L'Hôtellerie Portugaise

L'Hôtellerie Portugaise, opéra en un acte, d'Étienne Saint-Aignan, musique de Chérubini, 7 thermidor an 6 [25 juillet 1798].

Théâtre Feydeau

Almanach des Muses 1799.

Pièce qui a réussi au moyen des changemens heureux que les auteurs ont faits après la première représentation.

Courrier des spectacles, n° 520 du 8 thermidor an 6 [26 juillet 1798], p. 2 :

[Le critique paraît embarrassé pour porter un jugement sur une pièce qui n’a été ni un succès, ni un échec. Après avoir résumé une intrigue bien compliquée (une femme qu’on prend pour une autre, et que chacun tente d’identifier pour tirer parti de cette identification, jusqu’à ce que le mystère se dissipe : c’est juste une jeune femme qui fuit son tuteur), l’article souligne les insuffisance d ela pièce. Elle se déroule dans une période qui ne convient pas (parce qu’elle rappelle trop la période présente aux spectateurs français ?), et repose sur un mobile qui ne peut susciter l’intérêt, puisque c’est un mobile politique (là encore, trop proche de la situation française ?). En plus, le personnage central de l’aubergiste est « en partie manqué », le critique considérant comme « un défaut très-grand » le fait que l’intrigue consiste à lui « faire honte » de ce qu’il est, mélange de modestie et de présomption. La pièce est mal construite : situations mal amenées, pas assez de mouvement ni de gaîté, « diction très souvent fautive », « dénouement tout-à-fait insignifiant ». Elle a reçu un accueil très froid, et de sévères corrections s’imposent. L’auteur est un débutant, et il semble prometteur, mais il faut qu’il mesure mieux les exigences de son sujet. L’article s’achève par un éloge de la musique, digne de la réputation de son auteur, Chérubini. Pour bien juger l’ensemble, ilf audra revoir la pièce.]

Théatre Feydeau.

L’opéra donné hier pour la première fois sur ce théâtre, sous le titre de l’Hôtellerie Portugaise, n’a eu qu’un demi succès, ou plutôt a été reçu avec une sorte de défaveur dont les causes ressortiront en partie dans les détails suivans :

Le principal personnage, celui sur lequel roule toute la morale du sujet, est un aubergiste Portugais qui se croit un rare mérite, flatté qu’il est de se voir consulté par les gens des:environs dans toutes sortes de circonstances. L’action est placée à cette époque fameuse où le Portugal éprouva la révolution qui le fit changer de maître ; arrivent dans l’auberge une femme et sa suivante qui ne voyagent que de nuit et paroissent fuir Lisbonne avec précipitation. Ces deux circonstances donnent à penser à l’aubergiste qui ne doute plus que cette femme, dans laquelle il a cru distinguer tous les airs de la cour, ne soit Camilla, maîtresse du cruel Vasconcellos, dont le rôle dans les révolutions de ce pays est trop connu.

L’aubergiste voit donc ici une occasion de faire sa fortune ; elle est certaine, s’il découvre au gouvernement qu’il a chez lui cette femme. Il consulte son monde, de l’avis duquel il a cependant pitié avant comme après. L’arrivée de deux voyageurs, l’un maître, l’autre valet, qui sont à la poursuite d'une femme, redouble les soupçons de l’aubergiste, qui les prend pour des hommes chargés d’arrêter Camilla. Il trouve le moyen de leur faire continuer leur route, ne voulant pas découvrir Camilla, dans l’incertitude où il est de l'issue des grands évènemens qui ont lieu à Lisbonne ; mais les voyageurs informés à quelque distance de l’hôtellerie du séjour qu’y faisoient des femmes sous l’incognito, y reviennent, menacent l’aubergiste, et dans le fort du tumulte, cette prétendue Camilla qui n’est autre chose qu’une pupille fuyant un tuteur inhumain, se jette dans les bras de son amant, ce qui découvre tout 1e mystère.

L’auteur, comme on le voit, n’a été heureux ni dans le choix de l’époque où il place l’action, ni dans le principal mobile qu’il donne à l'intérêt de sa pièce, mobile purement politique, et qui ne pourroit produire qu’une faible impression sur le public, ni enfin dans la manière dont le tout est traité.

Le caractère saillant est même en partie manqué ; car il s’agit de donner une vive leçon à un aubergiste très-avantageux, qui cependant est un faux composé de modestie et de présomption, et c’est l’intrigue même qui contribue à faire honte à notre homme , ce qui est un défaut très-grand. Des situations qui ne font qu’indiquer presqu’aucun ménagement dans la manière de les amener, peu de mouvement, quelque gaîté à la vérité, mais point encore assez ; une diction très-souvent fautive, et un dénoue ment tout-à -fait insignifiant ; voilà ce qui a motivé l’accueil assez froid que le public a fait à cette pièce, et ce qui doit engager l'auteur à y faire beaucoup de corrections. On oubliera, si elles sont heureuses, que ce petit ouvrage est le premier essai d’un jeune homme, qui, peut-être, n’a pas assez consulté ses forces , mais qui ne paroît pas dénué de dispositions, à en juger par cette production même, toute foible qu’elle est.

La musique est très-bonne ; la touche du maître habile s’est fait reconnaître dès l'ouverture : elle portait, ainsi que nombre de morceaux enchanteurs, le cachet du cit. Chérubini, qui a été vivement demandé , et n’a point paru. Nous remettons à en porter un jugement plus étendu à une autre représentation.

Courrier des spectacles, n° 526 du 14 thermidor an 6 [1er août 1798], p. 2 :

[Pour rendre compte de la pièce, le Courrier des spectacles propose deux articles de journaux rendant compte de la première représentation. Premier article, celui des Petites affiches, qui critique le livret : mal rédigé, avec des longueurs. C’est la musique qui sauve la pièce, même si un duo est accusé de ralentir l’action. Le compositeur a été applaudi par tous. Le Journal d’Indication juge utile de replacer l’intrigue dans l’histoire du Portugal. L’analyse permet de montrer l’inconsistance du sujet : peu d’intérêt puisqu'on sait que « l’inconnu n’est pas Camille » (notation un peu étrange). La musique est jugée excellente, mais peu adaptée à un opéra-comique, plus proche de celle d’un « drame lyrique ». Mais l’article cite de beaux morceaux.]

Théâtre Feydeau.

On a vu dans le numéro du 8 de ce mois l’analyse de l’Hôtellerie portugaise, opéra, donné la veille à ce théâtre. Voici les jugemens qu’en ont portés différens journaux.

Petites Affiches, du 9.

L'Hôtellerie portugaise, donnée avant-hier sur ce théâtre, n’a obtenu qu’un demi succès : nous croyons qu’il eût été plus que complet , si les paroles de cet opéra eussent répondu aux talens distingués du cit. Chérubini

Suit l’analyse.

Le style de cette, pièce est par fois négligé ; plusieurs scènes offrent la même situation ; les méditations et les conseils que demande le maître d’auberge, entraînent des longueurs qui nuisent à l’action. Nous croyons que, si l'auteur veut se prêter à des coupures, l’ouvrage pourra reparoître avec quelque avantage. La musique est d’une grande facture : l’ouverture a été très-applaudie ; la douce mélodie du commencement semble indiquer au spectateur que des individus reposent ; le trio, et l’air chanté par le citoyen Jausserand, sont superbes : nous croyons cependant que le duo chanté par les citoyennes Lesage n’est point à sa place, parce qu’il rallentit l'action. Cependant, quoique le public ait montré un peu de froid, il a demandé avec empressement l’auteur de la musique : il a été nommé ; les applaudissemens ont été universels.

Journal d'Indication, du 9.

En 1640, les gazettes annonçoient la singulière révolution du Portugal ; elles disoient que les conjurés étoient déjà maîtres du palais du vice-roi, et que la garnison Espagnole étoit renfermée dans la citadelle. Des courtiers parcouraient le royaume, annonçoient que le Portugal étoit délivré de la tyrannie des Espagnols, et que Dom Juan de Bragance alloit remonter sur le trône de ses ancêtres. C’est cette mémorable époque qui a été choisie par un auteur pour placer l’aventure qui fait le sujet de l’Hôtellerie Portugaise, opéra en un acte, joué pour la première fois le 7 thermidor sur le théâtre de la rue Feydeau.

Suit l’analyse ....

On voit par ce léger esquisse que le sujet de l’Hôtellerie Portugaise est par lui-même bien peu de chose. Le spectateur qui sait que l’inconnu n’est point Camille, ne trouve pas beaucoup d’intérêt dans les incidens, ni dans les allées et venues de l’hôte, aussi l’auteur n'a obtenu qu’un médiocre succès, et il n’a pas été demandé.

La musique est d’un excellent compositeur, Chérubini, mais cette musique ne nous paroît pas convenir à l’opéra-comique : large, savante, harmonieuse, expressive, elle appartient plutôt au drame lyrique ; elle étoit digne de peindre les grandes passions. On a vivement applaudi l’ouverture, un trio dont la manière neuve peint tout à-la-fois l’embarras, l’inquiétude et le désespoir ; un duo dans le genre simple, plein de douceur et d’harmonie ; enfin un chœur chanté par les paysans, qui ne laisse rien à désirer dans son ensemble et dans toutes les parties.

Le musicien a été demandé , et a été vivement applaudi.

Courrier des spectacles, n° 544 du 2 fructidor an 6 [19 août 1798], p. 2 :

[Le critique du Courrier avait dit qu’il fallait attendre les changements apportés par une deuxième représentation pour vraiment juger la pièce, et il tient parole. Globalement, ces changements ont été positifs, en particulier la suppression du rôle inutile de la femme de l’aubergiste. Une nouvelle analyse permet de noter les assez abondants changements apportés à la pièce. Si le changement concernant le personnage de l’aubergiste est jugé positivement, le dénouement est encore présenté comme défectueux : prévu d’emblée, et « infiniment brusqué ». Par contre la musique est toujours jugée pleine de qualités.]

Théâtre Feydeau.

L'Hôtellerie Portugaise vient d’être redonnée avec des changemens dont quelques uns ont paru assez heureux. Il en résulte sur-tout que les inconvenances qui entachoient la plûpart des rôles n’existent plus, qu’un personnage essentiel est substitué à un personnage inutile, et que l’action marche à la fois avec plus de rapidité et de vraisemblance. L’auteur a supprimé le rôle entier de la femme de l’aubergiste, et par-conséquent ce trio fort long dans lequel il tenoit une espèce de conseil avec elle et Inigo, valet de l’hôtellerie.

Il est nécessaire de donner de cette pièce une nouvelle analyse.

Les deux femmes qui arrivent dans l’hôtellerie sont prises par l’aubergiste pour Dona Camilla, maitresse de Vasconccllos, et sa suivante, il les tient cachées, les présumant poursuivies. Arrivent deux jeunes voyageurs, dont l’un est à la recherche de Gabrielle qu’il aime, et qui a fui la maison d’un tuteur inhumain. L’aubergiste ne doute plus qu’ils ne soient des gens envoyés à la poursuite de Dona Camilia, et trouve le moyen de les engager à continuer leur route ; arrive un autre étranger ; l’aubergiste le reconnoît pour l’avoir déjà vu dans son hôtellerie, lui dit qu’il a chez lui deux femmes cachées, et le prie de les recevoir dans sa voiture pour les conduire à Lisbonne, en lui recommandant de se faire passer pour tuteur de l’une d’elles qu’accompagneroit sa femme de chambre, de peur que le trouble qu’elles pourroient éprouver ne vienne à éveiller le soupçon des troupes du duc de Bragance au milieu desquelles il faudroit traverser.

L’étranger consent à tout ; on amène les deux femmes en question, et il reconnoit Gabrielle, sa pupille. Il se dispose effectivement à les emmener, mais avec l’autorité d’un tuteur, lorsque les deux premiers voyageurs reviennent sur leurs pas ; on remet à l’étranger un testament du père de Gabrielle, qui lui ôte l’autorité dont il vouloit user ; il sort confondu, mais furieux, et les projets d’union des amans n'éprouvent dès-lors aucun obstacle.

On sent que le personnage de l’aubergiste a plus de comique au moyen de ce qu’il commet une double bévue, et sur-tout il n’offre plus le ridicule de mettre en balance le profit d’une dénonciation avec le plaisir de sauver deux êtres foibles qu’il croit poursuivis. Cependant le dénouement a toujours l’inconvénient d’être prévu et d’être infiniment brusqué ; car presqu’au même instant le tuteur reconnoit sa pupille, les deux voyageurs reparoissent, et un valet entre, annonce au vieillard que ses chevaux l’attendent ; aussi toute cette fin a-t-elle été froidement accueillie.

S’il falloit parler de nouveau de la musique, ce seroit pour ajouter de bien justes éloges à ceux qu’elle a déjà obtenus ; à la fois savante et simple, touchante et animée, elle promène l’attention de beautés en beautés, et maîtrise l’admiration jusques dans ses moindres effets. Il faudroit citer chaque morceau alternativement, si l’on entrait dans le détail de ceux qui ont le mérite de flatter, il n’en est pas un qui ne justifie la réputation que le cit. Chérubini s’est acquise par ses autres productions.

D'après la base César, l'auteur est Étienne Saint-Aignan, le compositeur Luigi Carlo Zanobi Salvatore Maria Chérubini.

Première représentation le 28 juillet 1798 (d’après le Courrier des spectacles, elle a eu lieu le 7 thermidor an 6, soit 25 juillet 1798). Puis 3 représentations les 18, 20 et 22 août 1798. Toutes quatre au Théâtre Feydeau.

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