La Démence de Charles VI, tragédie en cinq actes et en vers, de Népomucène-Louis Lemercier.
Pièce non représentée.
D'après la Biographie universelle ancienne et moderne, de Louis Gabriel Michaud, Volume 24, p. 79, la pièce, composée en 1806, imprimée en 1814, ne put jamais être représentée :
La Démence de Charles VI, tragédie en cinq actes, en vers, composée en 1806, imprimée en 1814, devait être jouée sur le second Théâtre-Français le 26 septembre 1820 ; mais une décision du conseil des ministres interdit l'ouvrage la veille de la représentation. Lemercier se hâta de faire réimprimer sa tragédie, à laquelle il joignit une Ode sur la Melpomène des Français, avec cette épigraphe :
Ah ! quittez d'un censeur la triste diligence!
Les lecteurs purent reconnaître dans cet ouvrage les éléments d'un grand succès, mais aussi d'une grande chute. En 1826, la censure ayant permis la représentation d'une pièce absolument analogue pour le sujet et pour le titre, mais dont l'auteur était de Laville de Mirmont [...], Lemercier, blessé de cette préférence, donna aussitôt une troisième édition de la Démence de Charles VI, suivie d'un Dialogue entre Charles VI premier et Charles VI second. Dans ce nouvel écrit, il imputait à de Laville des torts de plagiat qui n'ont pas été prouvés ; mais il s'élevait avec raison contre des censeurs qui avaient deux poids et deux mesures.
La Revue encyclopédique, tome XXIX (janvier 1826), rend compte d'une autre pièce sur le même sujet, écrite par de La Ville de Mirmont, et jouée le 6 mars au Théâtre Français. Le critique est très hostile à la nouvelle Démence de Charles VI, et il la compare avec celle de Lemercier, « qui nous semble bien supérieure »(p. 901-902) :
Sous ce rapport, la démence de Charles VI, de M. Lemercier, nous semble bien supérieure ; dans cet ouvrage, composé long-tems avant celui de M. De La Ville, et dont la censure n'a pas permis la représentation, les misères de la France sont exposées aux yeux du spectateur, non dans des discours plus ou moins fidèles, mais en action. Le duc de Bourgogne et Tanneguy-Duchatel sont de véritables représentans des factions de l'époque ; et ce qu'ils font, autant que ce qu'ils disent, nous retrace, avec une effrayante vérité, ces profondes inimitiés qui comptaient pour rien la vie des hommes, ces trahisons que l'on préparait en se serrant la main, et cette dégradation morale dont peu d'époques ont fourni autant d'exemples. Son Isabelle, armant secrètement l'un contre l'autre le Dauphin et le Bourguignon, pour les perdre tous deux et régner seule sur leurs débris, est peinte aussi avec des traits bien plus saillans que celle de M. De La Ville ; et la situation du roi, qui n'est entouré que de perfides et d'assassins, est bien plus vraie et bien plus tragique que celle du nouveau Charles VI auquel tant d'honnêtes gens s'intéressent. A la vérité, M. Lemercier, dans le dessein sans doute de présenter une idée consolante parmi tant de sujets de désespoir, et pour produire un heureux contraste, a mis auprès du monarque insensé la jeune Odelle, inspirée à la fois de Valentine de Milan, seule personne que le roi vît avec plaisir près de lui, et d'Odette de Champdivers dont il eut une fille naturelle ; mais, en tempérant un peu l'horreur de la situation du roi, cette poëtique imagination contribue mieux encore à la vérité de la peinture de cette cour. Nous ajouterons que, dès les premières scènes, M. Lemercier jette ses spectateurs au milieu du sujet ; il fait paraître le roi plus tôt ; enfin, son action, qui n'est pas à l'abri de tout reproche, sous le rapport historique, ne languit pas dès les premiers actes. Le style de M. De La Ville a plus de correction que de mouvement et de poésie ; celui de M. Lemercier, dans sa sauvage énergie, nous semble mieux convenir au sujet, malgré les justes critiques auxquelles il pourrait donner lieu. Nous ignorons quel eût été au théâtre le succès de la Démence de Charles VI (1) ; mais il nous semble qu'à la simple lecture, cette tragédie montre un poëte qui a profondément étudié son art, et qui s'efforce d'en reculer les bornes ; nous doutons que le nouveau Charles VI mérite les mêmes éloges à son auteur.
(1) La Démence de Charles VI, tragédie en cinq actes, par M. Népomucène-L. Lemercier, de l'Institut, devait être représentée sur le second Théâtre-Français, le 25 septembre 1820. Seconde édition, augmentée d'une Ode à la Melpomène des Français. Barba, au Palais-Royal. Prix, 4 fr.
Gabriel Vauthier, Essai sur la vie et les œuvres de Népomucène Lemercier (Toulouse, 1886), p. 80-82 :
[Quelques éléments de l'intrigue de la pièce, par un universitaire de la fin du 19e siècle, auteurs d'essais historiques.]
Dans la Démence de Charles VI, l'action est également sacrifiée ; toutefois, comme dans Clovis, du fond le plus terne se détache un personnage intéressant.
Isabeau de Bavière, désirant assurer le trône au roi d'Angleterre, met aux prises le Dauphin et Jean sans Peur. Elle espère que l'un des deux tuera l'autre ; en effet, à l'entrevue de Montereau, Tanneguy-Duchâtel frappe le duc de Bourgogne d'un coup de hache. Entre des conversations froides et sans fin, paraît de temps en temps le vieux roi, et c'est dans ces scènes que le poète se ranime.
Charles VI recouvre sa raison par intervalles, mais c'est pour gémir :
Dieu créateur ! qui seul nous fais ce que nous sommes,
Dégrades-tu si bas la majesté des hommes,
Pour nous mieux avertir de ne point t'oublier,
Et sous tes châtiments nous mieux humilier?
Il se console un instant à la voix de la jeune fille qui l'accompagne :
O femmes ! de vos soins adorables effets !
La vie humaine entière est due à vos bienfaits !
A l'heure du déclin comme dès la naissance,
Votre sexe est l'appui de notre double enfance,
Et de nos jours sereins prolongeant le flambeau,
Berce encor nos douleurs aux portes du tombeau.
Vos secours, votre sein et vos bras nous attendent ;
Les consolations de vos lèvres descendent ;
Quand nous a fui l'amour, et même l'amitié,
Dieu pour nous dans vos cœurs met encor la pitié.
Il retombe bientôt dans son égarement. Isabelle en profite pour lui faire signer le pacte qui livre la France à l'Angleterre et bannit le Dauphin. Charles, dans un éclair de lucidité, voit les pièges où il est tombé, il pleure ses amis immolés et maudit la reine qui a commis ces crimes :
Toi qui souillas mon lit, qui dégradas mon trône,
Toi qui vendrais l'Etat et jusqu'à ma couronne,
Toi, fille de discorde, et qui, par tes forfaits,
Dans l'usage du crime as su trouver la paix !
Va t'asseoir aux enfers, nouvelle Frédégonde !
Ce rôle est touchant ; il demeure néanmoins comme une exception, car son relief disparaît dans une tragédie sans âme (1).
(1) Au dénouement, Charles recouvre encore la raison; il parle en roi; voyant son fils, qu'Isabeau lui a représenté comme coupable, près d'aller combattre les ennemis, il le bénit, et bientôt il est ressaisi par la folie. Je ne citerai pas ici le Roi Lear, je signalerai seulement des emprunts visibles faits à la tragédie de Lemercier dans un drame oublié d'Al. Dumas, La Tour Saint-Jacques, 1856.
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