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Démétrius

Démétrius, tragédie en cinq actes, en vers, de Delrieu, 31 octobre 1815.

Théâtre Français.

Titre :

Démétrius

Genre

tragédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

31 octobre 1815

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Delrieu

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Peyteux, 1820 :

Démétrius, tragédie en cinq actes, par M. Delrieu : représentée, pour la première fois, sur le Théâtre Français, par les Comédiens ordinaires du Roi, le 31 octobre 1815, remise au théâtre avec des changemens, le jeudi 18 mai 1820.

Merses profundo, pulchrior evenit.

Hor., Liv. et Ode IV.

Le vers d’Horace peut se traduire par « Vous avez beau le plonger dans la mer, il en revient plus beau » (traduction du Magnum Dictionarium latinum et gallicum, ad pleniorem planioremque scriptorum latinorum intelligentiam, de Pierre Danet (Paris, 1591), p. 449).

Journal des débats politiques et littéraires, 2 novembre 1815, p. 1-4 :

[Le critique tient à respecter les règles du compte rendu d’une tragédie, le genre le plus noble, dont on ne peut parler qu’en suivant une sorte de procédure intangible. C’est d’abord d’Histoire qu’il faut nous entretenir, et il le fait avec une grande abondance : nous sommes informés des sources de la connaissance des personnages que la pièce met en scène (la meilleure source, c’est donc Polybe, qui a participé à l’aventure de Démétrius : plus qu’une source, un témoin, et même un complice), nous apprenons tout ce qu’il est possible de savoir sur l’illustre famille des Séleucides, sans oublier de préciser que l’auteur a respecté le fait principal (l’exil à Rome, l’évasion, le retour sur le trône), mais qu’il a inventé les autres éléments. Ce n’est qu’après ces préliminaires qu’il entreprend d’analyser l’intrigue, assez compliquée de sa pièce, qui a la particularité de ne compter que cinq personnages, « tous les cinq principaux ». Le récit minutieux est riche en rebondissements (Tigrane se fait passer pour Pharasmin, Démétrius se fait passer pour Tigrane-Pharasmin, si bien que le voilà sous l’identité de celui qui est censé l’avoir assassiné, etc.), dont le critique a soin de n’en omettre aucun. Occasion de suggérer que l’histoire de ce Syrien du second siècle avant Jésus-Christ a bien des point communs avec un autre roi revenu d’exil pour (re)monter sur le trône dont il était écarté : légitimité de ce retour, attente populaire, tout concorde. Le dénouement est heureux, et le roi revenu sur son trône va pouvoir oublier les torts qu’il a subis, pardonner à ceux qui ne l’ont pas reconnu, et instaurer enfin le règle de la clémence et de la paix : encore une préfiguration lointaine de ce que la France de 1815 est en train de vivre (ou de ce qu'elle espère vivre). Mais à force de détailler son analyse, le critique n’a plus de place (sept colonnes d’un feuilleton, ce n’est pas assez !) : il faudra qu’il revienne avec son impartialité (hautement proclamée) sur la question de l’écriture de la pièce (imitations, longueurs, répétitions), sur laquelle il a visiblement beaucoup à dire. Il lui reste juste assez de place pour parler des interprètes, bien traités : « la pièce est généralement bien jouée », et chacun des cinq acteurs a droit à son compliment, même celui que l’auteur de l’article a souvent critiqué, et qui a tiré, croit-il, parti de ses vigoureux conseils.]

THEATRE FRANÇAIS.

Première représentation de Démétrius, tragédie en cinq actes et en vers par M. Delrieu.

Il est peu d'époques dans l’Histoire Ancienne plus enveloppées de ténèbres que celle où M. Delrieu a puisé le sujet de sa nouvelle tragédie : Rollin en convient, et avoue que, parvenu aux règnes des successeurs d'Alexandre, les guides lui manquent, et le fil conducteur lui échappe : il le retrouve seulement lorsque les événemens d'Egypte, de Macédoine ou de Syrie se rattachent ou à l'histoire sacrée ou à l'histoire romaine ; l'une et l'autre lui prêtent alors leur flambeau. On sait, par exemple, que les faits les plus mémorables de Syrie se
retrouvent dans les livres des Machabées.

Ce période de temps, qui commence à la mort d'Alexandre et finit à la réduction de l'Asie en province romaine, a eu ses historiens ; mais leurs ouvrages ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Appien, qui s'est étendu si longuement sur les guerres civiles de Rome, n'a consacré que quelques pages aux guerres que cette république soutint contre les peuples de l'Asie. L'ouvrage de Trogue Pompée a disparu dans l'abrégé de Justin et des quarante livres de l'histoire universelle de Polybe, cinq seulement et quelques fragmens de douze autres, ont survécu aux outrages du temps ; c'est l’un de ces fragmens qui sans doute aura fourni à M. Delrieu la première .idée de sa tragédie ; je dis la première idée, car à l'exception de la fuite de Rome, du retour imprévu de Démétrius dans ses Etats et de l'heureux succès d'une tentative qui lui rendit le trône, tout le reste est de l’invention de l'auteur : il a, sinon créé, du moins approprié au fond de sa tragédie, des moyens des ressorts, des caractères qui ne lui étoient pas fournis par les données historiques.

Rien n'est plus propre à faciliter intelligence de la tragédie que d'en rapprocher les faits, tels que l'histoire les présente : je les prendrai de préférence dans Polybe, dont le témoignage a d'autant plus de poids ici qu'il se trouva à Rome en même temps que Démétrius ; que ce fut lui qui conseilla au jeune prince son évasion et lui en fournit les moyens. PoJybe ne fut pas seulement un écrivain illustre ; élève de Philopœmen dans l'art de la guerre, il soutint avec les Achéens l'indépendance de sa patrie contre l'ambition des Romains. Son courage et ses talens le firent désigner comme un otage qui répondit de la tranquillité de la Grèce : là il se lia avec Scipion l'Emilien, employa son crédit à adoucir les maux de ses concitoyens, et vint, enfin retrouver auprès d'eux, atns leur estime et dans leur amitié, la récompense de ses longs services. Il mourut dans un âge très avancé.

Démétrius étoit fils de Séleucus Philopater, et petit fils de cet Antiochus auquel, après 1a défaite sanglante de Magnésie, les Romains imposèrent une paix honteuse qui, en le rendant leur tributaire, le soumettoit à l'obligation plus avilissante encore de laisser à Rome un prince de sa famille en otage. A la mort d'Antiochus, Séleucus obéit à cette condition en y envoyant le jeune Démétrius son fils ; après un règne assez obscur de douze ans, Séleucus ayant été empoisonné par Héliodore, le trône appartenait évidemment à Démétrius ; Antiochus Epiphanes, frère de Séleucus, s'en empara, et le transmit après lui à son fils Antiochus Eupator, alors âgé de neuf ans, qu'il plaça sous la tutelle de Philippe et de I.ysias. Cette double usurpation n'avoit point éteint dans l'âme, de Démétrius le sentiment de ses droits. Indigné de la connivence du Sénat, qui favorisoit des usurpateurs au détriment de l'héritier légitime dont il redoutoit lecourage, i! s'échappe sur un bâtiment de commerce et débarqua seul à Tripoli en Syrie : là il ne fut pas reçu par une soldatesque parjure, ni par des conspirateurs apostés de longue main. Sur la route de Tripoli à Antioche ; il se nomma : toute la Syrie accourut se ranger autour de lui, et le porta en triomphe dans sa capitale. Lysias et Eupator furent punis du dernier supplice. Démétrius n'avoit alors que vingt-trois ans : il régna d'abord avec gloire ; mais adonné ensuite à la mollesse et aux excès du vin, il répara du moins, en mourant les armes à la main, la foiblesse et la honte de ses dernières années. L'époque précise de ces événemens remonte à cent soixante ans avant Jésus-Christ. C’étoit le temps où Rome, après avoir achevé la guerre de Macédoine et conquis l'Achaïe, venoit de rendre aux Grecs l'apparence de la liberté : ses conquêtes avoient pénétré jusqu'au mont Taurus ; déjà elle avoit disposé du royaume de Pergame. et des principales îles de l'Archipel : son ambition marchoit à visage découvert. Le luxe avoit commencé d'y pénétrer avec les .marbres de Sicile et les bronzes de Corinthe : les mœurs n'étoient pas encore corrompues ; mais elles tendoient à la corruption, suite inévitable des conquêtes et de l'injustice qui en est le principe. On verra pourquoi j'insiste sur cette considération morale.

Voici de quelle manière, sur le fondement historique, M. Delrieu a bâti l'édifice de sa tragédie.

Sa pièce se compose de cinq personnages, tous les cinq principaux ; on n'y trouve ni confidens ni subalternes : Laodice, veuve de Séleucus ; Philopator ; Antiochus son fils ; Démétrius, fils de son époux ; Stratonice, femme de Démétrius Héliodore, ministre de Laodice.

Depuis le jour où Laodice a donné naissance à Antiochus, toutes ses affections tournées vers son fils ont fait d'elle une marâtre cruelle, une épouse dénaturée. Déterminée à régner sous le nom de ce fils, elle a fait empoisonner son mari par Héliodore et a juré la mort de Démétrius, dont le droit d’aînesse est un obstacle insurmontable à ses desseins ;mais Démétrius est à Rome ; son éloignement semble le mettre à l’abri des fureurs de sa belle-mère ; la haine et l’ambition savent franchir les intervalles. Laodice fait partir secrètement pour Rome Lysias et Pharasmin, prince sarmate, disgracié et banni autrefois par Séleucus, mais qui consent à racheter sa faveur au prix d'un assassinat.

Démétrius dès l'âge de dix ans, avoit épousé Stratonice, sœur de Tigrane, roi de la grande Médie. Tigrane, instruit du départ de Pharasmin, de l'objet criminel de son voyage, se met à sa poursuite, le rejoint, le tue ; et, muni de son ordre et de ses instructions, qui sont pour lui des lettres de créance, il arrive à Rome sous le nom de Pharasmin, se présente au consul, et en obtient l'autorisation de se rendre avec un licteur dans le cachot où est plongé Demétrîus, pour y remplir l'objet de sa mission.

Arrivé dans la prison, Tigrane au lieu de seconder le licteur, l'attaque, le combat, le tue, se fait reconnoître à Démétrius, brise ses chaînes, lui fait prendre les vêtemens et l'épée du licteur ; sous ce déguisement les deux amis trompent la vigilance de la garde et s'échappent. Tigrane a été blessé dans le combat ; il meurt quelque temps après : Démétrius prend le nom de Pharasmin, s'embarque, et arrive seul en Syrie, jusque dans le palais occupé par Laodice.

Cette reine, toujours occupée à suivre l'exécution de son grand projet, a fait revenir à sa cour Stratonice, qu'elle destine à son fils Antiochus ; mais le jeune prince n'ignore pas qu'elle est l'épouse de son frère, de son Roi, et quoiqu'il n'ait jamais vu ce frère, sa tendresse fraternelle et la soumission respectueuse d'un sujet lui font rejeter avec horreur la proposition de sa mère. En vain on lui répond que Démétrius est absent ; que, marié à dix ans, il n'a que le titre d'époux, sans en avoir jamais eu les droits. Antiochus est inflexible ; Stratoniee n'oppose pas une résistance moins opiniâtre, et la scène en est là. lorsqu’on annonce à Laodice le retour de Pharasmin.

Ce Pharasmin, on vient de le voir, n'est autre que Démétrius ; il passe pour son propre meurtrier ; il est porteur d'une lettre du consul Valérius, qui confirme la nouvelle de la mort du prince. Introduit devant Laodice, il soutient son personnage ; Stratonice arrive ; il se garde bien de se démentir. Stratonice l'accable des reproches les plus odieux, et en apparence les plus mérités. Laodice rejette sur les Romains la mort de Démétrius ; mais elle se flatte que cette mort, en laissant Stratonice sans espérance, triomphera de son obstination, et la déterminera à donner sa main à Antiochus.

Cependant Héliodore, ministre de la reine, complice et instrument de tous ses crimes, vient lui annoncer que le trouble règne dans la ville et dans le camp voisin ; un bruit sourd se répand que Démétrius respire, et qu'il est même en Syrie. Ce tumulte est l'ouvrage d'Anténor qui, d’intelligence avec le prince, prépare secrètement les esprits des soldats et des citoyens au prochain retour de leur roi. Pharasmin offre ses services à la reine, et lui promet de tout faire ̃rentrer dans le devoir. Pleine de confiance dans son intrépidité, Laodice accepte sa proposition.

Démétrius se rend au camp et de concert avec Anténor, comprime pour quelques instans une révolte qui le perdroit si elle éclatoit avant le moment marqué. Cet heureux succès redouble en lui la confiance de la reine ; moins observé dans le palais, Démétrius a enfin, avec sa fidèle Stratonice une entrevue touchante où il peut se faire reconnoître : les transports de Stratonice sont prêts à la trahir. Démétrius lui fait sentir combien la prudence et la discrétion sont nécessaires : cette situation se renforce par l'arrivée de la reine, en présence de laquelle les deux époux sont obligés de jouer un rôle contraint et opposé aux sentimens qui les animent. Restée seule, Laodice exprime son indignation contre Stratonice et contre son fils, dont la vertu rend inutiles et ses desseins et ses forfaits. Héliodore vient redoubler ses fureurs en redoublant ses alarmes ; la sédition mal éteinte se rallume avec plus de force qu'auparavant ; le nom de Démélrius est dans toutes les bouches. Antiochus ne peut pas être étranger à ces mouvemens. Antiochus se justifie de ces indignes soupçons. Cette scène, pleine de chaleur et des sentimens les plus nobles, a obtenu des applaudissemens unanimes et long-temps prolongés.

Au milieu. du désordre que les approches de plus en plus menaçantes de la sédition jettent dans le palais, on annonce l'arrivée d'un ambassadeur romain. Il apporte à Laodice une lettre par laquelle le consul Valérius la détrompe sur la mort de Démétrius et, en lui annonçant qu'il respire, l'avertit en même temps qu'il doit être en ce moment dans la Syrie : il n'en faut point douter, Pharasmin est nn traître ; la reine le fait arrêter et traduire devant le tribunal des mages.

Le tendre, le vertueux Antiochus ne sait pas encore que Pharasmin est son frère ; mais il a été témoin de l'intérêt que lui témoigne Stratonice. Il sait que Démétriu» est vivant ; il suppose très naturellement que Pharasmin a été son libérateur ; la reconnoissance le précipite au tribunal, et il y entreprend sa défense. On fait paraître l'envoyé romain qui voit et nomme à l'instant Démétrius. A cet auguste nom, Antiochus vole dans les bras de son roi ; le peuple, les gardes, les mages, tous proclament à l'envi le fils des Séleucides, le souverain qu'une absence de plus de vingt ans leur rend encore plus cher. Bientôt, entouré de sujets fidèles, Démétrius reparoît, tenant d'une main une épouse adorée ; de l'autre, un frère dont la vertu est sortie triomphante des épreuves les plus terribles : le roi proclame l'oubli de ses propres injures, le pardon des erreurs, le règne de la clémence et de la paix. Ainsi, s'écrie Antiochus,

Le retour d'un seul homme est le bonheur de tous.

L'analyse détaillée du seul ouvrage important qui ait été donné depuis plusieurs années sur nos théâtres me prend aujourd'hui trop d'espace, pour me permettre d'y ajouter les observations que la représentation m'a suggérées : je l'examinerai scrupuleusement ; j'apporterai dans cet examen l'impartialité dont je me suis fait jusqu'ici une règle invariable, et dont il me semble que le public m'a su quelque gré ; je ferai la part de la critique, comme celle de la louange; je ne dissimulerai ni les imitations trop marquées, ni les développemens trop longs, ni les répétitions trop fréquentes qui m'ont choqué ; mais je rendrai justice aux tirades éloquentes, aux situations fortement tragiques, et aux beaux vers que j'ai souvent remarqués, et qui ont enlevé tous les suffrages.

La pièce est généralement bien jouée. Mlle Georges, dans un rôle qui a beaucoup d'analogie avec celui de Cléopâtre a rappelé avec plus de grâces et de beauté la manière imposante et terrible de Mlle Raucourt ; Mlle Duchesnois a eu, comme de coutume, des élans de sensibilité que la foiblesse de son organe a trahis quelquefois. Je ne fais point un mérite à Lafon de s'être montré souvent noble, pathétique, impétueux : c'est le caractère ordinaire de son talent ; mais il y a ajouté dans le rôle de Démétrius une profondeur tragique et l'expression d'un jeu muet qui a doublé la force das paroles et complété l'illusion. Le bel organe de Desmousseaux l'a parfaitement secondé dans le rôle odieux d’Héliodore. Quant à Michelot, j'ai pu quelquefois l'affliger par des conseils sévères : cette sévérité a probablement contribué en quelque chose au succès brillant qu'il a obtenu hier. Sa diction plus soignée, ses finales mieux entendues ont permis d'apprécier les autres qualités dont il est abondamment pourvu. L'auteur a été demandé et Lafon au milieu des applaudissemens dont il pouvoit à bon droit réclamer sa part, a proclamé le nom de l'auteur d'Artaxerce.                         C.

Journal des débats politiques et littéraires, 5 novembre 1815, p. 1-4 :

[L’article promis dans le journal du 2 novembre paraît donc le 5, et se propose de préciser ce qu’il faut penser de la tragédie nouvelle. Le succès n’a pas été si évident, et le critique développe longuement la difficulté de réussir après un premier succès : Delrieu a le privilège de voir comparée sa situation à celle de gens aussi illustres que Voltaire ou La Harpe. Il ne faut pas tirer de conclusion générale de ce que Démétrius peut être jugé inférieur à Artaxerce. Le critique reprend ensuite les divers reproches qu’on a pu faire à la pièce : retour sur les imitations, indéniables, dont il donne une longue série d’exemples, et qui met à mal « le mérite de l'invention» de l'auteur, invention qu'il relie plus aux moyens et aux ressorts employés qu'au choix du sujet. Second reproche : les longueurs et les invraisemblances. Pour les longueurs, il faut noter que l'auteur en a supprimé une part notable, mais que le critique juge insuffisante : que l'auteur aille au bout de sa tâche (ce qui l'amène à dire qu'il juge maladroite la suppression des confidents, moyen simple et efficace de donner des informations au spectateur). Pour les invraisemblances, il n'y a guère moyen de les faire disparaître, puisqu'elles touchent à ce qui fait le fondement même de « la fable ». La plus grave aux yeux du critique, c'est le fait que personne ne reconnaisse dans le faux Pharasmin Démétrius, comme si ni l'un, ni l'autre n'était connu. Pour le style, troisième défaut possible, pas question d enier quelques maladresses, dont des répétitions que le critique juge maladroites. Mais toutes ces imperfections, imitations comme invraisemblances ne doivent pas nuire à la pièce, et le style, facile à rendre plus pur, ne manque ni d'élégance, ni de clarté, ni même de force. Si « la belle scène du troisième acte » est longue à venir, l'émotion qu'elle suscite ne faiblit plus jusqu'à un dénouement inéluctable, triomphe de Démétrius et mort de Laodice. Il n'est pas possible de garder en mémoire tous les beaux vers de la pièce, mais pourquoi les avoir placés dans un sujet si compliqué, une intrigue si peu naturelle ? Le critique nous invite ainsi à porter un jugement plus sévère que nous ne pensions, tout comme il jette un jour un peu inquiétant sur le jeu des acteurs, « plus sûrs de leur mémoire » et jouant avec « plus d'ensemble et de fermeté » à la seconde représentation : tout n'était donc pas si parfait au premier jour...]

THEATRE FRANÇAIS.

Deuxième représentation de Démétrius.

Lorsqu'un auteur a débuté par un succès, on l'attend avec impatience à son second ouvrage. Les personnes honnêtes et désintéressées qui dans la culture d'un art ne voient que la gloire de l'art même, et dans les triomphes d'un auteur que la juste récompense de ses travaux, desirent franchement que les productions nouvelles, en se succédant, se surpassent constamment, et qu'une réussite obtenue soit la garantie d'autres réussites. Il est au contraire des hommes que le bonheur d'autrui tourmente ; qui, même sans le prétexte de la rivalité, trouvent du plaisir à rabaisser le mérite, à dégrader le talent, et à lui faire cruellement expier un moment de faveur et les applaudissemens qu’ils ont été obligés de lui accorder. Ce sont ces deux classes d’hommes si différentes qu’un écrivain déjà une fois couronné doit avoir sous les yeux, lorsqu'il hasarde une seconde tentative ; il travaille pour un public jaloux qu’il doit désarmer et réduire u silence. Faire bien dans cette position n'est pas encore assez ; faire aussi bien n'est pas même suffisant, c’est faire mieux qui est indispensable ; autrement, la malveillance ne manquera pas de s'écrier que l’auteur a jeté tout son feu et a épuisé toutes ses forces dans sa première production ; qu'il vient de donner sa mesure ; que s'il continue, il ne peut qu’aller toujours en décroissant, et qu'au lieu de se consumer en efforts stériles, il fcroit mieux de renoncer définitivement à un art qui n’a plus de secrets à lui révéler ni de trésors à lui ouvrir.

Tels étoient les présages que tiroient les ennemis de la gloire naissante de Voltaire, lorsqu'ils virent Marianne, et surtout Eriphule, succéder à Œdipe ; Votaiire leur répandit par Brutus et par Zaïre.

Entre Warwick et Philoctète, combien de tragédies de La Harpe que l'on ne peut comparer ni au premier ni au dernier de ces ouvrages ! Tant de causes étrangères au talent influent sur la qualité comme sur les destinées des productions de l’esprit On se fait illusion sur le choix d’un sujet moins heureux ; l’entreprise commence, elle est avancée ; on veut, à quelque prix que ce soit, la terminer ; et qui sait ensuite jusqu'à quel point des affaires imprévues, des malheurs domestiques, des calamités plus générales, peuvent modifier les conceptions d'un auteur, interrompre la série de ses idées, porter le trouble dans son imagination, et affoiblir momentanément sesmoyens ?

Quand il seroit vrai, comme on l’a déjà imprimé, que Démétrius fût inférieur à Artaxerce, il ne seroit pas moins vrai qu'il n'y auroit aucune induction fâcheuse à en tirer contre le talent de M. Delrieu : il faudroit se borner à dire qu’il a été cette fois moins heureusement inspiré ; qu’il s’est proposé un modèle moins parfait ; qu’au moment de la composition, la liberté de ses pensées a peut-être éprouvé plus d'une sorte de gêne ; qu'en un mot, dans une tragédie toute politique, et dont le dénoûment est le triomphe de la légitimité sur l'usurpation. on concevra combien l’essor de l’auteur aura pu être entravé par les circonstances qui nous dominoient à lépoque où la tragédie a dû être conçue et exécutée.

Mais, sans établir ici un parallèle entre deux pièces qui n'ont rien de commun, dont l'une a été appréciée par la lecture dont l'autre n'a pu l'être jusqu'ici que par la représentation, je me bornerai à rendre compte de l’effet que Démétrius m'a paru produire sur le public et des observations que j'ai recueillies.

J'ai déjà dit que l’on reprochait à M. Delrieu des imitations trop marquées, et je persiste à croire que le reproche est fondé. Il le seroit moins, sans doute si l’auteur eût, comme il l’a fait pour Artaxerce, annoncé hardiment le projet de refaire à sa manière un sujet déjà traité. C’est une faculté qui n'est interdite à aucun poète, et on pardonne cette espèce de témérité lorsqu'elle est justifiée par le succès ; mais retransporter dans un sujet différent des ressorts et des situations principales empruntées à d'autres pièces c'est une imprudence que l’on a le droit de regarder comme une foiblesse, ou du moins comme un tort inexplicable de mémoire.

Il est évident que Démétrius, passant pour son propre meurtrier, est le Gustave de Piron et l’Oreste de Voltaire; que Laodice empoisonnant Séleucus pour couronner son fils au préjudice du fils de son époux rappelle Agrippine et le fatal champignon donné à Claude, et le projet d’élever Néron à l’empire à l’exclusion de Britannicus. Pour qui connoît le Mustaphe et Zéangir de Champfort, la Roxelane et Mustapha de M. de Maisonneuve, la ressemblance et l’imitation paroissent encore plus frappantes ; dans Démétrius, comme dans ces deux tragédies, c’est une reine, mère injuste et marâtre cruelle, qui veut perdre un fils du premier lit pour couronner le sien, et qui trouve un obstacle invincible à ses desseins dans la vertu de celui même au profit de qui doit tourner le crime. Cette tendresse noble et désintéressée d’un jeune frère pour son frère. qui est en même temps son rival en ambition et en amour, pourroit trouver un double modèle dans les personnages de Nicomède et d'Attale d'Arsame et de Rhadamiste. Ce sont ces imitations prises de différentes tragedies que j'ai entendu blâmer, et qui, dans le fait, affoiblissent singulièrement chez M. Delrieu le mérite de l'invention, mérite, je ne cesserai de le répéter, qui consiste moins dans le choix du sujet que dans celui des moyens et des ressorts.

Le second reproche que j'ai déjà indiqué dans mon premier article porte sur des longueurs qui ralentissent la marche de l'action et sur des invraissemblances trop marquées. Des coupures ont déjà, à la seconde représentation, fait disparoître, du moins en partie, le premier de ces défauts. Je sens bien ce que cette opération a de douloureux pour la main d'un père ; mais puisque M. Delrieu a si courageusement commencé, je l'engage ne pas faire la chose à moitié ; c'est surtout le second acte qui réclame encore cette rigueur salutaire. Dès que Démétrius a paru, on désire qu'il se fasse reconnoître à une épouse fidèle ; et tout ce qui retarde cette entrevue est d'autant plus languissant, que Démétrius n'a personne à qui se confier, à qui faire part de ses projets. La suppression absolue de confidens oblige l'auteur de recourir au monologue, et cette forme d'exposition est toujours froide quand elle n'est pas très courte ; Je crois, pour le dire ici en passant, que cette idée de renoncer aux personnages subalternes, n'est pas très heureuse, quoique probablement M. Delrieu s'en soit appiaudi. Il en est résulté un grand embarras : celui de ne pouvoir faire connoître que par des espèces d'équivoques de mots à double entente, de réticences et de soliloques, c'est-à-dire assez imparfaitement, des sentimens et des projets qu'une bonne et loyale confidence.auroit développés avec clarté, et exposés sans nuages aux yeux des spectateurs.

L'invraisemblance la plus forte de l'ouvrage, c'est que Démétrius arrive seul et pénètre jusque dans le palais de Laodice, sans que personne l'y reconnaisse. Il est absent, il est vrai, depuis vingt ans ; mais combien de Syriens, combien surtout de personnes attachées à la reine ont dû le voir à Rome pendant son long séjour : N'y étoit-il pas l'objet ou d'un intérêt, ou d'une surveillance spéciale ? ? Comment d'ailleurs a-t-il pu se flatter de passer pour Pharasmin, prince et général sarmate, banni, il est vrai, depuis vingt ans comme Démétrius, mais qui doit être connu d'Héliodore, ou de quelques personnes de la cour ?

Ces invraisemblances fondant toute la fable de la tragédie, il est impossible de les sauver ; ce qui seroit plus facile à corriger, ce sont des répétitions de formes, de phrases, et même d'expressions marquantes dont le retour trop fréquent jette un peu de monotonie dans le style :

Déposa sur mon front le triste diadème.
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Moi, du front de ma mère ôter le diadème !

Et je crois que ce ne sont pas les deux seuls vers où l'on retrouveroit la même rime et la même imnge.

Malgré ces défauts que j'ai exposés avec franchise, la pièce a réussi, et elle devoit réussir. Les imitations n'ont pu frapper qu'un petit nombre de spectateurs ; l'intérêt rachète les invraisemblances, et on n'a pu s'empêcher de rendre justice à l'élégance, à la clarté, souvent même à la force du styie qui en compensent avec avantage quelques incorrections, quelques négligences assez rares, et qu'une révision attentive fera aisément disparoître.

On attend, il est vrai, trop long-temps la belle scène du troisième acte ; mais une fois qu'on y est arrivé, l'émotion qu'elle a communiquée ne se ralentit plus, et l'intérêt va toujours croissant jusqu'à la fin du quatrième : c'est dans ce quatrième acte que l'auteur a placé une situation neuve et touchante, celle où le jeune Antiochus, placé entre son frère qu'it ne connoît pas, et Stratonice dont Démétrius est connu, regardant avec horreur cet étranger qu'il suppose le meurtrier de son frère, étonné de voir Stratonice embrasser sa défense avec chaleur, commence à entrevoir confusément la vérité, cherche à arracher un secret qui l'importune, et, dans le doute cruel qui l'importune, et, dans ce doute cruel qui le déchire, s'écrie en fondant en larmes :

Est-ce son assassin ou son libérateur ?

Le cinquième acte marche bien au dénoûment : Démétrius est reconnu, proclamé, ramené en triomphe du tribunal à son palais ; le mouvement de Laodice qui refuse un pardon dont elle est humiliée, et qui se poignarde lorsque le fruit de tous ses crimes lui échappe, est bien dans le caractère d'une femme superbe et ambitieuse qui n'a plus qu'à mourir dès qu'elle ne peut plus régner.

Une foule de beaux vers qu'il est impossible de retenir à la représentation, mais qui sont marqués par de justes applaudissemens, font regretter quelquefois que M. Delrieu n'ait pas trouvé le moyen de les placer dans un sujet moins compliqué, et d'une contexture plus naturelle ; en portant le même talentt dans un plan plus simple, M. Delrieu eût obtenu un succès sinon plus brillant, du moins plus incontesté et probablement plus durable. C'est l'alliance de la simplicité et de la force qui caractérise les grands maîtres.

La seconde représentation n'a pas. été moins heureuse que la première : les acteurs, plus sûrs de leur mémoire que des retranchemens considérables avoient d'ailleurs soulagée, ont mis dans leur jeu plus d'ensemble et de fermeté. Encore quelques suppressions dans les deux premiers actes, et le public sera fidèle à Démétrius, comme il l'a été jusqu'ici à son aîné.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 20e année, 1815, tome V, p. 428-433 :

[Le compte rendu commence par ce qui est une indispensable mise au point sur l’identité du personnage-titre et rappelle les circonstances historiques de ce que la pièce est censée rappeler, et les changements introduits par Delrieu. Le résumé de l’intrigue ne se fait pas sans interventions du critique, qui laisse percer son opinion négative sur la pièce (on rit de tel vers, les sources de Delrieu s’accumulent, la vraisemblance n’est pas toujours au rendez-vous). La fin est rapidement expédiée (elle n’est pas exagérément crédible), et on passe au jugement général : vers remarqués (ceux qui s’adaptent si bien à la situation politique ; énumération des défauts de la pièce (dont celui d’avoir des ressemblances avec des pièces antérieures) : le rôle principal de Démétrius est « le moins bien fait », et le compte rendu insiste beaucoup sur la fausseté de sa situation, indigne d’un héros ; de même la scène capitale de reconnaissance entre Stratonice et Démétrius est languissante et se traîne. L’interprétation ne peut sauver un rôle aussi vicieux, au contraire des deux grands rôles féminins. Conclusion désabusée : « En général, le succès de l'ouvrage a été médiocre ».]

THÉATRE FRANÇAIS.

Démétrius, tragédie en cinq actes, jouée le 31 Octobre.

Ce n'est ni Démétrîus-Poliorcete, ni Démétrîus-Nicanor, le Cynique, que l'auteur a mis sur la scène. C'est sans doute le héros dont parle Justin dans son trente-septième livre, et que Thomas Corneille a nommé Ariarate dans sa Laodice. Métastase avoit abordé le même sujet sous le nom de Démétrius-Soter , et c'est ce même Roi de Syrie qui fut envoyé à Rome en otage et qui s'en évada miraculeusement pour venir reconquérir son trône, que M. Delrieu reproduit aujourd'hui sur la scène. Démétrius-Soter, dans l'histoire, trouve sa couronne usurpée par son oncle ; et Métastase parle de cet usurpateur; le tragique moderne substitue à ce traître une traîtresse. Laodice a fait empoisonner son époux Séleucus, Roi de Syrie, par Héliodore, son ministre, et elle a livré, comme otage aux Romains, Démétrius, fils de ce prince et fruit d'un premier lit. Laodice a cru par ce moyen régner, et laisser la couronne d'Arménie et celle de Syrie à Antiochus, son propre fils. Elle ne pense donc plus qu'à s'unir à Stratonice, qu'elle ne sait pas être l'épouse secrète de Démétrius, auquel Séleucus l'avoit destinée. Je veux, dit Laodice,

Je veux qu'Antiochus soit son plus ferme appui ;
Il combattra pour moi, je régnerai pour lui.

Ce partage a fait rire le parterre.

Stratonice, jusqu'alors captive, recouvre, la liberté, bous la condition d'épouser Antiochus. Mais cet Antiochus ,digne d'une meilleure mère, promet soudain de servir la cause de Démétrius, son frère, et de sa belle-sœur. Laodice, qui n'en persiste pas moins dans ses projets, prétend que, si Stratonice veut rester fidèle à Démétrius,

Sa main les unira dans la nuit éternelle.

Héliodore, qui s'étoit chargé d'empoisonner autrefois le Roi, vient annoncer le trépas de Démétrius ; et ce nouveau crime, qui a été ordonné par la Reine, passe pour être l'ouvrage des Romains. Cette nouvelle accable le vertueux Antiochus, qui jure

De ne point recueillir le fruit d'un tel forfait.

Jusqu'ici on trouve un peu de tout. Métastase et Thomas Corneille sont mis à contribution ; c'est maintenant au tour de Piron.

Démétrius, échappé aux coups des assassins et sous le nom de Pharasmin, prince sarmate, exilé par le feu Roi, vient lui-même annoncer sa mort, et déclarer que c'est lui qui a donné à Démétrius le fatal breuvage. Vingt ans d'absence ont rendu le prince méconnoissable aux yeux de ses ennemis, et même à ceux de sa femme : et, comme la Reine ne le reconnoît pas, il lui fait le récit de la fin tragique de Démétrius de la même manière que le roi de Suède apprend à l'usurpateur de son trône comment il a tué Gustave.

Laodice ordonne à Démétrius d'annoncer la nouvelle de cette mort à Stratonice, qui ne peut croire les Romains coupables d'un tel crime. Générosité feinte de la part de Laodice; elle offre encore à la princesse la couronne et son fils : nouveau refus de Stratonice. Mais le peuple et l'armée se soulèvent, le bruit du retour de Démétrius s'est répandu par les soins d'un ami qui ne l'a jamais quitté, et font fait craindre une révolte sanglante. Laodice charge spécialement Pharasmin-Démétrius, d'aller combattre les mutins.

Avant de partir, Démétrius, reconnu de Stratonice, lui dévoile ses projets; mais Laodice reçoit l'àvis secret de Rome que Démétrius respire en.core, et elle ordonne aussitôt le supplice du prince sarmate qui l'a trompée par une fausse nouvelle ; l'armée marche vers le palais ; Démétrius, traduit devant le conseil des Mages, est reconnu et proclamé Roi. Il pardonne à Laodice; et la Reine se poignarde elle-même,

Elle rend à l'état l'héritier légitime;
Enfin la vertu règne où commandoit le crime.

Ces deux vers ont été vivement applaudis, ainsi que celui-ci :

Il faut peser un sceptre avant de le porter.

Nous avons déjà indiqué quelques ressemblances avec des ouvrages connus. Passons aux autres défauts que l'on reproche à la pièce nouvelle. Le rôle qui a paru généralement le moins bien fait, c'est celui de Démétrius. Comment un prince légitime, qui est si miraculeusement sorti des fers des Romains, vient-il s’amuser à prendre un faux nom, et à perdre, dans une cour où il sait n'être point en sûreté, un temps bien précieux ? Comment un prince, dont on vante la noblesse, la bravoure, et la loyauté surtout, peut-il se résoudre à dissimuler longtemps avec une belle-mère, sa plus mortelle ennemie, et vient-il bassement lui faire des protestations de fidélité, indignes du caractère d'un héros. C'est en vain, lorsqu'il est seul au second acte, qu'en parlant de la Reine, il dit au Ciel :

Tu mis pour la frapper la foudre dans mes mains.

Qu'attend-il donc pour frapper ? Si Antenor, l'ami qui lui est dévoué, soulève le peuple et l'armée, pourquoi Démétrius ne se met-il pas à la tête de ses partisans ? Il se reprend ensuite, et ajoute :

Quoi! jusqu'à l'artifice il faut que je descende ?
La justice le veut.

Il est singulier que la justice veuille qu'un héros descende jusqu'à l'artifice: que le droit le plus sacré enfin lui commande de prendre le nom d'un Sarmate, d'un traître. Le principal personnage est donc dans une position fausse, de là ces longs et mortels récits que fait Démétrius, et ces invraisemblances que l'auteur a accumulées.

Une scène qui est d'un grand effet, et dont Piron est le créateur, c'est celle de la reconnoissance de Démétrius et de Stratonice. Lorsque Démétrius lui a dit, eu peu de mots, comment il s'est sauvé de Rome; que deux hommes sont envoyés par le consul pour l'égorger dans sa prison ; que l'un empêche l'autre d'exécuter le crime ; qu'ils se battent, et

Qu'entre'son assassin et son libérateur,
Enchaîné, du combat il reste spectateur,

le reste devient inutile : c'est au moment où la pièce devroit inspirer le plus touchant intérêt qu'elle se traîne, et qu'elle languit.

Lafont ne peut déguiser le vice de son rôle. Démétrius, auquel on devroit s'intéresser le plus, est le personnage de la pièce le plus avili. Le rôle de Laodice est mieux dessiné : nous en avons indiqué le type. La Laodice de Thomas Corneille a même des traits plus prononcés, c'est elle qui dit à un des rivaux d'Ariarate:

Malgré vous, malgré Rome, il sera votre maître;
Et, si quelqu'insolent murmure de mon choix,
Je suis Reine, et le sceptre est la foudre des rois.

Mademoiselle Georges a eu de beaux moments dans le rôle de Laodice. La santé de Mademoiselle Duchesnois ne lui a pas permis de déployer tous ses moyens dans celui de Stratonice. En général, le succès de l'ouvrage a été médiocre.

D’après la base la Grange de la Comédie Française, Démétrius, tragédie en cinq actes d’Etienne-Joseph-Bernard Delrieu, a été créée le 31 octobre 1815 et a connu 13 représentations de 1815 à 1820.

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