Intérêt et séduction, ou le Mari prêt à se marier

Intérêt et séduction, ou le Mari prêt à se marier, comédie en cinq actes et en prose, de Proisy d'Eppe, 17 août 1815.

Théâtre de l'Odéon.

Titre :

Intérêt et séduction, ou le Mari prêt à se marier

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

17 août 1815

Théâtre :

Odéon

Auteur(s) des paroles :

Proisy d'Eppe

Almanach des Muses 1816.

Début assez brillant d'un jeune auteur ; intrigue un peu guindée. Dialogue facile et naturel ; mots heureux ; peu de comique. Succès complet.

Paul Porel, Georges Monval, L'Odéon: histoire administrative, anecdotique et littéraire ..., Volumes 1 (1782-1818), Paris, 1876, p. 273 : la pièce, jouée le 19 août 1815, a été retirée par l'auteur après la troisième représentation. Le titre qu'ils lui donnent inverse titre et sous-titre : Le Mari prêt à se marier, ou Intérêt et séduction.

Journal de Paris, n° 230 du 18 août 1815, p. 2-4 :

[Une comédie en cinq actes mérite un long feuilleton, et Intérêt et séduction a cinq actes. Le critique commence son article par des considérations polémiques sur l'état de la librairie vouée à « la littérature impromptu » qui fait qu'on n'entreprend plus d'« ouvrage de quelque importance ». Plus que les Italiens, improvisateurs en poésie, les Français produisent dans tous les genres littéraires des écrits vite produits. Le critique cite la politique, l'éducation, l'histoire, et bien sûr le théâtre, où l'on produit sans prendre « la peine d'imaginer une action, d'établir un plan, de développer des caractères, de combiner et d'élever une solide et noble charpente de cinq actes » (les quatre piliers de la dramaturgie) : on préfère des pièces qui ne durent pas, et qu'il est facile de renouveler. La pièce nouvelle du jour est en cinq actes, c'est un premier essai, ce qui doit inciter à l'indulgence, d'autant que le public ne s'est pas montré sévère envers son œuvre. On peut seulement discuter le choix du mot comédie pour désigner sa pièce, qui contient « assez de pathétique et de romanesque » pour voir en elle un drame. Après ce long préambule, le critique passe à l'analyse de la pièce. Comme attendu, c'est une histoire familiale qui, note le critique, justifie les deux parties du titre, l'ambition au service de l'intérêt d'une part, la bigamie annoncée d'autre part, mais d efaçon détournée : une femme autoritaire qui veut marier à sa fille à un intrigant dont elle n'a pas compris les mobiles intéressés, et qui recherche plus une dot qu'une épouse. Sur ce sujet, l'auteur a construit une intrigue bien compliquée : le prétendu est déjà marié, et celle qu'il se propose d'épouser n'est pas celle qu'on croit, puisque sa nourrice a pratiqué un échange de bébés, mettant sa propre fille à la place de sa sœur de lait, échange que le critique juge « très-peu conforme à la vraisemblance dramatique », et usé même dans ce genre inférieur qu'est le roman. Le chasseur de dot n'y regarderait pas de si près, mais la révélation de son mariage antérieur met fin à ses espoirs de dot, un hasard opportun lui assurant toutefois une belle compensation : l'oncle de sa femme hérite d'un oncle fort riche. C'est celle qui est devenue la fille de la famille qui se marie avec celui qui l'aimait alors qu'elle n'était que la fille d'un fermier (le critique ne dit pas ce que devient la sœur de lait reprenant sa place dans la famille du fermier...). Et le mari manquant d'autorité triomphe modestement de sa femme autoritaire... Le jugement porté sur la pièce commence par des regrets : elle a quelque chose d'allemand, ce qui n'est pas un compliment. Elle accumule les défauts propres au théâtre allemand, manque de liaison entre les scènes, entrées immotivées, détails trop minutieux, tirades bavardes et pompeuses, goût immodéré des changements de décor : « généreuse indiscipline,[...] noble mépris des règles ». A l'auteur, on doit toutefois reconnaître « plusieurs intentions comiques dont quelques-unes auraient pu être mieux développées, des mots heureux et naturels, un dialogue en général simple, facile, et qu'on pourrait aisément rendre plus correct », ce qui n'est pas rien. Et le public a voulu connaître le nom de l'auteur, qui a été nommé. De la distribution le critique ne cite qu'un acteur, celui qui tenait le rôle du mari trop effacé.]

THÉATRE DE L'ODÉON.

Première représentation de Intérêt et Séduction, ou le Mari prêt à se marier, comédie en cinq actes et en prose.

Dans un temps où la littérature impromptu est à-peu-près la seule qu'on cultive, il faut savoir quelque gré aux auteurs qui ont le courage de concevoir, d'entreprendre et d'exécuter, n'importe en quel genre, un ouvrage de quelque importance. Que l'Italie ne nous vante plus ses improvisateurs, dont la verve s'enflamme à commandement pour le premier sujet indiqué, et qui, sans reprendre haleine, vous débitent deux ou trois cents vers qu'ils semblent n'oublier aujourd'hui que pour avoir le plaisir et l'honneur de les réimproviser demain. Ce que les Italiens ont en poésie, nous le possédons dans tous les genres de littérature. S'agit-il de politique, déjà une brochure est sous presse, et dans cent cinquante pages in-8° un publiciste en miniature va poser et développer tous les principes qui doivent servir de règle pour tracer les limites des droits et des devoirs des peuples et des rois. La paix et le bonheur du monde se vendent trente sous chez le libraire-éditeur de l'opuscule, fruit d'un travail de trente heures. Voulez-vous des traités d'éducation ? aussitôt vingt Fénélons nouveaux vont vous offrir en abrégé le fruit de leurs élucubrations de huit jours ; et, sous le format des étrennes mignonnes, vous aurez un petit livret élégant où vous trouverez le secret de conduire vos garçons et vos filles au plus haut degré de perfectibilité. Aimez-vous l'histoire ? vous n'avez qu'à parler : la dixième partie du temps nécessaire pour assembler les matériaux suffit à nos Tacite expéditifs pour tracer le tableau d'évènemens nombreux et rapides, pour en dévoiler les causes les plus secrètes et en suivre la marche la plus compliquée. Enfin les nouveautés dramatiques ont-elles de l'attrait pour vous ? vous serez servi à souhait : vous n'aurez pas le temps de respirer. Il est vrai que dans la crainte de fatiguer votre attention, les auteurs ne prendront pas la peine d'imaginer une action, d'établir un plan, de développer des caractères, de combiner et d'élever une solide et noble charpente de cinq actes ; mais ils vous donneront de jolis petits colifichets bâtis en l'air, soutenus par le vent qui les renverse quelquefois. Vivent ces pièces-là ! on n'a pas le temps de s'y ennuyer ; à peine a-t-on celui de s'y divertir : on dirait que les auteurs les font pendant que les acteurs les jouent. Il est vrai que cela ne dure guère, mais ça coûte si peu, et c'est si facile à renouveler ! Enfin nous sommes dans le siècle des grands hommes pour les petites choses ; nous manquons de pièces d'or, mais nous sommes inondés de petite monnaie. Sauvons-nous sur la quantité.

L'auteur de la pièce en cinq actes, jouée hier à l'Odéon, n'a pas voulu se conformer à l'usage ; mais pour ne pas trop choquer la mode, il a confié ces cinq actes à un théâtre qui n'est presque pas à Paris. C'est son premier ouvrage, et si l'on ne peut encore y apercevoir le germe du génie comique, du moins on n'y trouve pas de quoi justifier un arrêt décourageant. L'accueil que le public a fait à l'ouvrage ne permet pas même de reprocher à l'auteur sa témérité, et il n'en est pas réduit à se consoler avec cet axiome in magnis voluisse sat est. Ce qui veut dire à-peu-près : dans les grandes entreprises il suffit d'avoir osé.

Peut-être sera-t-on fondé à le chicaner sur le titre de comédie, qu'il a donné à sa pièce. On y trouverait assez de pathétique et de romanesque pour qu'elle ne pût pas refuser le nom de drame, et je crois qu'après avoir lu l'analyse, les lecteurs seront de mon avis.

Mme Desormeaux, femme altière, impérieuse et accoutumée à la domination, a le plus docile, le plus débonnaire, tranchons le mot, le plus Cassandre des maris ; il s'avise quelquefois de secouer son joug, mais il n'a pas la force de le rompre. Madame parle, agit, décide, ordonne sans jamais consulter monsieur ; à peine daigne-t-elle l'informer des résolutions qu'elle a prises. Si la comédie est le tableau de la société, l'auteur aura trouvé sans doute dans l'intérieur de quelque ménage le modèle du tableau domestique qu'il nous a offert. Il faut bien que ce modèle existe, puisqu'on nous en a déjà donné tant de copies.

Mme Desormeaux a résolu de marier sa fille Judith à une espèce d'intrigant, nommé Dalonval, dont elle s'est infatuée on ne sait trop pourquoi. Elle s'est engagée avec lui par un dédit de trente mille francs. Judith, jeune personne qui a la tête et le cœur vides, est toute fière de l'amour qu'elle croit inspirer à Dalonval; mais le libertin cherche à séduire la jeune Henriette, fille d'un fermier de M. Desormeaux, et qui a reçu avec Judith, sa sœur de lait, une éducation au-dessus de l'état auquel elle est destinée. Henriette aime le jeune Adrien, neveu de M. Desormeaux : on va séparer ces amans. Dalonval se félicite du départ d'Adrien, qui sera un obstacle de moins à ses coupables projets ; mais Adrien lui fait ses adieux en lui proposant un duel, qui heureusement n'est fatal pour personne. L'intrigue de la pièce, qui ne marche pas franchement au but, peut-être parce qu'elle n'en a pas un bien marqué, roule sur les moyens qu'emploie Dalonval pour s'assurer une dot considérable et satisfaire ses penchans vicieux : voilà l'intérêt et la séduction ; et comme il faut justifier le second titre : le Mari prêt à se marier, vous saurez que ce mauvais sujet ne se fait pas scrupule de se mettre dans un cas pendable ; il va se rendre coupable de bigamie. Déjà marié en Ecosse, il a quitté sa femme parce qu'elle n'héritait pas assez vîte d'un oncle vieux et riche.

Autre évènement amené par la mort de la mère d'Henriette ; cette femme avait été nourrice de Judith, et, dans un coupable égarement de l'amour maternel, elle a substitué sa fille à l'enfant qu'on lui avait confié ; et, à l'article de la mort, elle a fait la déclaration la plus authentique de sa faute. Ainsi la modeste Henriette devient tout-à-coup une riche héritière, et l'orgueilleuse Judith une pauvre paysanne. Cet évènement, très-moral d'ailleurs, est très-peu conforme à la vraisemblance dramatique. Il est déjà usé dans les romans.

Dalonval, qui est amoureux de la dot, ne prendrait pas garde à la main qui la lui offrirait. Il est disposé à épouser Henriette comme il l'était à s'unir avec Judith. Mais tout-à-coup le dénouement de la pièce arrive d'Ecosse dans une lettre. On apprend que Dalonval est marié ; il est couvert de confusion, mais cette lettre annonce aussi la nouvelle de la mort de l'oncle éternel, et le coquin se console de la nécessité de retourner auprès de sa femme par l'idée de la retrouver riche. Est-il besoin de dire qu'Henriette et Adrien sont unis ? M. Desormeaux triomphant s'attribue l'honneur de cette issue qu'il avait desirée tout bas.

On sent dans toute cette pièce je ne sais quel goût de littérature allemande qui ferait croire que l'auteur ne s'est pas assez défié des souvenirs que pourrait lui avoir laissés la lecture du théâtre romantique. Le peu de liaison qui règne généralement dans les scènes, des entrées sans motif, des détails minutieux, quelques tirades ambitieusement déclamatoires, et quatre changemens de décoration, voilà les signes auxquels on croit reconnaître cette généreuse indiscipline, ce noble mépris des règles dont se vantent nos voisins.

Ce qui appartient à l'auteur, ce sont plusieurs intentions comiques dont quelques-unes auraient pu être mieux développées, des mots heureux et naturels, un dialogue en général simple, facile, et qu'on pourrait aisément rendre plus correct. J'oublie que le public m'a donné l'exemple de l'indulgence qu'on doit à un premier ouvrage, qui annonce un talent qu'on chercherait en vain dans bien des auteurs dont on a déjà oublié la vingtième pièce. Celle-ci a obtenu un succès complet, et Pélicier est venu satisfaire la flatteuse curiosité du public, eu nominant M. de Proisy. Péroud a joué très-plaisamment le rôle de M. Desormeaux, qui rappelle un peu trop le bonhomme Crysale des Femmes savantes.

A. Martainville.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des arts et des lettres, année 1815, tome IV, juillet 1815, p. 439-441 :

[Telle que le compte rendu la résume, l’intrigue paraît d’une grande complexité, pleine de rebondissements assez peu vraisemblables (et ce résumé est de plus coupé par une réflexion sur le sens du titre, un chasseur de dots prêt à tout pour séduire et épouser une dot, avant la révélation de son mariage). La pièce met en scène une famille Desormeaux dans laquelle c’est Madame qui mène les affaires et veut marier sa fille à un intrigant uniquement intéressé par la dot de la jeune fille. Mais il y a eu une substitution d’enfants, et les deux sœurs de lait, la fille de la famille et la fille d’un fermier, amoureuse d’un neveu de M. Desormeaux : il faut rendre sa famille à chacune. Et puis, au moment où il va pouvoir se marier (et récupérer la dot), on apprend que l’intrigant fiancé est déjà marié. Il doit rentrer auprès de son épouse, mais son vieil oncle vient de mourir, et le voilà riche quand même. Les seuls à profiter vraiment de ce coup de tonnerre, ce sont les deux fiancés, puisque plus rien ne s’oppose au mariage du cousin avec sa nouvelle cousine. C’est clair ? Non, pas complètement. Preuve de ce manque de clarté : le critique trouve qu’il y a « dans toute cette pièce quelque chose qui rappelle le théâtre allemand » (formule assez ambiguë : les sentiments qu’on éprouve envers le théâtre allemand ne sont pas toujours bienveillants, même si on imite souvent des auteurs allemands, comme Kotzebue). Bien qu’il lui trouve « plutôt l'air d'une imitation que d'une conception neuve et française », elle ne manque pas d’intentions comiques, de mots naturels ; son dialogue est « simple et facile », mais pas toujours correct. Si le public a apprécié la pièce, c’est sans doute au nom « de l'indulgence qu'on doit à un premier ouvrage ». Succès, auteur nommé, un acteur est jugé remarquable.

Je note avec intérêt que l'article du Magasin encyclopédique doit beaucoup à celui du Journal de Paris...]

Intérêt et Séduction, ou le Mari prêt à se marier, comédie en cinq actes et en prose, jouée le 17 Août.

Madame Desormeaux, femme altière, impérieuse et accoutumée à la domination, a le plus docile, le plus débonnaire des maris ; il s'avise quelque-fois de secouer son joug ; mais il n'a pas la force de le rompre. Madame parle, agit, décide, ordonne, sans jamais consulter Monsieur ; à peine daigne-t-elle l'informer des résolutions qu'elle a prises.

Madame Desormeaux a résolu de marier sa fille Judith à une espèce d'intrigant, nommé Dalonval, dont elle s'est infatuée on ne sait trop pourquoi. Elle s'est engagée avec lui par un dédit de trente mille francs. Judith, jeune personne qui a la tête et le cœur vides, est toute fière de l'amour qu'elle croit inspirer à Dalonval ; mais le libertin cherche à séduire la jeune Henriette, fille d'un fermier de M. Desormeaux, et qui a reçu avec Judith, sa sœur de lait, une éducation au dessus de l'état auquel elle est destinée. Henriette aime le jeune Adrien, neveu de M. Desormeaux : on va séparer ces amans. Dalonval se félicite du départ d'Adrien, qui sera un obstacle de moins à ses coupables projets ; mais Adrien lui fait ses adieux en lui proposant un duel, qui, heureusement, n'est fatal pour personne. L'intrigue de la pièce roule sur les moyens qu'employe Dalonval pour s'assurer une dot considérable, et satisfaire ses penchans vicieux : voilà l'intérêt et la séduction ; et, comme il faut justifier le second titre, le Mari prêt à se marier, ce mauvais sujet ne se fait pas scrupule de se rendre coupable de bigamie. Déja marié en Ecosse, il a quitté sa femme, parce qu'elle n'héritoit pas. assez vîte d'un oncle vieux et riche. Mais voici un autre incident : la nourrice de Judith, dans un coupable égarement de l'amour maternel, a substitué sa fille à l'enfant qu'on lui avoit confié ; et, à l'article de la mort, elle fait la déclaration la plus authentique de sa faute. Ainsi la modeste Henriette devient tout-à-coup une riche héritière, et l'orgueilleuse Judith une pauvre paysanne.

Dalonval, qui est amoureux de la dot, ne prendroit pas garde à la main qui la lui offriroit. Il est disposé à épouser Henriette comme il l'était à s'unir avec Judith. Mais tout-à-coup une lettre arrive d'Ecosse, on apprend que Dalonval est marié ; il est couvert de confusion, mais cette lettre annonce aussi la nouvelle de la mort de l'oncle éternel, et le coquin se console de la nécessité de retourner auprès de sa femme par l'idée de la retrouver riche. Henriette et Adrien sont unis. M. Desormeaux triomphant s'attribue l'honneur de cette issue qu'il avoit désirée tout bas.

On sent dans toute cette pièce quelque chose qui rappelle le théâtre allemand. Elle a plutôt l'air d'une imitation que d'une conception neuve et française. On y trouve cependant plusieurs intentions comiques, des mots naturels, un dialogue simple et facile, quoiqu'il pût être plus correct. Le Public a donné l'exemple de l'indulgence qu'on doit à un premier ouvrage.

La pièce a obtenu un succès complet, et Pélicier est venu nommer M. de Proisy.

Péroud a joué très-plaisamment le rôle de M. Desormeaux, qui rappelle un peu trop le bonhomme Chrysale des Femmes savantes.

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