Les Filles de Mémoire, ou le Mnémoniste

Les Filles de Mémoire, ou le Mnémoniste, comédie vaudeville en un acte, de MM. Dieulafoy et Gersin, 24 février 1807.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :	Filles de Mémoire (les), ou le Mnémoniste
Genre	comédie mêlée de vaudevilles
Nombre d'actes :	1
Vers / prose ?	en prose, avec des couplets en vers
Musique :	vaudevilles
Date de création :	24 février 1807
Théâtre :	Théâtre du Vaudeville
Auteur(s) des paroles :	Dieulafoy et Gersin

On trouve aussi comme titre la Mnémonique ou les Filles de Mémoire.

Almanach des Muses 1808.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mad. Masson, 1809 :

Les Filles de Mémoire, ou le Mnémoniste, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles ; Par MM. Dieulafoy et Gersin ; Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 24 Février 1807.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1807, p. 279-286 :

[Long compte rendu d’une pièce qu’il serait un peu ridicule de prendre au sérieux. Le critique s’en abstient donc. La pièce se moque de l’invention d’un système mnémotechnique à la mode en 1807. La moquerie est suffisamment bien faite pour que même l’inventeur en ait ri, ce qui ne prouve pas la qualité de son invention. L’intrigue est plus évoquée que racontée, mais elle est sans réelle surprise : après avoir montré les aspects un peu ridicules de la méthode, après aussi avoir abordé l’épineuse question des rapports entre auteurs de vaudevilles et journalistes, les uns et les autres ayant souvent des comptes à régler, le critique nous livre la fin de la pièce : le mnémoniste s’engage « à combler les vœux de tout le monde », mariage comme don d’argent. La pièce a sa morale, même si le vaudeville final fait croire que la reconnaissance aide à se souvenir des bienfaits, ce dont le critique doute avec Boileau.]

Théatre du Vaudeville

La Mnémonique, ou les Filles de Mémoire.

On va écouter les leçons de M. Fenaigle, on revient s'en occuper au Vaudeville, et tous les journaux parlent de la Mnémonique, et tous les jours on redonne les Filles de Mémoire ; c'est un succès décidé. La parodie constate le succès, comme les caricatures constatent la mode. Qui est-ce qui s'aviserait de se moquer de ce dont personne ne s'occupe, et de rire dans le désert ? Dans toute espèce de marché, il n'y a de comique que celui qui paie ; et si M. Fenaigle n'avait pas tant d'abonnés, on pourrait se moins divertir,de ceux de M. Fin-Merle, et lui-même les trouverait sans doute moins plaisans. Or, on assure à l'honneur des deux Mnémoniques, que l'inventeur de la première, M. Fenaigle, assistant l'autre jour à la représentation dé la seconde, autrement dite les Filles de Mémoire, y a ri comme tout le monde, c'est-à-dire de bon cœur et de bonne grace : si cela est, nous en pouvons rire aussi, et sans conséquence ; car si la découverte est bonne, quand nous aurons ri, elle n'en sera pas plus mauvaise ; elle aura même un avantage de plus, celui de nous avoir fourni l'occasion de rire, et nous pourrons nous vanter de deux acquisitions, une bonne découverte et un joli vaudeville. Les malins prétendent cependant que, si la découverte était aussi excellente qu'on le dit, le vaudeville ne serait pas aussi plaisant qu'il l'est,

Qu'il faut même en chansons du bon sens et de l'art ;

qu'on ne peut avoir beaucoup d'esprit sans un fond de raison, et que si-les auteurs du Vaudeville ont quelquefois raison, le professeur de mnémonique ne peut l'avoir toujours. Il serait difficile qu'il l'eût souvent contre une certaine Suzette de Carpentras, maligne espiègle représentée par Mme. Hervey. Cette Suzette est la servante de M. Fin-Merle, le héros de la pièce, et dont je regarde le nom comme une espèce de signe à la manière de M. Fenaigle, inventé par les auteurs du Vaudeville pour fixer le sien dans la mémoire. D'aigle à merle il n'y a que la main ; notre mémoire n'aura plus à hésiter qu'entre les trois genres des animaux.

                                   Qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur ta terre ou nagent dans la mer.

et quand une fois nous tiendrons les oiseaux, nous nous y retrouverons bien. On voit comme déjà les lumières se répandent et comme la mnémonique prend faveur. M. Fin Merle a fait un pari, c'est d'obliger quatre filles à marier, à répondre à toutes les questions qui leur seront faites ; voilà qui est un peu fort. Pour plus de sûreté, on ne leur fera que des questions qui ne les intéressent pas du tout ; mais c'est précisément de quoi elles se plaignent. La plus patiente de toutes, quoique assurément elle dût plus qu'une autre avoir perdu patience, c'est Mlle. de la Jonquière, cousine de M. Fin-Merle, qui tient sa maison, a élevé ses filles, et. qui, depuis douze ans, avec son corset busqué, sa polonaise et son bonnet de blonde, attend qu'un heureux mariage avec son cousin la dédommage de toutes les vertus qu'elle a été obligée d'exercer dans la maison du séduisant Fin-Merle : elle trouve un peu dur, quand tout le monde est tenté de penser qu'elle a passé l'âge de se marier, que son cousin la croie encore en âge d'apprendre la géographie ; car c'est sur ce point qu'elle doit répondre au grand exercice du soir. Les deux jeunes filles, à qui on fait apprendre par numéros les vers de Racine, se désolent de ce que, pour leur donner de la mémoire, leur père oublie le soin de les établir ; mais la plus en colère de toutes, c'est Suzette, qui doit briller le soir par sa facilité à retenir les noms, et qui se trouve, dit-elle dans son jargon, une centaine dë philosophes sur les bras; et ce n'est pas le cas de les mettre à terre. Pauvre fille ! Quoiqu'un philosophe maintenant soit à-peu-près un être de raison, cent, c'est beaucoup à ranger ensemble quelque part que ce soit. Elle trouve sur-tout fort mauvais que, par des analogies tirées sans doute uniquement du nom de ces Messieurs, les signes destinés à les représenter dans sa mémoire seront presque tous pris,

D'un bœuf, d'un âne ou d'un mouton;

en sorte qu'il lui faille lorsqu'elle croit

Trouver les noms de dix savans,
Se rappeller autant de bêtes.

En vérité, la pauvre Suzette n'a pas tort, et je craindrais bien que le sentiment de respect dû à beaucoup d'illustres personnages, ne souffrît un peu de l'étrange compagnie à laquelle la méthode de Fenaigle pourrait nous obliger de les associer dans notre imagination.

Un M. du Brocard, autre plaisant, apprenant que les abonnés de M. Fin-Merle lui paient trois louis pour le prix de son secret, lui observe que de tous les rois de France celui dont ils retiendront le mieux le nom, sera sans doute Louis III. Il est sûr que, comme malgré toutes les mnémoniques possibles, nos souvenirs se rangeront toujours un peu, selon l'ordre de nos intérêts ; l'intérêt attaché à certains signes représentatifs pourra bien tromper notre mémoire sur celui qui mérite la chose représentée. Mais M. Fin-Merle pourra répondre qu'on se souvient assez des gens et des choses dont on se soucie, et que sa méthode est utile surtout pour rappeller les choses et les gens dont on ne soucie pas.

Telle est aussi à-peu près la morale de la pièce du Vaudeville, dont M. du Brocard est l'un des personnages les plus importuns. Je le crois bien, c'est un journaliste. Il est amoureux de l’une des filles de M. Fin-Merle ; on la lui propose en mariage, à condition qu'un article favorable à la mnémonique réparera le tort que lui a fait un article en sens contraire ; mais M. du Brocard prétend que, parce que son avis est raisonnable, il est obligé d'y tenir. M. Fin-Merle trouve cela tout-à-fait singulier de la part d'un journaliste mais à cela près de cette petite irrévérence, ou je veux croire que le chagrin de se voir trompé dans ses espérances a pu seul emporter M. Fin-Merle, le respect est gardé, et les auteurs, MM. Gersain et Dieu-la-Foi, ont parlé de leurs juges en plaideurs qui n'ont guères perdu de procès.

Celui de M. Fin-Merle est tout près de se perdre. Déjà sa plus jeune fille, interrogée par son amant, lui a récité une toute autre leçon que celle que lui avait enseignée son père. L'amant est fort content de l'intelligence de la jeune personne ; mais le père, qui n'y comprend rien, croit que sa fille a perdu l'esprit en même-temps que la mémoire. Mlle. de la Jonquière, dans un moment de trouble, a oublié la latitude du Monomotapa ; Suzette, encore plus troublée, prend Mahomet pour un pape : il n'y a plus moyen de rien faire, et M. Fin-Merle, sûr de sa méthode, va se persuader seulement que les élèves manquent de l’organe de la mémoire, si toutes ne venaient au même instant lui rappeller des choses qu'il a oubliées. En telle année, à tel jour, telle heure, dans telle circonstance, il a promis à l'une vingt-cinq louis, à l'autre un mari, à Mlle, de la Jonquière sa main. Une histoire qu'il a racontée il y a dix ans devant sa fille aînée, a fourni à celui-ci l'idée de la ruse qui le détermine à combler les vœux de tout le monde, et l'un des amans, Germeuil, qui s'engage généreusement à payer le pari perdu par M. Fin-Merle, en reconnaissance d'un service que celui-ci rendit à son, père il y a cinquante ans, vient lui chanter que

La mnémonique des bienfaits,
    C'est la reconnaissance.

Voilà, par exemple, une raison de vaudeville, car les gens reconnaissans ne sont vraiment pas ceux qui se souviennent le plus des bienfaits : l'ingrat les sent bien plus habituellement, car il est gêné ; s'il les oubliait, il ne serait ingrat qu'à demi. Témoin le Debiteur reconnaissant de Boileau,

Je l'assistai dans l'indigence,
Il ne me rendit jamais rien ;
Mais, quoiqu'il me dût tout son bien,
Sans peine il souffrait ma présence.
Oh ! la rare reconnaissance!

Il y a des gens qu'il faudrait prier, pour toute reconnaissance, d'oublier le bien qu'on leur a fait.                        P.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1807, tome II (mars 1807), p. 178-179 :

[Sur un sujet d’actualité, deux spécialistes du vaudeville ont brodé une pièce amusante, certes une bluette, mais dont les détails sont « gais et malins ». La mnémonique à la mode a été copieusement moquée à travers la figure de son créateur, dont la pièce raconte les déboires subis à cause de ses élèves, ses filles, sa cousine, sa servante.]

Théâtre du Vaudeville.

Les Filles de mémoire, ou le Mnémoniste.

Ce ne sont point des Muses, que les Filles de Mémoire du Vaudeville, mais des écolières de M. Finmerle. C'est ainsi qu'on a travesti le nom de M. Feneigle. La mnémonique devoit tribut au malin. Les panneaux chargés de numéros et de figures, le poêlon, le fauteuil, le clou à vis, etc., etc. ont été employés d'une façon très-comique dans le vaudeville nouveau.

M. Finmerle, pour donner une idée de sa science aux amateurs, a commencé par instruire ses deux filles, sa cousine et sa servante. Les pauvres demoiselles n'ont point de dispositions pour la mnémonique : elles ont si peu profité des leçons du papa, que l'une d'elle, à qui l'on demande quel est le 35^e pape, répond hardiment que c'est Mahomet. On conçoit que le professeur se désole ; envain se donne-t-il pour le point central, avec le dindon qui couvre sa robe de professeur. Tout va au pis ; il doit perdre la confiance publique : mais ces demoiselles, qui ont si peu de mémoire pour ce qui ne les regarde pas, en ont beaucoup pour ce qui les intéresse. Toutes quatre viennent rappeler au professeur des promesses qu'il leur a faites, et cela sur l'air : Souvenez-vous-en. Il reste confondu, quand l'amant de sa fille lui rappelle que jadis il rendit à son père un service important, et lui dit qu'il vient s'acquitter en lui offrant sa fortune s'il veut lui donner sa fille en mariage et renoncer à la mnémonique. Finmerle dit tout ce qu'on veut, et les Filles de Mémoire sont satisfaites. Les détails de cette bluette sont gais et malins. Les auteurs sont MM. Dieulafoi et Gersin.

T. P.

Gregor von Feinaigle est un mnémoniste très célèbre au début du XIX^e siècle. Né au Luxembourg en 1760 et mort à Dublin en 1819, c'est un moine cistercien de Salem (près du lac de Constance), devenu professeur de mnémotechnie à travers l'Europe quand il a été obligé de fuir son monastère lors des invasions napoléoniennes de 1803. Sa gloire en France débute en 1806, à la suite d'une série de conférences faites à Paris, qui font naître un grand enthousiasme, qui ne dure guère : la méthode est compliquée... Gregor von Feinaigle n'a pas laissé d'ouvrage expliquant sa méthode, qu'on connaît surtout par des disciples qui l'ont vulgarisée.