Denys, le tyran, maître d'école à Corinthe, opéra historique en un acte, de Sylvain Maréchal, musique de Grétry, ballets de Gardel, 6 Fructidor an 2 [23 août 1794].
Opéra-National, ou Théâtre des Arts.
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Titre :
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Denys, le tyran, maître d’école à Corinthe
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Genre
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opéra historique
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose ?
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prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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oui
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Date de création :
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6 fructidor an 2 [23 août 1794]
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Théâtre :
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Opéra National, ou Théâtre des Arts
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Auteur(s) des paroles :
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Sylvain Maréchal
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Compositeur(s) :
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Grétry
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Chorégraphe (s) :
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Gardel
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Almanach des Muses 1795.
Tableau trop bouffon pour l'opéra.
Après avoir fait sa classe, et maltraité ses écoliers, Denys, s'enivre avec un savetier, et s'endort. Les enfans de l'école, jouent sur son dos, au cheval fondu. Il n'étoit pas connu pour le ci-devant tyran de Syracuse : en se tournant, il laisse tomber le diadème qu'il portoit caché sous les plis de son manteau. Timoléon le condamne à être battu de verges, aux pieds de la statue de la Liberté.
Musique pleine d'esprit et d'originalité ; musique de Grétry.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 9 (septembre 1794), p. 233-237 :
[La pièce de Maréchal est censée être un « opéra historique », et le critique prend un grand soin à assurer que c’est bien le cas (« tout le monde sait », ou « cette anecdote de la vie du tyran de Syracuse n'en est pas moins attestée par d'autres autorités aussi dignes de foi »). Puis il nous résume l’intrigue de l’opéra, sans masquer son parti-pris contre l’infâme Denys, soigneusement dénigré. Le jugement émis ensuite est embarrassé : certes, la pièce est gaie, mais elle paraît peu digne du théâtre sur laquelle elle a été jouée : le critique montre qu’il était possible de représenter le tyran de façon plus forte que cette caricature, en le confrontant par exemple à Diogène, en lui faisant se souvenir des leçons de Platon ou en lui faisant prendre conscience de ses crimes. Et le théâtre choisi interdisait l’emploi d’un style peu soigné : le langage de Maréchal est trop peu lyrique, trop peu châtié, et le critique donne des exemples de ce qu’on ne peut pas accepter d'entendre au très digne Théâtre des Arts. La pièce a plu pourtant, elle témoigne du patriotisme de son auteur, dont il rappelle qu’il a été autrefois persécuté. La musique a fait l’unanimité, et le critique en montre l’excellence, comme il montre l’excellence des interprètes. Enfin, le ballet est lui aussi très réussi, tant par son dessin que par la qualité des danseurs.]
THEATRE DES ARTS.
Denys le tyran, maître d’école à Corinthe.
Tout le monde fait que Denys, tyran de Syracuse, ayant été chassé de cette ville par Timoléon, général des Corinthiens, se réfugia à Corinthe même, où il ouvrit une école, pour se conserver encore, dit Cicéron, une espece d'empire. Quoique sa profession de maître-d'école paroisse une fable à Hewmon, docteur allemand, qui a fait sur ce sujet un gros in-4to., cette anecdote de la vie du tyran de Syracuse n'en est pas moins attestée par d'autres autorités aussi dignes de foi. C'est ce trait qui a fourni, à Sylvain Maréchal, le sujet de Denys le tyran, maitre d'école à Corinthe, opéra en un acte, joué avec succès sur ce théatre. Denys tient une école sous les ruines d'un temple, dans un des fauxbourgs de Corinthe : il a changé de nom, mais non de caractere. Toujours impérieux, toujours cruel, il n'a conservé, de sa grandeur passée, que son diadême, qu'il porte dans un des plis de son manteau, & qu'il baise souvent avec ivresse. La huitieme heure ramene les enfans à sa classe: il leur fait répéter l'alphabet grec, & les traite avec une dureté qui indigne un de ses voisins,
De la chaussure humaine adroit réparateur.
Cet honnête savetier vient trouver Denys, l’engage à boire avec lui , (ce que le tyran accepte sans façon ;) lui donne d'excellentes leçons de républicanisme, & le force à porter la santé de tous les patriotes, de Timoléon lui-même. A force de boire, le tyran s'endort, & les enfans saisissent cet heureux moment pour se livrer à tous les jeux de leur âge. En jouant au cheval fondu, plusieurs se jettent sur le dos de sa ci-devant majesté. Denys se réveille en colere : mais la femme du savetier, qui a trouvé beaucoup de rapport entre les traits du maître-d'école & ceux du tyran de Syracuse, dont elle possede un portrait, vient le presser de se faire connoître : Denys, en se tournant, laisse tomber son diadême, qui le trahit. Le voilà reconnu. Timoléon, qui se trouve être le magistrat de Corinthe, arrive a la tête du peuple : c'est en vain que le tyran lui demande excuse ; Timoléon le condamne à être battu de verges au pied de la statue de la liberté. On emmene Denys ; &, pour purifier le vieux temple que sa présence avoit souillé, les enfans renversent la chaire, tous les meubles de l'école : on les remplace par la statue de la liberté, & l'on danse.
Tel est le fonds très-léger de cet ouvrage, qui offre de la gaieté. On pourroit reprocher à Maréchal de n'avoir pas assez senti qu'il travailloit pour un théatre où le goût le plus épuré doit marquer toutes les productions-des arts, où la poésie lyrique doit donner de l'héroïsme même aux tableaux les plus communs. Peut-être auroit-il pu nous peindre autrement le tyran Denys, en le mettant aux prises avec Diogene le cynique, avec plusieurs autres Corinthiens, dont l'histoire nous a transmis les diverses conversations. Denys se ressouvint alors de toutes les leçons que Platon lui avoit données autrefois. Peut-être eût il été plus intéressant de nous retracer, sans altérer l'histoire, un tyran accablé sous le poids de ses antiques forfaits, obligé de convenir de leur énormité avec les illustres républicains qui l'entouroient, leur rappellant les leçons de sagesse qu'il a méprisées, & offrant son exemple à l'univers, pour l'instruction des peuples & la honte des despotes qui les asservissent. Si ce trait d'histoire n'offroit à l’homme-de lettres qu'une plaisanterie, il falloit le traiter pour un théatre où l'on est habitué à ne voir que du comique. Le théatre des arts exige de grands développemens, de grands tableaux, & sur- tout un style très-soigné. C'est en voulant faire rire, que Maréchal a souvent négligé cette partie si essentielle de l'art dramatique. Il a employé des expressions qui ne sont pas lyriques, comme les vicissitudes humaines ; d'autres triviales : mes royales fredaines, (les fredaines d'un tyraín sanguinaire !) oui, voilà son gtos nez, tu sais faire un soulier, &c. Quoi qu'il en soit de ces observations, en n'envisageant l'acte de Maréchal que comme un tableau, le public a trouvé cc tableau sort agréable, & l'on s'est rappellé l’auteur de la plaisante comédie du Jugement dernier des rois. La haine des despotes, le juste mépris qu'ils inspirent, l’amour des loix républicaines, tous les principes en font honneur au patriotisme de Sylvain-Maréchal, littérateur intéressant par la persécution qu'il a éprouvée sous l'ancien régime, & par la réputation qu'il s'est faite dans la, république des lettres.
La musique, de Grétry, prouve que des artistes comme lui n'ont point d'âge : elle est fraîche comme s'il l'eût faite à vingt ans. La connoissance de la scene & des effets, un cachet original, l’esprit, l'esprit sur-tout, voilà ce qui fait le principal mérite de cette charmante musique, dont plusieurs morceaux, entr'autres la lecture des enfans, le duo de Denys & du savetier ont été applaudis avec enthousiasme. C'est dire assez comment cette musique a été chantée, que de nommer Chéron dans le tôle ingrat de Denys, & Lays qui a chanté celui du savetier Chrysostôme avec ce goût précieux, ce goût fini qui fait si bien attaquer l’ama du spectateur. Chéron a été aussi vivement applaudie dans le rôle de la femme de Chrysostôme, & Lainé a joué, arec le feu qu'on lui connoît, celui de Timoléon.
Les jeux des enfans, dessinés par Gardel, sont extrêmement piquans : c'est une heureuse idée que d'avoir fait jouer aux gladiateurs deux petits enfans : ce joli tableau prouve l'énergie que le génie de la liberté sait donner, dès le berceau, aux enfans d'une république. Vestris, après une maladie trop longue, a reparu dans le ballet de cet ouvrage : cet artiste inimitable n'a rien perdu de sa vigueur, de son à-plomb, ni de sa légèreté ; il est toujours un modele, il est toujours lui. Le public a trouvé que Duchemin faisoit tous les jours les progrès les plus rapides; il a singuliérement applaudi aux pas dansés par Beaupré, Goyon, Perignon & Romain.
Dictionnaire lyrique, ou histoire des opéras de Félix Clément et Pierre Larousse, tome I (1869), p. 200 :
Denys le tyran, maître d'école à Corinthe, opéra historique en un acte, paroles de Sylvain Maréchal, musique de Grétry, représenté à l'Opéra national le 23 août 1794. Cette bouffonnerie, dans laquelle Denys fait la classe à des enfants qui le maltraitent, s'enivre avec un savetier, laisse tomber son diadème, et est condamné à être battu de verges au pied de la statue de la Liberté, ne fait pas honneur à l'esprit du librettiste. Si, comme l'indique assez la date de la représentation, cette pièce a été une saturnale de circonstance, Grétry a commis une mauvaise action en lui prêtant le concours de son talent, car il avait été comblé des bienfaits de la cour. Louis XVI, le tyran, comme on disait alors, lui avait fait accorder une pension de mille francs sur la caisse de l'Opéra, et y avait ajouté une autre pension de mille écus sur sa cassette. Grétry a eu la pudeur tardive de ne pas laisser graver cette partition.
D’après la base César, la pièce de Maréchal et Grétry a été jouée 8 fois à ce qu’elle appelle encore l’Académie Royale de Musique, du 21 août au 26 novembre 1794. André Tissier, les Spectacles à Paris pendant la révolution, tome 2 (2002), p. 60, compte pour sa part 10 représentations à partir du 23 août.
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