L'Epreuve délicate, comédie en un acte, en vers, par Roger. 24 nivôse an 6 [13 janvier 1798].
Théâtre de la rue Feydeau
Almanach des Muses 1799
Un mari sait que sa femme a eu une première inclination ; il imagine, pour l'éprouver, d'appeler auprès d'elle le jeune homme qu'elle aimait, et dont elle était aimée. Il est assez heureux pour n'avoir point à se repentir de l'épreuve délicate.
Des scènes conduites avec art, des détails agréables, un style en général élégant et soigné.
Début d'un très-jeune homme qui méritait d'être encouragé par un plus grand nombre de représentations.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Migneret, chez Vente, an VI – 1798 :
L'Epreuve délicate, comédie en un acte, en ver, Par Roger. Représentée pour la première fois le 24 nivose an 6, par les Comédiens Français, sur le Théâtre de la rue Feydeau.
La page de titre est précédée d'une préface et d'une dédicace :
Préface.
D. Quoi ! une préface pour une comédie en, un acte ?
R. Pourquoi non ? ne faut-il pas que je rende grâces au Public indulgent de l’accueil qu’il a fait à cet Ouvrage ?
D. Oui ; et, par reconnaissance, vous voulez l’ennuyer, en lui parlant de vous ?
R. Mais, ne faut-il pas que je remercie les amis éclairés qui m'ont aidé de leurs conseils ? Par exemple....
D. Ne les nommez pas. L’ouvrage ne fait pas assez d’honneur au disciple, pour que les maîtres puissent s’en glorifier.
R. Soit : mais vous me permettrez au moins de dire que les Artistes du Théâtre Français......
D. Allons ! accablez-les encore d’éloges ! Le talent inimitable de chacun d’eux a prêté à votre Comédie mille charmes qu’elle n’avoit point ; cela est vrai : mais, pourquoi le redire ? le Public ne le sait-il pas ?
R. J’aurais bien voulu répondre à quelques critiques.
D. Les méritez-vous ?
R. La plupart sont fort justes , et je n’ai d’excuse que dans mes vingt-un ans ; mais je crois que l’on a critiqué un peu légèrement le titre de ma pièce. On a dit que l'épreuve du mari était au moins ndiscrète (je n'en disconviens pas ; aussi est-il puni.) et nullement délicate. L'un n'empêche pas l'autre ; car, si le mot délicat signifie souvent noble, délié, d'une honnêteté exquise, on dit aussi : cette entrevue est délicate, ce sujet est délicat, cette affaire est délicate. Délicat signifie bien visiblement alors épinaux, scabreux, indiscret et même dangereux. Un reproche plus grave.....
D. Encore !
R. Quelques personnes m'ont accusé de m'être un peu écarté des règles de la sévère morale.
D. Ces personnes-là n'ont donc pas vu votre ouvrage ?... Mais, c'est assez : le lecteur en jugera.
A ROSE.
Toi, dont le cœur aussi pur qu’un beau jour,
Fixe le mien sous son aimable empire,
Si quelquefois tu payas d’un sourire
Les premiers vers que me dicta l’amour ;
Adopte encor ce léger badinage,
Sous ton nom seul, aux Grâces consacré ;
Et si Phébus dédaigne cet ouvrage,
Presqu’en naissant, si mes vers font naufrage,
Accueille-les.... je me consolerai.
Courrier des spectacles, n° 327 du 25 nivôse an 6 (Dimanche 14 janvier 1793), p. 2 :
[La pièce a été bien accueillie, mais le critique croit utile de préciser le sens du titre : délicat, ici, est à prendre dans le sens de risqué, la pièce, loin d’être « délicate » étant « de la plus grande immoralité ». C’est ce que s’attache à montrer le résumé de l’intrigue, le récit d’une audacieuse expérience d’un mari qui met en contact sa femme avec celui qu’elle aimait avant de se marier. La liste des personnages donnée ensuite est destinée à montrer qu’aucun ne respecte les bienséances les plus élémentaires. Cette immoralité n’empêche pas le comique, mais la pièce ne respecte pas le but que doit poursuivre une comédie, « utile et moral ». L’auteur est invité à choisir « des sujets plus décents ». De même, il faudrait que les quiproquos ne soient pas invraisemblables. La critique s’achève sur l’appréciation positive des interprètes, avec une mention spéciale pour la jeune mademoiselle Mars, promise à un bel avenir.]
Théâtre Feydeau.
La petite comédie donnée hier à ce théâtre sons le titre de l’Epreuve délicate, a été fort applaudie. Avant d’en présenter l’analyse, il est bon de prévenir mes lecteurs que l’épithète délicate signifie vraisemblablement ici dangereuse, car pour de la délicatesse , il n’en existe aucune dans cette pièce qui est de la plus grande immoralité. On va en juger :
Valsin a épousé depuis peu Constance, fille aînée de Mondor, qui, en faisant ce mariage, n’a point consulté le cœur de sa fille, dans lequel Florval auroit eu la préférence. Valsin qui n’est connu de Florval que sous le nom de Mirebelle n’ignore pas quel étoit le penchant de Constance, il veut éprouver s’il dure encore, et écrit à ce premier amant pour l’engager à venir le voir dans son château. Florval arrive, il sait que Constance a épousé un nommé Valsin, mais ignorant que ce nom est celui de Mirebelle, il ne fait pas mystère des regrets qu’il éprouve de s’être vu séparé de Constance.
Valsin lui apprend qu’elle demeure dans la maison ; bientôt elle paroî, et Florval ne croyant pas être devant le mari de celle qu’il aime, donne une libre carrière à ses sentimens. En vain Constance veut lui imposer silence ou se retirer, Valsin lui-mème se retire, et Florval continue jusqu’à-ce que, après des défenses réitérées de lui parler d’amour, Constance propose à son ancien amant la main de Julie sa propre sœur, qui a avec elle beaucoup de ressemblance. Cette jeune personne a vu autrefois Florval, pendant qu’elle étoit au couvent avec la sœur de ce dernier, et a conçu pour lui l’amour le plus vif. Mais Constance piquée de la conduite de son mari, dont elle devine le projet, forme celui de s’en venger, en feignant de sentir du retour pour Florval. En conséquence elle s’oppose à son départ, va le prier elle-même de rester dans la maison ; et après lui avoir donné la main de sa sœur, elle dit à son mari que Florval est dans ce moment avec son image, avec laquelle il se plaît extrêmement ; qu’elle-mêle le trouve plus aimable que jamais. Valsin s'emporte ; Constance croit se justifier en reprochant à son mari de l’avoir exposée en lui faisant revoir un homme qu’elle avoit aimé. Il reconnoît son tort, se jette à ses pieds, et y est surpris par Florval, qui croit que Constance est de nouveau infidèle. Il est fort étonné d’apprendre que celui qu’il croit n’être que Mirebelle est Valsin lui-même, l’époux de Constance. Cet imprudent mari est fort content d’apprendre que ce n’étoit qu’une feinte de la part de son épouse, et s’empresse d’unir Florval à Julie.
Cette pièce offre cinq personnages :
Un mari assez peu délicat pour tourmenter sa femme, en lui amenant un homme qu’il sait qu’elle a aimé ;
Une épouse qui ne peut voir sans la plus vive émotion un amant à qui elle regrette de ne pas être unie ;
Un homme qui respecte assez peu une femme qu’il a aimée, pour oser, la sachant mariée, lui faire sa cour devant un tiers, et chercher, dans le tête-à-tète, à reprendre son empire sur elle ;
Une jeune fille qui ne sait pas ce que c’est que l’amour, mais qui en a conçu un très-vif pour un jeune homme qu’elle a vu dans son couvent, et après lequel elle a toujours l’air de courir ;
Enfin un valet dont le rôle est trop peu de chose pour qu’on lui assigne un caractère.
Au milieu de l’immoralité et des inconvenances que présente cette pièce, on ne peut nier qu’il n’y ait des situations qui seroient comiques, si elles n’étoient pas contraires à la décence. Le style est en général aisé et agréable, sans être fade, et si le citoyen Roger, auteur de cette pièce, qui est son premier ouvrage, veut se persuader que la comédie doit avoir un but utile et moral, il est à présumer qu’il choisira à l’avenir des sujets plus décents, et il y a lieu d’espérer qu’il aura du succès.
Il sera bon cependant qu’il évite des quîproquos invraisemblables, tels que celui de Julie, qui croit que son frère lui répond, tandis qu’il lui tourne le dos, et qu’il se parle à lui-même.
La scène du valet qui vient rendre compte à son maître de son message, n’est pas plus heureuse.
Cette pièce a été parfaitement jouée par les cit. Fleury, Damas, et la citoyenne Mézeray. La citoyenne Mars a eu de très-bons momens dans le rôle de Julie. C’est un de ceux que cette jeune actrice a le mieux joués jusqu’à présent. Il seroit à souhaiter qu’il pût lui faire prendre cet à-plomb dont elle manque dans les autres.
L. P.
L'Esprit des journaux français et étrangers, vingt-septième année, tome III (mars 1798, ventôse an 6), p. 200-201 :
THEATRE DE LA RUE FEYDEAU
L'Epreuve délicate, comédie.
On a donné il y a peu de temps, avec succès, cette petite pièce.
Constance & Julie étoient dans un couvent ; Florval y avoit vu Constance, avoit conçu de l'amour pour elle, & lui avoit inspiré le même sentiment. Mais un père avare avoit forcé Constance à épouser Valsain. Florval désespéré avoit disparu, & les deux époux s'étoient retirés dans une maison de campagne avec Julie ; jeune personne naïve qui n'avoit pas vu sans intérêt l'amant de sa sœur.
Valsain est instruit de la première inclination de sa femme : il conçoit le projet très-singulier d'appeler chez lui Florval, qui ne le connoît que sous le nom de Mirebelle, & qui ignore qu'il a épousé Constance ; le tout, pour éprouver sa femme : épreuve peut-être un peu plus que délicate.
Les deux amans se revoyent ; mais les souvenirs d'un ancien amour ne peuvent émouvoir Constance, qui a conçu beaucoup d'estime pour son époux. Cependant, pour venger son sexe, & punir Valsain de sa défiance, elle feint un moment d'être d'intelligence avec Florval : cette contre-épreuve est comique, & amène naturellement le dénouement, où Florval, épris des grâces naïves & piquantes de Julie, se décide à l'épouser.
Cette courte analyse suffira peut-être pour faire appercevoir les défauts & le mérite du sujet de ce petit ouvrage. On y remarque quelques invraisemblances qui sont rachetées par des sentimens délicats, & par une versification facile & élégante. On doit donc donner des éloges, & surtout des encouragemens, au C. Roger, très-jeune auteur de cette comédie.
Roger est né en 1776.
Dans la base César : 4 représentations, du 13 janvier au 20 février 1798.
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