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L'Echappé de Lyon

L'Échappé de Lyon, comédie en un acte & en prose, mêlée de vaudevilles, par Lacouterie ; musique de Leblanc, & ballet analogue à la piece, par Frossard, 18 novembre 1793.

Théâtre du Lycée des Arts.

Titre :

Échappé de Lyon (l’)

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

18 novembre 1793

Théâtre :

Théâtre du Lycée des Arts

Auteur(s) des paroles :

Lacouterie

Compositeur(s) :

Leblanc

Chorégraphe(s) :

Frossard

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 5 (mai 1794), p. 265-272 :

[Un compte rendu bien long pour un spectacle que le critique juge mauvais. Il commence par un résumé plein d’ironie de l’intrigue. Sans porter de jugement explicite, il souligne l’incohérence de la pièce, située dans l’endroit à la mode pour ce genre de pièce (par exemple, le choix par un lâche du lieu de la guerre pour « se mettre à l’abri du danger et de la peur », ou l’échelle « qu'on a oubliée là, si toutefois on ne l'a pas laissée exprès. »). Puis, ce qu’il conteste, c’est le choix du titre : pourquoi Lyon, ce pourrait être n’importe quelle ville ? Il rappelle aussi que dans un vaudeville, un couplet doit absolument contenir une pointe « douce ou amere, n’importe », et rappelle le précepte de Boileau (« D’un trait de satyre... ») : sans doute que les couplets de la pièce ne contiennent guère de pointes. La dernière partie du compte rendu s’attaque plus franchement au ballet : avant d’en faire le résumé, le critique va montrer que « l’auteur [du ballet] n'a très-certainement pas mieux gardé la vraisemblance, que celui des paroles n'a gardé les convenances, en nous présentant un mort dans une comédie » : pas de vraisemblance dans le ballet, une inconvenance dans les paroles... Le résumé du ballet est aussi ironique que celui de l’intrigue, mais le critique croit utile de revenir sur la question de la vraisemblance, qu’il affirme être aussi nécessaire que dans toute œuvre dramatique. Ici, comment croire à ces « trois petits-maîtres » venus « conter fleurette » sur un champ de bataille ? C’est oublier que le ballet est « soumis à la plupart des règles » « d'après lesquelles doivent être faits tous les ouvrages dramatiques ». Rien sur l’interprétation.

THÉATRE DU LYCÉE DES ARTS.

L'échappé de Lyon, comédie en un acte & en prose, mêlée de vaudevilles, par Lacouterie ; accompagnemens de Leblanc, & ballet analogue à la piece, par Frossard.

C'est auprès d'un village de l'extrême frontiere, dans la forêt des Ardennes, que se passe la scene. Une semblable position doit paroître commode à nos auteurs ; car pour la plupart. ils n'en choisissent pas d'autres depuis quelque tems. Tous les jeunes villageois ont marché contre l’ennemi ; Alexis seul ne s'est point présenté, il ne sauroit s'éloigner de l'aimable Sophie. Il suit. en cela l’exemple du poltron Saint-Far, qui a fui de la ville de Lyon pour ne pas se battre, & qui a eu l'adresse, pour se mettre à l'abri du danger & de la peur, de venir se cacher dans un lieu où l'on est à chaque instant obligé de se battre.

Depuis le moment où la Bataille, pere de Sophie & vieux invalide plein de courage, a vu Alexis se montrer en tiede républicain, il ne veut plus lui donner la main de sa fille, & il lui signifie même qu'il ne sauroit parvenir désormais à l'obtenir, qu'après s'être rendu à son devoir & s'être illustré par une action d'éclat. Cela dit, l'invalide part, & va se mettre en embuscade dans un lieu d'où il tue comme des lievres tous les émigrans qui passent.

Alexis demeure plongé dans la plus vive désolation ; la voix de l'honneur lui crioit : imites [sic] l'exemple de tes freres ; l'amour lui disoit tout bas : restes auprès de Sophie ; & par malheur, il a plutôt écouté les conseils de l'amour que ceux de l'honneur. Sophie qui survient, le lui reproche de la maniere la plus énergique, & ce que lui dit son amante est d'autant plus sensible pour lui, qu'il étoit avant de la voir disposé à partir ; mais à présent il veut voler aux combats. Un moment, vous êtes sans armes, lui dît cette aimable personne. N'importe, reprend Alexis, j'en obtiendrai de mon désespoir.

Non, non, continue Sophie, qui va chercher un habit uniforme, un sabre, & tout l'équippement d'un soldat, voici les dépouilles de mon frere, qui fut inhumainement massacré par l’ennemi, prenez-les, & volez à la victoire ; je vous arme --- citoyen français. Cette formule renouyellée de l'ancienne chevalerie, seroit sans doute plus agréable pour Alexis, si Sophie y joignoit l'accolade ; mais par malheur pour ce pauvre jeune homme, Sophie lui tient rigueur ; & soit qu'elle n'y pense pas, soit qu'elle garde de la rancune, Alexis n'est pas embrassé.

Des coups de fusils se font entendre. O ciel ! s'écrie Sophie, mon pere est peut-être en danger ! Votre pere en danger ! ajoute Alexis, & disparoît bientôt ; la Bataille survient ; un émigrant, contre lequel il se défend, le poursuit avec ardeur ; l'invalide est sur le point de succomber, mais Alexis lui sauve la vie, en privant l'autre de la sienne. Je te reconnois à ce trait, lui dit alors le vieillard, pénétré d'admiration .& de reconnoissance, & je t'accorde la main de ma fille. Non, mon pere, répond Alexis, je me rappelle encore ces paroles que vous m'avez adressées : Point d'action d'éclat, point de Sophie. Alexis est modeste.

Mais Saint-Far, qui l'est beaucoup moins que poltron, sort tout effrayé de la masure dans laquelle il s'étoit caché pendant le combat, & dít : Nous sommes perdus, j'ai entendu du bruit sous terre, on y parle, on y mine. Tout le monde se moque de Saint-Far ; cependant comme un sot ouvre souvent un avis important. & qu'en tems de guerre on ne doit mépriser aucun avis, on va à la découverte, & l'on entre dans la masure.

Pendant la visite qu'on y fait, deux émigrés arrivent, & trouvent fort étonnant que les sans-culottes osent se mesurer avec eux. II faut espérer toutefois, dit le premier, qu'au moyen de la mine que nous avons poussée jusques sous cette masure, nous pourrons remporter quelque avantage. Comme tout ceci est désert ! tout le monde a fui ! Eb bien ! il faudra commencer par incendier cette chaumiere; c'est celle de la Bataille. Oh ! oh ! ajoute-t-il, je vois un drapeau tricolore, il faut l'emporter, & nous dirons à nos chefs que nous l'avons pris en combattant.

Aussi-tôt dit, aussi-tôt fait ; le second émigré monte sur une échelle qu'on a oubliée là, si toutefois on ne l'a pas laissée exprès, arrache le drapeau, & fuit comme un éclair, malgré un coup de fusil du pere la Bataille, quî, pour cette fois, le manque comme un lievre, quoiqu'il le tire de la fenêtre de la masure, d’où il a tout vu. L'autre émigré est fait prisonnier par Alexis, qui l'a vaincu dans un combat au sabre. Tout le monde paroît; & comme, au-lieu d'une action d'éclat, en voilà deux, Alexis est uni à Sophie après la scene suivante.

Une compagnie de canonniers arrive pour s'exercer à la manœuvre. Contre qui tirerons-nous, demande l'un d'eux ? Eh ! parbleu, répond un autre, contre cette masure. Soit. On charge le canon, on le pointe, on le tire, l'on abat la masure, malgré les cris perçans de Saint-Far, qui reste appendu à une poutre, lorsque la maison s'écroule, & qui, vraisemblablement, n'en étoit pas sorti avec la Bataille & Alexis, parce qu'il étoit destiné à ce coup de théatre : quoi qu'il en soit, on va lui tendre une main secourable, & on le descend, après lui avoir fait jurer qu'il sera désormais plus brave. On lui fournit une bricole, on marche à l'ennemi, & la toile tombe.

On voit, d'après cette analyse, que l’Echappê de Lyon pourroit l'être également de toute autre ville, & conséquemment que ce titre, qui n'a d'ailleurs aucune analogie avec la piece, n'est là que parce qu'il faut un titre. C'est beaucoup d'en avoir trouvé un qui cadre avec les circonstances. Du reste, l’auteur fait preuve de talens dramatiques, & son style est aisé & agréable. Nous lui faisons observer toutefois qu'il faut indispensablement qu'un couplet offre au théatre un madrigal ou une épigramme, & que dans tous les cas íl faut qu'il finisse par une pointe douce ou amere, n'importe, pourvu que ce soit une pointe, & c'est ce qui constitue le genre du vaudeville. Sans cela un couplet n'offre que l'esprit d'une ou deux phrases renfermées en six ou huit vers égaux ou inégaux, dont les rimes sont plus ou moins riches. Or, de pareils vers, quand ils sont poétiques encore, conviennent tout au plus à l'épître, & ne sauroient jamais donner l'idée d'un vaudeville, du moins si nous n'interprétons pas mal la définition qu'en donne Boileau dans son Art poétique.

» D'un trait de la satyre, en bons-mots si fertile,
Le François né malin forma le vaudeville,
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche, & s'accroît en marchant.
La liberté française en ces vers se déploie. «

L'Echappé de Lyon est suivi d'un ballet qu'on nous a dit être analogue à la piece ; . c'est,ce que nous allons voir, mais dans lequel l’auteur n'a très-certainement pas mieux gardé la vraisemblance, que celui des paroles n'a gardé les convenances, en nous présentant un mort dans une comédie, où il est tout au plus permis, comme dans le Malade imaginaire, de feindre de l'être. Voici le sujet du ballet.

Un petit maître déguisé en abbé, & deux autres émigrés de la même trempe se rendent dans le lieu où s'est passé la scène pour offrir leurs tendres hommages à trois jeunes villageoises qu'ils savent bientôt rendre sensibles. Comment y parviennent-ils ? A fort bon marché, puisqu'il ne s'agit que de leur donner, l'abbé un morceau de sucre d'orge, & ses camarades un bilboquet & un émigrant ; voilà des .paysannes bien désintéressées ! & certes il ne valoit guere la peine qu'elles fissent pour cela infidélité à leurs amans. La joie du trio d'émigrés ne peut être comparée, comme on le pense bien, qu'à celle de la direction du théatre ou du maître de ballets, qui ont su faire des cadeaux si agréables & à si peu de fraix ; & vraisemblablement elle seroit éternelle, & leurs nouvelles conquêtes s'amuseroient toujours à sucer leur sucre d'orge ou à jouer au bilboquet & à l'émigrant, si leurs ci-devant amoureux n'arrivoient fort en colere, & menaçant de faire danser à leurs rivaux la carmagnole à grands coups de bâton. C'est ici qu'il faut rire, lorsqu'on voit ces mécréans d'émigrés tirer leurs chausses sans murmures, & de bien se .garder de demander leur restc. Une fois décampés, que fera-t-on ? Les infidelles sont fâchées, & les amans sonr fâchés, chacun à leur maniere. Mais par bonheur pour le dénouement, ils sont bientôt les uns & les autres  ; on demande pardon d'un côté, on l'accorde de l'autre, & tout se termine en dansant.

Un mot maintenant sur la vraisemblance. Comment supposer que nos trois petits-maîtres osent quitter leurs corps, exposés à chaque instant à se battre, pour venir conter fleurette à trois villageoises dans un pays où des ennemis implacables, & la machine-à-guillotin les attendent ? Ne doit-on pas présumer, quelque étourdis que soient ces messieurs, qu'ils voudront faire quelques réflexions avant de venir gambader à ce prix ? & s'ils les font ces réflexíons, ne court-on pas le risque de danser le ballet sans émigrés ? Qui donnera alors du sucre d'orge, des bilboquets & des émigrans aux paysannes ? & à qui les paysans menaceront-ils de donner des coups de bâton ?

En voilà bien assez pour donner à entendre qu'un ballet, comme toute autre action qui a lieu au théatre, ne doit jamais choquer la vraisemblance, & qu'il faut toujours y garder les convenances, puisqu'il est vrai qu'il est soumis à la plupart des regles, d'après lesquelles doivent être faits tous les ouvrages dramatiques.

(Journal des spectacles.)

D’après la base César, la pièce est d’auteur inconnu. Elle a été jouée 23 fois au Théâtre du Lycée des Arts, du 18 novembre 1793 au 17 mars 1794.

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