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L'Esquisse d'un grand tableau

L'Esquisse d'un grand tableau, comédie en un acte et en vaudevilles. 19 ventôse an 9 [10-mars 1801].

Théâtre de l'Opéra Comique National

Almanach des Muses 1802

Le citoyen Franc, limonadier, a fait de grandes réformes dans son café ; ses fils en ont pris l'occasion de se diviser. L'un d'eux, Léon, a desiré l'union de la belle Gique, pupille de M. Germain. Dans l'absence de Léon, ce M. Germain veut ravoir sa pupille, et se ligue, pour cet effet, avec plusieurs étrangers, mais qui l'abandonnent tous à l'exception de M. Jones, Anglais fort riche, et qui aide M. Germain de ses finances et de ses conseils plus que de sa personne. Léon revient, chasse M. Jacob, agent des étrangers, qui brouillait tout dans le café ; combat ensuite Jones et Germain, assiége la maison de celui-ci, le fait poursuivre d'étage en étage jusqu'au grenier par son intrépide camarade Morin, qui le force enfin à signer la cession de la belle Gique.

Allégorie froide, de l'inconvenance dans les détails ; parodie d'un grand événement et de plus grands personnages. Point de succès.

Courrier des spectacles, n° 1476 du 24 ventôse an 9 [15 mars 1801], p. 2 :

[Il a fallu attendre quelques jours pour avoir enfin le compte rendu de la pièce jouée à l’Opéra-Comique National. Ce retard provient de l’indisposition du critique mandaté pour juger la pièce, mais aussi et surtout de la faiblesse de la pièce, une mauvaise accumulation de méchants calembours et d’allusions triviales que le public n’a pas supportée. Un seul point positif, quelques couplets montrant « de l’esprit et de la facilité ». Mais il n’y a pas eu (et il n’y aura pas ?) de deuxième représentation.]

Théâtre Favart.

Une grave indisposition ayant empêché un de nos collaborateurs d’assister a la première représentation de l’Esquisse d'un grand Tableau, donnée le 19 de ce mois, nous avons attendu en vain qu’une seconde représentation nous mît à même d’en donner un extrait. Cet ouvrage est mort né et il ne se relèvera pas de sa chûte Les sifflets ont fait justice de cette production, dont le mérite consistoit en mauvais calembourgs et en allusions triviales et peu dignes de la grande époque que l’on vouloit célébrer.

Voici le sujet de cette Esquisse d'un Grand Tableau :

Lefranc (la France), maître d’un café bien achalandé, a pour ennemis Germain (l’Allemagne !) et Jones (l’Angleterre), qui ont mis dans leurs intérêts un garçon du café nommé Jacob.

Lefranc a reçu chez lui mademoiselle Gique, pupille de Germain, laquelle se soustrait à l’autorité de son tuteur, et cherche un asyle dans la maison de celui qu’elle regarde comme son beau-père futur. Car elle est aimée de Léon, fils de Lefranc, qui craint chaque jour de ne plus revoir ce fils chéri, parti pour un long et périlleux voyage.

Germain, Jones et Jacob se concertent pour enlever la belle Gique (la Belgique. Risum teneatis) de la maison de Lefranc. Léon arrive, sauve sa maîtresse, et veut forcer le tuteur à signer le contrat. Germain, pris lui-même dans sa maison, où il est enfermé par Léon, promet tout, mais diffère toujours. Enfin Léon, las de tant de lenteurs, envoie Morin (Moreau) à l’assaut de la maison de Germain, qui poursuivi jusqu’au dernier étage capitule et signe la paix.

Quelques couplets annoncent néanmoins dans les auteurs de cette carricature de l’esprit et de la facilité.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an IX, deuxième trimestre, n° 18 (30 Ventôse), p. 563-565 :

Théâtre de l'Opéra-Comique-National, rue Favart.

L'esquisse d'un grand tableau.

Nos chansonniers, s'ils n'y prennent garde, réaliseront bientôt le projet ridicule de mettre toute l'histoire en madrigaux. Le Vaudeville devient un peu comme les enfans gâtés, il veut toucher à tout. Nous disions dans le dernier numéro qu'il était des événemens et des personnages auxquels suffirait à peine toute la majesté de la trompette épique ; n'importe, le flageolet veut absolument jouer son rôle ; cette fois néanmoins le public n'a point été complice de sa petite audace, il a trouvé sou hommage et ses chants trop mesquins pour le cadre.

Les auteurs de cette insignifiante bagatelle ont commis une erreur jusques dans la modestie apparente de leur titre, l'esquisse d'un grand tableau doit en offrir toutes les masses et encore les effets, l'expression des attitudes, la vérité des costumes et jusqu'à l'harmonie du coloris. Mais ici les prétendus peintres n'ont offert que des figures de Calot et des travestissemens ridicules ; ils n'ont fait en un mot qu'une informe carricature, et au lieu d'intituler l'ouvrage l'Esquisse d'un grand tableau, ils auraient pu l'appeler la Parodie de plusieurs grands événemens. Leur petite farce ressemble à l'histoire de Brumaire et de Maringo, beaucoup moins que le Virgile travesti, de Scarron, ne ressemble à l'Enéide. Essayons d'en présenter une analyse.

Le C. Franc a fait de grandes réformes dans son café ; son fils en ont pris l'occasion de se diviser : les uns ont déserté la boutique paternelle, tandis que le plus brave d'entre eux, Léon, a fait un voyage long et périlleux. Avant son départ, celui-ci avait trouvé le moyen de se faire aimer de mademoiselle Gique, de la belle Gique, et de l'enlever à son tuteur, M. Germain.

M. Germain, furieux, veut ravoir sa pupille , et se ligue à cet effet avec un espagnol, un russe, un italien, un hollandais, qui s'apperçoivent bientôt qu'il n'y a rien à gagner pour eux. Le seul associé qui reste à M. Germain est un anglais, obstiné, nommé M. Jones, qui l'encourage à profiter de l'absence de Léon pour redemander sa pupile à M. Franc ; mais Léon reparaît tout à coup. Son premier soin est de chasser M. Jacob, agent des étrangers, qui brouillait tout dans le café, et ensuite de se mettre à la tête des affaires de son père.

M. Jones, sans se déconcerter de ce retour imprévu, répand les guinées de nouveau, pour favoriser l'enlèvement de la Belle-Gique, mais Léon franchit les obstacles qu'on a eu soin de lui opposer, et force M. Germain à capituler. Celui-ci rachète un moment de répit par la cession de plusieurs bijou d'Allemagne, que M. Jones paie toujours. Le délai expiré M. Germain veut temporiser encore, mais.Léon fait escalader sa maison par Marin, qui le poursuit d'étage en étage et le force enfin, au grenier, à signer la cession de la Belle-Gique.

On voit que si le genre de l'allégorie était supportable, les développemens présenteraient quelques détails ingénieux ; mais le premier de tous les vices de l'ouvrage, est de travestir ce qui n'est pas fait pour l'être. J'ajouterai même que sous certains rapports, la pièce m'a paru d'une telle inconvenance, que la police eût été, je crois, dans l'obligation d'en faire justice, si le public ne s'en était chargé. Une nation grande et généreuse ne doit pas s'égayer indécemment sur ses ennemis, quand elle les a vaincus et forcés à la paix. Laissons le genre odieux des carricatures au peuple qui fait vanité de haïr tous les autres, et qui ne connaît pas de milieu entre la gravité orgueilleuse et la basse bouffonnerie. Si quelque ambassadeur s'est trouvé par hasard à cette représentation, il aura dû voir que l'esprit public a gagné du côté de la bienséance, et que personne n'a approuvé l'écart des auteurs, qui, j'aime à le croire, n'en avaient pas enx-mêmes senti toute l'inconséquence.

On prépare, dit-on, un vaudeville aux Français. Je ne désespère pas qu'on ne finisse par mettre en chansons Tacite et Montesquieu.                            L. C.

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