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L'Hôtel garni, ou la Revue de l'an IX

L'Hôtel garni, ou la Revue de l'an IX, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, par MM. Dieulafoy et Chazet, 23 brumaire an 10 [14 novembre 1801].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Hôtel garni (l’), ou la Revue de l’an IX

Genre

comédie-vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

23 brumaire an X (14 novembre 1801)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Dieulafoy et Chazet

Almanach des Muses 1803

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an X – 1801 :

L'Hôtel garni, ou la Revue de l'an IX, comédie-vaudeville en un acte. Représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le 23 brumaire an X. Par Dieulafoy et Chazet.

Courrier des spectacles, n° 1720 du 24 brumaire an 10 [15 novembre 1801], p. 2 :

[La représentation a été houleuse au moins au début, et une partie du public a fait usage de son droit de siffler avant même de voir la pièce. La pièce n’en est d’ailleurs pas vraiment une (où est l’intrigue ?), mais elle a le mérite d’avoir des couplets spirituels parfois « un peu leste » (l’italique a sans doute du sens). L’intrigue est résumée, bien qu’elle soit inutilement embrouillée au point que le spectateur pouvait sortir du théâtre sans avoir compris de quoi il s’agissait. La pièce paraît être une pièce épisodique, les personnages se succédant. Deux au moins étaient reconnaissables par les spectateurs (l’auteur du Dictionnaire néologique, c’est bien sûr le Cousin Jacques, et il a été publié en 1795 ; et le journaliste porte le nom significatif de Feuillet). Et le peintre est sans doute aussi la caricature d’un peintre prolifique. Si le dialogue est « vif et spirituel », la pièce est accusée d’être « beaucoup trop » longue. Les auteurs ont été nommés.]

Théâtre du Vaudeville.

Que ce public est plaisant ! on lui offre un Hôtel garni, on l’invite à ne pas le laisser désert, voilà du bruit d’un côté, de la bonne volonté de l’autre, des sifflets et des applaudissemens. Hé ! là ! là ! quel tapage ! que ceux qui acceptent le marché entrent dans l’hôtel garni, et que les autres se retirent. A cette décision je vois ceux-ci se récrier : Et pourquoi sortirions-nous ? ne pouvons-nous pas siffler ?

C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.

D’ailleurs la pièce est-elle bonne ? ou plutôt est-ce une pièce. — D’accord, ce n’en est pas une, mais il y a de l’esprit. — De l’esprit ! parce qu’il y a plusieurs couplets spirituels et bien tournés, la pièce devra réussir ? de l’esprit ! on convient qu’il y en a, mais jusqu’à satiété ; et certains couplets qui sont un peu lestes, faut-il qu’on n’en fasse pas justice ?

Parlerons-nous du fonds de cet ouvrage, auquel l’auteur a voulu lier quelques épisodes de circonstances, ce qui a embrouillé l’action au point qu’à peine, en sortant, pouvait-on se rendre compte du sujet ? tâchons cependant d’en donner un léger apperçu :

Florimond, elevé avec Emilie, l’a vue passer dans les bras de M. de Roseval il y a quinze ans, et partir pour les Indes. Madame de Roseval ayant perdu son mari, est de retour a Paris, sous le nom de madame d’Héricourt. Elle habite dans le même hôtel garni que Florimond. Celui-ci l’aime, mais fidèle à sa première inclination, il n’ose avouer sort amour. Comme il est chargé des affaires de madame de Roseval, il parvient à trouver une somme d’argent pour payer les créanciers de cette dame et empêcher que la maison ne soit saisie ; et au moment où il montre à madame d’Héricourt la lettre qu’il écrit à madame de Roseval, celle-ci se découvre, et Florimoud l’épouse.

Parmi les personnages les plus remarquables qui figurent dans cette Revue de l’An 9, on remarque l’auteur du Dictionnaire néologique, et le rédacteur connu d’une feuille périodique. On a beaucoup applaudi à la scène du peintre qui pour 1 fr. 80 cent, fait voir le portrait d’un héros. En général, le dialogue est vif et spirituel, mais c’est beaucoup trop long.

Les auteurs sont les cit. Dieu-!a-Foi et Chazet.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année, 1801, tome IV, p. 127-128 :

[La pièce voudrait copier le succès des Revues de l’an précédentes, mais elle n’y réussit pas : intrigue faible,e t de plus invraisemblable. Le résumé de l’intrigue confirme ce double jugement. Quelques scènes épisodiques amusantes, mais certains personnages représentés étaient trop facilement reconnaissables, ce qui choque le critique : « on ne devroit pas permettre une pareille licence ». Des couplets applaudis et redemandés n’ont pu masque rla faiblesse de la pièce, et la fin de la représentation a été houleuse, mais les auteurs ont été néanmoins nommés.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

L'Hôtel garni, ou la Revue de l’an neuf.

Les Revues de l'an six et de l'an huit ayant obtenu du succès on n'a pas manqué de faire, cette année, la Revue de l’an neuf. Elle a été jouée le 23 brumaire an 10.

L'intrigue est non-seulement foible, mais invraisemblable et peu intéressante. Un jeune avocat, Floricourt, a acheté un hôtel garni appartenant à une D.lle de Roseval, qu'il devoit épouser. Il n'a pas vu cette jeune personne depuis longtemps, et ne la reconnaît pas sous le nom de M.me d'Ericourt qu'elle a pris pour loger dans son propre hôtel.

Un nommé Potdevin, espèce d'intrigant à qui Floricourt doit une somme assez considérable, vient pour s'en faire payer ou s'emparer de l'hôtel garni. C'est le jour du terme, et la vieille gouvernante de Floricourt tourmente chacun des locataires pour faire payer son maître. M.lle de Roseval donne à Claude, valet niais, une lettre pour aller chercher 100 écus qui lui sont dus, et avec lesquels elle doit payer son terme. Cependant Claude revient sans avoir trouvé personne, et rencontre M. Vaccin, officier de santé, qui lui offre cette somme, s'il veut subir l'opération de la vaccine. Claude se dévoue généreusement pour sa maîtresse ; mais heureusement Floricourt découvre le nom véritable de M.lle d'Ericourt, la rétablit dans ses droits et l'épouse.

Quelques scènes épisodiques égayent un peu cette pièce. On a remarqué surtout celle entre un journaliste et l'auteur d'un dictionnaire néologique. Les personnalités les plus piquantes ont fait reconnoître sur le champ les deux personnages qui, de plus, étoient vêtus et coiffés absolument comme ceux que les auteurs avoient l'intention de représenter. On ne devroit pas permettre une pareille licence ; et si on continue, nous verrons bientôt, comme du temps d'Aristophane, les acteurs porter un masque ressemblant à la personne qu'ils voudront jouer.

Plusieurs couplets ont été applaudis et redemandés ; entre autres, celui sur le droit de passe, et celui sur l'exposition du portrait de Desaix : mais l'ensemble de la pièce a paru si foible, que les sifflets ont accompagné le dénouement. Quelques voix indulgentes ont cependant demandé l'auteur, et le C. Henry s'est empressé de venir nommer les CC. Chazet et Dieu-Lafoi.

Journal des débats du 28 brumaire an 10, p. 1, puis 2-4 :

[Avant d'en venir à l'Hôtel garni, Geoffroy a parlé de la Ville et le village, qualifiée de « niaiserie champêtre ».]

Théâtre du Vaudeville.

LA VILLE ET LE VILLAGE et L'HÔTEL GARNI.

Je suis fort en arrière avec le Vaudeville ; voilà déjà deux pièces nouvelles que je laisse passer sans dire mot. Mo» silence est assez excusable quand les grands théâtres m'appellent je n'ai pas besoin d'aller compromettre la gravité de mes fonctions dans un petit tandis lyrique, qui retenlit sans cesse de misérables jeux de mots, et dont les pièces, ainsi que les auteurs sont endurcis aux sifflets. Je ne me suis que trop occupé de ces bagatelles ; je n'ai que trop chargé ma mémoire d'insipides couplets ; c'est un assez mauvais meuble pour la tête d'un homme de lettres. Je ne puis honnêtement accorder à de pareilles farces que les momens de mon oisiveté, qui sont excessivement courts : j'ai même, à cet égard quelques injustices à me reprocher ; car, parmi les théâtres que j'ai négligé de comprendre dans mon arrondissement, il y en a plusieurs qui offrent un spectacle plus agréable et plus soigné.

[…]

Entrons dans l'Hôtel garni. Ce n'est pas ici une niaiserie champêtre, c'est une satyre bien abreuvée du fiel de tous les tripôts littéraires : pour en édulcorer l'amertume, on y a fait entrer un roman qui fait bâiller tout le monde. Madame de Roseval, jeune veuve émigrée, revient en France et sollicite la restitution de ses biens qui ont été vendus : elle est logée, sous le nom de madame Déricourt, dans sa propre maison, dont le nouveau propriétaire a fait un hôtel garni. L'acquéreur de ses biens est un certain Florimont, son ancien amant, homme à grands sentimens dont la délicatesse est plus qu'équivoque. Il n'est point clair qu'il n'ait acquis ces biens, comme il le prétend, que pour les restituer ; et le travestissement de la maison en hôtel garni, a quelque chose de très-ignoble : quoi qu'il en soit, lorsqu'il voit que madame Déricourt est déboutée de ses prétentions, il lui fait la restitution de la possession, en l'épousant. A la première représentation, Florimont ne reconnoissoit sa maîtresse qu'à son écriture : cette absurdité a paru si forte que les auteurs ont été obligés de mettre un peu plus de sens commun dans leur intrigue ; mais en devenant plus raisonnable, elle n'en est que plus ennuyeuse ; car jusqu'au dénouement, ces deux amans, qui se reconnoissent sans se l'avouer, font une triste figure.

Pour égayer un sujet aussi fade, il y a d'abord un valet niais. J'ai déjà observé que les niais sont des acteurs officiels au Vaudeville, et se trouvent là dans leur élément : les turlupinades de ce Jocrisse passent pour du sel attique ; mais ce niais est sur-tout plaisant quand il se change en héros de bienfaisance ; pour procurer à sa maîtresse de quoi payer son loyer il reçoit cent écus d'un médecin, et consent à se faire vacciner. Lorsque ce trait sublime se découvre, le niais proteste qne pour sa maîtresse il eût sacrifié un bras, et sa maîtresse, en se pâmant, répond :

Ah ! mon cœur devine le reste.

Jamais amphigouri sentimental n'a paru plus ridicule : et plusieurs malins de parterre se sont empressés de sentir l'indécente allusion que ce vers présente.

Il y a dans cet hôtel garni une cohue d'originaux qui paroissent sur la scène on ne sait pourquoi : un certain Potdevin, vieux usurier, leur donne audience on ne sait a quel titre : un peintre vient lui apprendre qu'il montre le portrait d'un héros pour un franc quatre-vingt centimes.

Son nom fait notre richesse ;
Un héros a tant d'amis !
Pour le voir chacun s'empresse,
Sa gloire double nos profits.

A quoi l'usurier répond :

    Ce calcul est prudent à suivre,
    Quoique mesquin pour un Français ;
Il est adroit de spéculer pour vivre,
    Sur ceux qui ne mourront jamais.

L'antithèse entre vivre et mourir est presqu'aussi mesquine que le calcul du peintre : d'ailleurs, la pointe est injurieuse et grossière, elle est même fausse : les mauvais ouvrages faits pour un héros, ne vont pas avec lui à l'immortalité : ce couplet a été redemandé.

Mais la grande scène, la scène, pour laquelle toute la pièce est faite, c'est la dispute de M. Néologue, poëte grammairien, et de M. Feuillet, journaliste : Néologue accuse Feuillet d'avoir mis en pièces un vaudeville de sa façon, et d'avoir défiguré le style des couplets en les citant : il faudroit que M. Feuillet fut bien adroit pour faire de plus mauvais vers et de plus mauvaises pointes que la plupart des auteurs de vaudevilles ; mais Voltaire est le principal objet de la querelle : le vieux agioteur qui n'a d'autre Parnasse que le Perron du Palais duTribunal, veut dire son mot, et c'est ce Fesse-Mathieu qui a fait le meilleur couplet de la pièce :

Je suis bien loin de vous combattre,
Oui Voltaire est un charlatan,
Le monde entier est son théâtre ;
Son génie est son talisman,
L'esprit sa poudre accoutumée,
Sa dupe la postérité,
Sa trompette la renommée,
Son brevet l'immortalité.

Si l'on trouvoit singulier que ce soit un imbécille qui parle ainsi de Voltaire, on aurait tort : l'enthousiasme et l'emphase sont le partage des ignorans et des sots : l'homme instruit estime plus qu'il n'admire et mesure les éloges sur le mérite ; au reste ce n'est ni avec Potdevin, ni avec des faiseurs de coupletsqu'il faudrait discuter les beautés et les défauts de Voltaire ; ces messieurs sont trop légers de littérature, leur communauté avoit besoin d'un patron, ils ont choisi Voltaire comme celui qui est le plus à leur portée.

M. Néologue est d'autant moins fondé à reprocher à M. Feuillet son irrévérence à l'égard de Voltaire que lui-même n'a pas plus épargné Voltaire que Corneille Racine et Boileau ; mais il ne faut pas chercher ici le sens commun, encore moins le bon ton. Le couplet de M. Néologue est bien loin de valoir celui de Potdevin ; ce n'est qu'un misérable réchauffé d'une épigramme de Piren et des injures de Voltaire contre les journalistes :

Du satyriqne mercenaire,
Retenez ce que l'on a dit,
Impuissant lorsqu'il faut bien faire,
Du mal seul il fait son profit ;
Sans génie, et plus froid qu'un marbre,
II ressemble à ces nains courbés,
Qui ne pouvant atteindre l'arbre,
Vivent des fruits qui sont tombés.

Les satyriques mercenaires sont ceux qui se barbouillent de lie, attaquent les citoyens du haut de leur tombereau, comme font les auteurs de l'Hôtel garni, et qui vendent aux directeurs du Vaudeville leurs sottises beaucoup plus qu'elles ne valent. Un critique n'est pas obligé de faire des tragédies ; quand il a réuni dans une dissertation littéraire la solidité à 1'agrément, il a bien fait ce qu'il devoit faire : les défauts des ouvrages ne sont un mal que pour les auteurs qui n'en savent pas faire leur profit. Comment ce M. Feuillet, plus froid qu'un marbre, est-il parvenu à échauffer si fort deux petits rimeurs, au point de les rendre tout rouges de colère ? Les nains n'ont pas coutume de se courber, ils se redressent au contraire le plus qu'ils peuvent. Pour ce qui est de l'arbre, et des fruits tombés, je n y entends rien ; je ne connois de fruits tombés que les mauvaises pièces, rebut de tout le monde : le critique s'occupe fort peu celles-là. Les tragédies de Voltaire seroient-elles, par hasard, des fruits tombés ? Quelles pauvretés ! Quand on veut faire le méchant, il faudroit tâcher d'avoir un peu d'esprit et de sens. Ce couplet, qui d'un bout à l'autre est un chef-d'œuvre de platitude, a été redemandé, avec de grandes oppositions cependant ; et celui sur Voltaire qui vaut infiniment mieux, ne l'a pas été, du moins ce jour-là. Voilà comme on rend justice au Vaudeville !

L'auteur est un chansonnier nommé Dieu-Lafoi, qui après avoir fait une irruption assez heureuse au théâtre Français, est venu se replonger dans la farce ; il a pris pour compagnon satyrique un certain Chazet. J'entends dire qu il n'y a pas, sur la place du Vaudeville, d'agioteur plus actif et plus adroit que ce Chazet : il se fourre-dans tous les marchés, il est de toutes les entreprises ; mais comme il ne met pas de gros fonds, sa part de gloire et de profit est bien mince. On assure que dans tout ce qu'il a écrit, il n'y a pas une scène, pas un couplet, pasusne idée à lui : c'est une espèce de fripier qui tient, boutique de vers de hasard. Gens de cette étoffe font beaucoup d'honneur à un honnête homme quand ils veulent bien l'insulter !

Journal de Paris, n° 110 du 20 nivôse an 10 [10 janvier 1802], p. 657-658 :

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

Etrennes à Geoffroy, offertes par Chazet ; avec cette épigraphe : Les petits présens entretiennent l'amitié.* — Chazet ayant à se plaindre de Geoffroy, lui avoit fait jouer un rôle dans sa Revue de l’an 9 ; cela n’a pas paru plaisant au rédacteur de ce maudit feuilleton, qui est l'ante-Christ de la littérature, comme Voltaire le disoit de l’abbé Desfontaines. Le C.n G.*** y a répliqué en homme qui peint à fresque sur des rochers, sans se donner la peine d’en ôter les angles aigus & déchirons : une de ces pointes brutes a blessé Chazet, & il se venge gaiement, en donnant à Geoffroy ses étrennes. Voici quelques fragment de cette piquante épître :

Tu te fâches, Geoffroy, courage !
Ton humeur me divertit fort ;
Car se fâcher, nous dit l’adage,
Eut-on raison, c’est avoir tort.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sur un théâtre un peu malin,
Tes yeux ont reconnu naguère,
Un dur, sec, froid, lourd écrivain,
Un feuilliste, pédant, sévère,
Toujours heureux, lorsqu’il a nui,
Qui, dans ses extraits monotones,
Nous révèle, en quatre colonnes,
Le secret d’imprimer l’ennui,
Emprunte une échasse à Pygmée,
Des mœurs se proclame l’appui,
Et va, donnant la Renommée. . . . .
En n’oubliant jamais que lui ;
Fait de la critique un systême,
De l’art dramatique un problème,
D’Apollon un logicien,
Et veut démontrer au parterre,
Que Zaïre a tort de lui plaire,
Et qu’Alzire ne prouve rien.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De tes articles funéraires,
Crois-moi, je ne me plaindrai pas ;
Mais que t’ont fait tous mes confrères ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Que t’ont fait les peintres aimables
De la matrone & de Scaron.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Plus justes, plus prudent que moi,
Ils ont tous fait comme la France,
Ils n’ont jamais rien dit de toi.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

L’auteur reproche ensuite à Geoffroy d’avoir attaqué tous les talens. Voici comme il s'exprime en parlant de Laharpe :

Tu critiques tout ce qu’il dit,
De tout ce qu’il dit, tu profites ;
Tu le blâmes & tu le cites ;
Mais tu lui dois tout ton crédit.
Vingt fois, sans sa Correspondance,
Ta feuille m’auroit endormi ;
Elle assure ton existence,
Et tu vis toujours par vengeance,
Aux dépens de ton ennemi.

Il termine ainsi :

Flatte les grands , fait leur toujours
Maint préambule amphigourique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et dans ton supplément critique,
Sois immortel, tous les deux jours.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Prêche, analyse, décompose ; N’invente rien, juge de tout,
Juge de la grâce & du goût ;
Juge les vers, juge la prose
Juge les talens & l’esprit ;
Du moins il ne sera pas dit
Que tu juges ta propre cause.

Les notes qui suivent les Etrennes, sont très-gaies. En voici une :

« Geoffroy a fait de Théocrite une traduction qui est un véritable tour de force, car elle n'a rien de commun avec l’original. Il a aussi composé pour le collège de Louis le-Grand une tragédie sifflée avec succès, & dont il ne reste plus que ce vers, qui n’a pas été fait pour être prononcé par des femmes : »

Le ministre sacré, non d’un Dieu, mais d'un homme.

Cette petite brochure est d'autant plus amusante, qu’elle n’offre aucuns de ces traits envenimés dont la blessure ne se guérit jamais ; le ressentiment s’y montre toujours sans aigreur, la raillerie sans insulte & le persifflage sans haine. C'est une plaisanterie vive, piquante & ingénieuse. Qu’en arrivera-t-il ? Geoffroy qui règne dans son feuilleton, comme Sancho-Pansa dans l’île de Barataria, trouvera que Chazet n’a pas assez rogné ses ongles ; il se fâchera, il répliquera & le public rira. Tant mieux ! le rire est une fort bonne chose ; mais quand je vois deux hommes de lettres en querelle, je pense toujours à ce que disoit Chamfort : Ne vous disputez pas dans la rue, voilà les sots aux fenêtres.

Le Rieur.          

_________________________

Chez les M.* de Nouveautés.

* * *

La querelle a sa place dans l'ouvrage que Charles-Marc Des Granges consacre à la carrière de Geoffroy comme critique, Geoffroy et la critique dramatique sous le Consulat et l'Empire (1800-1814) [librairie Hachette, 1897], p. 252-253.

Petite remarque : Des Granges paraît séparer l'Hôtel garni et la Revue de l'an IX, alors que ce sont une seule et même pièce.

C'est, je crois, le vaudevilliste Chazet qui ouvre le feu par les Étrennes à Geoffroy 1. Chazet ne manque pas d'esprit. Tour à tour brouillé, puis réconcilié avec Geoffroy, suivant que ses pièces méritaient ou non des éloges, il était, en 1801, mécontent d'un jugement du critique sur la Revue de l'an IX. Tout l'intérêt de son petit pamphlet est dans les notes. Là, il accuse Geoffroy d'avoir provoqué la retraite de Larive, injurié Molé, trop vanté Mlle Volnais, commis trop de calembours, etc. « Sa traduction de Théocrite, dit-il, est un véritable tour de force, car elle n'a rien de commun avec l'original. » Il met le feuilleton parmi les fléaux inévitables, avec les inondations et la cherté du pain... En concluant, il remarque que Geoffroy « s'est fait un plan pour le succès des Débats; c'est un impôt levé sur la malignité publique ».

Il faut dire que Chazet avait déjà égratigné Geoffroy dans l'Hôtel garni, pièce où l'on voyait paraître un certain Feuillet, au nom assez transparent. Ce Feuillet chantait des couplets contre Voltaire, et M. Néologue y répondait. Geoffroy, en rendant compte de la pièce, était sévère pour Chazet :

J'entends dire, écrivait-il, qu'il n'y a pas sur la place du Vaudeville un agioteur plus actif et plus adroit que ce Chazet : il se fourre dans tous les marchés, il est de toutes les entreprises... On assure que dans tout ce qu'il écrit, il n'y a pas une scène, pas un couplet, pas une idée à lui : c'est une espèce de fripier qui tient boutique de vers de hasard. Gens de cette étoffe font beaucoup d'honneur à un honnête homme quand ils veulent bien l'insulter 2.

Cependant il y avait un joli couplet contre les citations inexactes du feuilleton:

Assez souvent dans vos extraits
On lit vos vers au lieu des nôtres ;
Vous croyez rapporter nos traits,
Vous ne nous prêtez que les vôtres ;
Puis, vous accablez nos couplets
De vos censures indiscrètes ;
Assurément ils sont mauvais,
Car c'est vous qui les faites.

C'est bien surprenant, réplique Geoffroy, car l'usage de Chazet est d'aller, le lendemain d'une de ses premières, inspecter les imprimeries, et spécialement celle des Débats 3.

Et, dans un autre feuilleton, Geoffroy, qui cite un couplet, laisse un vers en blanc.

Je n'ai pas osé le suppléer, dit-il, pour ne pas me brouiller davantage avec Chazet, qui m'a dénoncé méchamment pour avoir rendu des vers de vaudeville plus mauvais qu'ils n'étaient ; crime dont je ne suis ni coupable, ni capable 4.

La querelle, on le voit, n'a rien de grave ; échange de coups d'épingle. Il faut ajouter tout de suite que plus d'une fois Geoffroy a loué Chazet, et que le souvenir de cette petite polémique se dissipa bien vite.

1. Étrennes à Geoffroy, par Chazet, an x, 1801.

2. Débats, 28 brum. x. – 19 nov. 1801

3.  Id., 7 frim. x; – 28 nov. 1801.

4.  Id., 4 prair. x. – 24 mai 182.

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