Gilles réformateur, ou le Feuilleton, vaudeville en 1 acte, d'Alexandre Duval, créé sur le Théâtre des Nouveaux Troubadours le 9 frimaire an 14 [30 novembre 1805].
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, de l'Imprimerie de Dondey-Dupré, an 14 [1805] :
Gilles réformateur, vaudeville en un acte, Par M. Alexandre D**** ; Représenté pour la première fois sur le théâtre des Nouveaux Troubadours, le 9 frimaire an XIV.
Courrier des spectacles, n° 3282 du 11 frimaire an 14 [2 décembre 1805], p. 2-3 :
[L'auteur de l'article a un petit compte à régler avec un de ses confrères, et il ne se refuse pas le droit d'ironiser sur celui qu'il présente comme un « zélé partisan des petits théâtres » et qu'on peut sans doute identifier comme l'illustre Geoffroy, le critique du Journal de l'Empire. Il l'invite à venir au Théâtre des Nouveaux Troubadours pour constater qu'il est en bel état, mais surtout pour y voir une pièce nouvelle, une arlequinade à la fois originale, et tout à fait classique. Originale, parce qu'elle est une satire cruelle du critique impitoyable, qui mêle ses intérêts personnels et son travail : l'intrigue le conduit à commettre deux fautes professionnelles (pour épouser Colombine Gilles annonce la chute de la pièce d'Arlequin, mais la pièce n'a pas été jouée ; et pour un peu de vin il est prêt à écrire un libelle contre son futur beau-père qu'en attendant de mettre ses griefs par écrit il accable des pires injures). Et une arlequinade classique ; on retrouve le quatuor Arlequin, Gilles, Cassandre et Colombine ; on utilise le vieux gag du personnage caché dans un panier ; et bien sûr, la rivalité matrimoniale d'Arlequin et de Gilles finit comme toujours, Arlequin épouse Colombine, et Gilles rouge de honte ne peut que disparaître. Le jugement porté sur la pièce est jugée avec une certaine indulgence : les couplets sont en général « assez bien tournés et d'une gaîté quelquefois piquante ». Une phrase un peu ambiguë suggère toutefois que le succès de la pièce s'explique aussi par un public bien choisi, « une réunion fort bien composée ». Si on veut faire un reproche à la pièce, ce n'est pas le fait qu'elle attaque vigoureusement « un personnage vivant trop facile à reconnoître » (c'est pourtant un reproche très souvent fait aux pièces satiriques : on rejette habituellement les allusions personnelles) : le fameux critique l'a bien mérité. Par contre, son intrigue « est un peu vuide d'action », elle n'est pas très bien construite, elle comporte des « détails usés » et « quelques couplets manqu[a]nt de mordant » (et il faut avoir de bonnes dents pour attaquer un personnage aussi redoutable.]
Théâtre des Nouveaux Troubadours.
Gilles Réformateur.
Il y a quelque tems qu’un de nos confrères, zélé partisan des petits théâtres, écrivit en leur faveur un factum assez long, qui occupoit les quatre à cinq colonnes de son feuilleton. Si ses travaux lui laissent quelques instans de délassement, il faut l’engager à rendre visite au petit théâtre des nouveaux Troubadours. Il y trouvera non seulement des peintures fraîches, des décorations nouvelles, mais aussi une pièce dont le principal personnage paroît avoir beaucoup d’affinité avec lui. Il aura le plaisir de s’y trouver en quelque sorte en famille. La maison des Gilles n’est point à dédaigner, et Gilles réformateur y méritoit une place distinguée. C’est un jeune auteur qui vient de se charger de la lui donner.
Il y a des Gilles dans toutes les classes ; des Gilles à la Foire et des Gilles dans la littérature. Le Gilles réformateur est de la littérature. Il fait des feuilletons, il compose des critiques, il vend des satyres et des éloges, il enrichit du produit de ses pensées, sa cave et son buffet. On le recherche parce que l’on en a peur ; on l’adore comme le roi de Boutan adore l’esprit malin, dans la crainte qu’il ne fasse du mal. Chaque jour, on lui apporte l’ouvrage qui vient de paroître, ou la pièce nouvelle, et le jugement est favorable ou défavorable suivant la valeur, le prix, le titre ou le poids de la pièce de monuoie que l’auteur laisse sur son livre. Il compose au milieu des brochures et des bouteilles ; mais il traite les bouteilles bien plus à fond que les brochures.
Quoiqu’il donne beaucoup au plaisir de la table, il ne néglige pas pour cela les plaisirs de l’amour ; ses gros yeux chargés de lubricité se portent souvent sur les appas de Colombine, jeune et charmante progéniture de M. Cassandre. Colombine a pour amant Arlequin ; mais cet amant est poëte, et toutes ses espérances de fortune sont fondées sur le succès d’une pièce que l’on doit jouer au théâtre Français. Gilles au contraire, voit arriver chaque jour, dans son magasin , les cadeaux les plus succulens, et sa Feuille lui rapporte beaucoup d’argent ; car c’est une satyre quotidienne ; et l’on aime beaucoup la satyre. Cassandre qui calcule bien, incline pour Gilles et déclare à Arlequin que si la pièce tombe, Colombine sera pour Gilles. Arlequin s’absente pour un voyage forcé ; on donne aux Français une comédie ; la pièce tombe au milieu des plus horribles sifflets. Le P. Gilles n’étoit point à la représentation, il n’avoit pas même lu l’affiche ; mais tout cela n’empêche point que le lendemain, il n’annonce la chute de la pièce d'Arlequin et qu’il n’en démontre tous les défauts. Colombine est au désespoir en lisant le feuilleton ; Cassandre veut que dans le jour elle épouse le P. Gilles, l’honneur des feuilletons, la gloire des coulisses, le parangon de la fine littérature et de la critique. Mais Arlequin arrive. On lui conte sa mésaventure ; il se croit perdu et ne voit plus d’autre parti pour lui que d’appeler Gilles en duel. Gilles répond d’abord au défi avec un air de confiance, mais il se garde bien d’aller au rendez-vous. Il fait même une dissertation où il prouve que le duel est une invention barbare, reste de nos anciennes habitudes féroces et sauvages, une entreprise de la force et de la brutalité, contre la politesse, l’esprit et la douceur. Arlequin, voyant que les armes ne le vengeront pas, a recours à l’adresse. Il feint de se réconcilier avec le bon père Gilles, et s’engage même à lui céder Colombine, s’il veut le servir dans une occasion importante. Il s’agit d’écrire un libelle contre un homme dont Arlequin veut se venger ; il s’agit de Cassandre même. Gilles hésite d’abord, mais Arlequin soutient sa foi en lui promettant le secret et deux paniers d’un excellent vin. On apporte les deux paniers. Gilles accepte la proposition et confesse naïvement qu’il ne sera pas fâché d’avoir quelques coups de patte à donner à ce niais, cet imbécille, ce fesse-mathieu de Cassandre. Il se met à son bureau pour commencer le libelle ; mais Arlequin lui propose de faire l’ouverture des paniers pour se mettre en humeur. On en ouvre un, et qu’est-ce que l’on y trouve ? le P. Cassandre, qui vient d’entendre toutes les belles épithètes dont Gilles vient de l’habiller ; il sort furieux de son panier et veut assommer son panégyriste, mais Arlequin l’arrête, pour lui donner lecture d’une lettre qui prouve que la prétendue pièce tombée n’a pas été jouée, et que l’histoire de sa chûte est une invention éclose du cerveau honnête et véridique de Gilles réformateur. Le bon père veut s’excuser, mais on le chasse et Arlequin épouse Colombine.
Ce canavas [sic] est égayé de plusieurs couplets assez bien tournés et d'une gaîté quelquefois piquante. On les a entendus avec beaucoup de plaisir ; quelques-uns ont été accueillis avec enthousiasme ; cinq à six ont été redemandés. La salle étoit pleine, et ce n'étoit pas un auditoire sans instruction, mais une réunion fort bien composée. L’auteur a été demandé avec beaucoup de vivacité, et le P. Gilles est venu annoncer que la pièce nouvelle étoit le coup d’essai d’un jeune homme nommé M. Alexandre.
Ce que l’on peut reprocher à cet ouvrage n’est pas de présenter un personnage vivant trop facile à reconnoître ; ce personnage n’a pas le droit de s’en plaindre ; quand on se permet la satyre envers tous, il faut bien consentir que quelqu’un l’exerce envers nous, c’est la peine du talion. Mais l’intrigue est un peu vuide d’action ; les scènes de même genre se succèdent de trop près ; quelques détails sont usés ; quelques couplets manquent de mordant ; et quand on s’attaque à quelqu’un qui a des dents, il faut avoir plus que des gencives. D’ailleurs , la pièce annonce du talent et de l’esprit.
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