Les Émigrés chassés de Spa

Les Émigrés chassés de Spa, comédie en un acte, en prose & vaudevilles, de Guillemain, 19 décembre 1793.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Émigrés chassés de Spa

Genre

comédie en vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

19 décembre 1793

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Guillemain

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 12 (décembre 1794), p. 281-288 :

[L'article consacré à la pièce nouvelle, largement emprunté au Journal des spectacles, est très long. Il commence par une scène accusant le petit monde des émigrés de refuser la cocarde qui marque l'adhésion aux valeurs de la révolution. Puis la pièce commence vraiment. Elle montre la variété des émigrés, ecclésiastiques et aristocrates et leurs problèmes d'argent. On y voit un aubergiste peu désireux de servir des « nobles émigrés » qui ne paient pas, une roturière, éditrice d'un almanach, que ces aristocrates flattent parce qu'ils espèrent lui soutirer de l'argent (en passant, le critique relève une double faute de langue dans un couplet), un capucin scandalisé qu'on ose travailler le dimanche, toute sorte d'ecclésiastiques qui se précipitent auprès d'un marchand de livres pieux revenant de Rome, à qui ils demandent des nouvelles de la papauté (la Révolution est en conflit avec le pape !) ou s'informent des reliques qu'il en ramène. Le critique fustige le piètre niveau des plaisanteries concernant les reliques (« en mauvais vers, dans ce mauvais couplet, de mauvaises plaisanteries »). Autre symbole révolutionnaire, le bonnet rouge, orné d'une cocarde tricolore. Présenté par l'aubergiste, il est « le symbole d'un peuple libéré ». Son efficacité est montrée par un certain André, à qui le port de ce bonnet provoque un grand élan révolutionnaire (« Ah  ça ira »). Le seul bruit de l'arrivée des républicains fait fuir les émigrés : il ne reste que « l'aubergiste, André & Mme. Bourguignon » qui finissent la pièce par des couplets. Il n'y a plus qu'à porter un jugement sur la pièce. Le critique préfère dire que « l’auteur a eu sans doute d'excellentes vues, puisque, dans toute sa piece, il a développé les intentions les plus patriotiques » (ce qui est plutôt ambigu). Et il regrette que la musique n'y a pas la place qui conviendrait à un spectacle qui se veut « un spectacle chantant », allant à l'encontre la fameuse définition du vaudeville par Boileau.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE,

Les émigrés à Spa, comédie en un acte, en prose & vaudevilles ; par Guillemain.

L'auteur a fait précéder cette piece d'une scene-prologue, dans laquelle le magasinier vient s'opposer à ce que la représentation commence, parce qu'il manque à chacun des acteurs, une chose essentielle. Ils veulent savoir ce- que c'est, & le prétendu magasinier leur répond que c'est une cocarde. Mais l'évêque est surpris de ce qu'un homme qui étoit le matin à la répétition peut faire une pareille observation. Comment, lui dit-il, sur l'air : On compteroit les diamans.

Cette scene se passe à Spa,
Où regne encore le despotisme ;
Pouvons-nous dans ce pays-là
Porter le signe du civisme ?
Et lorsque d'un lâche émigré,
On veut rendre le personnage,
Doit-on paroïtre décoré
De la cocarde du courage ?

Le magasinier reconnoît son erreur, & se retire ; l’évêque supplie le public de distinguer l'acteur du personnage; & la piece commence.

Une duchesse, une abbesse, un évêque & un capucin rangés autour d'une fontaine, boivent l'eau que madame Robinet leur fournit. Un marquis survient, reconnoît ses compatriotes, & proteste qu'au-lieu de l'eau de Spa, il vaudroit mieux pour les pauvres émigrés de l'eau du pactole.

Après cette réflexion, il veut les aborder pour leur emprunter de l'argent, ou du moins pour s'étayer de leur crédit ; mais monseigneur le prélat le prévient, après lui avoir dit, sur l'air : Pour passer doucement la vie.

Quand je possédois mon église,
J'étois un fruit vermeil &. beau ;
Le peuple a mangé la cerise :
Je ne suis plus que le noyau.

Cependant l'aubergiste, ennuyé d'avoir sans cesse à sa table tous les nobles émigrés, & de n'avoir pas encore vu de leur argent, prend la résolution de les conduire, & c'est pour cela qu'il veut mettre en usage un stratagême, au moyen duquel il les fera décamper tout de suite. II ne faut pour le préparer que le tems nécessaire aux émigrés pour aller à la fontaine de Gerenstere, ou pour mieux dire de Géronsterde, d'où ils seront de retour pour dîner.

Avant de partir, les émigrés invitent la veuve Bourguignon, à qui l'Europe doit tous les ans l'Almanach de Liege, à venir avec eux. Ils font politesse à cette roturiere, parce qu'elle leur a plusieurs fois prêté de l'argent, & qu'ils esperent qu'elle leur en procurera davantage.

Madame Bourguignon est trop foible pour pouvoir suivre les émigrés; une fâcheuse nouvelle qu'elle vient d'apprendre, la prive de toutes ses forces ; la raison à laquelle les François viennent de donner carte blanche, lui occasionne des frais énormes.

AlR : Ce fut par la faute du sert.

Vraiment elle me met à sec,
Car ses fastes républicaines
Renvoient au calendrier grec
Mes fêtes, mes mois, mes semaines.
De nos jours réorgarnisés
Mon graveur sait une autre planche,
Où décadi, les bras croisés,
Rit de voir travailler dimanche.

Pour parler bon françois, il faudroit nécessairement dire : « Fastes républicains & Calendes grecques; » mais cela n'empêche pas l'abbesse & le capucin d'assurer que nous sommes à la fin du monde, puisqu'on ose travailler le dimanche.

O ciel ! une trompette se sait entendre. Celle du jugement dernier effrayera moins, un jour, monseigneur l'évêque, le marquis & le capucin, que celle dont le son vient de frapper leurs oreilles. Cela devoit être ainsi, puisqu'ils ont cru d'abord que c'étoit pour annoncer l'arrivée des républicains. Heureusement pour la gent émigrée, ce n'est que la trompette de M. Oremus, qui revient de Rome, pour vendre à Spa, le miroir du pécheur, le pédagogue chrétien , le trou de St. Patrice , les oraisons de Ste. Brigitte, &c. Les émigrés n'achetent rien à M. Oremus ; mais l'évêque veut qu'il lui donne des nouvelles de son colonel, & l'abesse lui demande comment le serviteur des serviteurs se porte,, & quelles sont les reliques qu'il s'est procurées à Rome. Oremus répond sur l'air : Du. cantique de St. Hubert.

Du chapeau d'saint Godard ;
Des dents de saint Médard ;
Un'corde de la harpe,
Qu'jadis David pinça,
Un doigt d'saint Polycarpe,
Le nez d'saint Cunefa.

L'auteur a mis en mauvais vers, dans ce mauvais couplet, de mauvaises plaisanteries, qu'on trouve tout au long, dans une assez mauvaise comédie, dont nous avons rendu compte, il y a quelque tems, & à propos de laquelle nous renvoyâmes, à ce que nous croyons, nos lecteurs à un mauvais ouvrage du pénultieme siecle, intitulé : Apologie pour Hérodote, dans lequel se trouvent les modeles de tous les mauvais bons mots qu'on répete à satiété, depuis quelque tems, contre les saints, la parodie, les gens d'église & l'enfer ; ouvrage dans lequel se trouve encore le bon-mot suivant de l’aubergiste : le bonnet carré est l'éteignoir du bon sens. Epigramme qui, par parenthese, est passée de l'apologie pour Hérodote, par Henri Etienne, dans l'Aretin moderne, par un ci-devant abbé de Bruxelles ; de-là, dans la soirée du Vatican de la rue de Louvois ; & de-là, dans les émigrés à Spa, du théatre du Vaudeville, où vraisemblablement ce bon-mot ne terminera pas ses courses vagabondes.

Quoi qu'il en soit, l'aubergiste ne l'a pas moins dit, & il n'a pas moins ajoùté que, si ce bonnet est l'éteignoir du bon sens, il en est un autre qui le rallume. André, persuadé qu'il y a bonnet & bonnet, désire de savoir quel est celui dont son bourgeois veut lui parler, & l'aubergiste lui montre un bonnet rouge, orné de la cocarde aux trois couleurs. Qu'est-ce que cela veut dire ? s'écrie André. — C'est le symbole d'un peuple libre !

AlR. : Fournissez un canal au ruisseau.

Dans le bleu, François, on voit les cieux,
A la face duquel tu marches,
Tandis que le tyran soucieux,
Cache jusqu'à ses moindres démarches :
Le blanc nous peint la pureté
De ton union fraternelle,
      Le rouge toujours te rappelle
      Les martyrs de la liberté.

André tient à peine le bonnet, que la joie le transporte, & qu'il chante, dans toute la gaieté de son cœur.

    Ah ! ça ira, ça ira, ça ira :
Les rois sont des châteaux en Espagne,
    Ah ! ça ira, ça ira, ça ira :
On aura d'la pein'; mais ça s'séchera.
Oui, jusques dans le Monotapa........
    Ah! ça ira, ça ira, ça ira,
    II est écrit sur une montagne
    Que ça ira, ça ira, ça ira ;
Et l'on peut s'fier à c'te montagn'là.
    Bientôt par-tout le peuple dira :
    Que j'sis bête de souffrir tout ça !
    Allons , plus de fauteuil comm'ça,
    Ah ! ça ira, ça ira, &c.

Cette chanson est à peine achevée, que les émigrés reparoissent, & se félicitent entre eux, de ce qu'ils touchent au moment d'aller se mettre à table. Quelle heure est-il, dit le marquis à l'évêque, en montrant sa croix ; celui-ci répond, sur l'air : N'en demandez pas davantage.

Voici ma piece de crédit,
La seule échappée au naufrage :
Pour le reste, amis, tout est dit,
Le besoin en a fait usage.

Le marquis.

Mais je vois pourtant...

L'évêque.

N'en demandez pas davantage.

L'aubergiste entre, tout essoufflé, en poussant de longs soupirs ; on veut savoir ce qu'il a. Des François... républicains, dit il, s'avancent, & aussitôt, André se montre avec son bonnet rouge & sa cocarde tricolore. A cet aspect, le sang des émigrés se glace dans leurs veines. Mais, revenus de leur premier étonnement, ils prennent la fuite, & courent encore. Demeurés seuls, l'aubergiste, André & Mme. Bourguignon terminent la piece, en chantant quelques couplets.

Cette piece est-elle une bonne comédie, est-elle seulement une comédie, a- t-elle obtenu du succès, restera-t-elle au théatre ? Nous nous bornerons à répondre à toutes ces questions, que l’auteur a eu sans doute d'excellentes vues, puisque, dans toute sa piece, il a développé les intentions les plus patriotiques.

Mais, une autre espece de développement dont on auroit bien besoin au théatre du vaudeville, est celui de l'orchestre ; on y croit quelquefois, Dieu nous pardonne, que les musiciens y sont endormis. Et quelquefois aussi, on semble y compter la musique pour si peu de chose, qu'on est tenté de se demander : Le vaudeville est-il un spectacle chantant ?.... N'attendons pas la réponse ; car si elle étoit pour 1’affirmative, il nous faudroit demander, à notre tour, pourquoi donc, à ce théatre, on néglige si fort l'accompagnement ? Et si elle étoit pour la négative, nous serions peut-être tentés de croire que Boileau s'est trompé, en disant :

Le François, né malin, créa le vaudeville.
Agréable, indiscret qui, conduit par le chant,
Vole de bouche en bouche, & s'accroît en marchant.

(Journal des spectacles , &c.)

La base César connaît deux pièces concernant les émigrés à Spa, les Émigrés à Spa, et les Émigrés chassés de Spa, deux pièce dont il ne dit pas grand chose :

  • les Émigrés à Spa, d’auteur inconnu, jouée le 2 janvier 1794 au Théâtre du Vaudeville

  • les Émigrés chassés de Spa, d’auteur inconnu, jouée au Théâtre du Vaudeville, les 19, 21 et 24 décembre 1793.

Aucune des deux pièces (qui risquent fort de n’en faire qu’une) n’a été publiée.

Le Bibliophile belge, tome VII (septième année, Bruxelles 1872), p. 251 :

1793. — Les Emigrés chassés de Spa, vaudeville en un acte par Guillemain.

Le titre de cette pièce non imprimée, représentée à Paris sur le théâtre du Vaudeville le 19 décembre 1793, a été donné inexactement par De Villenfagne et Dethier(ce dernier sans nom d'auteur), qui l'intitulent : Les émigrés à Spa. De Villenfagne, qui ignorait si elle avait été imprimée, en parle pourtant de manière à faire supposer qu'elle le fut. « Guillemain, dit-il, appartenait au théâtre du Vaudeville de Paris. Sa pièce fut représentée l'année même de son apparition. Ecrite sous l'inspiration des idées nouvelles, elle a pour personnages : Une duchesse, une abbesse, un évêque, un capucin, un marquis, et... la veuve Bourguignon, imprimeur de l'almanach de Mathieu Laensbergh. » Ch. J. Guillemain, né le 23 août 175o, mourut à Paris le 25 décembre 1799. On lui attribue 8oo pièces environ. La Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne ne cite de cet auteur qu'une pièce qui concerne notre pays : Les Prisonniers français à Liége comédie et fait historique ; an II.

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