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Les Evénemens imprévus

Les Evénemens imprévus, opéra en trois actes, livret de Thomas d’Hèle, avec une nouvelle musique de Ferrari, 5 décembre 1791.

Théâtre de Mlle Montansier.

La musique de Ferrari remplace (ou prétend remplacer) celle de Grétry

Titre :

Evénemens imprévus (les)

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

 

Musique :

oui

Date de création :

5 décembre 1791

Théâtre :

Théâtre de Mademoiselle Montansier

Auteur(s) des paroles :

 

Compositeur(s) :

M. Ferrari

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 3 (mars 1792), p. 322-324 :

[Dire que ce compte rendu est plein de réticences, c’est être en-dessous de la vérité. La musique de M. Ferrari, qui a pris la place de celle de Grétry, « sublime objet de comparaison », est jugée comme « un excellent ouvrage », mais c’est la musique de Grétry que chantaient les spectateurs qui sortaient du théâtre. Et la comparaison de quelques passages tourne à la confusion de Ferrari, qui étant italien, « a blessé souvent les convenances dramatiques, & plus souvent les regles de la prosodie ».]

THÉATRE DE MLLE. MONTANSIER.

Au mois de décembre de l'année derniere on a donné, à ce théatre, les Evénemens imprévus, opéra en trois actes, avec une nouvelle musique de M. Ferrari.

Sans nous permettre aucunes réflexions sur la nouveauté qui a attiré le public à ce spectacle ; sans examiner ni la loi des procédés, ni mille autres considérations auxquelles elle pourroit donner lieu, nous nous contenterons de parler du succès qu'a obtenu M. Ferrari, compositeur italien, qui, pour son début, nous a donné une musique nouvelle sur les Evénemens imprévus. Nous voudrions éloigner de notre souvenir le sublime objet de comparaison que nous devons à M. Grétry ; mais nous ne pouvons que faire comme le public, qui, en sortant de chez Mlle. Montansier, chantoit, sans y penser, plusieurs fragmens de l'ancienne musique, & sans doute ce trait suffiroit pour faire connaître l'impression qu'a faite celle de M. Ferrari. Nous dirons cependant que ce compositeur s'est montré savant, adroit & très-intelligent, & que, s'il eût travaillé sur un autre poème, on eût pu regarder sa musique comme un excellent ouvrage. ses parties d'orchestre sont bien partagées, bien entendues & très-bien écrites : de jolis traits de chant, des effets d'harmonie, une division piquante de ces effets entre ses instrumens à vent & ses violons, voilà ce qui distingue particuliérement son orchestre.

La partie dramatique de sa musique, n'est pas si satisfaisante. Les morceaux auxquels le public l'attendoit, sont ceux qu'il a le plus foiblement rendus. L'expression juste de la situation, manque dans plusieurs de ces morceaux : il n'a pas senti le voilà ce que m'ont dit ses yeux, qui termine le duo du marquis & du financier, au premier acte, & qui fait l'épigramme de tout ce que le fat a dit précédemment. Il a traité d'une maniere sentimentale, le duo, J'aime Philinte tendrement , &c. & l'on ne doit y trouver que de l'embarras du côté de René, & de la coquetterie de la part de la soubrette. Le morceau, Ah ! dans le siecle où nous sommes, est manqué totalement : le duo, serviteur à Monsieur la Fleur, est plus satisfaisant, parce que les intentions du premier compositeur y sont plus respectées, ainsi que dans la finale du premier acte, & le sextuor du second, qui n'a que le défaut d'être un peu long. En un mot, M. Ferrari a blessé souvent les convenances dramatiques, & plus souvent les regles de la prosodie. II repete quelque part : Bonne-foi, bonne-foi, me venger, me venger, &c. II fait dire à la soubrette : Cela vous plaît à dire, sur les mêmes notes que René a chanté, Je ne suis pas galant, &c. Ces défauts ne seroient pas dignes d'être relevés, si l'on ne se rappelloit la maniere dont le premier compositeur les a évités.

Nous terminerons cependant cet article par inviter le public à entendre cette nouvelle musique, qui a infiniment de mérite, à oublier totalement qu'on en a déja fait sur les Evénement imprévus, & nous pouvons l'assurer, s'il peut s'imposer cette loi & ne point faire de comparaison, qu'il sera très-satisfait de cet ouvrage, qui offre de l'harmonie, une mélodie pure, une facture large, & des accompagnemens très-agréables.

Collection complète des œuvres de Grétry publiée par le gouvernement belge  : Les événements imprévus, comédie en trois actes, Volume 10 [Leipzig et Bruxelles, Breitkopf & Haertel, 1890], p. vii :

[Edouard Fétis, le préfacier de l'opéra d'Hèle et Grétry fait preuve d'un beau patriotisme belge et fait un sort scelle définitivement le sort de la musique de Ferrari, et en sus, de celle de Mengozzi : les deux compositeurs italiens ayant osé toucher aux œuvres de Grétry sont punis par l'insuccès de leurs adaptations.]

La propriété littéraire et artistique n'était guère respectée il y a un siècle. En 1794 un musicien italien nommé Ferrari qui était venu se fixer à Paris où, par la protection de Mme Campan, il était sur le point de devenir le maître de chant de la Reine, quand les événements politiques mirent obstacle à ce qu'il obtint cette faveur, crut pouvoir se permettre de s'emparer de la pièce des Evénements imprévus et d'y adapter une nouvelle musique du vivant de Grétry, ce qui était une énormité contre laquelle il est étrange que le compositeur liégeois n'ait pas protesté dans ses Mémoires. Un neveu du grand artiste n'a pas manqué de signaler le fait dans son livre : Grétry en famille : « La directrice d'un théâtre lyrique de Paris, dit-il, crut pouvoir, parce que l'auteur des paroles n'existait plus, se permettre de faire jouer à son spectacle les Evénements imprévus et l'Amant jaloux avec une musique nouvelle. Ce ne fut qu'un triomphe de plus pour Grétry. La première représentation de ces nouveaux Evénements imprévus prouve que l'ancienne musique était pour ainsi dire consacrée. Les plus violents murmures se firent entendre pendant et à la fin de chaque morceau et lorsque le duo : Serviteur à Monsieur La Fleur arriva, le motif qu'avait choisi Mr. Ferrari, auteur de cette musique, parut si complètement ridicule, que le public, pour punir les audacieux, fit cesser sur le champ la représentation. » La directrice d'un théâtre lyrique dont il est parlé dans le passage que nous venons de transcrire, c'était la Montansier qui avait transporté de Versailles à Paris une exploitation lyrique et y avait ouvert un théâtre portant d'abord son nom, pour prendre ensuite, en 1793, celui de « Théâtre de la Montagne ci-devant de Montansier, au Jardin de la Révolution ». L'inconvenance du procédé de la Montansier à l'égard de Grétry avait été signalée, avant même que l'idée même reçût un commencement d'exécution, dans la note suivante publiée par l'Almanach des Spectacles de 1792 :

« On dit que Mme Montansier a l'audace de faire faire une musique nouvelle à L'Amant jaloux, aux Evènements imprévus et au Jugement de Midas ; MM. Ferrari et Mengozzi, dit-on, auraient osé se charger de ce travail. C'est un parti bien pris de ravir à la Comédie Italienne ces trois chefs-d'œuvre. Mais, outre que, dans ce genre, ces deux compositeurs sont à cent lieues du talent de Grétry, outre que l'indignation publique doit venger la mémoire de Dell (d'Hèle), les Comédiens Italiens peuvent être bien tranquilles sur la prétendue concurrence que l'accapareuse veut établir entre elle et ses voisins ; la supériorité de leurs talents doit les rassurer à jamais. L'ensemble avec lequel les Italiens jouent leurs ouvrages ne se retrouvera nulle part et l'on ira cent fois entendre les beaux morceaux de Grétry, quand on aura bâillé une ou deux fois aux savants mais monotones accents de nos deux faiseurs ultramontains. Ferrari n'a nullement le genre qui convient à la scène et Mengozzi est aussi glacial dans sa musique que dans son jeu. »

Nous avons dit quel avait été l'insuccès de la tentative peu délicate de Ferrari avec les Evénements imprévus. Ce qui doit être noté comme une particularité assez bizarre, c'est qu'en quittant Paris où la fortune ne lui souriait pas, ce compositeur, qui s'était emparé d'une pièce appartenant au célèbre musicien liégeois, prit précisément la route de son pays. Ferrari se rendit, en effet, à Bruxelles, puis à Spa où il donna des concerts avant de se fixer en Angleterre. Mengozzi, chanteur et compositeur, Florentin d'origine, établi à Paris depuis 1787, n'eut pas davantage à se féliciter d'avoir refait, pour le théâtre de la Montansier, de nouvelle musique pour le Tableau parlant en 1792 et pour l'Amant jaloux en 1793. Les partitions de Grétry sont restées debout, universellement admirées, tandis que celles du musicien florentin n'existent plus, si tant est qu'elles aient jamais existé.

[L'Amant jaloux, livret de Thomas d'Hèle et musique de Grétry, a été créé en novembre 1778 à Versailles.

Le Jugement de Midas , livret de Thomas d'Hèle et musique de Grétry, a été créé par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi le 17 juin 1778.

Le Tableau parlant, comédie-parade en un acte et en vers, de Louis Ansaulme, musique de Grétry, a été créé par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi le 20 septembre 1769.]

César : pas de mise à part de cette nouvelle version des Evénemens imprévus, il n'y a de notice que pour la version mise en musique par Grétry (nombreuses représentations depuis le 11 novembre 1779). On peut simplement relever les représentations au théâtre Montansier à partir du 5 décembre 1791 et jusqu'au 7 septembre 1793 (33 représentations). André Tissier comptabilise 24 représentations jusqu’à septembre 1792 (la chute de la royauté). Dans le même temps, le Théâtre italien continue à jouer la pièce, sans doute avec la musique de Grétry. La pièce s'exporte également au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, dès 1781, en 1790, en 1791, en 1792 : c'est très probablement la musique de Grétry qu'on joue alors.

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