets au jugement du lecteur.

Mon but a été de prouver qu'un charlatan est bien faible, quand il n'a pas de compère, ou plutôt qu'il n'y a pas de charlatan sans compère. Je crois que cette idée renferme le sujet d'une belle et bonne comédie. J'ai cherché bien en conscience à n'être ni trop vain ni trop modeste dans mes préfaces. C'est un talent réel que celui de trouver de bons sujets de comédie, et je crois l'avoir ; mais qu'il y a loin de là, au mérite d'une parfaite exécution ! je serai content, si, après avoir lu mes Charlatans, on peut dire : « Il s'en faut que ce beau sujet soit traité avec le talent qu'il demandait; mais la pièce est amusante. »

J'avais d'abord mis la scène en France. L'estrangeté, non pas des mœurs, mais de l'action et de la conduite des personnages m'a engagé à la transporter en Allemagne. Nous avons bien en France des parterres tumultueux et suffisamment garnis d'affidés, des thèses publiques où les arguments sont communiqués ; mais je ne sache pas qu'on y ait jamais vu un cours de médecine semblable à celui dont je donne une esquisse dans mon quatrième acte. Ne peut-on pas supposer qu'il en existe dans quelques villes de l'Allemagne ? Mon but dans ce quatrième acte a été de peindre ce qui se passe dans une assemblée quelconque agitée par des cabales.

Parmi les rôles nombreux qui entourent mes charlatans, je ne peux me défendre de quelque prédilection pour celui de M. Molen, homme prudent, qui craint toujours de se compromettre, qui connaît les charlatans, et n'a de courage contre eux que lorsqu'il tremble pour ses propres intérêts.

Pendant que je travaillais à cet ouvrage, un de mes parents, qui, par parenthèse, était médecin, m'apporta une petite pièce de vers manuscrite qu'il avait trouvée parmi de vieux papiers, et que je ne me rappelle avoir vue nulle part. Je crois faire plaisir à mes lecteurs, en la plaçant à la suite de cette préface. Peut-être, quelques personnes la reconnaîtront ; quant à moi, je suis tenté de croire qu'en cherchant bien, on la retrouverait parmi les énigmes du Vieux Mercure de France : et alors, n'y verrait-on pas la preuve qu'il peut y avoir de l'esprit, même dans une énigme.

PORTRAIT DU CHARLATANISME,

Fait par lui-même dans un moment de franchise.

            J'ai créé la race innombrable
Qui, par le merveilleux, séduit le genre humain.
J'ai le ton emphatique, avec un air capable ;
J'excelle aux tours d'esprit, j'excelle aux tours de main :
            Je m'enveloppe du mystère,
            Et je m'environne du bruit :
            Le bruit en impose au vulgaire,
            Et le mystère à l'homme instruit.
On me voyait jadis, sur la place d'Athène,
Du haut de la tribune inspirer les rhéteurs.
            Près du tonneau de Diogène,
            J'ai rassemblé les spectateurs ;
            J'ai fait valoir plus d'un grand homme.
Changeant, selon le siècle et selon le pays,
Je m'en vais débitant des reliques à Rome,
        Et des nouveautés à Paris.
                Autrefois moliniste,
                Ensuite janséniste,
                Puis encyclopédiste,
                Et puis économiste,
                A présent mesmériste
C'est moi qui traduisís, par d'heureux changements,
                L'esprit évangélique,
                L'étude politique,
                La science physique,
                En style de roman.
Dans le siècle passé je redoutais Molière,
            A son nom encor je frémis :
Dans le siècle présent je redoutais Voltaire;
Rousseau, sans le savoir, était de mes amis
Dans le sénat anglais je joue un très-grand rôle;
Mon zèle aux deux partis se vend le même jour :
            Puissant d'intrigue et de parole,
Je suis Catilina, Cicéron tour-à-tour.
A l'Amérique anglaise, encore un peu sauvage,
Je n'ai pu jusqu'ici faire accepter mes dons ;
            Mais j'en espère davantage,
Depuis que ces héros inventent des cordons.
Des papes quelquefois je colore les bulles ;
J'ai souvent embelli les récits des héros ;
            De nos contrôleurs-généraux,
            Je tourne aussi les préambules ;
Je dicte à nos prélats de pieux mandements,
            Des discours aux académies :
          Sans être ému, j'ai de grands mouvements;
          Pompeusement j'orne des minuties.
Professeur émérite à l'université,
            Je suis vieux docteur de Sorbonne ;
Mais ma première place est dans la faculté,
            Et ma seconde auprès du trône.
            En peu de mots, voici les traits
            Auxquels on peut me reconnaître :
            J'aime à parler, j'aime à paraître ;
            J'aime à prôner ce que je fais ;
            J'aime à grossir ce que je sais;
            J'aime à juger, j'aime à promettre ;
            J'annonce les plus grands secrets  ;
            Je n'en ai qu'un, celui de mettre
            Tous les sots dans mes intérêts.
Venez voir dans Paris tout l'or que j'accumule ;
Venez voir près de moi les badauts attroupés ;
Depuis la sainte Ampoule ils y sont attrapés:
Le Français, si malin, est encor plus crédule.

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