L'Illustre aveugle, mélodrame en trois actes et en prose, à grand spectacle, de Caigniez, musique de Quaisain et Morange, ballets de Richard, 13 octobre 1806.
Théâtre de l'Ambigu-Comique.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1808 :
L'Illustre aveugle, mélodrame en trois actes et en prose, à grand spectacle, Par M. Caigniez. Musique de MM. Quaisain et Morange. Ballets de Richard. Représenté pour la première fois sur le théâtre de l'Ambigu-Comique, le 13 octobre 1806.
La liste des personnages est précédée d'un texte introducteur. Il affirme à la fois l'historicité de ce que la pièce raconte, et le droit de l'auteur de ne tenir compte que très librement des faits :
Une tradition historique a fait naître l'idée de ce mélodrame. Le fait, tel que le fournit l'histoire, est ici raconté par Rodolphe dans la scène VIII du premier acte ; mais les inductions qu'on lui en fait tirer, et tous les incidens qui résultent de ces inductions, qu'on suppose fondées sont d'invention. Sémomislas et son fils Miesko ont régné en Pologne dans le dixième siècle. Cependant le fait qui les concerne et les circonstances qu'on y a ajoutées, étant fort extraordinaires, on a jugé convenable d'en reculer l'époque jusqu'à ces tems où les peuples de la Pologne n'étaient connus que sous le nom de Sarmates, de Slaves, etc. On n'a conservé que les deux noms de Sémomislas et de Miesko. Quant aux villes dont on parle, comme elles pouvaient dès lors exister sous d'autres noms, on leur a laissé ceux qu'elles portent encore aujourd'hui, pour qu'il n'y ait point trop de vague dans la désignation du lieu de la scène. C'est, si l'on veut, la traduction en Français des anciens noms que personne n'aurait connus.
A l'époque choisie et depuis jusqu'à Miesko, dont il est ici question, ce pays adorait encore les faux dieux ; car c'est ce même Miesko qui, le premier, embrassa le christianisme. Miesko et ses prédécesseurs n'avaient que le titre de Ducs, mais comme ils avaient pour le moins autant d'autorité que les Rois qui leur succédèrent, on a préféré leur donner une qualification qui exprime mieux le véritable degré d'autorité dont ils étaient revêtus.
Courrier des spectacles, n° 3535 du 14 octobre 1806, p. 2-3 :
[Le succès de la pièce de Caigniez vient rompre une succession de chutes affectant les mélodrames. Si le début est un peu lent, il permet aussi de préparer les effets de la suite et de faire de chaque acte une réussite par la beauté des situations et la qualité du style,l'acte trois couronnant l'intérêt de l'ensemble et amenant un dénouement « amené avec beaucoup d'art ». Pour le critique, le succès sera durable. Pour parler de l'intrigue, il part de l'histoire de la Pologne et de ce fils du souverain né aveugle, et qui, miraculeusement guéri, a pu régner à la suite de son père. L'auteur est parti de ce fait pour créer sa pièce, mais en supprimant la guérison miraculeuse trop invraisemblable pour la remplacer par une substitution d'enfant (le petit aveugle se voyant substituer un autre enfant). Cette vraisemblance jugée meilleure sert de point de départ à un imbroglio comme on les aime dans les mélodrames, avec un neveu qui voudrait régner à la place de celui qu'on croit l'héritier légitime et un vieux soldat et sa fille qui soutiennent les droits du jeune aveugle. Le critique n'est pas dupe des conventions du mélodrame, et il prévient le lecteur : « on se doute bien », « on pense bien », ces deux expressions permettent de savoir que la pièce finit comme finissent tous les mélodrames. L'auteur a su fort bien enchaîner les incidents, et le théâtre de l'Ambigu-Comique a monté la pièce avec soin. On peut juste regretter l'excessive longueur du ballet, mais c'est facile de remédier à ce défaut. Les acteurs ont encore besoin de jouer avec plus d'ensemble. Mais ceux que le critique nomme sont remarquables. Grand succès donc. Les auteurs sont tous nommés, paroles, musique et ballet.]
Théâtre de l’Ambigu-Comique.
L'Illustre Aveugle.
Les Théâtres des Boulevards étoient, depuis quelque tems, témoins de chûtes fréquentes. Les mélodrames tomboient lourdement les uns sur les autres ; il sembloit qu’un mauvais génie avait enchaîné l’imagination des auteurs, et les applaudissernens des spectateurs. M. Caigmez vient de détruire ce fatal enchantement ; son Illustre Aveugle a r’ouvert la route des succès, et les auteurs peuvent sans crainte le prendre pour guide.
Sa marche est un peu lente dans le commencement, mais c’est pour arriver plus sûrement à des effets qui attachent et intéressent. Chacun des actes du nouveau mélodrame se distingue par des situations de la plus grande beauté, par un style pur et soigné ; mais au troisième sur-tout, règne un intérêt puissant qui soutient l'intention jusqu’au dénouement, que l'auteur a amené avec beaucoup d’art. On peut avancer avec assurance que cet ouvrage sera très-suivi, très-applaudi, et que les représentations en seront fréquentes et lucratives.
On lit dans l’Atlas historique, au sujet de la Pologne, que Sémomislas, l’un de ses premiers souverains, eut, dans un âge avancé, un fils qui naquit aveugle ; que quelque tems après ce fils recouvra la vue par une espèce de prodige, et qu'il succéda à son père sous le nom de Miesko.
C’est d’après ce fait que l’auteur a imaginé l'action de son nouveau mélodrame. Voici comment : Il a supposé d’abord qu’un enfant clairvoyant avoit été substitué à l’enfant aveugle ; supposition qui pourroit fort bien être la vérité, et qui au moins offre plus de vraisemblance que la guérison miraculeuse de Miesko. La Reine de Sarmatie (la Pologne) de concert avec un Palatin, son confident, et à l’insçu de son époux, avoit fait disparoître son fils aveugle, et l’avoit fait porter avec une bourse d’or, chez un vieux soldat, qui l’a élevé sous le nom d’Edmond. La Reine avoit mis à sa place le fils du Palatin, qu’on fit passer pour mort. Les choses sont restées dans cet état pendant vingt ans ; mais la Reine, poursuivie pour ses remords, charge, en mourant, l’un de ses officiers, de chercher le vieux soldat Oberto, et de lui remettre un écrit par lequel elle lui ordonne de déclarer la vérité, si l’aveugle existe encore. Comme Oberto a changé d’habitation, l’officier le cherche en vain depuis deux ans. Cependant Rodolphe, neveu de Sémomislas, a des soupçons de la vérité ; il a d’autant plus d’intérêt de la découvrir, qu’il est ardemment épris de la duchesse de Lithuanie, que le faux Miesko doit épouser aujourd’hui même ; qu’en second lieu, il se verra l’unique héritier du trône, si son rival n’est pas en effet le fils de Sémomislas. On se doute bien que l’Officier de la Reine rencontre enfin le vieux Soldat, et lui remet la lettre et les preuves de la naissance de son élève.
Oberto vient à la cour avec sa fille Elvina, conductrice de l’Aveugle, qu’elle chérit plus qu’un frère, et dont elle est tendrement aimée. La vérité se découvre au moment même de la cérémonie du mariage du faux Miesko avec la Duchesse. Rodolphe triomphe ; son rival perd ses droits, et son mariage est suspendu. Mais cela ne suffit pas à l’ambition de Rodolphe, il faut encore qu’il se défasse de l’Aveugle, et que le crime qu’il veut commettre puisse s’imputer au faux Miesko ; c’est ce qu’il complotte et veut exécuter dans le troisième acte. Mais on pense bien qu’il ne réussit pas, et que sa scélératesse est punie.
Il faut voir dans l’ouvrage même comment l’auteur a su enchaîner tous les incidens que lui a fournis ce fonds intéressant.
Ce mélodrame est monté avec tout le soin qu’il méritoit ; les décorations en sont neuves et du plus bel effet. Le ballet a paru un peu long, mais c’est un accessoir qui peut subir quelque changement, sans que la pièce en souffre aucunement. Lorsque les acteurs auront joué leurs rôles deux ou trois fois, ils y mettront encore plus d’ensemble, et alors il n’y aura plus rien à désirer On ne peut cependant que rendre justice à la manière dont Mlle. l'Evêque a rendu le personuage intéressant d'Evelina ; elle y a mérité de vifs applaudissemens. Tautin a bien saisi le caractère brusque et franc d’un vieux militaire. Vignaux, dans le rôle d’Aveugle, Joigny, dans celui de Semomislas, et Dufrêne, dans celui de Rodolphe, ont contribué au succès de cette représentation.
La salle étoit pleine, l’assemblée choisie, le triomphe de l’auteur a été complet : c’est M. Caigniez, à qui l’on doit le Jugement de Salomon et la Forêt d'Hermanstadt. La musique est de MM. Quaisain et Morange, et le ballet est de M. Richard.
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