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Duhautcours, ou le Contrat d'union
Duhautcours, ou le Contrat d'union, comédie en cinq actes et en prose, de Picard et C.... [François Chéron], 18 Thermidor an 9 (6 août 1801).
Théâtre français, d'abord rue Feydeau et maintenant rue de Louvois.
Le catalogue général de la BNF fait de François Chéron le coauteur de la pièce.
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Titre :
Duhautcours, ou le Contrat d'union
Genre
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers / prose ?
en prose
Musique :
non
Date de création :
18 thermidor an 9 (6 août 1801)
Théâtre :
Théâtre Français (Théâtre de Louvois)
Auteur(s) des paroles :
Picard et *** [François Chéron]
Almanach des Muses 1802
Duhautcours, fripon subalterne, persuade à Durville, négociant, qu'il faut, pour s'enrichir plus vite, faire une banqueroute frauduleuse. En conséquence il le fait sépare de biens d'avec sa femme, réalise ses capitaux, suppose des créanciers, se met du nombre, et propose un contrat d'union, au moyen duquel les créances sont réduites à 20 pour 100 ; mais, par malheur, un des créanciers les plus forts soupçonne l'intrigue, refuse de signer le contrat d'union, se charge des créances de tous ceux à qui Durville veut faire ratifier l'acte, fait rougir celui-ci de sa conduite, le ramène à l'honneur, et finit par confondre Duhautcours.
Un fond pareil semblait ne devoir fournir qu'un drame. Picard, en le semant de détails comiques, a dissimulé le vice du plan et l'odieux des caractères.
Des scènes heureuses, d 'excellens apperçus, un style inégal, mais étincelant de saillies.
Beaucoup de succès.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Huet, chez Charon, an IX (1801) :
Duhautcours, ou le Contrat d'union, comédie en prose et en cinq actes, Représentée pour la première fois au théâtre de Louvois, par les Comédiens de l'Odéon, le 28 thermidor an 9 ; Par L. B. Picard, et le C.en ***.
D’après le Courrier des spectacles, la date de création est le 18 thermidor an 9 [6 août 1801].
Courrier des spectacles, n° 1621 du 19 thermidor an 9 [7 août 1801], p. 2-3 :
[Compte rendu très positif, qui accorde une large place au résumé de l'intrigue, aux rebondissements financiers plutôt compliqués, ce qui ne semble pas gêner le critique. Petit reproche plus que classique, des longueurs, dont il donne un exemple. Mais des scènes très comiques, une intrigue bien construite, un plan bien mené, mais le sujet est peut-être un peu trop sérieux (à cause des questions financières ?). L'article s'achève sur un éloge appuyé de l'interprétation.]
Théâtre Louvois.
L’auteur ! l’auteur ! l’auteur ! crie-t-on de toutes les parties de la salle, et l’on amène Picard. Comment, c’est encore lui qui a composé cette nouvelle comédie intitulée : Duhautcours ou le Contrat d'union ! Mais il joue tous les jours, fait des progrès très-rapides comme acteur, se conduit on ne peut mieux comme directeur ; quand a-t-il donc le tems d’être si agréable auteur ? Nous n’entreprendrons pas d’expliquer ce triple phénomène, mais son nouvel ouvrage a eu le plus brillant succès. En voici l’analyse :
Durville jouit d’une grande fortune légitimement acquise dans le commerce ; il donne les fêtes les plus magnifiques, et son épouse uniquement occupée de ses plaisirs, s’y livre avec une pleine sécurité. Duhautcours, agent d’affaires et ami de Durville, parvient à lui persuader de faire banqueroute après avoir réalisé une somme très-considérable ; une fête superbe commandée pour le soir même servira à éblouir les yeux du public, et à inspirer encore plus de confiance dans celui qui la donne. Flameschy, décorateur, Mascarini,glacier, et M. Crépan, marchand de modes de mad. Durville, d’abord inquiets de leur payement, reprennent bientôt confiance, et Valmont, ami de Durville, pousse la sienne jusqu’à lui apporter vingt mille livres qu’il a gagnées au jeu, et qu’il ne croit pouvoir mieux placer qu’entre les mains d’un si riche négociant. Durville a des remords, mais Duhautcours n’a qu’une seule crainte c’est celle que lui inspire Franval, négociant de Marseille, à qui Durville doit cinquante mille livres. Ce dernier est créancier de M. Delorme, autre négociant qui a éprouvé des malheurs, ce qui l’empêche d’acquitter les six mille livres qu’il lui doit. Le riche Durvjlle est inexorable, malgré les prières de Auguste, son neveu, qui intercède pour Delorme dont il aime la fille. Malgré les supplications de cet honnête négociant, il veut le poursuivre.
La fête a eu lieu, le lendemain est arrivé, et Durville a dépose son bilan dans lequel le fripon de Duhautcours est colloqué pour soixante mille liv. d'après des titres qu’il s’est fait faire. Le négociant de Marseille Franval arrive : il veut venir au secours de Delorme son ami, et comme sa créance de cinquante mille liv. sur Durville est échue, il demande que compensation faite des six mille liv. dues par Delorme, ou lui paye les quarante quatre mille livres restant. Durville, ou plutôt Duhautcours en son nom, annonce la banqueroute, le dépôt du bilan, et l'assemblée des créanciers pour une heure.
Cette assemblée a lieu, malgré toute l’adresse de Duhautcours qui a gagné de faux créanciers dont l'un ne répond que par monosyllabes, et l’autre n’entend qu'au moyen d’un cornet. Le pénétrant Franval perce ce mystère, et empêche les vrais créanciers de donner leur signature, menace les autres de les poursuivre au criminel. Le prétendu créancier porteur du cornet, oublie sa surdité, et témoigne sa crainte qui ne laisse plus aucun doute à l’honnête Franval. Ou offroit vingt pour cent à tous les créanciers, il achète leurs créances au pair, et fait acheter sous main à très-bon compte des titres contre Duhautcours. Ce fripon cherche à gagner son terrible adversaire en lui offrant des arrangement favorables ; il ne peut y parvenir et propose à Durville la fuite comme le seul moyen qui lui reste ; celui-ci ne veut pas consentir à abandonner sa femme et sa maison. Alors l’honnête agent ne parle plus que pour lui, et se privant du titre de soixante mille livres, souscrit en sa faveur.
Durville, déchiré de remords, remet à son épouse, séparée de biens d’avec lui, d’après les perfides conseils de son ami, un porte-feuille renfermant huit cent mille livres, et l’engage à payer ses créanciers. Elle s’y dispose lorsque Franval se présente ; on lui découvre tout ; il se charge de cette opération, retire des mains de Duhautcours les soixante mille liv., en lui rendant des effets de pareille somme, qu’il a fait retirer du commerce à vingt pour cent, et persuade à Durville d’unir Auguste à la fille de Delorme.
Le dernier acte a paru offrir quelques longueurs. Peut-être Franval, quand il a reçu des mains de madame Durville les huit cent nulle liv. contenus [sic] dans le porte-feuille, ne devroit il plus adresser de reproches à son mari ? Cette comédie offre, comme toutes celles de Picard , des scènes extrêmement comiques. C’est peut-être la mieux conduite qu’il ait encore donnée. Son plan est fortement conçu, bien exécuté ; mais peut-être le genre de cet ouvrage est-il un peu trop sérieux.
Mlle Delille a été très-applaudie dans le rôle de madame Durville. Le cit. Berlin a parfaitement rendu celui d’Auguste, dans lequel on lui a fait plusieurs applications très-agréables. Les cit. Dorsan et Vigny ont fait le plus grand plaisir dans Franval et Duhautcours ; et tous les autres rôle» ont été on ne peut mieux soignés. Il est difficile de trouver autant d’ensemble dans une comédie montée en aussi peu de tems.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome II, p. 408-409 :
[Le compte rendu s’ouvre sur le constat d’un succès sans ambiguïté : l’auteur a été demandé et a paru. Le critique préfère ne pas analyser de façon minutieuse la pièce pour éviter d’entrer dans « des détails d’affaires », mais il en garantit la force de l’intrigue et la conduite parfaite. Toutefois, dans ce qu’il dit de l’intrigue, l’amour des jeunes gens ne paraît pas clairement intégré dans le reste de la pièce. Le compte rendu revient in fine sur la qualité d'une pièce qui réussit à être comique malgré « le genre sérieux » auquel elle appartient : il y a des scènes très-comiques. Deux acteurs sont mis en avant (ce qui a dû vexer les autres, dont celui qui tient le rôle de Durville !).
THÉATRE LOUVOIS.
Duhautcours ou le Contrat d'union.
Cette nouvelle comédie en cinq actes, a obtenu un grand succès. L'auteur a été demandé à grands cris, et on est venu nommer Picard, qui a paru sur la scène au milieu des applaudissemens. Son collaborateur a gardé l'anonyme.
Nous nous bornerons à indiquer le sujet de la pièce, sans en donner une analyse que des détails d’affaires rendroient insipide. Elle est d'ailleurs fortement intriguée et parfaitement conduite.
Durville, négociant riche et estimé, jouit d'une fortune brillante, légitimement acquise. Duhautcours, agent d'affaires, très-intrigant, parvient à lui persuader de faire banqueroute. Durville réalise une somme très-considérable, reçoit, en outre, un dépôt de 20 mille francs, veut forcer un pauvre négociant à lui en payer six mille qu'il lui doit. Franval, ami de Durville, et qui a chez lui soixante mille francs placés, dont l'échéance est arrivée, demande qu'on lui en paye cinquante-quatre, et laisse le reste pour la créance de Delorme. Mais Duhautcours annonce la banqueroute, le dépôt du bilan et l'assemblée des créanciers. Duhautcours en a gagné de faux, mais Franval a fait avertir les véritables qui se rassemblent. Il dévoile les fourberies de Duhautcours ; achète au pair toutes les créances, et Durville, accablé de remords, se repent de son imprudence et la répare.
L'amour d'Auguste, neveu de Durville, pour la fille de Delorme, est recompensé, et les jeunes gens sont unis.
Malgré le genre sérieux de cet ouvrage, il a fait grand plaisir ; et quelques scènes très-comiques, entre autres celle des amies de M.me Durville, et celle des faux créanciers, ont été vivement applaudies. La pièce est très-bien jouée ; les CC. Dorsan et Vigny ont parfaitement rempli les rôles de Franval et de Duhautcours. T. D.
L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, tome XII, fructidor an IX [septembre 1801], p. 197-201 :
[Amputée de son titre principal, réduite à son sous-titre, la pièce de Picard est présentée sous un jour favorable: elle s’attaque courageusement, non à un ridicule, comme le fait souvent la comédie, mais à un vice et même « le vice, la corruption & l'immoralité ». En montrant au monstre son visage, l’auteur peut espérer en venir à bout... L’intrigue et l’action de la pièce sont minces, mais la conduite de la pièce comme son dénouement est pleine d’intérêt. Le critique tout en résumant l’intrigue insiste sur les oppositions sur lesquelles elle repose, entre vices des uns et vertus des autres. Pour lui « l'ensemble du tableau est frappant de vérité », pour les personnages comme pour les détails, dont les plus forts « ne peuvent être dus qu'à une connoissance très grande du cœur humain » chez l’auteur. Le public a vivement applaudi, les traits répandus dans la pièce atteignent seulement ceux qui les ont mérités. Le but moral de la pièce fait qu’elle appartient « au genre sérieux, du moins dans sa dernière partie », « une couleur un peu sombre, le style du drame succèdent sensiblement à la vivacité du trait comique, à la rapidité du dialogue des premiers actes ». Si la pièce avait été écrite en vers, elle aurait pu se ranger « parmi ces ouvrages qui honorent le talent de leur auteur » (la hiérarchie des genres : une pièce en vers est jugée supérieure à une pièce en prose, la comédie en cinq actes et en vers représentant le summum du genre comique).]
THÉATRE LOUVOIS.
Le Contrat d'union, comédie en cinq actes & en prose, du C. Picard.
Dans tous ses ouvrages, Picard a eu le talent devenu bien rare de mettre les rieurs de son côté : dans celui-ci, il a su y mettre aussi la masse heureusement nombreuse des véritables honnêtes gens, des hommes amis de la saine morale & fidèles aux lois d'une probité sévère : Picard a eu le bon esprit de croire qu'en appelant à son théâtre cette respectable classe de spectateurs, il recueilleroit des suffrages non moins précieux , & il a réussi à les mériter : plaire aux amis des mœurs après avoir si souvent excité le rire inextinguible des amis de la gaieté, n'est-ce pas se placer au nombre de ces écrivains dont on a trop rarement l'occasion de dire : omne tulit punctum ?...
Dans ce nouvel ouvrage, ce n'est plus le ridicule empruntant chaque jour de la mode une physionomie nouvelle que l'auteur a voulu poursuivre d'un trait moqueur : c'est le vice, la corruption & l'immoralité, constans dans leur audace, & trop souvent enhardis par le succès au choix des mêmes moyens, qu'il a fallu flétrir sous les coups d'un pinceau libre & vigoureux : il a senti que, pour rendre ses modèles aussi odieux qu'ils doivent l'être, il falloit laisser voir leurs formes hideuses, & il les a peints à nud. Sa pensée est ainsi non moins juste que courageuse : le ridicule est un enfant qu'on ne peut corriger qu'en jouant avec lui ;. mais le vice est un monstre dont il ne faut approcher qu'avec la résolution de l'étouffer. Peut-être, armée d'un miroir seulement, la comédie doit-elle paroître trop foible dans une telle lutte ; il est possible cependant qu'elle sorte victorieuse : si le miroir est assez bien disposé pour que le monstre soit forcé de s'y voir, c'est le monstre qui doit succomber.
La pièce nouvelle offre peu d'intrigue, trop peu peut-être, une action d'une extrême simplicité, mais comportant beaucoup d'intérêt,. très-sagement conduite, & naturellement dénouée. On nous y présente un Durville, riche agioteur , éblouissant Paris de l'éclat de son luxe, & le remplissant à la fois du bruit des bénéfices énormes qu'il doit au commerce, & des fêtes magnifiques qui attirent chez lui le concours le plus brillant ; cet homme est entraîné vers sa perte par un intrigant habile, Duhautcours, qui cherche à justifier par sa doctrine perverse, par le scandale des exemples qu'il cite, & même par le nom donné à la plus honteuse des actions, la banqueroute frauduleuse qu'il détermine Durville à déclarer. Le bilan déposé : une assemblées de créanciers se forme ; on y voit figurer parmi les véritables fournisseurs de l'opulente maison de Durville, plusieurs porteurs de créances simulées, richement payés pour feindre un consentement à un contrat d'union à l'appui duquel on n'apporte qu'un état de situation imaginaire. On propose à la masse des créanciers vingt pour cent.
A Durville, mal-honnête homme par foiblesse, à Duhautcours, fripon par habitude & par état, l'auteur a opposé un neveu de Durville, jeune homme d'un enthousiasme vertueux, & la probité franche contrastent très-bien avec le ton de la maison qu'il habite ; et un négociant de Marseille, dont le sang froid, la fermeté, l'adresse & l'expérience déjouent les manœuvres de Duhautcours, éclairent Durville sur le précipice dans lequel il alloit tomber, & le ramènent aux sentimens qu'il n'auroit jamais méconnus, sans les suggestions perfides de son odieux agent.
Tel est sommairement le plan de cet ouvrage : l'ensemble du tableau est frappant de vérité ; les personnages sont bien en situation ; les rôles bien soutenus : les détails doivent être vus, sentis & appréciés à la scène : il y en a de très-heureux, de très-plaisans & de très-forts ; ces derniers ne peuvent être dus qu'à une connoissance très grande du cœur humain, & à ce talent d'observations le plus souvent fines & légères, quelquefois profondes, morales & philosophiques, dont un auteur, pour être vraiment comique , doit avoir contracté l'utile habitude.
La pièce a été presque continuellement applaudie ; quelle que soit la force & la liberté des traits qui y sont répandus, ils sont lancés par une main sûre ; ils n'errent point au hasard, ne vont qu'à leur adresse, & ne blessent point en-passant ceux qui ne les ont point mérités : leur effet n'en est que plus certain.
En considérant particuliérement cet ouvrage sous le rapport de son but moral, nous avons laissé entrevoir qu'il appartenoit au genre sérieux, du moins dans sa dernière partie, dont le contraste avec la première est assez frappant pour mériter en quelque sorte l'application du premier précepte donné par Horace à ceux qui cultivent l'art poétique : une couleur un peu sombre, le style du drame succèdent sensiblement à la vivacité du trait comique, à la rapidité du dialogue des premiers actes. Le plan adopté par l'auteur, le caractère donné à Durville, rendoient cet effet nécessaire ; peut-être étoit il très-difficile de présenter ce personnage sous une autre physionomie : il paroît impossible de trouver un côté comique aux regrets, au remords qu'inspire une mauvaise action, & surtout à la volonté courageuse qui la répare : alors on doit regretter que l'ouvrage n'ait pas été écrit en vers ; nul doute qu'on ne lui eût assigné une place encore plus distinguée parmi ces ouvrages qui honorent le talent de leur auteur en inspirant de l'estime pour sa personne...
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome IV (1819), p. 367-372 :
[Article du 24 thermidor an 9 [12 août 1801]]
DUHAUTCOURS, OU LE CONTRAT D'UNION.
Duhautcours est véritablement une pièce à scandale. Jouer des fripons ! cela est presque aussi délicat aujourd'hui qu'il l'était du temps de Molière de jouer les hypocrites, et du temps de Le Sage, les financiers. Picard a du courage :: il a osé attaquer le vice dominant et favori du siècle, au risque de se faire siffler par les intéressés. Quand Molière berna les dévots, il avait pour lui les gens du monde. Quand Picard démasque les fripons, il ne doit compter que sur les honnêtes gens; pauvre parti qui jamais ne réussit à rien, que personne ne craint, et qui n'est utile à personne. Que de fortunes brillantes dont l'origine est honteuse ! que de femmes dont l'éclat et le luxe ont une source qui n'est pas bien pure ! S'il est vrai que le monde soit composé de sots et de fripons, d'après cette division, qu'en conscience je ne puis adopter, en déclarant la guerre aux fripons, un auteur ne serait soutenu que par les sots.
Cependant Picard a réussi. Je ne voudrais pas assurer que la pièce ira loin. Il y a jusqu'ici, dans cette affluence, plus d'empressement de curiosité que de véritable satisfaction ; j'en dirai les raisons tout à l'heure ; mais c'est un sujet choisi par l'œil du génie. Un poëte comique qui connaît son art, doit démêler dans les ridicules et les vices généraux, ceux qui caractérisent son siècle. La révolution a prodigieusement exalté la cupidité ; des lois injustes ont accoutumé les hommes à des gains illégitimes ; le spectacle des fortunes subites a fait taire la conscience ; les nouveaux principes ont fortifié et armé l'égoïsme ; le bouleversement de la société a facilité et en quelque sorte autorisé le brigandage ; les bases du commerce sont la bonne foi et l'économie ; le règne de l'agiotage a détruit la bonne foi ; la prodigalité la plus insensée a rendu l'économie ignoble et ridicule, et il semble que notre système actuel se réduise à imprimer à l'argent un mouvement précipité, qui est au commerce ce que la fièvre est à la circulation du sang. La politique spécule sur les vices à la mode ; le corps social s'alimente des passions, des folies et des malheurs particuliers : cet état violent ne subsiste que par le désordre : et dans un pays où le commerce semble fixer toutes les vues et toutes les idées, il n'y a point véritablement de commerce, parce que le commerce dont l'effet naturel est de corrompre les mœurs et d'introduire le luxe, ne peut subsister lui-même que par la probité et la frugalité; fait pour nourrir les vices, quand il en est atteint lui-même, il périt.
Ces réflexions sont peut-être un début bien sévère pour un extrait de comédie; mais la pièce elle-même a un fond très-grave. Picard a mis le doigt dans notre plaie, et le caractère national n'offre rien de plus honteux et de plus funeste que cette profonde immoralité qui nous rend esclaves de l'or quand nous cessons de l'être d'un homme, et nous asservit aux passions quand nous triomphons des préjugés ; il n'était pas aisé de faire supporter au théâtre la peinture d'un vice naturellement si bas, si odieux, si commun. Les fripons rient difficilement, et surtout d'eux-mêmes ; il leur faut sur la scène des vertus chimériques pour distraire leur conscience. Cependant les vices, même les plus révoltans, ont leur côté ridicule. C'est ainsi que Molière a su tempérer admirablement les traits horribles de l'ingratitude et de la perfidie du Tartufe, par le comique qui résulte de son langage mielleux et de ses momeries dévotes. C'est aussi ce qu'a fait Picard, si non avec autant d'art et de succès, du moins avec la même intention que Molière.
Duhautcours est un coquin subalterne, qui ne pouvant plus faire de banqueroute pour son compte, dirige les banqueroutes des autres ; l'hypocrisie de ce misérable, qui souvent emprunte le masque de l'honneur et de la sensibilité, son adresse merveilleuse, sa présence d'esprit, sa fermeté, son impassible tranquillité dans les crises les plus orageuses, font rire et frémir tout à la fois ; ce vil intrigant a surpris la confiance d'un négociant nommé Durville, homme faible, livré aux plaisirs et au luxe, et qui se laisse séduire par l'appât de faire, tout à coup, aux dépens de ses créanciers, une fortune considérable. Toutes les voies sont aplanies par Duhautcours ; tout est en règle ; le mari est séparé de biens d'avec sa femme ; huit cent mille francs sont dans son portefeuille ; le lendemain à midi les créanciers s'assemblent ; on doit faire signer un acte qui réduit leur créance à vingt pour cent; et le soir même, Durville donne une fête magnifique, illuminations, bal, feu d'artifice ; sa femme, vive, folle, étourdie, n'est occupée que de parures et de plaisirs ; elle abandonne à son mari les affaires, et fait son travail avec M. Crépon, marchand de modes, doucereux et maniéré, pendant que M. Maraschini, glacier, dresse ses plateaux, et que M. Fiameschi, artificier, fait allumer ses lampions. Ces originaux égaient la scène ; Durville, aux approches du moment fatal, éprouve des remords ; il voudrait même reculer la fête ; mais sa femme en mourrait de chagrin ; et puis une fête superbe la veille d'une banqueroute, c'est un trait divin, qui fortifie le crédit et anéantit jusqu'au germe de soupçons. Le comique qui résulte de l'insouciance et de la frivolité de la femme, est meilleur et moins usé que les ridicules de l'artificier et du glacier, qui baragouinent de l'italien. Molière jette toujours le comique sur les principaux personnages. Au moment de manquer lui-même, Durville poursuit avec rigueur M. Delorme, petit marchand honnête homme, pour une somme modique de deux mille écus ; ce qui est un trait de caractère excellent. Un joueur de ses amis, séduit par son faste et sa dépense, lui apporte vingt mille francs ; les difficultés qu'il fait pour les prendre, ne font qu'enflammer le désir qu'a le joueur de placer si solidement ses fonds ; c'est encore là un incident d'un vrai comique. Rien n'est aussi plus théâtral que le contraste de la tristesse de Durville avec la joie des folles et des étourdis qu'il rassemble chez lui : cette joie même n'est pas de longue durée : au milieu de la fête, le bruit de la faillite circule sourdement ; la femme alarmée quitte la danse et prend le deuil, c'est-à-dire, se déshabille ; les femmes invitées ricanent sous cape en affectant la plus grande sensibilité ; le modiste, le glacier, l'artificier jettent les hauts cris ; le joueur se désespère et pleure ses vingt mille francs; Durville est dans des transes mortelles, et ce qui redouble sa consternation, le plus terrible de ses créanciers, Franval, négociant de Marseille, est arrivé à Paris.
Ce personnage très-important est amené d'une manière peu vraisemblable. Comment concevoir qu'un riche négociant quitte son pays et son commerce, fasse deux cents lieues pour venir à Paris au secours de M. Delorme, son compère, qui doit deux mille écus, comme s'il ne pouvait pas aisément le secourir sans se déplacer ? Mais Picard avait absolument besoin de M. Franval ; et de son autorité il lui a fait prendre la poste pour qu'il puisse se trouver à l'assemblée des créanciers. C'est là que Duhautcours déploie tous ses talens ; il a de faux créanciers munis de faux titres, pour engager, par leur exemple, les autres à signer ; mais Franval renverse toutes ses machines, démasque tous ses artifices, menace de le poursuivre au criminel, lui et sa clique. En vain, dans un entretien secret, Duhautcours cherche à le séduire en lui faisant espérer le remboursement de toute sa créance ; Franval n'est touché que de l'honneur du commerce ; il veut, par un exemple éclatant, arrêter le cours des banqueroutes frauduleuses ; il acquiert les titres de tous les créanciers de Durville ; il achète même à très-bon marché, sur la place, les billets de Duhautcours, avec une sentence de prise de corps contre lui ; muni de ces armes, il n'a pas de peine à rappeler Durville aux sentimens de l'honneur ; sa femme renonce à la séparation de biens, et remet entre les mains de Franval, le précieux portefeuille garni de huit cent mille francs. Duhautcours, qui ne connaît pas les remords, se rend plus difficile ; il veut se prévaloir d'un faux titre de soixante mille francs que Durville lui avait signé pour assurer le succès de la friponnerie ; mais Franval le rembourse avec ses mauvais billets protestés sur la place, et lui montrant la sentence de prise de corps, il le rend plus doux qu'un mouton.
Les deux derniers actes offrent des longueurs, de l'embarras ; la scène de l'assemblée des créanciers traîne et languit. L'auteur laisse échapper de temps en temps quelques traits d'un comique trivial, quelques plaisauteries de mauvais ton. Il y a deux rôles inutiles, celui du neveu de Durville, et celui de la fille de M. Delorme ; il est vrai qu'ils s'aiment et se marient au dénouement ; mais la pièce pourrait très-bien se passer de leur amour et de leur mariage. La conversion de Durville et de sa femme est morale sans doute, mais un peu fade et larmoyante. Le joyeux Picard n'a pas bonne grâce à prêcher. Franval a quelque ressemblance avec l'Alceste du Philinte de Fabre d'Eglantine ; quand on oublie l'irrégularité de son arrivée, on est très-aise de le voir, et son caractère est très-piquant, plus comique et même moins outré que celui d'Alceste dans le Philinte.
Il y a dans le recueil de Gherardi, une ancienne pièce intitulée le Banqueroutier, où le système des banqueroutes frauduleuses est développé d'une manière très-plaisante. Un certain Persillet, homme très-riche, écrasé par les énormes dépenses de sa femme, a recours à un habile notaire qui, moyennant un profit honnête, lui fait prêter des sommes immenses. A peine Persillet les a-t-il touchées qu'il disparaît et annonce sa banqueroute ; les créanciers accourent ; on les reçoit d'abord très-rudement, et lorsqu'après leur avoir fait craindre de tout perdre, on leur propose un acommodement, ils se résignent. Je rappelle cette vieille farce, non pour reprocher à Picard d'en avoir emprunté quelques traits, mais pour observer que dès ce temps-là même, dans la vieillesse de Louis XIV, ces ruses de la friponnerie étaient connues. Les guerres ruineuses du monarque avaient encouragé l'usure et la fraude. Les hommes se ressemblent dans tous les siècles, parce qu'ils ont les mêmes passions, quoique le ton, l'esprit et le mode de corruption établis dans chaque siècle, offrent des différences très-marquées. Les vices du siècle de Louis XIV sont les mœurs d'aujourd'hui. (24 thermidor an 9.)
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