Le Faux porteur d'eau, vaudeville en deux actes, de Léger, 19 messidor an 10 [8 juillet 1802].
Théâtre de l'Opéra Comique National, rue Feydeau
Almanach des Muses 1803
Pièce si mal accueillie, qu'on peut se dispenser d'en donner l'analyse.
Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris: répertoire 1762-1972, p. 248 :
Vaudeville en 2 actes. Livret de François-Pierre-Auguste Léger. Musique : vaudevilles. 8 juillet 1802 (Feydeau). 1 représentation.
Courrier des spectacles, n° 1951 du 20 messidor an 10 [9 juillet 1802], p. 2 :
[Le Théâtre du Vaudeville a besoin de montrer qu’il peut utiliser la grande salle de l’Opéra-Comique, mais ce n’est pas avec le Faux porteur d’eau qu’il va y arrive : il s’est montré « maussade, larmoyant ». « Lieux communs », « couplets dictés par le sentiment », on ne reconnaît plus le Vaudeville. Il n’a pas le secours d ela musique nouvelle que connaît l’Opéra-Comique, il lui faut « de l’esprit, de la gaîté; des traits spirituels et saillans ». Le titre même est mal choisi, puisqu’il ne se réfère qu’à une scène de déguisement. Après avoir résumé de l’intrigue (une intrigue sans grande surprise), le critique évoque les sifflets qui ont troublé la fin de la représentation, malgré les tentatives contraires des amis de l’auteur (une contre-cabale). L’auteur n’a pas été demandé (mais on voit bien que c’est quelqu’un qui sait écrire des vaudevilles. « Les acteurs ont tous fort bien joués », mais seule Madame Gavaudan sait chanter le vaudeville, mais elle avait un tout petit rôle.]
Théâtre de l’Opéra-Comique-National, rue Feydeau.
Première représentation du Faux Porteur d’eau.
Le Vaudeville qui, depuis la transmigration du théâtre Favart au théâtre Feydeau, sembloit craindre de se mesurer dans une salle aussi vaste avec l’Opéra-comique et avec le grand Opéra, voulut revenir à la charge et essayer ses forces contre ses antagonistes. Mais hélas ! que sa tentative a été malheureuse ! Il a paru maussade, larmoyant ; il étoit méconnoissable. Envain a-t-il cherché à s’étayer de lieux communs, de couplets dictés par le sentiment, il a perdu sa cause.
On me dira peut-être que dans l’opéra-comique même on applaudit un passage sentimental ; sans doute cela arrive, mais alors ce n’est plus l’opéra-comique, et d’ailleurs la musique nouvelle sert quelquefois de passeport aux choses les plus insipides, au lieu que, dans le vaudeville, qui offre des airs connus, on veut de l’esprit, de la gaîté; des traits spirituels et saillans, en un mot tout ce qui a semblé manquer dans le Faux Porteur d'eau.
Ce titre a pu paroître piquant à l’auteur, mais il n’est pas juste, il n’est pas vrai ; un simple déguisement, qui n’amène au second acte qu’une scène insignifiante, peut-il fournir le titre d’un ouvrage en deux actes ?
En voici le fonds :
D’Héricourt a hérité de la fortune d’un oncle fort riche, et qui a contribué à ruiner un honnête négociant, monsieur de Remival. Celui-ci ne peut entendre prononcer devant lui le nom du neveu de son persécuteur ; encore bien moins peut-il consentir à son union avec sa fille. D’Héricourt, pour calmer la haine de Remival, achète fort cher un tableau où le fils de ce négociant a tracé la réunion de sa famille, et après cela le renvoie en présent au père. Ensuite ayant gagné, moyennant vingt pistoles, Jérôme, le porteur d’eau de la maison, il s’y introduit sous le costume d’un porteur d’eau ; et après avoir bien bavardé, il se retire, laissant à M. Remival la quittance de toutes ses dettes.
Jérôme qui a changé son tonneau contre une boutique de marchand de vin, survient, évente la mèche ; Henri lui-même supplie son père d’accepter d'Héricourt pour gendre : M. Remival, désarmé par les prières de son fils et par les procédés nobles et généreux de d’Héricourt, signe la réconciliation et le mariage de sa fille.
Malgré les bruyans applaudissemens d’une foule d'amis, cette pièce a soutenu un siège de sifflets qui en ont troublé la fin. L’auteur demandé par quelques voix pour la forme n’a point été nommé ; on doit cependant lui rendre justice en disant qu’il y a quelques morceaux qui annoncent une plume exercée dans le genre du vaudeville, entr’autres l’air chanté par Lesage dans le premier acte.
Les acteurs ont tous fort bien joué, mais ils chantent mal le vaudeville. Ce reproche cependant ne doit pas se faire à Mad. Gavaudan qui a prouvé plus d’une fois qu’elle savoit le chanter : mais hier quelle rôle avoit-elle ? Elle n’a qu’une scène au second acte où elle chante quelque chose devant son père ; du reste elle est spectatrice, et son rôle seroit absolument nul s’il ne falloit pas qu’elle donnât la main à d’Héricourt, lorsque M. Remival unit les deux amans.
Mercure de France, littéraire et politique, tome neuvième, Paris, an IX, n° LV, 28 Messidor an 10, p. 181-182 :
[L'intrigue de la pièce au titre peu adapté raconte un acte de générosité, un homme qui souhaite épouser la fille de celui que son oncle a ruiné. Il lui faut bien des efforts pour arriver à ses fins, mais il finit par épouser la fille du malheureux ruiné. Mais les bons sentiments ne font pas du bon théâtre, « c'est rendre un mauvais service à la morale et à la vertu, que de les présenter sous une forme si ennuyeuse ». Le recours au travestissement est inutile, les couplets sont faibles, le style trivial, les « plaisanteries peu délicates ». Même l'interprétation, abandonnée aux seconds sujets, n'est pas satisfaisante.]
Le titre du faux Porteur d'eau annonce un déguisement, et ce déguisement promet une intrigue galante. Il est vrai qu'un amant travesti en porteur d'eau sent un peu la farce ; mais quelquefois la farce a le mérite de faire rire. La pièce a démenti toutes les conjectures. Cette mascarade est une bonne œuvre, un acte de justice, une restitution héroïque. Toute l'intrigue roule sur la difficulté qu'il y a de faire accepter des bienfaits à un honnête homme ruiné par un procès. D'Héricourt, neveu de celui qui a gagné ce procès, veut soulager sa conscience et légitimer ses richesses en épousant Emilie, fille de celui qui a été dépouillé par son oncle ; mais M. Remival (c'est le nom de l'homme ruiné), ne veut point accepter pour gendre le neveu de son persécuteur. La pauvreté l'a rendu bizarre, farouche et misanthrope. D'Héricourt commence par payer les dettes de M. Remival ; il s'introduit ensuite dans sa maison, déguisé en porteur d'eau ; il y tient des discours étranges et ridicules ; il fait un sermon sur la misanthropie au père de sa maîtresse, et lorsqu'il est prêt à sortir, il lui remet les quittances de ses créanciers. Remival, très-surpris, prend des renseignements sur ce bienfaiteur qui se cache, et découvre que c'est le faux porteur d'eau. Sa misanthropie ne tient pas contre une générosité si délicate ; il paye à son tour sa dette en accordant sa fille à d'Héricourt.
Il y a peu de pièces plus édifiantes et plus froides : c'est rendre un mauvais service à la morale et à la vertu, que de les présenter sous une forme si ennuyeuse. Le travestissement n'était nullement nécessaire pour faire remettre à Remival les quittances de ses créanciers, et d'Héricourt pouvait se dispenser de se faire porteur d'eau pour jouer ce rôle de prédicateur. Ce petit vaudeville n'offre aucun couplet saillant ; le style, en est trivial, et les plaisanteries peu délicates. Il avait été abandonné parles premiers sujets pour l'amusement et l'exercice des doubles, qui sont bien aises de paraître utiles et de prouver au public leur zèle. Mais ce n'est pas rendre un grand service au théâtre que de contribuer, par une mauvaise exécution, à la chute d'une mauvaise pièce, et c'est une triste recommandation aux yeux du public que d'avoir une part dans les sifflets.
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