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La Double feinte, ou le Prêté rendu

La Double feinte, ou le Prêté rendu, comédie en trois actes & en vers libres, de M. Lorville (ou peut-être le Cousin Jacques ou M. Desforges), 24 février 1789.

Théâtre Italien.

Titre :

Double feinte (la), ou le Prêté rendu

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

vers libres

Musique :

non

Date de création :

24 février 1789

Théâtre :

Théâtre Italien

Auteur(s) des paroles :

M. Lorville (ou peut-être le Cousin Jacques, ou M. Desforges)

Mercure de France, n° 11 du 14 mars 1789, p. 91-93 :

[Après avoir fait à la pièce les reproches attendus (sur l’absence d’originalité, sur les négligences dus tyle, sur le caractère invraisemblable de la seconde feinte dans le troisième acte (possible, peut-être vraie, mais invraisemblable, parce que cruelle). Et de là le critique se lance hardiment dans des propos très pessimistes : la perte du goût que ce dénouement démontre ne signe rien moins que la chute à venir de tout le théâtre.]

COMÉD1E ITAL1ENNE.

Nous allons dire quelque chose de la Double feinte ou le Prêté rendu, Comédie en trois Actes & en vers libres, jouée sur ce Théatre le Mardi 24 Février. L'Ouvrage est tombé. A ce titre, nous pourrions nous dispenser d'en parler, mais il nous a fait faire quelques réflexions, & nous voulons les rendre publiques : voici la Fable de la Pièce.

Une Femme qui se désole de ce qu'elle n'inspire point de jalousie à son époux, fait travestir en homme une jeune personne que son neveu doit bientôt épouser. Elle suppose en même temps un billet amoureux, qu'elle fait tomber entre les mains de son mari , & qui assigne un rendez-vous Le mari s'inquiète, sa cache, est trompé par les apparences, éclate, projette de se venger, quand son Valet découvre le mystère & le lui fait connoître. Il change alors de batteries, met dans sa confidence ceux qui ont aidé à le tromper; suppose à son tour une lettre où l'on feint que le désespoir l'a conduit à s'empoisonner, livre ainsi aux angoisses les plus douloureuses, sa femme, qu'il désabuse enfin quand il la croit suffisamment punie, & sur-tout dégoûtée à jamais de le rendre jaloux.

Les deux premiers Actes de cette Comédie sont froids & longs. Ils portent sur
des données dramatiques déjà très-usées. L'Auteur a eu l'intention de faire contraster les caractères de l'épouse qui veut de la jalousie, & de la femme travestie qui veut de la confiance. Pour offrir cc contraste, il a répété ce qu'avant lui on avoit déjà dit cent fois, & ce n'étoit pas trop la peine de le répéter d'une manière souvent très-négligée, pour ne rien dire de plus. On a dit très énergiquement : « Quand on vole dans la carrière des Arts, il faut assassiner ». Ce mot est d'un grand sens, & tous les Ecrivains qui choisissent des sujets traités déjà, en tout ou en partie, devroient s'en souvenir. A la manière dont les nôtres se conduisent, on seroit tenté de croire qu'ils n'en ont pas connoissance. Il y a des idées que l'on peut rajeunir par le charme du style, & par le soin des détails ; mais si ces détails sont rares, si le style a plus de diffusion que de facilité, le Spectateur reste insensible & froid, parce qu’il est ennuyé. Il n'est donc pas étonnant que l'Auteur de la Double feinte, malgré quelques morceaux estimables, n'ait produit aucun effet pendant les deux premiers Actes, tout en disant des choses vraies & souvent morales.

Quant au motif qui fait marcher tout le troisième Acte, il est dans l'ordre des évènemens possibles, mais c'est sur-tout au Théatre que tout ce qui est vrai ne paroît pas vraisemblable. C'est une ruse cruelle que celle de l'époux qui feint de s'être empoisonné pour éclairer sa femme sur l'erreur qui la domine. La leçon est si forte, si éloignée des bienséances, qu'elle ne fait ni pleurer ni rire. Le Spectateur est trop au fait, pour être ému ; il voit celle qu'on éprouve, dans une situation trop douloureuse, pour ne pas trouver la plaisanterie détestable. On déclame bien haut contre le goût depuis quelques années, les uns le veulent absolument proscrire , d'autres ne veulent pas qu'on puisse le perfectionner : c'est pourtant le goût naturel, éclairé par l'expérience, qui seul peut indiquer ce qui est beau, ce qui est bon, & fixer la ligne hors de laquelle l'un & l'autre perdent leur existence. L'Art dramatique est peut-être celui de tous les Arts d'imitation qui exige le plus la connoissance exacte de toutes les nuances qui tiennent au goût, & c'est celui où on les néglige le plus aujourd’hui. Si cela dure encore long-temps , il ne faudra plus rien dire de sa décadence, il faudra parler de sa chute.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1789, tome 4 (avril 1789), p. 314-315 :

[Pièce sans originalité, vide de l’action, dénouement surprenant, mauvais goût, voire indécence de détails : tout cela conduit à la chute, retardée par l’indulgence des spectateurs.]

THÉATRE ITALIEN.

Le 24 février, on a essayé à ce théatre la premiere représentation de la Double feinte, ou le prêté rendu, comédie en trois actes & en vers libres.

Un jour consacré à la gaîté paroît, en général, assez mal choisi pour risquer une piece nouvelle. Cependant, celle-ci doit à cette même gaîté, l'indulgence qu'on a eue de la laisser presque atteindre le dénouement. Nous n'entreprendrons point d'analyser cet ouvrage, où il n'y a aucune situation qui ne soit connue.

Toute l'intrigue roule, d'une part, sur la manie d’une femme qui, piquée de ce que son mari n'est point jaloux, imagine, afin qu'il le devienne, de s'enfermer tête-à-tête avec une de ses amies déguisée en homme ; & de l'autre sur la vengeance que cet époux confiant tire de cette feinte (dont il a été un instant la dupe), en feignant de s'empoisonner.

On étoit loin de s'attendre à cet expédient, qui, joint au vuide de l'action, & aux traits de mauvais goût & souvent même peu décens, qu'offrent la plupart des scenes, a fini par lasser la patience des spectateurs.

Correspondance littéraire de Grimm et de Diderot, nouvelle édition (Paris, 1831), tome quatorzième, p. 274-276 :

[En peu de mots tout est dit : une représentation, pas plus. Et les raisons de l’échec tombent : ridicule du dénouement (la « seconde feinte ») ; négligence de l’écriture ; mauvais goût allant jusqu’à « un ton peu convenable à la décence de nos mœurs théâtrales ».

L'Astyanax dont il s'agit est celui de Richerolle d'Avallon.]

La double Feinte, ou le Prêté rendu, comédie en trois actes et en vers libres de M. Desforges, n'a pas été plus heureuse au Théâtre Italien que ne l'a été Astyanax au Théâtre Français : on l'a représentée pour la première et dernière fois le 24 février.

Madame de Morsan aime tendrement son époux, et en est aimée de même ; mais quelque chose manque à son bonheur, c'est de voir son mari jouir moins paisiblement du sien. Désolée de ce qu'il n'est point jaloux, pour obtenir enfin de lui cette dernière preuve d'un véritable amour, madame de Morsan engage une jeune personne élevée avec elle au couvent, et que son mari ne connaît point, quoiqu'on la destine à son neveu, à venir la voir habillée en homme sous le nom du chevalier d'Arnouville ; elle imagine ensuite de faire tomber entre les mains de son mari une lettre fort tendre, dans laquelle elle donne au prétendu chevalier un rendez-vous bien prononcé. Le moyen de ne pas devenir jaloux ! Le comte de Morsan, au lieu d'aller à la campagne comme il en avait formé le projet, reste chez lui et se cache dans un cabinet où il est témoin des caresses que M. le chevalier fait à sa femme ; elles deviennent même assez vives pour l'obliger à sortir brusquement du cabinet. La comtesse et son amant disparaissent. Un vieux valet, Fabrice, ne tarde pas à venir apprendre à son maître que l'objet de sa jalousie est une femme. Pour prendre sa revanche, le comte imagine alors de feindre la jalousie la plus violente ; il fait appeler sa femme et lui annonce que, dans son désespoir, il s'est empoisonné. Cette seconde feinte, moins usée que la première, mais beaucoup plus ridicule, a fort déplu, et le public l'a témoigné sans feinte à l'auteur. La négligence avec laquelle cette pièce est écrite et versifiée a paru d'autant plus insupportable qu'elle fourmille encore d'expressions du plus mauvais goût, et souvent même d'un ton peu convenable à la décence de nos mœurs théâtrales.

D’après la base César, la pièce serait de L. T. Lorville. Mais une note suggère qu’elle pourrait être de Beffroy de Reigny (le Cousin Jacques) ou de Desforges (c'est à Desforges que Grimm attribue la pièce). Une seule représentation, le 24 février 1789.

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