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Les Deux poètes

Les Deux poètes, comédie en 3 actes, en vers ; par le cit. Rigaud. 19 messidor an 8 [8 juillet 1800].

Théâtre de la République

Almanach des Muses 1801

M. et madame Armand ont une fille à marier. Deux poètes la recherchent ; l'un, doux, honnête et modeste avec beaucoup de talent, ce qui est très rare ; l'autre, inconséquent, présomptueux et méchant avec un talent très-médiocre, ce qui est très-commun. Le père protège le premier, parce qu'il ne trouve estimable ; la mère protège le second, parce qu'elle le trouve charmant. Les deux rivaux ont fait chacun une pièce qui doit être représentée le soir même, et la jeune personne doit appartenir à celui qui aura réussi. La pièce de Dais, c'est le protégé du père, va aux nues. Celle de Floricourt, c'est le protégé de la mère, tombe à plat. Damis voudrait épouser mademoiselle Armand, mais la mère se dédit, et prétend qu'une cabale a nui au succès de Floricourt. M. Armand paraît se rendre au vœu de sa femme, lorsque dans certain cahier de vers dérobé à Floricourt par son valet, et indiscrètement confié par ce dernier à une suivante, il trouve une satire faite contre sa femme et lui. Floricourt est démasqué, congédié, et Damis épouse la jeune personne qu'il aime et dont il est aimé.

Fonds très-léger ; point d'action ; une ou deux scènes qui ont produit quelque effet, prises dans des ouvrages anciens et connus ; nulle intention comique ; dénouement commun et usé.

Style facile et quelquefois agréable.

 

Courrier des spectacles, n° 1222 du 20 messidor an 8 [9 juillet 1800], p. 2 :

[Le critique ouvre sur l’annonce du destin de la pièce : malgré son peu de succès, son auteur a été nommé. Il souligne ensuite les bonnes intentions de l’auteur, « ami des mœurs et de la vraie Comédie » avant de rappeler que la « vraie Comédie » a pour mission de peindre les ridicules, ce qui est la cas de cette pièce, qui s’en prend aux « coteries littéraires et [aux] bureaux d’esprit ». Hélas, elle est froide, sans intérêt (elle n’offre rien qui puisse intéresser le public), sans action, pauvre en scènes comiques : le portrait est sévère. Suit le résumé d’une intrigue assez peu surprenante (une fille entre deux prétendants, qui préfère celui que son père veut bien lui donner pour époux, tandis que sa mère n’a d’yeux que pour l’autre). Il y a bien sûr un valet indélicat, qui tente de s’approprier les mérites de son poète de maître. Le moyen choisi pour départager les prétendants, c’est une compétition littéraire : celui dont la pièce triomphera épousera. Le dénouement voit le triomphe de l’amant aimé, son rival ayant réussi à s’aliéner le soutien de madame par une satire qui se moque d’elle. Comme d’habitude, le mariage final unit ceux qui s’aiment, sans surprise. Reste à porter un jugement. Une belle anaphore (« On peut s’étonner... ») permet au critique de montrer combien la pièce lui paraît invraisemblable. Et il finit par un conseil à l’auteur : trouver « des sujets plus heureux », mais continuer à écrire avec le même style, jugé presque irréprochable.]

Théâtre Français de la République.

La comédie, les Deux Poètes, donnée hier pour la première fois, n’a obtenu qu’un foible succès. Cependant l’auteur a été nommé. C’est le citoyen Rigaud.

Un style pur, facile, agréable même, sans sortir du genre de la comédie, règne dans cet ouvrage, qui sous ce rapport mérite des éloges. Il offre aussi d’excellentes intentions, et l’auteur s’y montre l’ami des mœurs et de la vraie Comédie. Nous regrettons cependant qu’il range dans cette classe les pièces qui ont pour objet de représenter les bonnes actions. Nous lui observerons que la vraie comédie s’attache principalement, peut-être même uniquement, à peindre les ridicules.

Celle dont il s’agit a elle-même pour but de tourner en ridicule les coteries littéraires et les bureaux d’esprit ; elle mériteroit donc d’être mise au rang des vraies comédies, si elle en réunissoit les autres qualités. Mais nous le pouvons dissimuler qu'elle est froide, sans intérêt, sans action, et qu’on n’y trouve point, ou que peu de scènes comiques.

Pendant l’absence d’Armand, son épouse s’est livrée toute entière à la société des beaux-esprits. Déjà un Lycée étoit établi dans sa maison, lorsque le retour du mari a fait congédier les Poëtes. Deux cependant sont restés, Damis et Floricourt. Celui-ci sur-tout est le favori de madame, il a fait des vers sur son carlin, et le panégyriste du petit chien doit devenir l’époux d’Henriette. Cette jeune personne ne partage pourtant pas les sentimens de sa mère, mais la crainte de lui déplaire la force d’abord de contraindre son inclination pour Damis. Heureusement que celui-ci a su gagner l’amitié d’Armand, qui dans un entretien particulier avec sa fille ne tarde pas à connoître la vraie situation de son cœur.

Madame Armand n’est pas la seule dans la maison à qui les poëtes ayent fait tourner la tête ; ils ont aussi fait perdre la raison à Nicole, qui voudroit bien trouver un grand Poëte dans Frontin. Celui-ci, pour faire sa cour à sa maîtresse, lui apporte à lire plusieurs petits chef-d’œuvres de Floricourt, son maître et s’en attribue un qui a pour titre : Vers à Glycère. Tandis que Nicole les lit avec délices, survient Armand, qui confisque la précieuse collection.

Le consentement qu’Armand a d’abord donné au mariage de sa fille avec Floricourt, l’embarrasse un peu. Maie nos deux Poëtes étant auteurs chacun d’une comédie, et les deux ouvrages devant être joués le même jour sur le même théâtre, Henriette propose à son père de n’accorder sa main qu’à celui dont la pièce aura le plus grand succès. Damis est d’abord effrayé de la proposition, qui paroît d’ailleurs n’être pas acceptée par madame Armand ; mais la bonne opinion qu’elle a des talens de Floricourt tranche cette difficulté.

En attendant l’heure du spectacle, Floricourt vient lire les nouveaux fruits de sa verve ; Armand n’est pas peu étonné de reconnoître les vers à Glycère ; le poëte se fâche, appelle Frontin, et ce valet est obligé d’avouer qu’il les a pris dans le carton de son maître.

Le moment où les ouvrages des deux rivaux doivent être jugés arrive ; tontes les personnes de la maison, jusqu’au portier, se rendent an théâtre ; eux seuls restent à disserter sur l'art dramatique. Le portier revient et annonce que la pièce de Damis a réussi, que celle de Floricourt est tombée. Ce dernier ne peut croire à la chute de son ouvrage ; elle lui est confirmée par monsieur et madame Armand, et par leur fille. Damis doit donc obtenir la main d’Henriette, mais sa mère retire sa promesse, persiste à prendre Floricourt pour gendre : Armand feint d’y consentir , et annonce avoir une pièce de vers à lire ; il en charge Damis ;c’est une satyre faite par Floricourt, dans laquelle madame Armand n’est nullement ménagée. Ces vers faisoient partie de ceux arrachés par Armand des mains de Nicole. Madame Armand ne veut point en entendre la lecture, mais détrompée sur le compte de son favori, elle le chasse et accepte Damis pour époux d’Henriette.

On peut s’étonner qu’Henriette aimant Damis, propose d’épouser son rival dans le cas où son ouvrage seroit le meilleur. On peut s’étonner que la prévention de madame Armand pour les talens de Fioricourt soit assez forte pour qu’elle se prête à un pareil arrangement quand elle a le consentement de son mari. On peut s’étonner de la complaisance de celui ci. Quant à nous, nous désirons que l’auteur trouve des sujets plus heureux, et qu'il emploie toujours le même style qui, nous aimons à le répéter, à quelques expressions près, nous a paru convenir parfaitement au théâtre.                               LE PAN.

Porte-feuille français pour l'an IX (1801), deuxième année, p. 182-183 :

Les Deux Poètes, comédie en trois actes et en vers, de Rigaud, représentée le 19 Messidor.

Mad. Armand a pris la résolution de n'accorder sa fille qu'à un poète du jour, c'est-à-dire à un faiseurs de petits vers. Son mari, dont les goûts sont tout à fait opposés, ne trouve qu'un seul homme digne de son alliance. Cet homme est Damis, poète moral ; mais Floricourt, jeune fat, est préféré par la maîtresse de la maison. En vain on représente, on prouve à Mad. Armand que son protégé. n'est qu'un sot plagiaire ; elle persiste dans son choix. Cependant, Damis et Floricourt, rivaux en amour, sont aussi rivaux au théâtre ; tous deux font jouer une comédie nouvelle le même jour et sur la même scène. Floricourt tombe, et Damis réussit. Ce double événement contrarie Mad. Armand, mais ne peut lui dessiller les yeux, et Damis n'en va pas moins être congédié, lorsque M. Armand montre à sa femme une satire dirigée contre elle, et composée par le freluquet dont elle raffole : ce dernier trait produit enfin un bon effet. Floricourt est chassé par sa protectrice, et Damis épouse Mlle. Armand.

Cet ouvrage a généralement fait plaisir : et comment n'en aurait-il pas fait ? On y trouve une situation des Femmes Savantes, quelques rapports avec les Précepteurs, plusieurs traits de la Métromanie, et un dénouement imité du Méchant.

La Décade philosophique, littéraire et politique, p. 30é-305 :

On a donné, il y a quelque tems, sur ce théâtre, les Deux Poètes, comédie en trois actes et en vers du Cit. Rigaud. Nous devons à nos lecteurs, l'analyse de cette pièce.

Madame Armand a la manie du bel esprit, et tient un lycée dans sa maison. Deux jeunes Poëtes prétendent à la main de sa fille Henriette. Damis, auteur modeste, ami des mœurs et du bon goût, est l'amant préféré de la jeune personne ; Floricourt, beau feseur de madrigaux, de stances, etc., a gagné les bonnes grâces de la mère en flattant ses goûts et sa vanité. La main d'Henriette lui est promise ; mais le père Armand, qui voit avec peine la fureur du bel esprit gagner jusqu'à ses domestiques, a résolu de déranger les projets de sa femme. Il a découvert les sentimens de sa fille pour Damis qu'il estime, et veut unir ces jeunes gens.

Chacun des deux Poètes a composé une pièce de théâtre, et les deux ouvrages doivent être joués le même jour. Les parens d'Henriette conviennent entre eux, et promettent que l'auteur de la pièce couronnée du succès, épousera leur fille. Floricourt ne doute pas de la victoire ; Damis attend avec inquiétude. Enfin, la pièce de Floricourt est sifflée ; celle de son rival réussit. Les deux amans sont au comble de leurs vœux ; mais Madame Armant s'oppose encore à leur mariage. Elle ouvre pourtant les yeux sur le caractère de son protégé Floricourt, quand on lui montre une satire de ce jeune homme contre elle et sa fille. Damis épouse sa maîtresse.

On voit que ce sujet n'est pas neuf. Il paraît avoir été puisé dans plusieurs comédies trés-connues, les Femmes Savantes, la Métromanie, etc. etc. ; mais le but de l'auteur (le C. Rigaud) n'en était pas moins louable. Il voulait ridiculiser ces petites coteries littéraires, ces fabriques d'esprit où se distribuent et s'acquièrent sans frais des réputations heureusement éphémères. On a beaucoup dit, mais on a beaucoup à dire encore sur ces sociétés qui, sans aucun avantage pour l'instruction et la morale publiques, n'offrent que des triomphes à la vanité, de l'aliment aux petites passions, des armes à l'esprit de parti. C'est là qu'un écolier, qui vient d'être couronné pour un madrigal ou une romance, médite une satire contre les lumières, le talent et la philosophie.

L'auteur avait donc pris un bon cadre ; mais l'a-t-il bien rempli ? C'est ce qu'ont nié plusieurs critiques. On lui a reproché, avec raison, de n'avoir pas été comique ; il fallait plus de gaieté que de raisonnement. Quelques tirades ont paru longues et froides. On aurait desiré les caractères mieux prononcés. Mais l'ouvrage est en général facilement versifié, d'un ton décent, et d'un style pur. Il est plusieurs scènes fortes de raisonnement, et naturellement dialoguées. On pourrait citer entre autres la scène du troisième acte, ou Floricourt, ainsi que tous les jeunes gens du bon ton, fait le procès au tems présent ; nous en citerons seulement quelques vers.

Floricourt.

Vous savez, comme moi, que les Arts sont perdus.
Il faut s'attendre à tout, le goût n'existe plus.

Damis

Le goût n'existe plus ! Vous voyez au théâtre
Des chefs-d’œuvre de l'art ; le public idolâtre.

Floricourt.

Vous parlez du passé, je parle du présent.
Aujourd'hui citez-nous un ouvrage excellent,
Je n'en connais aucun, moi je le dis sans feinte.

Damis

Moi je vous nommerai les Précepteurs, Philinte,
Ouvrages dont un seul avec honneur cité,
Donne à jamais des droits à la célébrité ;
Où l'auteur, d'un pinceau que guidait la Nature,
Trace du cœur humain la fidelle peinture.
Poëte ingénieux, digne d'un sort meilleur,
Molière avait en toi trouvé son successeur !
Quelle main séchera les larmes de Thalie !
La Nature est si lente à créer le génie !
Il est d'autres auteurs, etc.

Malgré les défauts que nous avons remarqués dans cette pièce, c'est un ouvrage estimable, et l'auteur nous paraît devoir mériter un jour des succès plus brillans.              H. D.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce d’Antoine-François Rigaud a été créée le 8 juillet 1800 sur la scène de la Salle Richelieu, et elle y a été jouée 6 fois en 1800.

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