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L'Épigramme ou le Danger de la satyre,

L'Épigramme ou le Danger de la satyre, comédie en 4 actes, de Boursault-Malherbe, 4 décembre 1806.

Théâtre des Variétés-Étrangères.

L'attribution de la pièce à Boursault-Malherbe n'est pas certaine.

Courrier des spectacles, n° 3590 du 8 décembre 1806, p. 2-3 :

[L'article s'ouvre sur d'assez longues considérations sur le danger d'écrire des épigrammes : il vaut bien mieux pratiquer d'autres formes poétiques, et une série d'exemples montre l'inconvénient de pratique l'épigramme; chez J. B. Rousseau, Pope, et M. G., qui pourrait bien être Geoffroy le critique du Journal de l'Empire. La pièce conte les aventures d'« un homme à épigrammes ». Le critique s'interroge sur la possibilité pour un Allemand de faire des épigrammes piquantes. Le héros de la pièce a fait des épigrammes, et il faut qu'il s'expatrie. Dix ans après, il revient incognito sous les traits d'un oculiste auquel on demande de guérir le fils d'un baron et d'une baronne, qui est aveugle. Il demande comme récompense à l'opération qu'il se propose de faire la main de la sœur du jeune aveugle. Malgré la différence sociale, son exigence est acceptée, il guérit le pauvre aveugle, et l'intervention du prince fait accepter le jeune guérisseur comme époux. La pièce a bien des qualités : gaîté, dialogue très spirituel, intérêt de beaucoup de scènes. Mais il y a aussi bien des défauts : trop de personnages, trop de détails inutiles et décousus. C'est néanmoins « un ouvrage qui mérite d'être connu », « que le public a très-bien reçu (pourquoi faut-il préciser que l'auditoire étoit bien composé » ?). Les interprètes sont pleins de talent, et deux d'entre eux son félicités. Par contre, pas de nom d'auteur.]

Théâtre Molière, Variétés Etrangères.

L'Epigramme, ou le Danger de la Satyre.

Voulez vous couler des jours heureux ? ne faites point d’épigrammes ; composez des dédicaces, des madrigaux, des bouquets à Iris, à Mondor ; faites des discours académiques, adoptez le .système de l’optimisme, et sur-tout souvenez-vous bien de ce mot d’un avocat de Venise : « Messieurs, vous avez déjà prononcé l’année dernière dans une cause toute pareille ; votre jugement a été tout le contraire de celui que vous rendez aujourd'hui; mais vous jugez toujours à merveille. »

L'homme qui fait des épigrammes est un fléau de société ; c’est d’abord, pour l’ordinaire, un homme d’esprit, ce qui est déjà un grand tort ; c’est un homme qui a le regard fin et pénétrant, qui voit les défauts, et les fait remarquer aux autres ; n’est-ce pas le crime le plus anti-social ? celui qui le commet n’est-il pas une peste qu’on ne sauroit trop éloigner ? Une épigramme ne s’oublie et ne se pardonne jamais ; c’est un trait qui reste dans la plaie ; c’est le lethalis arundo de Virgile.

Voyez ce qui arriva à J. B Rousseau pour avoir aimé les épigrammes ; rappelez-vous l’humiliante correction qu’essuya Pope pour ,des épigrammes, et voyez sur le Boulevard, parmi les caricatures qui appellent la curiosité des passans, dans quel état est représenté M. G. pour les épigrammes au gros sel de son feuilleton.

Le héros de la nouvelle pièce jouée au théâtre de Molière est aussi un homme à épigrammes. Je ne sais si les Allemands en font de très-piquantes ; mais celui-ci qui se nomme Auguste Warning, en avoit fait de si méchantes ou de si cruelles, qu'il fut obligé de s’expatrier. Ses deux grands persécuteurs étoient un Baron et une Baronne parens d’une jeune fille très-jolie nommée Caroline. Le pauvre poëte reste errant pendant dix ans; et le tems change si bien sa figure, son langage et toute sa personne, que qui que ce soit ne pourroit le reconnoître. Après ce long exil, il arrive au moment où le Baron et la Baronne se disposent à marier leur fille à un pauvre imbécille de conseiller-privé, dont la fortune égale la sottise. Celui-ci, pour donner de lui une bonne idée au Prince, fait rédiger un mémoire par un homme habile nommé Bloom, et le fait présenter à la cour. Ce Bloom est Auguste Warning lui-même, qui a quitté le style de l’épigramme pour celui des mémoires. Mais son mérite ne se borne point à ce talent vulgaire ; dans ses voyages, il a fait ample provision de connoissances variées. Il sait la médecine, la chirurgie, la pharmacie, et peut mêmc faire l’opération de la cataracte.

Par hazard le frère de Caroline se trouve aveugle, et ses parens désirent le faire guérir pour la nôce. On envoie donc chercher Bloom. Or, il arrive habituellement que les esprits satyriques sont les meilleures gens du monde. Leur malice est dans la tête ; leur cœur reste tout entier à la bonté. Bloom se rend donc avec empressement aux vœux du Baron et de la Baronne ; mais comme il aime beaucoup Caroline, il met une condition au succès de l’opération, c’est qu’on lui donnera la main de Caroline. Il y a ici quelque chose qui ne paroîtra peut être pas très-vraisemblable. Est-il croyable qu’un Baron et une Baronne allemands descendent de la hauteur de leur généalogie pour donner leur fille à un oculiste ? mais le désir d'avoir un fils clairvoyant l’emporte sur toutes les considérations, et les Barons consentent à l'alliance, pourvu que le jeune homme voie clair. L'opération réussit à merveille. Bloom demande sa récompense et se découvre. La Baronne refuse de tenir sa parole. Mais en ce moment un officier du Prince le mande à la cour. On a découvert qu’il est l’auteur du Mémoire, et pour récompense on lui décerne le titre de conseiller intime du Prince. Revêtu de cette nouvelle dignité, il revient, et épouse Caroline.

Il y a beaucoup d’esprit dans cette pièce. Ou la regarde en Allemagne comme un chef-d’œuvre ; il y règne de la gaîté, le dialogue étincelle souvent de traits spirituels, un grand nombre de scènes offrent un intérêt attachant ; mais tout n’est pas également bon. Les personnages se nuisent par leur multiplicité, beaucoup d’incidens sont inutilles et décousus, et le style pourroit avoir plus de rapidité ; mais à ces défauts près, c’est un ouvrage qui mérite d’être connu, et que le public a très-bien reçu. L’auditoire étoit très-bien composé, et les acteurs ont joué leur rôle avec talent. Rosambeau a été extrêmement gai dans le rôle du conseiller-privé. Camaille-Saint-Anbin a joué avec à-plomb et franchise celui de Warinng.

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