Les Dévotes ou la Triple vengeance, comédie en prose et en trois actes, de Planterre, 3 nivôse an 2 [23 décembre 1793].
Théâtre de la Cité-Variétés.
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Titre :
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Dévotes (les), ou la Triple vengeance
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose
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en prose
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Musique :
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non
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Date de création :
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3 nivôse an 2 [23 décembre 1793]
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Théâtre :
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Théâtre de la Cité-Variétés
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Auteur(s) des paroles :
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Planterre
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1796, volume 3 (mai-juin 1796), p. 263-269 :
[Étrange compte rendu, qui commence par une longue satire de la manie contemporaine de faire « des comédies », sans savoir les faire : de l’idée initiale à la chute lors de la première représentation, le critique décrit le processus de création d’une pièce, dont l’auteur s’aperçoit trop tard que « sa comédie est sans plan, sans intérêt, sans but moral » (les trois piliers du théâtre, au moins du théâtre comique). On s’attend ensuite que la pièce dont il va être question soit du genre de celles dont on vient de se moquer. Pas du tout, « ce que nous venons de dire ne l[a] concerne pas ». Le résumé de l’intrigue, assez long et plutôt complexe, achevé, vient l’heure du verdict. D’abord le titre : il ne correspond pas au sujet, au point que le critique se demande s’il ne s’agit pas, sous un titre nouveau, du rhabillage d’une pièce plus ancienne. Puis, ce sont les intentions de la comédie et les caractères qui sont jugés insuffisants : « trop peu saillantes » pour les intentions, « foiblement dessinés » pour les personnages. « Quelques situations comiques ne suffisent pas pour constituer une piece. » Enfin, et surtout, « Les trois dévotes, bien loin d'avoir un but moral, offrent, au contraire, des immoralités répréhensibles. » Et le critique s’indigne : un jeune homme qui se moque de ses vieilles tantes, la société est en danger ! Et ce même jeune homme trouve « abominable qu'un vieux coquin, comme Durcet, ose tromper la veuve Verseuil » : une telle action, dit-il, ne serait acceptable que faite par un jeune homme : là encore, quelle horreur ! Le théâtre devient le lien d’apprentissage de toutes les perversions : « jeunes gens, allez au théâtre, & vous y apprendrez qu'on peut tout oser, quand on est aimable, & conséquemment, que la vertu ne doit être de saison, que quand on est parvenu à la décrépitude ». Conclusion, très morale et très civique : « que l'école des mœurs & du bon goût ne devienne pas celle du libertinage d'esprit & de raison, & n'oublions jamais, que pour être dignes d'être républicains, il faut être vertueux ».]
THÉATRE DE LA CITÉ-VARIÉTÉS.
Les Dévotes ou la triple vengeance, comédie en prose & en 3 actes.
Faire une comédie n'est pas une chose si facile qu'elle le paroît an premier coup-d'œil ; c'est au contraire un des ouvrages qui exigent le plus de connoissances, & la plus profonde étude du cœur humain. Cependant tout le monde fait des comédies, ou du moins croit en faire, & de-là ces chûtes que les auteurs ne manquent presque jamais d'attribuer à la cabale, tandis que rien n'a cabalé contre eux que leur inscience dans l'art dramatique. Une idée qu'il croit comique, passe-t-elle par la tête d'un homme qui a la manie d'être auteur, il prend la plume & il commence une comédie. Il écrit la premiere scene, il en est content : la seconde, il en est enchanté, & de ravissement en ravissement, il arrive jusqu'à la fin du premier acte. Alors il s'apperçoit, par la difficulté, qu'il éprouve, & quelquefois même ne s'en apperçoit-il pas, que les idées de hasard qu'il a eues ne amalgament plus avec son premier projet ; mais il raccommodera tout cela dans le second acte, & lorsqu'il sera arrivé au troisieme, il n'y aura dans le monde rien de. plus régulier que sa piece. Il commence donc ce troisieme acte. C'est ici que les difficultés se multiplient, & que notre auteur sue sang & eau, pour mettre d'accord ses personnages avec les convenances théâtrales, & les trois unités ; vaille que vaille la piece est faite. Il encontre un ami sévere, un Alceste auquel il la lit, & qui lui répond : Franchement elle est bonne à mettre....... Bah ! s'écrie-t il, cet homme n'a pas le sens commun ; voilà Philinte qui passe toujours pour un homme d'esprit, lisons-lui notre piece. — Oh ! c'est délicieux, c'est divin, s'écrie celui-ci, en riant avec complaisance, chaque fois que l’auteur le regarde ; il faut se hâter de faire représenter cette piece ! L'auteur qui, comme tous les hommes, croit facilement tout ce qui le flatte, présente sa comédie : sa malheureuse étoile veut qu'on la reçoive. Les acteurs l’apprennent en grande hâte, on la joue au milieu du calme le plus perfide. Ah ! l’auteur aimeroit cent fois mieux qu'on le sifflât ; mais toutes les bouches semblent lui rappelles ce moi de Piron : Peut-on siffler quand on bâille ? La froideur de la mort s'empare donc de l'auteur. Alors il voit les défauts de sa piece aussi bien que tout le monde, & il gémit de s'être trop tard apperçu que sa comédie est sans plan, sans intérêt, sans but moral, & il commence à croire qu'il étoit assez inutile qu'il se donnât la peine de la faire.
Mais venons aux Trois Dévotes : on verra bien, d'après notre analyse, que ce que nous venons de dire ne le concerne pas. Il est fort bon patriote le jeune S. Fond ; la veuve Dorothée & mademoiselle Félicité, vieilles dévotes & ses tantes, penchent fort du côté de l'aristocratie, & ne cessent de donner des regrets (au bon vieux. tems) qu'elles voudroient bien voir revenir.
Au dessus d'elles, au second étage de la maison où elles demeurent, sont deux femmes bien différentes. L'une, nommée Cécile, est la bien-aimée de S. Fond ; l'autre, jeune veuve, Mme. Verseuil, reçoit la cour d'un ci-devant procureur, connu soin le nom de Durcet, & qu'elle croit veuf. La femme de ce ci-devant chicaneur, dévote autant que jalouse, apprend que c'est dans la maison de nos deux dévotes que demeure celle qui lui a enlevé le cœur de son mari, & elle vient dans l'intention, tout au moins, de la dévisager. Elle ne rencontre que les deux vieilles qui, furieuses de la scene que leur a fait cette femme, & encore plus de ce que leur neveu refuse, pour s'unir à la petite bourgeoise Cécile, d'épouser une demoiselle de Furmont, qu'elles veulent lui donner ; de-là rupture avec les tantes, qui traitant S. Fond comme un voleur, le chassent de chez elles pour en emporter les clefs, parce qu'elles ne doivent rentrer que le soir.
Mais par l'entremise du valet Boniface, niais des plus imbéciles & des mieux conditionnés, S. Fond se procure ces clefs, & il forme, avec Cécile, qui a l'air de ne pas le vouloir, & la veuve Verseuil qui le désire, le projet de se venger, lui, du traitement que lui ont fait éprouver ses tantes, & la citoyenne Verseuil de ce que Durcet, qui est marié, lui a fait une cour assidue, & lui a promis de l'épouser.
Au troisieme acte, le ci-devant procureur revient ivre-mort, d'un dîner où l'on a bu d'excellent vin de Bourgogne. S. Fond, Cécile & la citoyenne Verseuil le reçoivent dans appartement des vieilles dévotes, & se retirent, lorsqu'on vient leur apprendre que Dorothée & Félicité vont rentrer. Qu'on juge de leur étonnement, lorsqu'elles trouvent chez elles un homme à table, & complettement ivre. Elles ont grande peur, elles font grand bruit ; on va chercher la garde, qui ne peut rien tirer de l'ivrogne ; enfin un des soldats le reconnoît, on ne veut pas le faire sortir en robe de-chambre, on va chercher un habit chez lui ; sa femme vient, & comme elle est dévote, elle prend une seconde fois les deux autres dévotes pour ce qu'elles ne sont pas, & se dispute avec elles. Un commissaire paroît ; plaintes de tous les côtés ; Mme. Durcet traite durement les dévotes, & veut ravoir l'habit de son mari, auquel elle croit qu'on l’a sait quitter, moins pour qu'il fût plus à son aise dans une robe-de chambre, que pour s'emparer de son porte-feuille.
Par bonheur, tout cela s'éclaircit à l'arrivée de S. Fond, qui apprend à l'honorable assistance, que Durcet n'a quitté son habit, que parce qu'il étoit crotté, & que tout cet imbroglio, ce pastiche n'a eu lieu, que parce qu'il a voulu se venger de ses deux tantes, & la citoyenne Verseuil de Durcet.
On voit d'après cela, que le titre des trois dévotes n'a qu'un rapport très-éloigné avec le sujet, & il est même à croire que cette piece étoit anciennement faite sous un autre titre, & qu'on l'a replâtrée aux circonstances, en gâchant ce titre avec quelques lieux communs, mille & mille fois répétés. Aussi cette comédie n'a-t-elle gueres été applaudie. La manière d'être de Durcet n'est autre chose que celle de Turcaret, & les dévotes qui devroient sans cesse avoir des termes ascétiques dans la bouche, sont au bout de leur rouleau, lorsqu'elles ont dit : Vierge Marie ou mon doux Jésus. Rien ne nous marque d'ailleurs que Mme Durcet soit une dévote.
Les intentions de cette comédie sont donc trop peu saillantes, & les caracteres foiblement dessinés. La conduite pourroit en être plus satisfaisante. Quelques situations comiques ne suffisent pas pour constituer une piece. On a beaucoup applaudi un endroit dans lequel Boniface dit à S. Fond, qu'il lui conseille de faire, la premiere fois qu'il ira à la section, une motion pour que les domestiques ne montent plus derriere les voitures.
Quel scandale, par exemple, de voir un jeune neveu se moquer, depuis le commencement jusqu'à la fin d'une piece, de deux tantes qui ont été ses bienfaitrices, & que leur grand âge devroit du moins lui faire paroître respectables ! Si l'on manque à de pareils devoirs, que deviendront les sociales ?
Dans une autre scene, S. Fond trouve abominable, Si c'étoit un jeune homme, dit-il, à la bonne heure ! Eh ! bon Dieu, quelle fausseté dans les principes, quelle maniere dangereuse de présenter les choses au théâtre ! Quoi ! parce qu'un jeune homme sera aimable, il lui sera permis d'être un séducteur, un frippon ? A quel degré de corruption nos mœurs sont-elles donc parvenues, que nous puissions entendre de pareilles assertions sans rougir ! Allez, jeunes gens, allez au théâtre, & vous y apprendrez qu'on peut tout oser, quand on est aimable, & conséquemment, que la vertu ne doit être de saison, que quand on est parvenu à la décrépitude ! A soixante ans, si ! il est ridicule de vouloir tromper une femme ; mais elle est trop heureuse de l'être par un jeune homme de vingt. Qu'auroient pu dire, dans l'ancien régime, ces hommes à talons rouges, ces petits grands seigneurs , qu'on appelloit, avec tant de politesse, d'aimables roués ? Leurs principes étoient-ils plus vicieux ? Nous en doutons fort. Bannissons donc ceux-ci du théâtre ; que l'école des mœurs & du bon goût ne devienne pas celle du libertinage d'esprit & de raison, & n'oublions jamais, que pour être dignes d'être républicains, il faut être vertueux.
(Journal des spectacles.)
D’après la base César, la pièce est d’auteur inconnu, et n’a eu qu’une représentation, le 23 décembre 1793.
Les Siècles littéraires de la France, tome cinquième (Paris, an IX, 1801), p. 203, citent les Dévotes dans les œuvres de Planterre.
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