L'Enlèvement, ou le Libertin corrigé

L'Enlèvement, ou le Libertin corrigé, comédie en trois actes et en prose, de Moithey, 22 brumaire an 2 [12 novembre 1793].

Date fournie par André Tissier, les Spectacles à Paris pendant la Révolution, tome 2 (2002), p. 305.

Théâtre Patriotique.

Titre :

Enlèvement (l’), ou le Libertin corrigé

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose

Musique :

non

Date de création :

22 brumaire an 2 [12 novembre 1793]

Théâtre :

Théâtre Patriotique

Auteur(s) des paroles :

Moithey

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 1 (janvier 1794), p. 357-363 :

[L’intrigue de la pièce est assez compliquée, et il faut un long résumé pour venir à bout de l’expliquer. La partie proprement critique est plutôt favorable (elle « est agréablement écrite, & fait l'éloge de son auteur par les sentimens qui y regnent d'un bout à l'autre »), ce qui n’empêche pas les critiques. D’abord, « quelques légeres incorrections », faciles à corriger. Plus grave, la nécessité de mieux mettre au premier plan le libertin, qui est le personnage principal, et que le personnage d’Angélique éclipse. Surtout, il faut mieux préparer son retour à la vertu : le critique propose de montrer tout au long de la pièce qu’il n’est pas « totalement corrompu », ce qui rend possible sa conversion finale. Pareillement, il faudrait mieux expliquer l’absence de Mathurin lors de l’enlèvement de sa fille dont il avait pourtant été informé. Il faudrait encore supprimer des « inconvenances théatrales » et ramener à l'essentiel la scène de l’aveu d’Angélique : sa lettre est trop longue. Des remarques et des propositions de modifications qui montrent que le critique croit dans le talent du jeune auteur de la pièce en qui il voit « un nouveau défenseur de la cause des mœurs & de la vertu, & certes nous avons grand besoin d'en augmenter le nombre » : pas de théâtre sans morale !]

THÉATRE PATRIOTIQUE

L'enlevement, ou le libertin corrigé, comédie en trois actes & en prose ; par M. Moithey.

Valcourt est un de ces jeunes libertins aimables, mais sans foi, qui se font un jeu des engagemens les plus sacrés, & qui sont assurés des bonnes graces d'une femme, lorsqu'il ne s'agit que de faire des sermens pour les obtenir. Hélas ! si le proverbe est véritable, & qu'on ne puisse disconvenir que les sermens sont aux hommes ce que les jouets sont aux enfans, les femmes sont bien excusables d'y croire. Angélique fut tellement la dupe de ceux que Valcourt lui fit, il y a cinq ans, qu'il y en a déjà quatre qu'elle est devenue mere. Mais, par malheur, la nature ne peut rien sur les cœurs sans principes; & si Angélique cherche, de son côté, à resserrer les liens qui l'unissent à Valcourt, celui-ci est contraint par le libertinage à faire tous les efforts possibles pour les rompre.

Pendant que Valcourt abusoit ainsi Angélique, le pere de cette infortunée mouroit au lit d'honneur, & celui de Valcourt, Blainville, promettoit à son ami, qui rendoit entre ses bras ses derniers soupirs, sur le champ de bataille, d'unir Angélique à son fils, & en attendant de servir de pere à cette aimable personne. Aussi religieux à acquitter sa parole que son fils avoit été prompt à fausser la sienne, Blainville s'est empressé, au retour de l'armée, d'appeller Angélique auprès de lui. Qu'on juge de l'inquiétude de Valcourt ; comme il ne craignit point d'abuser cette jeune personne, il est désespéré de la voir si près de lui, dans la crainte qu'elle éclaire ses démarches, & qu'elle poursuive le projet qu'elle a formé, de le faire engager au plutôt dans les nœuds de l'hymen. Il se débat donc de toutes ses forces pour l'empêcher, & il se débat avec d'autant plus d'ardeur, dans le moment actuel, que la fille d'un des fermiers de son pere, Isabelle, dont il est devenu éperduement amoureux, est sur le point d'épouser Julien, & que la noce doit être célébrée le même jour.

Valcourt cherchant donc à tromper tous les yeux, met dans sa confidence son domestique Valentin, & se concerte avec lui sur les moyens qu'on peut employer pour enlever la jeune paysanne, & l'emmener à Paris, où il espere qu'elle se laissera séduire, comme tant d'autres, par l'éclat de l'or & des pierreries.

Mais Valentin , craignant de s'exposer , va faire part du projet de son maître à Mathurin, pere d'Isabelle, & lui conseille de se tenir sur ses gardes. De son côté, Angélique désespérant de faire entendre raison à Valcourt, & de l'obliger à se rendre à ses devoirs en l'épousant, forme le projet de tout déclarer à son respectable pere, qu'elle parviendra sans doute à intéresser en sa faveur, en lui avouant sa faute, & en lui montrant son enfant, qu'on éleve dans le village, comme le neveu de sa femme-de-chambre Marton.

Blainville survient. Angélique répand d'abondantes larmes. Eh ! comment ne pleureroit-on pas lorsqu'on a un aveu si pénible à faire ? Le pere de Valcourt est ému ; il veut connoître 1e sujet du chagrin d'Angélique : elle n'a pas la force de le lui dire ; mais elle lui remet une lettre, dans laquelle tout le honteux mystere est révélé. Consolez-vous Angélique, Blainville est un honnête homme, & nous le voyons déjà gémir sur les égaremens de son fils. Ah ! il est inutile que Marton apporte votre enfant pour attendrir cet homme sensible. Blainville est partagé entre les sentimens les plus vifs. Il comble de caresses Angélique & son petit-fils ; il leur jure de faire rentrer Valcourt dans le devoir, ou de le faire repentir toute sa vie de son déplorable aveuglement. Pour user toutefois de tous les moyens que peut offrir la prudence, il renvoie au lendemain les tentatives qu'il veut faire sur son fils, parce que la noce d'Isabelle, qui se fait dans le château , causeroit infailliblement un dérangement qui nuiroit à ses projets.

Cependant Valcourt poursuit l'affreux dessein qu'il a formé d'enlever Isabelle , & il vient attendre, avec Valentin, que la noce rentre pour ravir cette jeune personne. Mais Angélique ayant été instruite par Mathurin, veut lui épargner ce nouveau crime, & c'est pour cela qu'elle s'est rendue, en habit de dragon, auprès de la maison de ce fermier, qui ignore son projet, ainsi que tout le reste de la maison. Valcourt & Valentin paroissent ; ils pénetrent dans la ferme, enlevent Isabelle, dont ils étouffent les cris en lui mettant un mouchoir sur la bouche, & la jettent dans la chaise de poste qui les attend.

Angélique en criant : Arrête, ravisseur, met l'épée à la main, & cherche à empêcher Valcourt de consommer son crime ; celui-ci lui répond par un coup de pistolet qui ne l'atteint pas, & trompé par les ténebres & le déguisement de sa femme, court sur elle, l'épée à la main, & la blesse légérement. Au bruit du coup de pistolet, tous les gens de la ferme & du château surviennent avec des flambeaux. Blainville reconnoît son fils, qui, appercevant son pere & Angélique, demeure confondu. On court après la chaise de poste, on ramene Isabelle ; & Valcourt, accablé sous le poids de la honte, sent son cœur déchiré par les remords rongeurs, & consent à réparer son crime, si Blainville & Angélique daignent le pardonner. Peuvent-ils faire autrement ? Non sans doute. La piece finit donc par un double mariage.

Tel est le sujet du Libertin corrigé. Cette comédie, à quelquess près, est agréablement écrite, & fait l'éloge de son auteur par les sentimens qui y regnent d'un bout à l'autre ; mais il lui sera facile de faire disparoître ces petites taches. II sera moins aisé pour lui de mettre sur le premier plan de son tableau le caractere principal du libertin, qui donne lieu à l'action, & qui est toujours éclipsé par l'intéressante Angélique. Nous croyons toutefois qu'on pourra parer un peu à cet inconvénient, ou du moins le masquer, en ajoutant quelques traits à ce personnage pour le rendre plus saillant. Mais une chose indispensable, c'est de préparer le retour de Valcourt à la vertu. Assurément la catastrophe seroit bien suffisante pour opérer la conversion d'un homme qui chancelleroit dans le libertinage, mais elle ne sauroit l'être pour un libertin dont le cœur est totalement empâté dans le crime. C'est pour cela qu'il faudroit que Valcourt nous indiquât de tems en tems qu'il n'est pas totalement corrompu, & qu'il ne suit la pente du vice, que parce qu'il y est jetté par un penchant auquel, jusqu'à ce moment, il n'a pas eu la force de résister.

Une chose à remarquer, c'est qu'il faudroit colorer l'absence de Mathurin, au moment où l'on enleve sa fille ; car sans cela on ne peut pas concevoir comment ce fermier, qui a été prévenu à tems par Valentin , ne prend pas toutes les précautions nécessaires pour s'opposer à cet enlevement. Il faudroit aussi que l'auteur voulût se résoudre à supprimer quelques petites inconvenances théatrales, telle que celle de la marche du cortege de la noce, quelques traits de la conversation de Valentin avec son maître , au moment de l'enlevement, & la scene de ce domestique avec le postillon, tout cela est absolument inutile, & dans les actes, tout ce qui est inutile est déplacé. Il en est à peu près de même de la lettre dans laquelle Angélique instruit Blainville de l'inconduite de Valcourt. Elle est trop longue, à cause de la situation qu'elle rend languissante, invraisemblable, & entiérement pénible pour l'auteur [sic] chargé de lire la lettre. Votre fils m'a abusée, il m'a rendue mere, prenez pitié de mon malheur, étoit tout ce qu'il falloit dire. L'explosion des sentimens d'Angélique & de Blainville nous auroit appris tout le reste.

Voilà les observations que nous avons cru devoir faire à M. Moithey, & que nous lui avons faites avec plaisir, parce que nous voyons qu'on applaudit sur plusieurs grands théatres des pieces de beaucoup inférieures à la sienne, & sur-tout parce que nous avons imaginé que si cet auteur fait preuve de sentimens si recommandables dans un premier ouvrage, nous pourrons trouver en lui, dans la carriere dramatique, un nouveau défenseur de la cause des mœurs & de la vertu, & certes nous avons grand besoin d'en augmenter le nombre.

(Journal des spectacles.)

La base César, qui connaît (un peu...) M. Moithey, ne lui attribue aucun Libertin corrigé...

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