L'Effort surnaturel

L'Effort surnaturel, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, par le C. Radet. 13 Ventôse an 6 [3 mars 1798].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Effort surnaturel (l’)

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

13 ventôse an 6 [3 mars 1798]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Radet

Almanach des Muses 1799.

Pièce qui n'a pas été reçue d'abord, comme la plupart des autres productions du C. Radet.

Une femme, pour éprouver le cœur de son amant, s'avise de vouloir paraître extravagante à ses yeux. Idée peut-être un peu bizarre. De l'art dans la conduite de l'ouvrage.

Courrier des spectacles, 14 ventôse an 6 (dimanche 4 mars 1798), p. 2-3 :

[Le compte rendu de la représentation de la veille insiste sur le fait que la pièce est passée tout près de la chute, sauvée seulement par ses « couplets délicats, spiritue1s, bien faits, un style aisé et facile ». L’analyse faite ensuite prétend montrer les défauts de l’ouvrage. Elle s’ouvre par une explication précise de « l’avant-scène ». Puis le déroulement de la pièce est décrit avec tout autant de précision (le futur spectateur saura à quoi s‘attendre !). Reste à porter un jugement. Il n’est pas tendre : une action absente des quatre première scènes, le rôle féminin « de toute invraisemblance », et même « très indécent », ce qui est montré ensuite. « Ce rôle entier m’a paru révoltant ». Dernière critique, le dénouement, qui « n’est pas entièrement très-juste » (Cydalise aurait dû regarder derrière le paravent avant de dire ce qu’elle ressent). Conclusion, mauvais plan implique mauvais ouvrage. Ce sont bien le style et les couplets qui ont sauvé la pièce. Le compte rendu en cite quelques-uns, avant de nommer les acteurs, et de souligner qu’ils ont « joué avec beaucoup d’ensemble » (qualité pas si fréquente, semble-t-il).]

Théâtre du Vaudeville.

L’ouvrage donné hier à ce théâtre sous le titre de l’Effort surnaturel n’a eu qu’un très-médiocre succès, et peu s’en est fallu qu’il n’ait essuyé une chûte complette, mais des couplets délicats, spiritue1s, bien faits, un style aisé et facile ; ont rendu le public moins sévère sur les défauts essentiels de ce vaudeville, qui a été écouté jusqu’à la fin. Voici le couplet d’annonce que l’on a fait répéter :

Air : Vaudeville d’Arlequin afficheur.

Faire un effort surnaturel
Dans l’intention de vous plaire,
Il n’est rien de plus naturel,
Et chaque auteur voudroit le faire.
Cependant si l’ouvrage est tel,
Qu’il excite votre censure,
Faites l’effort surnaturel
       D’écouter sans murmure.

 II sera facile de voir par l’analyse suivante les défauts de cet ouvrage :

Cydalyse, jeune femme aimable, belle et trés-sensée, a sçu captiver le cœur d’un jeune Hollandais nommé Édouard. Celui-ci, timide à l’excès, comme on l’est toujours à dix-neuf ans (c’est l'âge d'Édouard), quand on sait veritablement aimer, n’a pas osé lui déclarer sa passion ; mais les feux de l’amour, et sur-tout les premiers, peuvent-ils jamais échapper aux yeux pénétrans d’une femme ? Cydalise s’en est apperçue, et pour rendre au cœur du jeune homme la paix et la tranquillité, elle s’est déterminée à le fuir ; et sous le prétexte d’un procès, à revenir à Paris. Telle est l’avant-scène. Édouard qui a voyagé quelque tems pour chasser la mélancolie et le chagrin que lui a causé le départ de Cydalise, arrive à Paris, et faisant un grand effort de courage, il ose venir se présenter chez elle, et lui avouer son amour. Cydalise est instruite de son arrivée, et persistant toujours à le détourner de sa passion, elle imagine de jouer le personnage d’une femme légère, étourdie, coquette, et même fausse.

D’abord, suivant ses ordres, Lisette, sa suivante, prépare Édouard au grand changement du caractère de sa maîtresse ; puis le fait entrer dans un cabinet pour qu’il puisse bien entendre la conversation qu’elles vont avoir à son sujet. Cydalise entre, et prenant tout le ton d’une femme sans mœurs et sans retenue, elle a l’impudeur de dire, (toute sensée qu’elle est réellement) qu’on ne parle et qu’on n’agit jamais que suivant les gens avec qui l’on se trouve, qu’on est taciturne et sensée avec le Hollandais, atrabilaire avec l’Anglais, légère, coquette avec le Français, etc. et rentre chez elle. Édouard confus ne sait s’il doit bien croire tout ce qu’il vient d’entendre. Bentôt Cydalise reparoît dans un costume élégant, et accompagnée d’un vieux fat ; là elle met le comble à toutes les extravagances dont serait à peine capable la femme la moins retenue ; elle prie Edouard d’un bal, le revêt d’une écharpe, le coiffe de son bonnet, et par ces folies cherche à le détourner de son amour. Le coup est porté, Edouard renonce à sa main, et lui écrit une lettre, quand Cydalise rentre, et le croyant sorti, elle témoigne à Lisette combien elle a souffert de jouer un personnage aussi révoltant. Edouard, caché par un paravent, entend tout, se jette à ses genoux, et après bien des instances il obtient sa main.

Tel est le fonds de cette pièce. Les quatre premières scènes n’offrent que des longueurs, l’action ne commence qu’à la cinquième. Le rôle entier de Cydalise est de toute invraisemblance ; je dirai plus, il est même très-indécent. Rien de plus indécent, en effet, qu’une femme qui, pour combattre l’amour bien naturel qu’un jeune homme a pour elle, l’attaque avec les armes de la coquetterie, de l’extravagance et de la fausseté. Rien de moins naturel qu’une femme qui peut s’oublier an point de se faire mésestimer. Ce rôle entier m’a paru révoltant. Le dénouement n’est pas entièrement très-juste, car avant de confier ses souffrances à Lisette, Cydalise devoit, ce me semble, examiner si elle est seule avec elle. De jolis couplets et le style ; voilà tout ce qui a été applaudi, d’où je conclus qu’on a bien raison de dire qu’avec beau coup de talent on ne peut faire qu’un mauvais ouvrage, quand on n’a qu’un mauvais plan.

Voici plusieurs couplets qui ont été très-applaudis, et que je me fais un vrai plaisir d’offrir à mes lecteurs :

Williams, valet Anglais, chante :

Air: II faut des époux assortis.

Souvent pour le réalité
Je sais que l’on prend l’apparence :
Le candeur, le sincérité
Souvent ne sont qu’en apparence.
L’honnête homme ne pouvoit pas
Se méfier de l’apparence ;
Et l’honnête homme à chaque pas,
Est le dupe de l’apparence.                 (
bis)

Lisette, sa femme, lui répond :

Puisque nous voyons chaque jour
Juger de tout sur l’apparence,
En amitié comme en amour,
Contentons-nous de l’apparence.
Crois que je t’aime, mon ami,
Puisque tu m’en vois l’apparence ;
C’est déjà bien pour un mari
Que d'être heureux en apparence.                 (
bis)

Dans une autre scène, Williams dit :

Air : Je croyois vaincre Léonore.

Quand je m’étois marié
Ce n’étoit pas pour être ....
Trompé ni contrarié,
C’étoit pour rester maître.

Lisette lui répond :

Un tel projet est fort bon
Mais chez l'hymen, mon garçon,
            Le mari propose
            La femme dispose.

Cydalise dit au public :

Vaudeville nouveau.

Obtenir de votre bonté
Le succès le plus ordinaire,
Et tout gonflé de vanité
Se louer de votre équité,
Aisément cela se peut faire ;
Mais frappé d’un sifflet mortel,
Subir une chûte fatale, Et ne point crier au scandale,
Ne point accuser la cabale,
C’est un effort surnaturel.

Ce vaudeville a été joué avec beaucoup d’ensemble par les citoyens Henry, Carpentier, Chapelle, et les cit. Sara et Blosseville.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 3e année, 1798, tome VI, p. 280-281 :

[Le compte rendu hésite entre deux opinions : la pièce est remplie d’invraisemblances (est-ce le paravent, ou la différence d’âge entre les amants qui gêne ?), mais elle a aussi bien des charmes : un fond intéressant, le rôle du valet anglais, si drôle, et une interprétation remarquable. Le public a été « indisposé » contre cette pièce, mais elle a été applaudie, mais pas au point de demander l’auteur.]

L’Effort Surnaturel, comédie en un acte, jouée sur le théâtre du Vaudeville, le 14 ventôse, présente quelques situations forcées qui ont indisposé le public contre cette pièce, mais elle a le mérite d’un plan neuf et de détails très-agréables.

Une veuve, de trente ans, est aimée d’un jeune homme de 19. Elle sent la disproportion de leurs âges, et pour détourner le jeune homme de son amour, elle fait ce qu’elle peut pour paroître à ses yeux coquette, fausse, dissipée ; enfin pour se faire méprise de celui dont elle ne peut se faire haïr. Cependant le jeune homme se trouve derrière un paravent ; dans le moment où, se croyant seule, son amante se plaint des tourmens que lui a coûté cet effort surnaturel, et l’estimant davantage, il l’épouse. On sent combien le fond est peu vraisemblable, cependant il est intéressant. Il y a un valet anglais dont la jalousie amuse beaucoup ; et une pièce qui amuse et qui intéresse ne sauroit manquer de réussir. On a trouvé cependant que le paravent jouait un trop grand rôle.

La pièce a été parfaitement jouée. La citoyenne Sara Lescaut a été très applaudie, ainsi que la citoyenne Blosseville, et le citoyen Carpentier dans le rôle original du valet anglais. On ne connoît pas l’auteur.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1798 (vingt-septième année), tome III (mars 1798, ventôse, an VI), p. 205-208 :

[Curieux dispositif en deux temps pour parler de cette pièce. D’abord une critique respectant les normes habituelles de la critique dramatique : bref résumé de l’intrigue, puis analyse du sujet, essayant de montrer que la situation décrite est proprement inouïe, de cette femme qui va jusqu’à tenter de se faire haïr de celui qu’elle aime, mais que ce caractère extraordinaire est rendu choquant par les extravagances prêtées à l’héroïne de la pièce. La fin de la critique explique ce que l’auteur aurait dû faire pour rendre sa pièce intéressante : créer un contraste entre « sensibilité concentrée » et « affectation intéressante par le motif de générosité ». L’actrice jouant cette héroïne a eu le mérite de tenter de montrer cette opposition, mais il faudrait peut-être que l’auteur fasse des suppressions nombreuses pour la faire apparaître. Petite note d’humour : le critique rapporte un des couplets de la fin, qui peut paraître prémonitoire...

Puis, deuxième temps de ce qui est dit de la pièce, une lettre envoyée au journal, et qui contient les réflexions sur la pièce d’un lecteur anonyme. Point de départ, l’affirmation de la volonté de tout spectateur de partager « quelqu'attachement », « soit l'amour proprement dit, soit l'amour filial ou paternel, soit l'amour de la patrie, soit enfin l'amitié, mais toujours un sentiment d'affection », et les auteurs de théâtre doive,tenir compte d ecette disposition, eux qui doivent se soucier « de tourner au profit des mœurs, les bons penchans du cœur humain ». Dans la tragédie, c’est la terreur qu’il faut imprimer, et non l’horreur. Dans la comédie, l’intrigue ne peut reposer sur le refus d’aimer ou de montrer qu’on aime. L'Effort surnaturel ne peut aboutir qu’à une rupture, ce qui va contre l’attente du public : « Aimer est une loi de la nature », et le théâtre a pour vocation de « resserrer les liens des affections naturelles & sociales, par le tableau varié de ces affections ». S’il manque à cette vocation, il ne peut générer que l’ennui.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

L'Effort surnaturel, comédie en un acte.

Une femme de 29 ans est tendrement aimée d'un jeune homme de 19, qu'elle-même elle n'a pu voir avec indifférence. Mais quoique rien ne s'oppose à leur union, elle craint de faire son malheur par un mariage disproportionné, & elle se détermine à le dégoûter de sa passion pour elle, en prenant à ses yeux les ridicules de la coquetterie & les vices de la corruption.

Tel est le sujet de l'Effort surnaturel. Cet effort est en effet très-extraordinaire. Une femme vertueuse peut absolument chercher à oublier l'amant qu'elle craint de rendre malheureux ; elle peut même, par générosité, chercher à s'en faire haïr, mais jamais elle ne voudra se rendre l’objet de son juste mépris.

Cette situation qui a au moins le mérite de la nouveauté, auroit pu pourtant fournir des scènes piquantes, si l'auteur n'en eût pas détruit tout l'effet, en faisant faire à l'héroïne de la pièce, des extravagances choquantes, & qui ont révolté une partie du public

Ce rôle, s'il eût été bien conduit, devoit présenter le contraste très-saillant d'une sensibilité concentrée & d'une affectation intéressante par le motif de générosité qui devoit la dicter. C'est ainsi que la citoyenne Lescaut, dont on ne peut trop applaudir le talent, a cherché à le rendre, mais elle n'a pu le changer. Peut être l'auteur, en y faisant des suppressions nombreuses, pourra-t-il le rendre plus agréable.

Le dernier couplet a été fort applaudi ; il est tout simple, y est-il dit, que l'auteur d'une pièce nouvelle s'attribue, s'il réussit, tout le mérite du succès ; mais

Que frappé du sifflet mortel
Il n'accuse pas la cabale ;
C'est un effort surnaturel.

Lettre aux auteurs d'un journal, sur un principe de l'art dramatique, à l'occasion de la pièce précédente.

Citoyens, à la première représentation de l'Effort surnaturel, je faisois une réflexion que vous communiquerez, si vous le voulez, à vos lecteurs.

C'est que nous voulons toujours avoir quelqu'attachement à partager, lorsque nous allons au théâtre : soit l'amour proprement dit, soit l'amour filial ou paternel, soit l'amour de la patrie, soit enfin l'amitié, mais toujours un sentiment d'affection. Le plaisir du théâtre découle tout entier de notre disposition (si bien observée par Smith) à sympathiser avec les affections tendres.

Cette disposition est très-honorable à la nature humaine ; voilà pourquoi il me paroît bon d'en offrir la remarque aux poëtes dramatiques, dont le soin doit être de tourner au profit des mœurs, les bons penchans du cœur humain.

Cette disposition est aussi un besoin très-impérieux, & c'est pour cela que les poëtes dramatiques ne peuvent le méconnoître sans s'exposer à des disgraces. Toutes les pièces tragiques où l'on n'a montré que des méchans & des haines, ont imprimé de l'horreur, & non cette terreur exigée par les maîtres de l'art, & qui n'est jamais séparable de la pitié ; car elle en est tour à tour la cause & l'effet. Toutes les pièces comiques dont l'intérêt a consisté à se défendre d'aimer, ou de montrer son amour, n'ont jamais eu qu'un foible succès, & souvent n'en ont eu aucun. Quel intérêt prendre au personnage qui ne veut intéresser personne, ni s'intéresser lui-même à personne ? Comment échauffera t-il le spectateur, ne négligeant rien pour refroidir la scène ? L'auteur de l'Effort surnaturel auroit dû se faire ces questions avant de traiter son sujet ; il auroit vu qu'il n'est pas possible de faire une pièce d'intrigue, avec des dispositions & des incidens qui ne peuvent mener qu'à une rupture.

Pour que la femme qui fait l'effort de déplaire à son amant, ne déplût pas aussi au spectateur, il auroit fallu que l'amour fût plus fort que son dessein , qu'elle ne réussît qu'à se faire aimer davantage, à mesure qu'elle vouloit l'être moins, & que sa passion se montrant toujours plus que son artifice, cet artifice ne servît qu'à rendre sa passion plus touchante & plus vive.

Aimer est une loi de la nature.

Faire que les hommes s'aiment mutuellement, que les sexes surtout s'enchaînent d'un pur & constant amour, est la grande loi de toute société.

Resserrer les liens des affections naturelles & sociales, par le tableau varié de ces affections, est la loi fondamentale du théâtre.

L'ennui, l'inexorable ennui, prend possession du parterre, & y distribue les sifflets ou les bâillemens, dès que la haine ou l'indifférence, ou leurs combinaisons, prenant pour elles-mêmes possession du théâtre, ne se bornent pas à exalter des sentimens d'amour par les contrariétés, ou à les faire ressortir par le contraste.

Dans la base César : auteur inconnu. 13 représentations du 3 mars 1798 au 30 octobre 1798, au théâtre du Vaudeville.

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