Les Descendans du Menteur, comédie en trois actes et en vers, par M. Armand-Charlemagne ; 16 prairial an 13 (5 juin 1805).
Théâtre de l'Impératrice.
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Titre :
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Descendans du Menteur (les)
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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3
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Vers ou prose ,
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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16 prairial an XIII (5 juin 1805)
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Théâtre :
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Théâtre de l’Impératrice
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Auteur(s) des paroles :
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Armand Charlemagne
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Almanach des Muses 1806.
Deux menteurs, ou plutôt deux intrigans, cherchent à se duper l'un l'autre. Après bien des mensonges et des ruses inutiles, ils se reconnaissent pour frères, et descendans du fameux Dorante de Corneille. Cette découverte les met dans l'impossibilité de se tromper plus long-temps, et les force à se découvrir mutuellement la vérité.
Des vers heureux. De la gaieté.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mme. Masson, an xiii-1805 :
Les Descendans du menteur, comédie en trois actes et en vers. Par Armand Charlemagne. Représentée pour la première fois sur le théâtre de l'Impératrice, le 16 prairial an XIII. (5 juin 1805).
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome X, messidor an XIII [juin 1805], p. 288-291 :
[Le compte rendu commence par juger sévèrement la pièce, qui ne mérite pas son succès. Pour justifier ce jugement, le critique se propose de donner « une idée du sujet ». Et il nous raconte une intrigue qui ne brille pas par la vraisemblance (encore des frères et sœur qui ne se reconnaissent pas, se font des méchancetés avant de se réconcilier – mais frère et sœur ne peuvent quand même pas se marier !). Conclusion « ce n'est point là une bonne pièce de théâtre » : invraisemblances, comique forcé, et surtout caractère « ignoble et révoltant » de la ruse de la sœur qui séduit son frère pour lui extorquer de l’argent : cela n’est en effet pas convenable. En plus, la pièce n’est pas originale, et le critique cite une série de pièces dont elle est débitrice. Fonds qui « ne vaut rien », mais détails qui la sauvent. Style « facile, rapide et piquant », versification de qualité. L’auteur a été nommé.]
THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.
Les Descendans du Menteur, comédie en 3 actes et en vers.
Il est écrit que les menteurs doivent toujours réussir. La meilleure preuve à en donner, c'est que la pièce dont nous avons à rendre compte, n'est pas tombée. On pourrait s'inscrire en faux contre notre jugement, si nous disions qu'elle ne vaut rien du tout ; mais l'assertion serait bien plus hasardée, disons mieux, le mensonge serait bien plus fort, si nous passions de son succès comme d'une chose de droit absolu. Or, dussions-nous déplaire à quelques personnes chatouilleuses,
Nous dirons notre avis avec la liberté
D'un censeur qui sait mal farder la vérité.
RACINE.
Donnons d'abord une idée du sujet.
Les frères Ducoudray, natifs de Poitiers, comme Dorante, leur grand-père, (c'est le nom du Menteur de Corneille). se sont séparés dès leur tendre enfance, et ont cherché fortune chacun de leur côté. L'un, c'est l'aîné, s'est établi dans la capitale, où il est accablé de dettes, et l'autre arrive avec 50 louis dans sa poche, dans l'espoir d'y faire valoir ses fonds. Celui-ci, cherchant un logement, se présente précisément chez son frère, qui veut vendre maison et mobilier, et qui attend après le premier fou, pour appaiser un créancier brutal. Nos deux Ducoudray, en présence l'un de l'autre, comme de raison, ne se reconnaissant pas, débitent à qui mieux-mieux des menteries ; celui-ci pour inspirer de la confiance au propriétaire, et n'être point forcé de payer d'avance le loyer de l'appartement ; celui-là pour tirer de son locataire une avance de 50 louis, qui est d'urgente nécessité ; l'un se dit enfant légitime de Cagliostro, l'autre fils naturel de Voltaire, etc.
Ducoudray le jeune, fait d'abord tout ce qu'il peut pour ne pas se dessaisir des 50 louis que son frère exige ; mais voyant dans la maison une jeune personne qu'il suppose à marier, et ne doutant pas qu'elle ne soit très-riche, il convoite la main de cette belle, et abandonne le rouleau ; notez que cette personne est sa sœur, et que pour l'obtenir en mariage, il faudrait attendre qu'elle fût veuve, deux petites difficultés qu'il ne soupçonne pas. La dame se prête de bonne grace au quiproquo, contrefait bien l'Agnès pour donner dans l'œil au fripon, et voilà le trompeur trompé.
Par bonheur il a un valet qui est allé aux informations, et qui lui découvre toute l'imposture. Fort de ces renseignemens détaillés, Ducoudray le jeune persiffle alternativement son frère et sa sœur, leur gagne un pari de 100 louis, et se fait enfin reconnaître après avoir completté sa vengeance. Frères et sœur se réconcilient, et la famille retourne à Poitiers.
Ce n'est point là une bonne pièce de théâtre. Outre que tout y roule sur des invraisemblances, le comique de dialogue et de situation en est presque toujours forcé, la ruse qu'emploie la jeune dame pour séduire son frère, et lui extorquer un rouleau de louis, a quelque chose d'ignoble et de révoltant ; ce frère, annoncé comme un hableur de profession, se laisse d'abord duper comme un Cassandre et ne se venge pas ensuite d'une manière assez éclatante ; car gagner douze cents francs à un homme qui ne peut payer, ce n'est pas assurément compenser une perte réelle de cinquante louis qu'on avait en poche. Ce pari et le testament qui en est le sujet, sont d'ailleurs des moyens obscurs, et péniblement développés.
Disons de plus, que Piron eût ôté son chapeau à chaque scène de cette prétendue nouveauté. Le Menteur et sa suite, M. de Crac, les Dettes, les Voyageurs, et vingt autres pièces non moins connues, y sont alternativement mises à contribution. C'est une véritable Macédoine.
Mais si le fond n'en vaut décidément rien, elle se sauve par les détails. Le style en est généralement facile, rapide et piquant, et l'on y remarque beaucoup de pensées originales, renfermées dans de très bons vers.
L'auteur a été demandé, et Picard aîné, qui avait fort agréablement joué l'un des principaux rôles de la pièce, est venu nommer M. Armand-Charlemagne.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome V (deuxième édition, 1825), p. 6-9 :
LES DESCENDANS DU MENTEUR.
Le théâtre aurait plus besoin d'avoir des descendans de Corneille que des Descendans du Menteur. Il me semble qu'Alexis et Ferdinand Ducoudrai, qui se disent issus en droite ligne du fameux Dorante de Poitiers, ne sont pas plus sincères sur leur généalogie que sur l'état de leurs finances ; car il résulte de leurs titres qu'ils sont originaires de Gascogne et non pas du Poitou : ce sont les vrais enfans, les dignes héritiers de M. de Crac, l'honneur de la Garonne, dont les gasconnades sont avantageusement connues sur la scène française.
Dans la Suite du Menteur de Corneille, Dorante paraît presqu'à moitié corrigé ; il ne se permet, dans l'espace de cinq actes, que quatre petits mensonges, qui même lui font honneur : il ment par générosité, par discrétion, par délicatesse. Comment se fait-il qu'il ait transmis à ses descendans un penchant à la fourberie qui ne peut guère s'allier avec un caractère honnête ? Ceux que M. Charlemagne vient de mettre sur la scène ne pourraient être regardés tout au plus que comme des bâtards de la famille de Dorante, comme d'indignes rejetons d'une tige si belle ; ils ont même l'âme assez peu élevée pour renier leur illustre aïeul : l'un se dit fils de Cagliostro, un des plus fameux imposteurs du dernier siècle ; l'autre se prétend bâtard de Voltaire, qui fut aussi dans son temps un insigne menteur, mais qui mentit du moins avec plus de succès et plus de gloire. Tous les poëtes d'ailleurs ont le privilége de mentir ; on est même convenu d'estimer leurs mensonges, lorsqu'ils ressemblent à la vérité et ne blessent point les mœurs.
Le Dorante de Corneille est un jeune homme bien né et d'une noble origine ; il est galant, honnête, généreux : son seul défaut est de s'égayer aux dépens des gens trop crédules, en leur contant des fables ; mais ses contes n'ont jamais un objet bas et vil ; il ne ment jamais par des vues d'un intérêt sordide. L'intrigue et l'escroquerie ne déshonorent point les jeux de son imagination ; c'est un étourdi, une tête folle ; mais ce n'est ni un aventurier ni un chevalier d'industrie ; c'est ce qui le rend aimable, gai et du meilleur comique.
Il y a bien loin de ce charmant jeune homme aux deux aigrefins qu'on dit être ses descendans. Alexis Ducoudrai se donne à Paris pour un financier, pour un riche banquier, quoiqu'il n'ait pas le sou et qu'il soit couvert de dettes. Ferdinand Ducoudrai est un juif errant ; il parcourt l'univers en trompant tout le monde. La première dupe qu'il essaie de faire en arrivant à Paris, est son propre frère Alexis, qu'il ne connaît pas parce qu'il ne l'a pas vu depuis son enfance : il achète deux mille écus le mobilier de ce frère, quoique tout son avoir consiste en cinquante louis. Le vendeur voudrait bien avoir ces cinquante louis, car il est sur le point d'aller en prison faute de pouvoir payer une pareille somme ; mais l'acquéreur n'est pas disposé à s'en dessaisir. Pour l'attendrir, Alexis lui présente sa sœur et la lui promet en mariage, quoiqu'elle soit mariée : ce sont bien là des fourberies plutôt que des menteries.
Ferdinand donne dans le panneau et se laisse duper par cette prétendue fille qui fait l'Agnès; ce qui est indigne d'un illustre tel que lui, qui a dupé tout le genre humain. Au moment où il se croit sûr d'épouser la belle avec cent mille écus, Ferdinand, comme un sot, lâche les cinquante louis ; et Alexis, poussant jusqu'au bout la mystification, fait accroire à son frère que les cinquante louis qu'il paie à son créancier sont une aumône qu'il fait à un vieillard indigent. Tout finit par la reconnaissance des deux frères, qui s'embrassent en s'admirant mutuellement, et en se félicitant sur l'heureux talent qu'ils ont pour mentir.
On doit reconnaître dans ces deux personnages M. de Crac et son fils, et dans la sœur une copie de la fausse Agnès. Cependant M. Charlemagne a paru fort mécontent qu'on ait traité de fourbes et d'escrocs ses descendans du menteur. Il a plaidé leur cause avec esprit et gaîté ; mais il s'en faut bien qu'il ait prouvé victorieusement la droiture et la probité de ses cliens : il serait difficile de rétablir leur réputation sur cet article. Ce qui constitue l'intrigant, c'est de mentir pour cacher l'état de ses affaires, et pour tromper dans des discussions d'intérêt ceux avec qui l'on traite; et certes les deux descendans du menteur ne sont pas des gens de très-bonne foi dans le commerce ; leurs mensonges ne sont pas tout-à-fait innocens : ils ne sont pas si nobles que le héros dont on les fait descendre ; c'est une race dégénérée et tombée dans la roture. (25 prairial an 13.)
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