L'Insouciant, comédie en un acte, en vers libres, par [Armand Charlemagne, 16 novembre 1792. [Cailleau].
Variétés du Palais
Almanach des Muses 1794
De l'esprit des tirades brillantes qui tiennent trop du ton des pièces fugitives ; des négligences inexcusables, avec tant de facilité.
Journal encyclopédique ou universel, année 1793, tome II, n° VI (vingt-huit février) p. 277-280 :
[Compte rendu paru lors de la publication de la brochure chez Cailleau. On retient surtout que le critique est d’abord intéressé par la question de savoir si l’insouciance est un caractère, ou une simple « nuance de l’égoïsme ». La pièce ne semble avoir eu qu’une représentation (si on croit la base César), et c’est surtout le style que le critique souhaite saluer.]
L'INSOUCIANT, comédie en un acte en vers libres, par Armand Charlemagne, représentée, pour la première fois, sur le théâtre des Variétés du palais, le 16 Novembre 1792 : prix 24 sous. A Paris, chez Cailleau, imprímeur-libraire, rue Galande, n°. 64 Nous avons déjà eu occasion de parler du caractère de 1'insouciant ; & nous avons pensé que l'insouciance, si toutefois cette affection existe, n'est autre chose qu'une nuance de l'égoïsme. Il seroit possible aussi que l'insouciance fût un effet de l'insensibilité ; & alors un insouciant seroit aussi indifférent sur ses propres intérêts que sur ceux des autres. Mais voit on de ces sortes de caractères dans la société ? Y voit-on des hommes assez passifs pour sacrifier jusqu'à leurs passions ? Tous les hommes sont bons, à leurs intérêts près : voilà la plus grande vérité qu'on ait pu dire ; voilà la nuance la plus vraie du caractère de tous les hommes : ainsi, si l'insouciance est une nuance de l'égoïsme, ce n'est plus insouciance, c'est dureté, c'est un vice affreux : si l'insouciance vient de l'insensibilité, c'est sottise, c'est égarement ; & d'ailleurs, ce n'est pas un caractère : le modele d'une pareille erreur de la nature seroit très-difficile à trouver. Voyons donc maintenant comment Armand Charlemagne a conçu son Insouciant ?
Célicour est un jeune étourdi, incapable d'amour, ni de ces sentimens délicats qui font le charme d'une ame pure & honnête. Célicour ne vit que pour lui : il est accablé de dettes, dont il ne s'inquiète point. Un procès, qu'on lui a intenté injustement, peut le ruiner : sa cause est excsl1ente; il ne lui faut qu'un titre, qu'il a chez lui parmi des papiers ; il ne se donne pas même la peine de remuer ces papiers pour donner ce titre à son avocat. Mondor lui a promis la main de Lucile : il a quitté Mondor & Lucile, après leur avoir causé mille désagrémens. Le pere & la fille arrivent à Paris ; il leur propose à dîner : mais des huissiers viennent saisir ses meubles ; Celicour en rit. Mondor, qui a reçu de l'argent pour lui, à son insu, paie ses dettes : Célicour n'est pas plus accessible à la reconnoissance qu'à l'amour ; ses procédés d;viennent choquans. Lucile renonce à lui ; il perd ses amis, rit toujours, & le voit, sans nul chagrin, privé de sa maîtresse, de sa fortune, &, qui plus est, de l'estime des honnêtes gens qu'il étoit sur le point de tromper !... Est-ce là un insouciant ? Non, sans-doute ; c'est un parfait mauvais sujet, un homme sans foi, sans probité, sans délicatesse ; si de pareils êtres existent, ce sont des monstres dans la société.
Voilà le fond de l'ouvrage de Charlemagne, qui s'est trompé sur le caractère de son héros : mais si nous avons cru devoir l'envisager sous un aspect aussi sévere, nous devons de même faire un juste éloge du style & des détails de sa piece. Ce jeune littérateur s'annonce de la manière la plus avantageuse : son style est plein d'esprit ; ses vers sont faciles & soignés : on y remarque des traits d'un goût pur, d'un tact assuré & d'un excellent comique. Il ne lui manque que de bien mûrir ses sujets avant de les mettre en scene ; il faut sur-tout qu'il travaillé plus lentement, qu'il fasse, avec plus de tems, des ouvrages plus importans, & le public sans doute lui assignera une réputation très-distinguée parmi les gens de lettres, & que nous osons lui prédire aujourd'hui, s'il s'abandonne moins à sa facilité. Son insouciant a d'ailleurs parfaitement réussi, au moyen de quelques corrections qu'il y a faites aux représentations subséquentes. Nous terminerons cette notice en citant quelques vers de son ouvrage, qui donneront une idée de sa manière & du caractere de son insouciant. C'est lui qui répond à Mondor :
Célicourt.
C'est mon système à moi, c'est ma philosophie,
Et je vois tout du beau coté :
Oui , je fuis la mélancolie ;
Jamais rien ne m'afflige : heureux celui qui rit.
Pour moi tout est plaisir ; pour moi tout s'embellit.
Ce monde est une comédie :
Le fracas, les écarts, les passe-tems divers,
Acteurs bariolés au gré de leur manie,
Causes & résultats, pratique & théorie ;
Tout fait du burlesque univers
Un théâtre de fantaisie.
De légers accidens, mais jamais un revers :
L'infortune est un mot que je ne comprends gueres.
Quand on croit l'être, on est heureux.
Humeur douce, gai caractère,
Voila le plus beau don des dieux :
Et qui voudra se désespère !
Eh ! pourquoi s'affliger ? voyez, voyez le tems
Vers nos ans écoulés précipiter nos ans !
Semons donc de fleurs la carrière
Que nous avons à parcourir :
Prenons pour guide le desir ;
Et, laissant le soin au zéphyr
De pousser notre nef légere,
Que le nôtre soit de jouir ;
Et soyons lassés du plaisir
Quand nous atteindrons la barrière.
La base César ne cite qu'une représentation, celle du 16 novembre 1792.
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