La femme qui sait se taire, comédie en prose et en un acte, mêlée d'ariettes, de Lavallée, musique de Foignet.
Théâtre National.
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Titre :
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Femme qui sait se taire (la)
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Genre
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comédie mêlée d’ariettes
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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ariettes
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Date de création :
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28 octobre 1793
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Théâtre :
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Théâtre National
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Auteur(s) des paroles :
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Lavallée
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Compositeur(s) :
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Foignet
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 1 (janvier 1794), p. 341-346 :
[Il faut bien commencer par le résumé de l’intrigue, jusqu’au dénouement compris. Le critique s’exécute, non sans se soumettre aux préjugés, antijuifs en particulier, mais aussi non sans montrer sa perplexité devant certains éléments de la pièce : comment Ismaël peut aller chercher en Turquie ce qu’il n’a pas trouvé ailleurs en Europe, une femme à sa convenance ? L’expression de la surprise se retrouve largement tout au long de ce résumé. Une fois le mariage que tous attendaient rendu possible, le jugement tombe : la pièce est mauvaise, « un imbroglio au lieu d’une intrigue ». Et l’auteur a malencontreusement oublié l’essentiel, le but moral du théâtre : « En parcourant la carriere du théatre , on doit montrer son attachement pour la patrie, & travailler de toutes ses forces à perfectionner l'esprit public ». Ce n’est pas le cas dans cette pièce. La musique n’est pas mieux traitée : elle n’est pas « aussi dramatique qu’elle pourroit l’être ». Et le critique énumère les « reproches les mieux fondés » qu’il a à lui faire : faire chanter une ariette à un personnage qui risque de se faire surprendre : moment mal choisi pour faire des roulades ; « des changemens peu nécessaires dans le rhythme & les motifs » ; « trop de luxe dans les accompagnemens ». Le compte rendu s’achève sur une vigoureuse condamnation de l’italianisme de cette musique : la bonne musique dramatique est la musique française ! Et il ne faut surtout pas « suivre la marche routiniere que les virtuosi ultramontains y ont tracée ».]
La femme qui sait se taire, comédie en prose & en un acte, mêlée d'ariettes; par M. Lavallée, musique de M. Foignet.
Le turc Hassan veut se défaire de la belle Zelmire, dont le Juif Ismaël lui a offert cinq cents ducats. La lui livrera-t-il pour ce prix ? Oui, parce qu'elle est devenue sourde & muette. Mais le vieil Israélite tiendra-t-il la promesse qu'il a faite ? Oui, s'il n'écoute que son amour ; non, s'il consulte ses intérêts. Or, personne n'ignore que l'intérêt l'a toujours emporté sur l'amour dans le cœur d'un Juif. Mais un officier de dragons, un François, est bien différent en cela d'un enfant de Jacob, & sur-tout Célicourt, qui aime éperduement Zelmire.
Cela doit être, parce qu'il est arrivé tout exprès, & on ne sait comment, dans le village de Turquie où se passe la scene ; & ce qu'il y a de surprenant encore, c'est qu'après avoir parcouru toute l'Europe pour trouver une femme à son goût, & avoir dédaigné les Angloises, parce qu'elles sont froides ; les Allemandes, parce qu'elles sont insensibles ; les Hollandoises, parce qu'elles sont trop indolentes ; les Italiennes, parce qu'elles sont trop vives ; les Espagnoles, parce qu'elles sont trop saintes, &c. ; il vient en Turquie, pour adorer une femme qu'il croit sourde & muette, mais qui, par bonheur, ne l'est que pour tromper Hassan, & lui fournir le prétexte de la renvoyer.
Faut-il s'étonner, d'après cela, que celui-ci fût bien aise de l'échanger contre cinq cents ducats ? Non ; mais il faut l'être encore moins, de ce qu'Ismaël, en sa qualité de Juif, cherche à corrompre la femme-de-chambre Fatmé, pour qu'elle lui facilite, pour cent ducats, le moyen d'enlever sa maîtresse. Si cela réussit, voilà quatre cents ducats gagnés d'un coup de filet, & Zelmire, une fois à bord du vaisseau d'Ismaël, qui doit mettre à la voile pendant la nuit , tout sera dit.
L'Israélite se fait cette confidence à lui-même, en se promenant pendant la nuit dans la rue, & se contant tout cela à voix haute. Le valet de Célicourt, Crispin, se trouve là. Il a d'abord peur du Juif, ensuite le Juif a peur de lui ; cependant ils s'accoutument à se voir l'un & l'autre ; ils font mieux, ils entrent en confidence, & Crispin, qui cherche les moyens d'enlever Zelmire pour le compte de son maître, éprouve la plus vive satisfaction, lorsqu'il voit Ismaël lui proposer d'aller à sa place chercher la belle muette pour la conduire à bord. Bon, dit le Juif, si quelqu'un doit être pendu, ce ne sera pas moi. Bon, dit Crispin, j'aurai Zelmire. Ces rusés personnages changent alors d'habit, & comme de nuits tous chats sont gris, Célicourt, qui survient & qui entend Ismaël former le complot d'enlever Zelmire, va prévenir le Cadi. Pendant ce tems, la soubrette Fatmé a une conversation assez longue avec le Juif, & lui jette, par une fenêtre, une réponse à la proposition honnête de lui livrer sa maîtresse pour cent ducats.
Ismaël est enchanté de la réponse positive de Fatmé ; mais il l'est bien davantage, lorsque dans son billet il en trouve un, on ne sait comment, que Célicourt avoit écrit le matin à Zelmire. Il observe alors, qu'entre l'écriture & la signature, il y a un assez grand espace en blanc. A quoi aboutira cette remarque ? A remplir ce blanc par 1'engagement de payer mille ducats, à porter cet engagement au Cadi, & à arranger les choses de telle sorte & avec tant de diligence, que le Cadi puisse faire arrêter Célicourt par ses Janissaires, lorsqu'il viendra à le rencontrer. Tout cela arrive.
L'officier françois ne conçoit pas comment on peut avoir sa signature dans un pays où il ne doit rien ; mais il soupçonne aussi-tôt, comme s'il étoit dans le secret de l'auteur, que ce pourroit bien être un tour du frippon de Juif. C'est pour cela qu'il invite le Cadi de rester avec lui pendant quelques instans dans la rue, au péril & risque de s'enrhumer, afin de se convaincre de la scélératesse d'Ismaël, qui doit venir dans l'instant avec une échelle pour enlever Zelmire.
Crispin, revêtu du daliman qu'il a échangé contre sa veste & son petit manteau , monte à la fenêtre. Les Janissaires, le Cadi & Célicourt l'entourent ; Hassan, Zelmire & Fatmé sortent de la maison au bruit qu'on fait. Grand tapage de part & d'autre. Elle est sourde, elle ne l'est pas ; elle est muette, elle ne le fut jamais. Gage que si, gage que non. Grands débats terminés par Zelmire, qui, cessant de savoir se taire , rompt le silence pour déclarer qu'elle adore Célicourt, & qu'elle n'en aimera jamais d'autre. Or, comme l'auteur avoit eu la louable précaution de faire jurer à Ismaël, Hassan, Célicourt & au Cadi qu'ils ne feroient que la volonté de la belle, la piece est terminée par le dénouement le plus heureux du monde, puisque nos amans partent sans opposition pour aller se marier en France.
En voilà bien assez pour donner à entendre que M. Lavallée, auquel nous devons déjà plusieurs ouvrages agréables, s'est trompé cette fois, & n'a mis sous nos yeux qu'un imbroglio au-lieu d'une intrigue, & conséquemment de 1'embarras pour des développemens ; puisse-t-il nous faire oublier cette piece par une meilleure, & se rappeller, en l'écrivant, qu'un auteur dramatique ne doit jamais prendre la Plume sans avoir un but moral ! En parcourant la carriere du théatre , on doit montrer son attachement pour la patrie, & travailler de toutes ses forces à perfectionner l'esprit public.
La musique est, comme celle de plusieurs autres ouvrages de cet auteur avantageusement connu, fraîche, agréable, & décele beaucoup d'imagination. Mais est-elle aussi dramatique qu'elle pourroit l'être ? Nous ne le pensons pas. A l'exception de deux ou trois morceaux qui démontrent que cet artiste pourra se faire distinguer au théatre, quand il le voudra, tout le reste, en faisant preuve de talens, nous démontre aussi que M. Foignet s'est trop laissé séduire par la maniere des maîtres italiens. Il mérite donc quelques-uns de ces reproches, qu'on peut faire à ceux-ci ; & parmi ces reproches, ceux qui nous paroissent les mieux fondés portent, 1°. sur une ariette de Célicourt, dont les roulades sont d'autant phus déplacées, que cet officier se trouve, pendant la nuit, au milieu d'une ville où il est étranger, où il a lieu de s'impatienter contre son valet qui ne vient pas le rejoindre, & où il doit craindre que le Juif, qu'il veut surprendre, ne le surprenne lui-même. Ce n'est donc pas, dans une pareille situation, qu'on peut songer à exercer son gosier. Le rossignol ne chante pendant la nuit que quand il est parfaitement tranquille. 2°. Sur des changemens peu nécessaires dans le rhythme & les motifs. 3°. Sur trop de luxe dans les accompagnemens. Voilà les principaux défauts que M. Foignet a empruntés aux Italiens. Qu'il les leur laisse, & qu'il se persuade bien qu'un musicien ne peut raisonnablement réussir au théatre, qu'en ayant grand soin de ne pas y suivre la marche routiniere que les virtuosi ultramontains y ont tracée. Encore quelque tems, & ces virtuosi viendront à apprendre eux-mêmes comment il faut composer pour la musique dramatique.
(Journal des spectacles.)
D’après la base César, la pièce de Lavallée et Foignet a connu trois représentations, les 28 octobre et 2 et 18 novembre 1793.
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