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Les Evénemens imprévus
Les Evénemens imprévus, opéra en trois actes, livret de Thomas d’Hèle / d'Helle, avec une nouvelle musique de Ferrari, 5 décembre 1791.
Théâtre de Mlle Montansier.
La musique de Ferrari remplace (ou prétend remplacer) celle de Grétry
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Titre :
Evénemens imprévus (les)
Genre
opéra
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
Musique :
oui
Date de création :
5 décembre 1791
Théâtre :
Théâtre de Mademoiselle Montansier
Auteur(s) des paroles :
d'Hèle / d'Helle
Compositeur(s) :
Ferrari
Mercure universel, tome 10, n0 274 du vendredi 2 décembre 1791, p. 31-32 :
[La question est délicate : les poèmes de M. d'Helle, un Britannique établi de longue date en France et décédé en 1780, sont devenus libres de droits (au bout de dix ans...), et la tentation est grande de les reprendre en les accompagnant d'une musique nouvelle, la musique originale de Grétry n'étant pas libre de droit (Grétry se porte à merveille). Pas question de reprendre une pièce de d'Helle avec la musique de Grétry : les œuvres appartiennent au répertoire du Théâtre Italien qui n'a sans doute pas envie de les céder à un théâtre concurrent. Les administrateurs du Théâtre de Madame Montansier ont tenter le passage en force : ils ont fait faire la musique d'un premier livret par Ferrari, les Événemens imprévus et sont prêts à la faire jouer (elle le sera le 5 décembre 1791). Et ils ont fait faire des musiques pour deux autres œuvres, le Jugement de Midas et l'Amant jaloux.°
Paris, 30 novembre.
Messieurs,
Multiplier les amusemens du public, voilà le devoir et la gloire des entre preneurs d’un spectacle ; s’ils remplissent l’un par la variété des ouvrages qu’ils mettent sous ses yeux, ils obtiennent l’autre par le goût qu'ils consultent dans le choix de ces mêmes ouvrages. Trois poëmes, le jugement de Midas, l'Amant jaloux, les Evénemens imprévus, dont l’ancien et juste succès rappelle douloureusement aux lettres la perte de leur auteur, sont tombés dans la propriété publique. Admirateurs des talens de monsieur Gretry, et des beautés que son génie musical répandit sur ces charmantes productions de M. d’Helle, nous lui exprimâmes vivement le vœu de les voir applaudis sur notre scène : nous devions d’autant mieux nous flatter qu’il l’exauceroit, que nous fûmes, dans tous les temps, des premiers à nous arranger avec lui des ouvrages dont il enrichissoit, chaque année, le théâtre Italien ; mais cette fois, nos sollicitations, nos prières, nos offres ont été vaines : sans doute que retenu par des considérations qu’il ne nous appartient pas de pénétrer, M. Gretry a cru ne devoir, exclusivement, ses talens qu’à un théâtre unique. Libres; par ses refus, nous nous décidâmes alors à faire faire de la musique nouvelle sur les poëmes de M. d’Helle.
Ce procédé entièrement conforme, de l’aveu môme des musiciens, aux usages d’Italie, où les mêmes poëmes ne paroissent jamais deux hivers de suite, sous la même musique, nous parut réunir le double avantage, et de varier les jouissances du public, et de concourir aux progrès de l’art ; nous trouvâmes des compositeurs assez courageux pour travailler sur des sujets déjà traités par M. Grétry ; mais trop modestes cependant pour prétendre rivaliser avec lui ; en conséquence, les Événements imprévus vont paroître, et la musique des deux autres poëmes sera bientôt finie.
Voilà , messieurs , nos motifs et nos résultats ; leur pureté doit les mettre au-dessus de toutes fausses interprétions, et nous engage à les rendre publics par la voie de votre journal. L’expérience a prouvé que la gloire d’un grand-homme s’accroît par les comparaisons ; et l’on peut en acquérir beaucoup encore sans atteindre à celle de M. Grétry. Nous osons croire que le public, qui dispense les encouragemens de la main dont il couronne les chefs-d’ceuvres, daignera reconnoitre en cela nos efforts pour conserver les bontés dont il nous honore.
Les entrepreneurs du théâtre de Mlle. Montansier.
Mercure universel, tome 10, n° 278 du 6 décembre 1791, p. 95-96 :
[Après la lettre des entrepreneurs du théâtre, le Mercure universel fait le compte rendu de la première représentation, en se montrant d'une belle indulgence envers Ferrari, le nouveau compositeur qui a marché sur les traces de l'intouchable Grétry. Pas besoin du parler du « poëme », puisque c'est celui que Grétry a mis en musique, il ne faut juger que la musique de Ferrari. Avant de prendre position, le critique a besoin d'affirmer son impartialité, qu'il estime connue de tous. Il se limite à signaler une série de morceaux de la pièce, surtout dans l'acte un les actes 2 et 3 sont manifestement moins riches pour lui. Il se lance ensuite dans la tâche délicate de juger l'ensemble de l'œuvre, et le ton est un peu embarrassé. Il juge que la nouvelle musique emprunte beaucoup à Grétry, qu'elle a été écrite « la partition de Grétry sous les yeux », en privilégiant l'orchestre sur « la partie du chant ». Mais le bilan est toutefois positif : une « composition d’un style fort agréable », preuve d'un « grand talent ». Mais pas question de dire qui l'emporte, de Ferrari ou de Grétry, tout en rappelant combien Grétry est un musiien confirmé, aux « succès multipliés ». L'essai tenté par Ferrari doit servir d'exemple aux jeunes compositeurs : qu'ils n'hésitent pas à exploiter les riches d'un bon livret. L'auteur ( du livret ? de la musique ?) a été nommé, reste à féliciter les interprètes...]
Theatre de Mademoiselle Montensier.
Les entrepreneurs du théâtre de mademoiselle Montensier ont fait connoître dans une lettre que nous avons insérée dans notre numéro du 2 de ce mois, les motifs qui les ont déterminés à faire composer une nouvelle musique sur les Evénemens imprévus dont le poëme est de M. d'Helle. Cette lettre justifie la pureté des intentions de mademoiselle Montensier, le désir qu’elle a d’encourager les arts par la concurrence, et prévient toutes les malignes interprétations de l’envie.
Cette représentation des Evènemens imprévus a eu lieu hier, et le succès a couronné les efforts du compositeur. Pour un journaliste, dont la réputation d’impartialité seroit moins établie que la nôtre, il seroit peut-être chatouilleux de rendre compte d’une musique qui rivalise celle de M. Grétry ; mais comme nous avons toujours prouvé qu’aucune considération individuelle n'influence jamais notre opinion, et que la vérité seule et l’amour des arts conduisent notre plume, nous allons rendre un compte succint de nos impressions et de celle du public :
Toute la première partie du premier acte nous a paru d'un coloris frais et doux. Nous avons distingué la finale du premier acte, le morceau d’ensemble du second qui est d'une composition riche, le quatuor qui termine cet acte, et enfin la courte finale du troisième.
En général, il nous a semblé que l’auteur avoit plus soigné l’orchestre, que la partie du chant ; l’on seroit tente de penser qu’il a composé sa musique, la partition de M. Grétry sous les yeux, et qu’il a imité quelques phrases ; ce qui pourroit justifier notre observation, c’est que nous avons cru reconnoître qu’on avoit quelquefois tourné autour des motifs.
Néanmoins cette composition d’un style fort agréable, fait beaucoup d'honneur à M. Ferari, et prouve un grand talent. Nous ne prononçons pas entre lui et M. Grétry, dont la réputation est assurée par des succès multipliés. Les Evenemens imprévus sont connus et jugés, et tout le monde nous entendra.
Cet essai doit encourager des jeunes compositeurs, et leur prouver 1'heureuse influence d’un bon poëme, qui jamais ne fera tomber un opéra, telle médiocre que puisse être la musique.
(Cette dernière remarque est générale, et ne regarde le nullement la musique dont nous parlons ici avec éloge).
Le public a demandé l'auteur, il a paru, nous l'avons déjà nommé. On a fort applaudi et à juste titre MM. Micalef, le Brun, César, Amiel, et mademoiselle Lillier.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 3 (mars 1792), p. 322-324 :
[Dire que ce compte rendu est plein de réticences, c’est être en-dessous de la vérité. La musique de M. Ferrari, qui a pris la place de celle de Grétry, « sublime objet de comparaison », est jugée comme « un excellent ouvrage », mais c’est la musique de Grétry que chantaient les spectateurs qui sortaient du théâtre. Et la comparaison de quelques passages tourne à la confusion de Ferrari, qui étant italien, « a blessé souvent les convenances dramatiques, & plus souvent les regles de la prosodie ».]
THÉATRE DE MLLE. MONTANSIER.
Au mois de décembre de l'année derniere on a donné, à ce théatre, les Evénemens imprévus, opéra en trois actes, avec une nouvelle musique de M. Ferrari.
Sans nous permettre aucunes réflexions sur la nouveauté qui a attiré le public à ce spectacle ; sans examiner ni la loi des procédés, ni mille autres considérations auxquelles elle pourroit donner lieu, nous nous contenterons de parler du succès qu'a obtenu M. Ferrari, compositeur italien, qui, pour son début, nous a donné une musique nouvelle sur les Evénemens imprévus. Nous voudrions éloigner de notre souvenir le sublime objet de comparaison que nous devons à M. Grétry ; mais nous ne pouvons que faire comme le public, qui, en sortant de chez Mlle. Montansier, chantoit, sans y penser, plusieurs fragmens de l'ancienne musique, & sans doute ce trait suffiroit pour faire connaître l'impression qu'a faite celle de M. Ferrari. Nous dirons cependant que ce compositeur s'est montré savant, adroit & très-intelligent, & que, s'il eût travaillé sur un autre poème, on eût pu regarder sa musique comme un excellent ouvrage. ses parties d'orchestre sont bien partagées, bien entendues & très-bien écrites : de jolis traits de chant, des effets d'harmonie, une division piquante de ces effets entre ses instrumens à vent & ses violons, voilà ce qui distingue particuliérement son orchestre.
La partie dramatique de sa musique, n'est pas si satisfaisante. Les morceaux auxquels le public l'attendoit, sont ceux qu'il a le plus foiblement rendus. L'expression juste de la situation, manque dans plusieurs de ces morceaux : il n'a pas senti le voilà ce que m'ont dit ses yeux, qui termine le duo du marquis & du financier, au premier acte, & qui fait l'épigramme de tout ce que le fat a dit précédemment. Il a traité d'une maniere sentimentale, le duo, J'aime Philinte tendrement , &c. & l'on ne doit y trouver que de l'embarras du côté de René, & de la coquetterie de la part de la soubrette. Le morceau, Ah ! dans le siecle où nous sommes, est manqué totalement : le duo, serviteur à Monsieur la Fleur, est plus satisfaisant, parce que les intentions du premier compositeur y sont plus respectées, ainsi que dans la finale du premier acte, & le sextuor du second, qui n'a que le défaut d'être un peu long. En un mot, M. Ferrari a blessé souvent les convenances dramatiques, & plus souvent les regles de la prosodie. II repete quelque part : Bonne-foi, bonne-foi, me venger, me venger, &c. II fait dire à la soubrette : Cela vous plaît à dire, sur les mêmes notes que René a chanté, Je ne suis pas galant, &c. Ces défauts ne seroient pas dignes d'être relevés, si l'on ne se rappelloit la maniere dont le premier compositeur les a évités.
Nous terminerons cependant cet article par inviter le public à entendre cette nouvelle musique, qui a infiniment de mérite, à oublier totalement qu'on en a déja fait sur les Evénement imprévus, & nous pouvons l'assurer, s'il peut s'imposer cette loi & ne point faire de comparaison, qu'il sera très-satisfait de cet ouvrage, qui offre de l'harmonie, une mélodie pure, une facture large, & des accompagnemens très-agréables.
Collection complète des œuvres de Grétry publiée par le gouvernement belge : Les événements imprévus, comédie en trois actes, Volume 10 [Leipzig et Bruxelles, Breitkopf & Haertel, 1890], p. vii :
[Edouard Fétis, le préfacier de l'opéra d'Hèle et Grétry fait preuve d'un beau patriotisme belge et fait un sort scelle définitivement le sort de la musique de Ferrari, et en sus, de celle de Mengozzi : les deux compositeurs italiens ayant osé toucher aux œuvres de Grétry sont punis par l'insuccès de leurs adaptations.]
La propriété littéraire et artistique n'était guère respectée il y a un siècle. En 1794 un musicien italien nommé Ferrari qui était venu se fixer à Paris où, par la protection de Mme Campan, il était sur le point de devenir le maître de chant de la Reine, quand les événements politiques mirent obstacle à ce qu'il obtint cette faveur, crut pouvoir se permettre de s'emparer de la pièce des Evénements imprévus et d'y adapter une nouvelle musique du vivant de Grétry, ce qui était une énormité contre laquelle il est étrange que le compositeur liégeois n'ait pas protesté dans ses Mémoires. Un neveu du grand artiste n'a pas manqué de signaler le fait dans son livre : Grétry en famille : « La directrice d'un théâtre lyrique de Paris, dit-il, crut pouvoir, parce que l'auteur des paroles n'existait plus, se permettre de faire jouer à son spectacle les Evénements imprévus et l'Amant jaloux avec une musique nouvelle. Ce ne fut qu'un triomphe de plus pour Grétry. La première représentation de ces nouveaux Evénements imprévus prouve que l'ancienne musique était pour ainsi dire consacrée. Les plus violents murmures se firent entendre pendant et à la fin de chaque morceau et lorsque le duo : Serviteur à Monsieur La Fleur arriva, le motif qu'avait choisi Mr. Ferrari, auteur de cette musique, parut si complètement ridicule, que le public, pour punir les audacieux, fit cesser sur le champ la représentation. » La directrice d'un théâtre lyrique dont il est parlé dans le passage que nous venons de transcrire, c'était la Montansier qui avait transporté de Versailles à Paris une exploitation lyrique et y avait ouvert un théâtre portant d'abord son nom, pour prendre ensuite, en 1793, celui de « Théâtre de la Montagne ci-devant de Montansier, au Jardin de la Révolution ». L'inconvenance du procédé de la Montansier à l'égard de Grétry avait été signalée, avant même que l'idée même reçût un commencement d'exécution, dans la note suivante publiée par l'Almanach des Spectacles de 1792 :
« On dit que Mme Montansier a l'audace de faire faire une musique nouvelle à L'Amant jaloux, aux Evènements imprévus et au Jugement de Midas ; MM. Ferrari et Mengozzi, dit-on, auraient osé se charger de ce travail. C'est un parti bien pris de ravir à la Comédie Italienne ces trois chefs-d'œuvre. Mais, outre que, dans ce genre, ces deux compositeurs sont à cent lieues du talent de Grétry, outre que l'indignation publique doit venger la mémoire de Dell (d'Hèle), les Comédiens Italiens peuvent être bien tranquilles sur la prétendue concurrence que l'accapareuse veut établir entre elle et ses voisins ; la supériorité de leurs talents doit les rassurer à jamais. L'ensemble avec lequel les Italiens jouent leurs ouvrages ne se retrouvera nulle part et l'on ira cent fois entendre les beaux morceaux de Grétry, quand on aura bâillé une ou deux fois aux savants mais monotones accents de nos deux faiseurs ultramontains. Ferrari n'a nullement le genre qui convient à la scène et Mengozzi est aussi glacial dans sa musique que dans son jeu. »
Nous avons dit quel avait été l'insuccès de la tentative peu délicate de Ferrari avec les Evénements imprévus. Ce qui doit être noté comme une particularité assez bizarre, c'est qu'en quittant Paris où la fortune ne lui souriait pas, ce compositeur, qui s'était emparé d'une pièce appartenant au célèbre musicien liégeois, prit précisément la route de son pays. Ferrari se rendit, en effet, à Bruxelles, puis à Spa où il donna des concerts avant de se fixer en Angleterre. Mengozzi, chanteur et compositeur, Florentin d'origine, établi à Paris depuis 1787, n'eut pas davantage à se féliciter d'avoir refait, pour le théâtre de la Montansier, de nouvelle musique pour le Tableau parlant en 1792 et pour l'Amant jaloux en 1793. Les partitions de Grétry sont restées debout, universellement admirées, tandis que celles du musicien florentin n'existent plus, si tant est qu'elles aient jamais existé.
[L'Amant jaloux, livret de Thomas d'Hèle et musique de Grétry, a été créé en novembre 1778 à Versailles.
Le Jugement de Midas , livret de Thomas d'Hèle et musique de Grétry, a été créé par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi le 17 juin 1778.
Le Tableau parlant, comédie-parade en un acte et en vers, de Louis Ansaulme, musique de Grétry, a été créé par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi le 20 septembre 1769.]
César : pas de mise à part de cette nouvelle version des Evénemens imprévus, il n'y a de notice que pour la version mise en musique par Grétry (nombreuses représentations depuis le 11 novembre 1779). On peut simplement relever les représentations au théâtre Montansier à partir du 5 décembre 1791 et jusqu'au 7 septembre 1793 (33 représentations). André Tissier comptabilise 24 représentations jusqu’à septembre 1792 (la chute de la royauté). Dans le même temps, le Théâtre italien continue à jouer la pièce, sans doute avec la musique de Grétry. La pièce s'exporte également au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, dès 1781, en 1790, en 1791, en 1792 : c'est très probablement la musique de Grétry qu'on joue alors.
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