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Helvétius, ou la Vengeance d'un Sage

Helvétius, ou la Vengeance d'un Sage, comédie en un acte, en vers ; par le C. Andrieux. 28 prairial an 10 (17 juin 1802).

Théâtre Français, rue de Louvois

Titre :

Helvétius, ou la Vengeance d'un Sage

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

28 prairial an X (17 juin 1802)

Théâtre :

Théâtre Français, rue de Louvois

Auteur(s) des paroles :

Andrieux

Almanach des Muses 1803

Terville a quitté un emploi qu'il avait dans les fermes, pour se livrer à la littérature. Le premier essai qu'il publie est une satire contre Helvétius, dont il n'a point à se plaindre. Il craint le ressentiment du philosophe, et va se réfugier à Reims chez madame Roland, dont il a connu et aimé la nièce. Il y trouve Baudot, ancien secrétaire d'Helvétius, qui se plaît à augmenter ses terreurs, à le mystifier. Cependant Helvétius a acquis une terre dans le voisinage, et vient l'habiter. Baudot, qui l'a mis au fait de tout ce qui concerne Terville, l'attire chez madame Roland, et le philosophe est mis vis-à-vis du satirique. Celui-ci, ne connaissant point Helvétius, l'entretient de sa malheureuse position, le consulte sur une nouvelle satire qu'il veut publier contre son prétendu persécuteur. Helvétius sourit des critiques de Terville, et censure sans fiel les jeux de mots dont le poète a semé ses vers ; mais il se fâche lorsqu'il entend traiter son père d'assassin, parce qu'il exerçait la médecine. Il veut absolument que ce mot soit rayé : Terville y consent ; celui-ci, resté seul, commence à faire de sages réflexions. Il veut corriger ses vers, en adoucir l'amertume ; il est interrompu par un baron de Vasconcel, qui vient demander un service à madame Roland. Ce baron est un original très-entêté de sa noblesse, et très-fâché de ce que sa fortune n'égale pas sa naissance. Helvétius entre, et le baron, qui ne sait pas à qui il parle, lui raconte, entre autres choses, qu'il est victime d'un maudit financier. Cet homme intéressé veut le perdre, parce qu'il lui doit des droits de champart qu'il est hors d'état de lui payer. Ce financier est Helvétius lui-même : à peine s'est-il assuré de la vérité du récit qu'il donne au baron quittance entière de sa dette, et lui promet de marier sa fille. Le baron est au comble de la joie ; il voit paraître Terville, et le menace de lui couper les oreilles s'il s'avise jamais d'attaquer Helvétius. Sophie, nièce de madame Roland, vient exiger que Terville renonce à la satire ; il y consent et déchire celle qu'il était près de publier ; Helvétius lui remet alors un écrit sur lequel il a, dit-il besoin de ses conseils. Cet écrit est la nomination du jeune satirique à une place importante dans les aides ; Helvétius demande de plus à madame Roland la main de Sophie pour Terville, qui, transporté, voudrait savoir le nom de son bienfaiteur. Le philosophe refuse de le dire ; il est prêt à partir, lorsque le baron arrive avec ses deux enfans pour remercier Helvétius, qui s'oppose toujours à ce qu'on prononce son nom ; mais il échappe à la petite fille du baron ; Terville confondu, attendri, tombe aux pieds d'Helvétius, qui le relève et lui pardonne.

Un intérêt doux, des vers heureux, des mots plaisans, style simple, naturel et facile ; du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Mad. Masson, an X – 1802 :

Helvétius, ou la vengeance d'un sage ; comédie en un acte et en vers ; Par Andrieux, de l'Institut National. Représentée pour la première fois sur le Théâtre Louvois, par les comédiens de l'Odéon, le 28 Prairial an 10.

La page de titres est précédée d'un « avertissement » :

Je m'attendais bien que les successeurs et les dignes émules du Père Nicodême(*), prodigueraient les injures à ce petit ouvrage, et même à son auteur. Louer un philosophe, le montrer tel qu'il était, faisant du bien, même à ses ennemis !.... c'est un crime impardonnable. Que serait-ce donc, si au lieu de mon commis aux fermes, j'avais mis en scène le père R.... Jésuite, qui avait écrit et intrigué contre Helvétius ? Après la destruction de l'ordre, ce pauvre homme tomba dans la misère ; il errait sans domicile et sans argent ; il se trouva dans les environs de Voré ; Helvétius l'apprit et chargea un de ses amis, qui voyait le père,.de lui remettre cinquante louis. Sur-tout, dit-il, cachez-lui bien que ce secours vient de moi ; car il sait que j'ai à me plaindre de lui, et je ne veux pas l'humilier.

D'où vient l'acharnement de certains personnages contre la philosophie et les philosophes ? J'en avais exprimé le motif dans ces quatre vers, que j'ai retranchés aux répétitions, où ils ont paru faire longueur :

La raison leur fait peur, la lumière les gêne ;
Leur tâche est d'abrutir la pauvre espèce humaine.
Jugez, d'après cela, s'ils peuvent pardonner
A celui qui raisonne, et qui fait raisonner.

C'est précisément le motif contraire au leur qui m'a fait composer cette comédie. Il est tout simple qu'ils en disent du mal. Son succès est un échec pour eux.

Quant au mérite qu'elle peut avoir, je n'ai point envie d'entrer en discussion là-dessus ; je dirais volontiers comme mon philosophe :

Je suis loin de me croire homme habile, etc..

Je pourrais ajouter comme lui :

J'ai déjà vu mon nom placé dans des libelles.

Mais les libelles passent, et les ouvrages restent.

Courrier des spectacles, n° 1930 du 29 prairial an 10 [18 juin 1802], p. 2 :

[La pièce met fin à un long silence de l’auteur, et elle a eu un grand succès. Mais c’est une miniature plus qu’une pièce ambitieuse. Elle raconte une anecdote très morale montrant un Helvétius généreux et capable de pardonner les offenses qu’on lui fait. Bien sûr, il y a aussi une petite intrigue sentimentale : on ne peut pas finir autrement que par un mariage. Celui qui a offensé Helvétius sans le connaître est en butte à la vengeance que le secrétaire du philosophe veut tirer de lui, mais Helvétius préfère se montrer généreux quand il s’est fait connaître. La pièce est bien jouée, mais l’acteur jouant Helvétius n’a pas le costume qui convient. Un seul jugement « cette petite comédie est bien montée et doit attirer du monde à ce théâtre. »]

Théâtre Louvois.

Helvétius, ou la Vengeance d’un Sage, Comédie en un acte, jouée hier pour la première fois, est un ouvrage fort joli, et a obtenu un succès complet. Les amateurs du théâtre regrettoient de voir l’auteur des Etourdis garder un trop long silence. M. Andrieux livré à des occupations sérieuses ne pouvoit entreprendre un grand tableau, il a fait une miniature.

Le jeune Terville s’est permis un libelle contre Helvétius. Le grand homme a dédaigné cette insulte ; mais Baudot, son secrétaire, a voulu en tirer une espèce de vengeance en effrayant .son auteur. Il l’a fait prévenir qu’Helvétius étoit dans l’intention de le poursuivre, et en même tems lui a offert un azyle. Terville après s’ètre tenu caché, d’abord dans une cave, ensuite dans une chaumière, a pris le nom d’Albert et vit plus à son aise, mais guères plus tranquille dans la maison de Baudot, auprès de madame Roland et de Sophie sa fille qu’il aime et dont il est aimé.

Chaque jour vient ajouter à ses inquiétudes ; enfin il apprend qu’Helvétius arrive sous peu à Voré, près de la campagne où il habite ; il veut partir, madame Roland et Baudot le retiennent. Le fils de celui-ci, sous le déguisement d’un campagnard voisin, cherche querelle à Terville. Il est prêt de sortir ; on lui rappelle le danger qu’il court. Son prétendu adversaire lui dit avoir vu en effet à l’auberge voisine un exempt chargé de l’arrêter, mais lui offre son secours. Helvétius arrive en habit de chasse ; il apprend à Baudot, qui le reçoit seul, qu’il a quitté sa place de fermier-général, et répond aux remontrances de ce bon secrétaire :

On gouverne son bien si ce bien est borné,
Mais quand il est trop grand on en est gouverné.

Baudot ne conçoit pas qu’on renonce à la fortune pour le titre d’homme de lettres. Le titre d’homme de lettres , dit l’auteur de l’esprit,

Voltaire à quarante ans ne faisoit qu’y prétendre,
Et nos jeunes auteurs commencent par le prendre.

Scène charmante entre l’homme sage et le jeune fou qui le prend pour un Seigneur voisin, et qui lui lit une satyre qu’il fait contre Helvétius , et que celui-ci écoute avec sang-froid jusqu’à un endroit qui attaque la réputation de son père. Otez cela, lui dit – il, vous lui feriez trop de mal. Le baron de Valconcel, propriétaire d’un bien près de Voré, ne peut payer une redevance dont il est chargé. Il ne connoît Helvétius que de nom, et c’est à lui-même qu’il compte son embarras. Le Seigneur de Voré lui en signe la quittance, mais à condition qu’il ne prononcera point son nom devant Albert. Ce dernier reparoît, et sur la demande de Sophie, et d’après les conseils d’Helvétius qu’il ne prend toujours que pour un Seigneur voisin, il déchire sa satyre. Le philosophe l’engage à reprendre la carrière des fermes qu’il a quittée, et lui donne un brevet qui lui assure une place.

En vain le jeune homme veut connoître le nom de son bienfaiteur : Vous ne le saurez, répond-il, que quand je serai parti. Mais Le Baron de Valconcel vient le remercier avec ses deux filles, dont l’une est un enfant. Il leur a recommandé de,ne point nommer le seigneur. L’ainée est fidelle à la promesse qu’elle en a faite ; la petite y manque par une de ces naïvetés enfantines. Terville reconnoît Helvétius, est confus de sa faute, et reçoit, pour nouveau bienfait, la main de Sophie.

Vigny remplit très-bien le rôle de Helvétius, mais il devroit changer son costume qui , sans avoir besoin d’être riche, ne doit pas ressembler à celui d’un valet de comédie.

Picard et le jeune Bertin ont fait plaisir dans les rôles de Baudot et Terville. Mad. Molé a fait parfaitement ressortir celui de Mad. Roland. En général cette petite comédie est bien montée et doit attirer du monde à ce théâtre.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, thermidor an X [août 1802], p. 197-202 :

[Une pièce sur Helvétius est l’occasion d’une défense d’un philosophe contesté, dont on chante les vertus, ce qui est à la fois « un plaisir et une leçon ». Personne n’était mieux à même de le faire que le C. Andrieux. Sa pièce repose sur une fable que le critique qualifie de simple et qu’il résume avec bienveillance en approuvant les choix du dramaturge. La présence d’une intrigue secondaire, utile pour introduire le dénouement, est même vu positivement : « une scène incidente sert à développer encore le caractère d'Helvétius, & amène un dénouement ingénieux » (on ne sait pas ce que Boileau en aurait pensé !). La fin du compte rendu ne tarit pas d’éloges : la pièce a tout ce qu’il faut pour remplir son objet, « des caractères, des situations comiques ou plaisantes, un bon résultat moral ». Même le caractère du personnage principal de l’intrigue accessoire est justifié, même s’il est un peu caricaturel. Les situations sont drôles, « le style est facile, naturel & piquant », et le critique profite de l’occasion pour ‘en prendre à tous ceux qui ont le front de contester Voltaire, le maître d’Helvétius. Même la brièveté de la pièce devient un argument ens a faveur. On peut difficilement être plus flatteur pour une pièce.]

THÉATRE FRANÇAIS, RUE DE L0UVOIS.

Helvétius, ou la Vengeance du sage.

Malgré l'animosité renaissante du fanatisme & de la sottise contre la philosophie, Helvétius sera toujours placé par les hommes éclairés sur une ligne assez élevée comme penseur & comme écrivain. Mais ce qui le caractérise surtout, au grand chagrin des anti-philosophes, c'est que l'erreur de sa doctrine ne fit jamais de tort à sa morale, qu'il fut rigoureusement honnête, bienfaisant par principe, & que son cœur le fit au moins autant estimer & chérir que son esprit.

Rendre un hommage à sa mémoire, devoit être une sorte de besoin pour un esprit bien fait & pour un cœur honnête. L'exemple des vertus d'un homme célèbre a le double avantage d'être à la fois un plaisir & une leçon ; c'est donc sous ce rapport le sujet bien choisi d'une bonne comédie : elle pouvoit offrir dans Helvétius un caractère d'autant plus aimable qu'il est peut être plus rare.

Personne aussi n'étoit plus capable de développer dignement un sujet aussi moral, aussi intéressant, que le C. Andrieux, Il est d'autant plus estimable de l'avoir fait, qu'il y a plus de courage en ce moment à venger la philosophie de cette tourbe de détracteurs qui travaillent & réussissent, non pas précisément à éteindre les lumières, mais au moins à retarder leurs progrès.

Voici la fable simple sur laquelle l'auteur a établi son action dramatique.

Un de ces jeunes adeptes, de ces enfans perdus qu'un parti met en avant lorsque leur imagination est capable d'égarer leur raison, s'est déclaré contre Helvétius, l'a déchiré dans un libelle, & se croit un personnage important. Il ne doute pas, d'après sa noble attaque & sa brochure sanglante, qu'Helvétius ne cherche à se venger, &, suivant l'usage, met à la fois beaucoup d'audace dans son style & de poltronnerie dans sa conduite.

Le libelliste se persuade, comme cela se voit tous les jours, qu'on ne s'occupe que de lui, & que toute la philosophie en corps lui dresse des embûches, de peur d'être écrasée par lui !

Eh, l'ami ! qui te savoit là !

Cette ridicule manie donne occasion à un ancien secrétaire d'Helvétius de s'en amuser & d’augmenter les terreurs du mirmidon. Mais Helvétius, à qui l'on a fait part de la mystification, arrive lui-même pour y mettre fin, & se venger à sa manière. Il est entiérement inconnu de son détracteur, il entre en conversation ; écoute une nouvelle satyre dirigée contre lui, se permet noblement quelques observations sur le mauvais genre auquel ce jeune homme se livre; ne se fâche de rien dans ce qui lui est personnel, mais réclame avec force, chaleur & sentiment , contre un trait satyrique dont son père est l'objet. Enfin il croit apercevoir que le cœur de son jeune adversaire ne participe point encore tout à fait à l'égarement de son esprit, il lui fait obtenir une place, & contribue par là à lui procurer aussi la main d'une jeune personne aimable, qui s'est unie au philosophe pour exiger le sacrifice de ce goût dépravé pour la satyre, & de cette haine maladroite ou suggérée contre la philosophie : telle est la vengeance du sage. Une scène incidente sert à développer encore le caractère d'Helvétius, & amène un dénouement ingénieux.

Helvétius vient d'acheter une terre : un gentillâtre campagnard, son voisin, est poursuivi par les gens d'affaires pour un champart qu'il a oublié de payer depuis quinze ans, & se trouve indigné que sa haute noblesse soit ainsi exposée à des poursuites ignobles ; il accuse d'après cela Helvétius d'être son persécuteur, vient lui porter plainte à lui-même, sans le connoître, & se répand en injures contre le nouveau propriétaire.

Helvétius lui donne quittance, le met ainsi à l'abri de toute poursuite en se faisant connoître, & de plus lui promet, pour sa famille, toute espèce de protection. On juge bien qu'il n'en faut pas davantage pour faire changer de gamme à notre campagnard, qui, l'instant d'auparavant, s'étoit réjoui avec le jeune libelliste des épigrammes qu'il lançoit contre ce philosophe, & qui, le moment d'après, menace ce même libelliste de toute sa colère s'il apprend qu'on écrive un mot contre Helvétius.

Il amène bientôt ses deux filles pour remercier leur bienfaiteur ; & l'une d'entr'elles, âgée de cinq ou six ans, trahit innocemment le secret qu'Helvétius avoit recommandé sur son nom. Par ce moyen, le bienfaisant fermier-général ne peut se soustraire à la reconnoissance de ses obligés, & tout le monde le bénit.

Qu'exige-t-on dans une comédie pour qu'elle remplisse réellement son objet ? Des caractères, des situations comiques ou plaisantes, un bon résultat moral : tout cela se trouve dans le joli ouvrage du C. Andrieux. Le caractère principal , celui d'Helvétius, est plein de charme, de noblesse, de gaîté même, &, quoi qu'on ait dit , d'un très-bon ton : le reproche contraire ne déceleroit pas une connoissance bien réelle de ce qui doit s'appeler ainsi.

Le caractère incidentel ou accessoire du gentillâtre est plaisant, & quoiqu'un peu caricature, n'est pas dénué de vérité ; c'est un personnage peint à la manière de Regnard, & le vers comique du C. Andrieux rappelle assez souvent celui de son modèle. Rien de plus plaisant que le récit de ce Vasconsel, qui dit que dans une croisade la peste fit de grands ravages, & que

Son aïeul eut l'honneur d'en être fort malade.

Quant aux situations, il seroit difficile de ne pas rire de celle du jeune satyrique lisant à Helvétius lui-même une mauvaise satyre contre lui, & de celle de Vasconsel d'assommer le satyrique qu'il avoit un moment auparavant félicité & encouragé.

Le style est facile, naturel & piquant. On a justement applaudi quelques traits heureux de brusquerie contre les précédens gardiens de la littérature, ces Frérons qui cherchent à prouver

Que le public a tort de pleurer à Zaïre.

L'applaudissement unanime & prolongé dont on accueille constamment ce trait, prouve que les détracteurs de Voltaire n'ont pas encore entiérement converti le goût du public : ils mourront & Voltaire vivra.

La pièce ne comportoit qu'un acte, & le C. Andrieux a eu l'excellent esprit de n'en pas excéder la mesure. Ce n'est pas un tableau d'un effet transcendant; mais un très joli dessin très-régulier, très-fini, & qui ne sauroit que confirmer le talent de l'auteur des Etourdis.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 8e année, 1802, tome I, p. 414-415 :

[La pièce a connu « le plus grand succès » (ce qui ne signifie pas qu’elle est parfaite : on le verra en fin d’article). Un succès plutôt justifié. L’analyse du fonds de la pièce note que l’intrigue se voit ajouter un épisode annexe (ce n’est pas une qualité !). Puis le critique revient sur le jugement à porter sur la pièce. Elle a été sévèrement critiquée dans les journaux, en réponse à des éloges excessifs. Ces critiques portent en bonne part sur la forme de la pièce : l’auteur, qui dirige la rédaction du Dictionnaire de l’Académie française ne peut attendre aucune indulgence sur ce point. Mais la pièce peut être vue avec plaisir...]

THÉÂTRE LOUVOIS.

Helvétius, ou la Vengeance d'un Sage.

Le plus grand succès a couronné cet ouvrage en un acte et en vers, joué le 29 prairial. Celui qui diroit que ce succès n'est pas mérité, seroit bafoué par tout le monde ; je crois que celui qui diroit, que c'est avec justice que cette comédie a provoqué l'enthousiasme des spectateurs, n'auroit pas tout à-fait raison. Voici le fonds de la pièce. Terville, jeune, honnête, mais un peu léger, a quitté une place qu'il avoit dans les aides, pour se livrer plus facilement à son goût pour la littérature. Jamais il n'a vu Helvétius ; il ne le connoît que de réputation, et cependant il a fait contre l'auteur du livre de l'Esprit, une satyre assez mauvaise. Helvétius n'y a même pas fait attention ; mais Baudot, ancien secrétaire d'Helvétius, retiré au Perche, veut venger son ancien maître et écrit à Terville que le philosophe a obtenu un ordre pour le faire arrêter. Il lui offre un asyle chez M.me Roland, sa voisine, dont Terville aime la fille, nommée Sophie. Le jeune satyrique arrive, on s'amuse de sa frayeur. Helvétius qui va passer quelque temps à sa terre de Voré, arrive, et veut aussi, à sa manière, se venger de Terville. Il lui offre des conseils sur sa production poétique, dont il lui montre quelques fautes ; mais Sophie, qui survient, obtient de son amant qu'il déchire son ouvrage. A peine Terville en a-t-il fait le sacrifice, qu'Helvétius lui remet un écrit qui est sa nomination à une
bonne place clans les aides. La confusion de Terville éclate lorsqu'il apprend que c'est à Hélvétius lui-même qu'il doit ce bienfait. On a joint à cette intrigue l'épisode d'un baron, voisin d'Helvétius, à qui celui-ci remet une dette considérable. La petite fille de ce baron nomme, devant Terville, Helvétius qui vouloit garder l'anonyme.

Cette pièce a reçu, dans quelques journaux, des éloges outrés ; des critiques sévères, mais justes, ont été la suite naturelle de ces éloges. On a remarqué dans le style, une grande abondance d''adverbes, d’épithétes et de périphrases. On l'a trouvé lent et mou. On y a critiqué des pléonasmes, de grandes licences, des rimes inexactes, et des traits qui sont loin de caractériser une versification douce et gracieuse. Les rigoristes excusent leurs critiques sévères, en ce qu'elles portent sur l'ouvrage d'un littérateur chargé de corriger le Dictionnaire, de l'académie françoise. Or, ce qui. n'est qu'une peccadille, dans l'ouvrage d'un autre, devient une grosse faute dans le sien.

Des gens un peu moins difficiles pourront cependant voir avec plaisir cette comédie du C. Andrieux, auteur des Etourdis.

[Les Etourdis, ou le mort supposé, comédie en trois actes d’Andrieux, a été représenté au Théâtre Italien le 4 décembre 1787 et repris au Théâtre Français en 1792.]

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome cinquième (1825), p. 111-118 :

[Geoffroy, dès qu'il s'agit d'un philosophe, laisse libre cours à son hostilité envers Voltaire et ses « disciples ».]

M. ANDRIEUX.

HELVÉTIUS, ou LA VENGEANCE D'UN SAGE.

C'est une bien faible pièce, jouée sur un petit théâtre ; mais on y attache de grandes prétentions : rien n'est petit aux yeux de l'enthousiasme. Une antienne en l'honneur d'un des saints de la philosophie du dix-huitième siècle, il n'y a que des impies qui puissent traiter cela de bagatelle ; d'ailleurs, la vengeance d'Andrieux se trouve ici réunie à celle d'Helvétius. Le fermier-général se venge lui-même ; le poëte venge Voltaire. La nature de ces deux vengeances est aussi fort différente : la première est celle d'un sage de tous les temps ; la seconde est celle d'un philosophe du jour.

Jetons d'abord un coup d'œil sur le héros de la pièce : avec une fortune considérable, un cœur droit et un esprit de travers, Helvétius parut aux philosophes un sujet précieux, né pour la gloire de la raison humaine. En effet, l'éclat de ses bonnes œuvres rejaillit sur la secte : on le cita comme une preuve vivante que la morale n'avait pas besoin d'une sanction surnaturelle, et que la bienfaisance philosophique valait bien la charité chrétienne : on peut mettre Helvétius avec Malesherbes et quelques autres, au nombre de ces âmes grandes et nobles qui se laissent séduire par l'apparence du beau et de l'honnête : on leur pardonne les égaremens de l'esprit en faveur des qualités du cœur ; ils ont racheté de grandes erreurs par de grandes vertus : au-dessus des basses intrigues et des petites passions, par leur état et par leur fortune, ils ne furent que dupes ; on les plaignit, sans cesser jamais de les estimer. Il faut cependant en convenir, Helvétius, l'un des philosophes les plus estimables par son caractère, est l'un des plus coupables par ses opinions : ses systèmes sont ennemis de toute vertu, destructeurs de toute société ; jamais on n'abusa plus cruellement de la métaphysique : Helvétius a fait plus de mal à l'humanité par ses écrits qu'il n'a pu lui faire de bien par ses actions. Cette métaphysique, il est vrai, produit à la fois le mal et le remède ; elle est funeste, mais elle est ennuyeuse. La métaphysique en action est bien plus terrible dans ses effets : les abstractions, appliquées à la politique, sont une véritable peste, appliquées à la morale, elles n'empoisonnent que ceux qui ont le courage de s'en nourrir. Les ouvrages d'Helvétius ont trouvé peu de lecteurs, quoiqu'ils ne soient pas mal écrits ; personne aujourd'hui ne pourrait en supporter la lecture : laissons-les en paix dans la poussière des bibliothèques. Un auteur dramatique qui aurait eu quelque sentiment des bienséances, aurait évité de rappeler de fâcheux souvenirs dans une pièce destinée à honorer la mémoire d'Helvétius ; il eût caché l'écrivain immoral pour ne montrer que l'homme généreux et bienfaisant : on avait d'autant plus de droit d'attendre cette réserve et cette délicatesse de M. Andrieux, que la part qu'il a prise à la révolution a dû lui faire sentir plus qu'à tout autre le danger de démoraliser une nation.

Les principes d'Helvétius ouvraient un si vaste champ à la critique, que je ne conçois pas qu'il se soit trouvé un écrivain assez sot pour employer l'art de la satire contre l'auteur de l'Esprit. Les vertus et la belle âme du philosophe ne pouvaient rien fournir au libelliste, mais sa doctrine était faite pour enflammer l'indignation de l'honnête homme et du citoyen. Rousseau de Genève, qui était aussi un philosophe, nous déclare lui-même qu'il avait entrepris une réfutation du système d'Helvétius, et qu'il regardait ce travail comme un service essentiel rendu à la société. Quelle était donc cette brochure composée contre Helvétius, et qu'on nous donne pour un libelle ? Je le répète, il n'y avait qu'un faquin et un sot qui pût être assez maladroit pour gâter, par des personnalités grossières, la cause toujours si intéressante de la vertu et du bonheur public. Cependant M. Baudot, secrétaire d'Helvétius, dit dans la pièce, en parlant de ce plat libelliste :

On lui pardonnerait s'il n'était qu'une bête,

et semble par là lui donner un brevet d'esprit : mais le suffrage de M. Baudot n'est pas flatteur ; car, aux discours qu'il tient, on juge aisément que lui-même n'est qu'une bête.

Il est vrai qu'on affecte aujourd'hui plus que jamais de confondre la satire des personnes avec la critique des ouvrages : relever les défauts d'un auteur, c'est le déchirer; montrer le danger de ses maximes, c'est le calomnier : l'homme qui a du sens et du goût, qui n'est ni dupe du charlatanisme ni enthousiaste des niaiseries, est un envieux, un téméraire qui outrage les arts et les talens ; il suffit qu'il heurte les anciens préjugés d'une aveugle superstition, pour avoir un droit acquis aux injures des fanatiques.

Les premières scènes de la pièce nouvelle, jusqu'à l'arrivée d'Helvétius, ne sont qu'un tissu de mystifications puériles et froides. Le soi-disant libelliste est présenté comme un jeune homme bien sot et bien niais, à qui l'on a fait accroire que le gouvernement le poursuivait, comme auteur d'une satire contre Helvétius : c'est le génie de Baudot qui a imaginé cette espièglerie. Le jeune nigaud, réfugié dans une maison de campagne du Perche, est mis à la cave, au grenier, dans les retraites les plus incommodes ; il se regarde comme un proscrit d'importance, et ses inquiétudes politiques ne l'empêchent pas de devenir amoureux. Encore une fois, si le prétendu satirique n'a fait qu'une réfutation vigoureuse de l'affreuse morale d'Helvétius, il ne mérite ni persécution ni mystification : s'il a outragé lâchement l'honneur d'un citoyen, il ne s'agit pas de le mystifier, c'est aux lois à le punir ; l'offensé ne lui doit que l'indulgence de la pitié, du mépris : la générosité d'Helvétius peut s'exercer sur de plus dignes sujets, et une grande partie de la bienfaisance consiste à savoir placer les bienfaits. On sent que l'auteur marche ici sur des charbons ardens ; il craint d'effleurer les vrais griefs de son héros aux yeux des honnêtes gens : cependant il a la maladresse de parler du livre de l'Esprit. On ne sait ce que c'est que cette brochure composée contre Helvétius ; on n'entend que de misérables couplets en calembours si sots et si plats, que l'auteur ne méritait pas même que l'illustre Baudot prît la peine de le mystifier : toute la fable de ce petit drame est mal imaginée, porte à faux, et surtout n'offre aucun intérêt.

On veut peut-être savoir ce que c'est que ce Baudot que j'ai déjà nommé souvent ; c'est un original ennuyeux, un de ces personnages plus ridicules que comiques, qui ne font qu'embarrasser une pièce. On nous donne celui-ci pour l'ami d'Helvétius : ce n'est qu'un impertinent, brutal plutôt que brusque, qui prend la rudesse pour la franchise, et qui, dépourvu de sens commun, croit qu'on a toujours raison quand on gronde. C'est en de si vaillantes mains que M. Andrieux a remis la vengeance de Voltaire, son patron, qui n'a jamais été vraiment offensé que par ses flatteurs :

Non tali auxilio nec defensoribus istis
Tempus eget.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

« Un pareil secours et de tels défenseurs sont aujourd'hui bien inutiles. »

Helvétius, qui vient d'acheter une terre considérable dans le voisinage, passe par la maison où le pauvre satirique est détenu, et demande où en est la mystification ; en même temps il fait confidence à Baudot du parti qu'il a pris de quitter la cour et les finances, et de se retirer dans sa terre, pour écrire sur la philosophie. L'impitoyable Baudot ne voit là que des extravagances : la cour et les finances ont de grands charmes pour lui ; il blâme surtout le projet d'écrire ; car peut-on écrire sans être déchiré par les prétendus gardiens de la littérature ? Ces hurlemens contre la critique sont aujourd'hui bien rauques ; rien n'est plus usé que ces réminiscences des injures de Voltaire. M. Andrieux n'a pas beaucoup à s'en plaindre, et cette attaque gratuite n'est qu'une étourderie digne de l'auteur des Étourdis ; cependant la maturité de l'âge et celle que donnent les grandes affaires dont il a été chargé, auraient dû tempérer la chaleur de son sang. Baudot, son interprète, a l'air d'un petit furibond, et ne ressemble pas mal à Ragotin lorsqu'il s'escrime contre le pauvre Fréron, qui n'est qu'un prête-nom dans cette affaire : Fréron n'écrivait point quand Voltaire donna Zaïre, et Baudot accuse Fréron de prouver tous les jours au public qu'il a tort de pleurer à Zaïre : personne n'est la dupe de cet anachronisme. L'humeur de M. Andrieux me ferait soupçonner que ces critiques de Voltaire ne sont pas sans quelque fondement : il serait peut-être plus difficile de les réfuter solidement que de les dénoncer en plein théâtre à ses complices ameutés dans le parterre ; mais qu'il les avertisse au moins une autre fois de ne pas crier bis à ce trait de génie de son ami Baudot ; car c'est gauchement éventer la mine. Au reste, j'aurais grand tort de vouloir empêcher Andrieux de pleurer, puisque souvent il a eu la bonté de me faire rire.

Helvélius, très-médiocrement affecté des incartades de Baudot-Ragotin, demande à voir le mystifié, qui, ne le connaissant pas, lui lit bonnement quelques mauvais vers dont les meilleures plaisanteries sont que, dans le livre de l'Esprit, il n'y a d'esprit que dans le titre ; et qu'Helvétius, pour briller dans le monde, a grand besoin des aides, c'est-à-dire de la ferme des aides : ces sottises de Trissotin détruisent tout l'intérêt de la clémence d'Helvétius. Est-ce qu'Andrieux n'aurait pas pu faire son satirique moins bête ? Il n'y a point de mérite à pardonner à de si vils rimailleurs : on s'honore de leurs méchancetés innocentes.

Son Helvétius est aussi un personnage bien médiocre, qui ne sait qu'enfiler des sentences triviales et débiter en vers faibles les lieux communs les plus usés sur les douceurs de la retraite, sur l'embarras des richesses ; il n'est intéressant que par le respect qu'il témoigne pour la mémoire de son père. C'est le seul moment où il se montre d'une manière digne de lui. Cette scène est exactement la seule qui fasse reconnaître le talent de M. Andrieux. Devigny me paraît avoir été mal choisi pour jouer Helvétius : cet acteur, qui rend assez bien les intrigans, les caricatures, est absolument sans noblesse.

Il y a aussi dans la pièce un baron de Vasconcel très-entêté de sa noblesse ; c'est un gentillâtre lourd et grossier, aussi trivial dans l'expression de sa colère que dans les témoignages de sa reconnaissance. Dans toute autre circonstance on eût sifflé ce burlesque personnage ; mais l'auteur et son ami le directeur du théâtre de Louvois avaient pris toutes les précautions que la prudence peut suggérer pour épargner cet affront à la philosophie. Le dénouement est froid et mal amené ; très-heureusement il a été réchauffé par la naïveté enfantine d'une petite fille qui nomme M. Helvétius, quoiqu'on le lui eût défendu : non seulement le héros philosophe pardonne au satirique, mais il le gratifie d'un bon emploi dans les fermes et lui fait épouser sa maîtresse ; quant au baron, il lui donne quittance de ce qu'il lui doit, et joint à cette grâce une dot pour sa fille. Cette accumulation de bienfaits a paru gauche et sans art; si l'on n'avait eu égard qu'au mérite de l'ouvrage, on l'eût jugé avec beaucoup plus de sévérité ; mais tout dépend des circonstances. J'avoue que j'attendais davantage du talent de M. Andrieux, qui a de l'esprit et de la gaîté. Cette production ne lui fait pas plus d'honneur qu'à Helvétius. Le style en est faible et d'un mauvais ton, l'invention froide et mesquine, les caractères à peine ébauchés : ses grands travaux politiques l'auront sans doute détourné de la composition des comédies. Ce n'était pas la peine de reparaître dans la carrière dramatique, fort au-dessous des Etourdis. (30 prairial an 10.)

(*) Voyez le Dialogue du Père Nicodême, et du Jeannot. Voltaire , tome XIV , édition in-8°. de Beaumarchais.

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