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Les Deux forteresses

Les Deux forteresses, mélodrame en trois actes, en prose et à grand spectacle, de P.-J. Charrin fils et A. Bernos, 27 novembre 1806.

Théâtre de Ambigu-Comique

Courrier des spectacles, n° 3581 du 29 novembre 1806, p. 3-4 :

[Il s'agit de rendre compte d'une chute, une de plus pour un mélodrame (mais le mot n'est pas prononcé, c'est de forteresse, le lieu ordinaire où se déroulent une bonne part des mélodrames, qu'il est question). Ironiquement, c'est à la chute des murs de Jéricho que le destin de la pièce est comparé. C'est que la mode de « ces scènes de donjon » est passée, et le critique prend plaisir à caricaturer tous ces mélodrames construits avec les mêmes ingrédients dont la liste prépare le résumé de l'intrigue qui suit : on va retrouver tout ce qui a été énuméré. Ce résumé prend plaisir à montrer que l'intrigue, faite d'éléments convenus, est compliquée, mais s'achève facilement à la satisfaction de tous les personnages. Mais pas à celle du public, passé de la bienveillance à une grande gaîté, qui annonçait les sifflets. Il aurait pourtant suffi de moins maltraiter la morale et les beaux sentiments, et la pièce aurait pu réussir. L'article s'achève sur des propos consolateurs pour le directeur (« il lui reste encore beaucoup de places fortes et d'une sûreté éprouvée »). Il a bien fait son travail pour les costumes, les ballets les décors, et « les acteurs on aussi très-bien joué ». Mais les auteurs n'ont pas été nommés, et rien n'est dit de la musique.]

Théâtre de l’Ambigu-Comique.

Les Deux Forteresses.

La chute des forteresses est devenue de puis quelque tems une chose si commune, qu’il n’est point étonnant que les deux forts de l’Ambigu-Comiqur se soient écroules avant-hier au bruit des sifflets ; c’étoit le miracle de Jéricho renouvellé ; mais l’architecte avoit aussi mal pris ses dimensions. Les bases de son édifice ne valoient rien, et le premier choc l’a renversé.

On commence à se lasser, même aux Boulevards , de toutes ces scènes de donjon, qui se passent toujours dans quelque baronnie bien ignorée de l’Allemagne. Les auteurs de nos mélodrames sont des hommes très-généreux ; ils donnent une armée, des ministres, une cour au moindre hobereau des forêts de Germanie ; toujours quelque fille enlevée, quelque chevalier Félon qu'il faut combattre, quelque fils naturel inconnu, et dont le père ne manque jamais d’être l’ennemi, ou de la princesse qui l’aime, ou du bienfaiteur qui l’a élevé. Voilà ce qu’on trouvera encore dans les Deux Forteresses.

Un duc de Warbourg tombe entre les mains d’un comte de Thienne nommé Sigismond. Ce Sigismond élève dans son château un jeune guerrier qu’il croit son fils, et qui s’appelle Frédéric. Il a pour confident intime un ministre nomme Wolback ; et Wolback est amoureux d’Angela, fille du duc de Warbourg ; mais cette Angela lui préfère Conrad, jeune guerrier, brave et bien fait. Le ministre, pour se venger fait prendre les armes à son maître.

Sigismond essaie de s’assurer de Conrad, qui lui échappe ; mais il s’assure de la Duchesse de Warbourg et d’Angela sa fille, que Conrad délivre bientôt après. Pour les sauver plus promptement, il les cache chez un pauvre paysan. Les soldats de Sigismond surviennent ; on les grise. Leur chef arrive ; on lui parle le langage de l’humanité, ce qui n’empêche pas qu’on ne conduise les prisonnières à une seconde forteresse dans le pays de Walden. Conrad toujours actif, survient avec sa troupe, donne l’assaut, emporte la place, rend la liberté au Duc de Walbourg, et lui remet sa femme et sa fille. En même tems, on apprend que Frédéric n’est point le fils de Sigismond, mais celui de Warbourg, et son père le reconnoît. Sigismond qui ne sait rien de toutes ces aventures, arrive comme un sot, et se laisse capturer et enfermer dans sa propre citadelle. Alors Conrad lui conseille de faire la paix ; il résiste d’abord, mais que faire quand on est pris dans un fort ? Il signe tout ce qu’on veut, on s’embrasse, et chacun se retire satisfait.

Exceptez-en le public, qui a manifesté d’abord beaucoup de- bienveillance, et ensuite une gaîté dérisoire très-fâcheuse pour l’auteur. C’est au moment le plus pathétique qu’il a vu son triomphe interrompu. Le rire a saisi les plus édifiés de l’auditoire ; il a gagné les profanes, et les sifflets ont achevé le reste. Aussi pourquoi l'auteur est-il si [mot illisible] ? S’il eût épargné davantage la morale, et les beaux sentimens, s’il eut songé plutôt à amuser qu’à convertir ses auditeurs, qui sait si les Deux Forteresses ne se soutiendroient point encore sur leurs bases ?

Au reste, le Directeur peut se consoler de cet échec, il lui reste encore beaucoup de places fortes et d’une sûreté éprouvée. Son zèle n'avoit rien négligé pour sauver celle-ci : costumes pompeux, ballets agréables, décorations fraîches et élégantes. Les acteurs ont aussi très-bien joué.

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