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L'Intrigante

L'Intrigante ou l'École des familles, comédie en cinq actes et en vers, d'Étienne ; 6 mars 1813.

Théâtre Français.

Titre :

Intrigante ou l'École des familles (l’)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

5

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

6 mars 1813

Théâtre :

Théâtre-Français

Auteur(s) des paroles :

Étienne

Almanach des Muses 1814.

M. Dorvilé, honnête et riche négociant, a laissé s'introduire chez lui une sœur de sa femme. Intrigante de cour, celle-ci, dans l'espoir d'accroître son crédit, protége un comte de Saint-Phar, qui aspire à la main de la fille de M. Dorvilé. Un jeune officier, plus heureux que le comte de Saint-Phar, puisqu'il est aimé, a obtenu le consentement de M. Dorvilé. Les deux amans vont être unis, lorsqu'un ordre de la cour oblige le jeune officier à rejoindre sur-le-champ son régiment. Cet ordre, qui rompt son mariage, a été surpris par l'intrigante. Le comte de Saint-Phar, que l'on accuse de cette lâcheté, se justifie, et, de concert avec M. Dorvilé, il parvient à faire révoquer l'ordre. L'intrigante est démasquée, et le comte de Saint-Phar renonce à ses prétentions.

Ouvrage plein de mots heureux, de vers bien tournés, de scènes filées avec art ; mais l'intrigante n'intrigue pas assez, elle est placée dans un cadre trop resserré ; ses intrigues roulent sur des objets trop peu importans ; il ne fallait rien moins que le rare talent que l'auteur a, du reste déployé dans cet ouvrage, pour assurer le succès qu'il a obtenu.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Le Normant et chez Barba, 1813 :

L'Intrigante, ou l’École des familles, comédie en cinq actes et en vers ; par M. Étienne, membre de l'Institut. Représentée pour la première fois sur le Théâtre Français, par les Comédiens ordinaires de S. M. l'Empereur et Roi, le 6 mars 1813.

                                                  Intrà
Fortuman debet quisque manere suam.

Ovid. élég. 4.

Mercure de France, tome cinquante-quatrième (1813), n° DCVIII (samedi 15 mars1813), p. 511-515 :

[Le très long compte rendu de la pièce commence par analyser la réaction du public lors de la première représentation, qui a été orageuse. Cette réaction est rapportée plus à la situation de l’auteur, victime d’une cabale qui est décrite. Puis on passe à l’analyse de « la fable de la pièce ». Bien qu’elle soit dite « simple », cette analyse est fort précise et fort longue (le critique signale même que l’auteur a simplifié sa pièce en supprimant un rôle « neuf et piquant, semé de fort jolis vers, [qui] pouvait avoir un grand succès », et regrette donc cette suppression). La pièce vaut « par l’énergie des deux caractères principaux habilement contrastés », ruse et hypocrisie contre franchise et vertu, procédé rapporté à Molière dont Étienne est le fidèle disciple. On a fait des reproches à la pièce, que le critique examine. D’abord, l’intrigante est jugée trop peu agissante, mais comment pourrait-elle mener de front plusieurs intrigues de front ? Là encore, on peut rapprocher d’illustres exemples, dont celui de Racine. Elle est aussi jugée atroce par « des gens d'un goût sévère », mais ce point de vue est excessif : ce qui meut l’intrigante, c’est le souci de sa famille, qu’elle veut associer à la Cour. Manque-t-elle de gaîté ? Non, si on ne limite pas le comique à un rire « qui agace les nerfs et agite les fibres du cerveau ». Bien sûr, la pièce n’est pas sans défaut : elle pourrait avoir « une conception plus vaste et plus d'effets dramatiques », mais chacun voit selon « ses petites passions ». Heureusement, « la seconde représentation a vengé amplement M. Etienne ». Reste l’interprétation. « La pièce a été parfaitement jouée. » Six acteurs sont cités de façon élogieuse, pour des raisons diverses.]

Spectacles. — Théâtre Français. L'Intrigante. — Rien de plus orageux que la première représentation de cette pièce. Les sifflets et les applaudissemens se sont disputé le champ de bataille avec un acharnement inconcevable, et la victoire est restée indécise. Cette lutte était plutôt un triomphe pour l'amour-propre de M. Etienne qu'un outrage. Qui ne connaît l'envie ?

Triste amante des morts, elle hait les vivans.

Il semblait que ce fût plus au nom et au talent de M. Etienne qu'on déclarait la guerre qu'à sa pièce. De la fortune, un grand succès, un fauteuil à l'Académie sont des péchés sans rémission. Ils ont valu de tout tems à l'auteur que l'on a pu en accuser, plus d'épigrammes que de madrigaux, plus d'épines que de lauriers. Il paraît que la trame ourdie contre M. Etienne ne datait pas d'un seul jour. On s'était habilement distribué les postes. On prétend même que ceux qui s'étaient déclarés les amis les plus ardens de l'auteur avant la représentation de la pièce, et lors de l'émission des billets, ont déserté au milieu du combat pour passer dans le camp ennemi, manœuvre astucieuse , et malheureusement trop à la mode depuis que les auteurs ont tant d'amis. Les malveillans ne pouvant attaquer, même en détail, les vers de l'ouvrage qui se défendent trop bien, se sont retranchés sur le plan. Accoutumés à n'applaudir que des mélodrames, à ne démêler que des imbroglios, à ne deviner au théâtre que des énigmes, ils auraient voulu que l'auteur

D'un divertissement leur fit une fatigue.

Rien de plus simple que la fable de la pièce. Une baronne, versée dans l'art de l'intrigue, après avoir mis en usage ses talens à la cour de certain électeur, dont on la soupçonnait même d'être un peu l'amie, ambitionne pour sa gloire un plus vaste théâtre. Elle arrive à Paris chez une de ses sœurs, encore jeune et jolie ; cette sœur a pour mari un négociant distingué, père d'une fille unique, issue d'un premier mariage. Le négociant est en voyage, son beau-frère absent, quelle joie pour la baronne ! d'une maison simple et modeste elle fait un palais ; renvoie les anciens serviteurs, pour prendre des laquais plus brillans ; joint le luxe des équipages à la somptuosité de la table. Son hôtel est le rendez-vous des étrangers les plus opulens, des grands seigneurs les plus en crédit :

Elle cherche l'éclat et la célébrité.
Le repos est pour elle une calamité.

Tout ce luxe effréné n'est pas fort du goût d'un caissier, nommé Dubreuil, ami de la maison et attaché depuis long-tems à M. Dorvillé, c'est le nom du négociant ; mais la bienséance le force à se contenir, jusqu'au moment où son humeur un peu brusque, mais loyale, pourra éclater utilement. La baronne, ivre d'ambition, voudrait déjà voir sa nièce élevée au plus haut rang, et cherche à l'éblouir par les descriptions les plus pompeuses du faste et des plaisirs de la cour ; mais Julie, c'est la jeune personne, aussi modeste que belle, aussi naïve que sage, ne la comprend pas : son cœur n'est occupé que du jeune Sainville, fils d'un ancien ami de son père, qui, après avoir travaillé en qualité de commis dans la maison, a pris le parti des armes, et a déjà fait retentir de ses exploits les gazettes, que Julie ne manque pas de lire. Ce fatal amour contrarie les idées de la baronne, mais il n'est point de ressorts qu'elle ne fasse jouer pour réussir. C'est au comte de Saint-Far qu'elle destine Julie. Ce comte, homme de cour, est d'une nature fort originale, et qui figure d'une manière neuve dans la classe des courtisans. Il n'ose aimer, ni même penser, sans l'ordre, de la cour. Il craint de paraître indépendant. Les choses en sont à ce point quand M. Dorvillé arrive. Quelle surprise ! il ne trouve plus ses anciens serviteurs. Quel bouleversement s'est fait dans sa maison ! Une belle-sœur qu'il ne connaît point, y règne despoliquement. Il apprend, par le fidèle Dubreuil, tout le scandale qui s'est opéré, Il apprend même que la baronne veut disposer de la main de sa fille. Il ordonne la réforme la plus prompte. Plus de valets dorés, plus de festin magnifique, plus de prince. Adieu,

L'envoyé de Maroc et l'évêque de Senlis.

II jouit du trouble de la baronne qui attend à dîner quarante-deux convives, sans compter certain baron, espèce de prince supprimé, fort plaisant par son emphase germanique et ses complimens mythologiques. Vous quittâtes Munich, madame,

Les plaisirs avaient fui quand Vénus est partie.

Et la baronne répond :

Ah ! que ce compliment sent bien la Germanie !

Cependant le comte de Saint-Far veut bien faire à M. Dorvillé l'honneur d'épouser sa fille et une dot d'un million d'écus. Le négociant s'excuse adroitement et sort. Bientôt la baronne le menace de l'autorité de la cour, s'il ne consent à un hymen aussi honorable pour sa famille.

Que peut faire la cour à l'hymen de ma fille ?
Je suis sujet du prince et roi dans ma famille.

Mais Sainville, instruit que le comte doit épouser Julie, vient lui demander raison des moyens peu délicats dont il se sert pour obtenir celle qu'il aime. Le comte, aussi indigné que surpris d'un pareil reproche, répond avec dignité : ignorez-vous qui je suis ?

Je sers, dit-il, le prince....

— Et moi, je la défends,

réplique Sainville. Mais le comte, informé enfin des expédiens tentés par la baronne pour éloigner Sainville de Paris, court lui-même solliciter le ministre en faveur de son rival ; il va sortir quand se présente M. Dorvillé qui vient de tout apprendre. Il s'indigne de la légèreté avec laquelle on fait parler la cour. Tout son ressentiment tombe sur sa coupable belle-sœur. Le calme se rétablit, et Sainville, plein de joie et de surprise, obtient la main de Julie. J'ai omis de parler d'un médecin qui manœuvrait avec l'intrigante, parce que l'auteur a supprimé ce personnage à la seconde représentation. Cependant ce rôle neuf et piquant, semé de fort jolis vers, pouvait avoir un grand succès. Il est à souhaiter que l'auteur le rétablisse.

Cet ouvrage se soutiendra par l'énergie des deux caractères principaux habilement contrastés, celui de M. Dorvillé et celui de la baronne. La ruse et l'hypocrisie sont constamment en opposition avec la franchise et la vertu. Des effets semblables ont été employés par Molière dans le Misanthrope et dans le Tartuffe. Que serait Alceste sans le doucereux Philinte, et l'odieux Tartuffe sans le crédule Orgon ? Il me semble que Molière, ce père du théâtre, est l'auteur que M. Etienne s'est plu à étudier avec le plus de soin. Comme lui il trace des portraits d'après des modèles vivans. Les comédies de Molière sont des tableaux fidèles et historiques, de vastes miroirs qui réfléchissent aux yeux de la postérité les mœurs et les ridicules de son siècle. M. Etienne essaie de marcher sur ses traces.

On lui reproche de n'avoir pas assez mis en action son intrigante, voulait-on qu'elle menât de front plusieurs intrigues ? c'était le moyen de n'en faire réussir aucune. En entravant à chaque instant la marche du personnage, il se condamnait à l'imbroglio, ressource des esprits médiocres. Quand on n'a pas le talent d'intéresser par le style, il faut bien s'amuser à nouer et à dénouer les fils d'une intrigue. Cette ressource mécanique ne fut jamais celle des grands écrivains du siècle de Louis XIV. Un simple adieu suffit à Racine pour tracer Bérénice, et cet adieu fit éclore un chef-d'œuvre. Proposez le même plan à certains fabricateurs de carcasses dramatiques, et vous verrez le parti qu'ils en tireront. Des gens d'un goût sévère ont prétendu que l'intrigante de M. Etienne était une femme atroce. Pas un seul, de ses discours, pas une seule de ses actions ne tend à l'atrocité. Quel crime commet-elle, pour vouloir marier sa parente à un homme de cour, qui par ses places, ses titres, son crédit, peut accroître la fortune de son épouse et donner du lustre à son nom ? II perce même dans la conduite de l'intrigante un air de grandeur, une certaine noblesse d'ame : elle s'oublie pour ne songer qu'à sa famille.

On soutient encore que l'intrigante manque de gaîté ; j'en conviens, si l'on entend par gaîté ce rire qui agace les nerfs et agite les fibres du cerveau. Les grâces ne rient point et ne font point rire : le sourire est leur gaîté. La joie intérieure de l'ame est bien préférable à cette ivresse bruyante qui ne peut convenir qu'à la populace des spectateurs.

Je ne prétends pas que l'ouvrage de M. Etieune soit sans défauts, on les a saisis dans plusieurs journaux avec une grande sagacité. Peut-être exigerait-on dans la pièce une conception plus vaste et plus d'effets dramatiques ? Mais quel est l'auteur qui pourra se flatter de rivaliser celui de l'Intrigante sous le rapport de la finesse, de la grâce, et sur-tout du coloris ? Chaque coterie a envisagé l'ouvrage d'après ses petites passions et l'intérêt de ses protégés ; les femmes ont prononcé en dernier ressort. Je rencontrai sous le vestibule en sortant une dame d'une santé robuste qui me dit : la pièce de M. Etienne ressemble à une femme élégante et bien mise, mais qui manque d'embonpoint. Peut-être y a-t-il quelque vérité dans cette critique : mais cette dame jugeait un peu trop d'après elle.

La seconde représentation a vengé amplement M. Etienne.

J'étais sûr du succès, si l'on voulait m'entendre,

est un vers dont on a saisi l'allusion avec avidité.

La pièce a été parfaitement jouée. Mlle Mars a tout fait ressortir avec son naturel inimitable. Mlle Levert, un peu trop tragique à la première représentation, s'est renfermé à la seconde dans de justes limites. Elle a abandonné les gestes pour ne faire parler que son sourire et ses yeux. Le rôle de l'intrigante commencerait sa réputation, si elle n'était pas déjà si bien établie. Baptiste est tout entier le baron, prince supprimé. La brusquerie de Michelot dans Dubreuil est très-comique. Damas ne laisse rien à désirer dans le rôle du comte. Cet acteur n'imite personne : comme Molé, il a créé sa manière. Fleury a retrouvé toute la vigueur de ses jeunes années :

Pour un semblable acteur l'hiver n'a point de glace.

D.D.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année; 1813, tome II, p. 202-205 :

[Après le résumé de l’intrigue, le critique constate la minceur de l’action, dans laquelle le personnage principal parle plus qu’elle n’agit. Elle n’est pas très raisonnable, ni très adroite. Ce qu’elle veut réaliser est jugé « impossible à toute femme pourvue de sens et de raison ». Le caractère extravagant de son projet est longuement montré, et les autres personnages contrastent avec elle par leur bon sens. La pièce a deux « défauts essentiels », le défaut de comique, le défaut d’action et d’ensemble. Ses mérites sont « dans quelques détails agréables, dans des vers heureusement tournés, dans des morceaux pleins de vigueur, dans une observation fine des mœurs et des ridicules du jour, et surtout dans un style soutenu, ferme et élégant ». Le compte rendu en donne des exemples. Les interprètes n’ont pas tous convaincu le critique.]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'Intrigante, comédie en cinq actes et en vers, jouée le 6 mars.

M. Dorvillé est un riche négociant, à la tête de grandes manufactures. Il a choisi une femme dans une famille noble et ruinée, dont il lui a fallu réparer les désastres : ce négociant a une fille charmante, qu'il destine à Sainville, jeune militaire dont le père étoit son ami ; mais, pour son malheur ; ce bon M.Doryillé a une belle-sœur, qui est venue s'établir chez lui pendant son absence, pour y mettre le trouble et le désordre. Elle a meublé la maison avec le luxe le plus scandaleux, et l'a remplie de valets insolens et fripons ; elle a tenu table ouverte pour tous les originaux qui lui font la cour ; elle a même corrompu le caractère de sa sœur, et l'a jetée dans des dépenses folles, tout cela aux dépens du beau-frère. Au retour de son voyage, ce brave homme ne reconnoît plus sa maison ; il y est tourmenté d'un tas d'étrangers plus ridicules les uns que les autres ; et, pour l'achever, on lui présente un mémoire effrayant, où il trouve que, pendant quelques mois d'absence, il a plus dépensé qu'il n'auroit pu faire en plusieurs années.

M. Dorvillé rétablit l'ordre dans sa maison : mais il n'en chasse pas la belle-sœur qui travaille à marier sa nièce au comte de Saint-Fard, afin d'avoir accès à la Cour. Malheureusement les moyens d'exécution de cette intrigante ne répondent pas à la hauteur de ses vues. Le seul effort qu'elle fasse est d'obtenir un ordre pour faire partir le jeune amant, et un autre qui oblige le père à se rendre à la Cour. On croit qu'il va se trouver forcé par le Prince à marier sa fille au Comte ; mais il lui a fait entendre raison, sans doute, car il revient et donne Julie à Sainville en présence du comte de Saint-Fard.

Voilà bien peu d'action pour cinq actes. L’Intrigante agit plus qu'elle ne parle. Ses projets ne sont pas très-raisonnables. Il n'y a point d'adresse dans sa conduite , il n'y a que de l'entêtement. Elle se propose une chose qui doit paroître impossible à toute femme pourvue de sens et de raison : marier une fille qui a un million d'écus à un seigneur ruiné, cela est possible, quand la fille est éprise de la Cour ; mais marier à un courtisan une fille vertueuse, modeste, pénétrée d'un véritable amour pour un jeune homme digne d'elle; la marier avec une immense fortune, malgré son père qu'elle aime et qu'elle respecte, malgré un père connu pour un bon négociant, estimant son état, simple, économe, et surtout ferme et inébranlable dans son système de conduite, c'est un projet fou, qui, pour son exécution, semble ne pouvoir admettre que des moyens aussi fous que le projet. C'est cependant là le fondement sur lequel repose tout l'édifice de la pièce. Il y a une scène où la Baronne, croyant le mariage déja fait, félicite sa nièce sur le rang qu'elle va tenir à la Cour, et lui fait entendre que ses charmes pourroient faire en ce pays-là de brillantes conquêtes. La jeune personne ne répond à ces insinuations immorales que par ces mots : je ne vous comprends pas. Elle vante à son tour le bonheur d'une union bien assortie, les charmes d'une société domestique, où président l'amour et la vertu : et la tante répond aussi : je ne vous comprends pas ; réponse qui prouve à quel point son esprit et ses mœurs sont corrompus par l'ambition.

Les défauts essentiels de la pièce, et auxquels il ne paroît pas qu'il y ait de remède, sont le défaut de comique, le défaut d'action et d'ensemble. Le mérite de l'ouvrage est dans quelques détails agréables, dans des vers heureusement tournés, dans des morceaux pleins de vigueur, dans une observation fine des mœurs et des ridicules du jour, et surtout dans un style soutenu, ferme et élégant.

Beaucoup de vers ont été applaudis et méritoient de l'être.

On veut effrayer Dorvillé du nom du Prince ; il répond :

Je suis sujet du prince, et roi dans ma famille.

On veut l'engager à briller : non, dit-il, ce n'est pas là le devoir d'un négociant.

Et, tant que dans ses mains il a les fonds d'autrui,
L'argent qu'il a gagné n'est pas encore à lui.

Je pourrais multiplier les citations : mais l'ouvrage va être imprimé, et les lecteurs pourront juger du mérite de son style, mérite que l'on ne peut contester à M. Etienne. L'ouvrage, selon moi, doit beaucoup gagner à la lecture, qui nuit à tant d'autres. Si l'auteur eût mieux choisi son sujet, il auroit fait un ouvrage du premier ordre.

Mademoiselle Lèvera met trop de force et d'emphase dans le rôle de l'intrigante ; Fleury joue le père avec une noble fermeté mêlée d'ironie; Mademoiselle Mars joue la jeune fille comme elle joue les ingénuités.

Les autres rôles sont peu de chose.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1813, p. 279-287 :

[L’article s’interroge d’abord sur le choix du sujet, une femme ayant le goût de l’intrigue. Un tel personnage n’est pas jugé actuel (Ah ! sous la Fronde !). L’intrigue est ensuite longuement analysée, et l’avant-texte est précisé minutieusement. Quand l’action démarre, « l’exposition se fait [...] d'une maniére naturelle, et dés la première scène, le spectateur connaît les principaux personnages de la pièce ». Le critique montre clairement qu’il adhère à la manière dont l’auteur conduit sa pièce : « Ce premier acte est plein de traits comiques, de portraits habilement tracés ; le dialogue en est vif et animé ». La réaction positive du public est également soulignée : « Cette scène, fortement écrite, a été applaudie avec vivacité. » L’intrigue est ainsi décrite simplement, aux intrigues de la baronne il suffit que M. Dorvillé oppose son autorité, et tout se dénoue sans difficulté. Il faut ajouter quelques indications sur des personnages secondaires, joués de manière inégale (un interprète est même jugé insuffisant). Jusque là, le regard porté sur la pièce était positif. Le changement est net : « La pièce a été vivement applaudie pendant les trois premiers actes » malgré des longueurs. La suite a été beaucoup moins bien accueillis. Une minorité de spectateurs a vivement marqué sa désapprobation, sans que le critique explique les raisons de leur agitation. Il laisse seulement entendre que c’est à l’auteur, Etienne, qu’on s’en prenait. Pour lui, « le défaut capital de la pièce est la faiblesse de l'intérêt ». On comprend trop vite que la situation n’est pas si compromise,e t que Dorvillé réussira à mettre fin aux intrigues de sa belle-sœur. Il est impératif de raccourcir la pièce, qui vaut surtout par son style, « plein de fermeté et de franchise, brillant et vrai, semé de vers saillans, de traits satiriques », et par le sens de l’observation de l’auteur.]

THÉATRE FRANÇAIS.

L'Intrigante.

Faire du goût de l'intrigue chez une femme un ressort dramatique assez puissant pour soutenir l'intérêt pendant cinq actes, était une entreprise d'autant plus difficile que l'auteur voulait peindre les mœurs actuelles, c'est-à-dire celles d'une époque où les femmes n'ont aucune influence apparente. S'il avait placé ses personnages au temps de la Fronde, par exemple, s'il avait mis en scène Mme. de Longueville, Mme. de Chevreuse, il eût été servi par les événemens auxquels ces femmes célèbres ont pris tant de part. Mais dans nos mœurs, l'intrigue, chez les femmes, est si prés de l'avilissement, sur-tout lorsqu'il s'y joint des calculs pécuniaires, qu'il fallait un tact bien délicat pour déguiser ce qu'il pouvait y avoir de repoussant dans le but que se propose l'intrigante. Cependant, tel est l'art de l'auteur, qu'on ne s'apperçoit point ou qu'on oublie que l'argent entre pour quelque chose dans les projets de son héroïne. Elle est humiliée et non avilie.

M. Dorvillé, riche négociant qui, au milieu du fracas de Paris, se distingue autant par la simplicité de ses mœurs que par le noble emploi qu'il fait de sa fortune, voyage en province depuis quelques mois pour visiter ses manufactures.

Marié en secondes noces à l'âge de cinquante ans, avec une jeune personne qui ne lui a apporté pour dot qu'un grand nom et des vertus, il l'a laissée à Paris. Cette jeune femme vivait heureuse dans l'intérieur de sa famille, avec Julie fille de M. Dorvillé, lorsque sa sœur, veuve d'un baron allemand, arrive de Munich.

Le luxe et l'intrigue sont nécessaires à la baronne, et quoiqu'elle soit sans fortune, elle ne doute nullement que sa naissance et le rang de son mari ne lui donnent le droit de commander en reine chez un simple négociant. Son esprit et son audace la rendent dangereuse ; aussi, un instant lui suffit pour s'emparer de l'esprit de sa sœur. Elle change tout, bouleverse tout, et bientôt la maison a pris une autre face. Les anciens serviteurs sont remplacés par une foule de laquais à la livrée de la baronne. Au mobilier modeste de M. Dorvillé succède Je plus somptueux ameublement ; une table splendide est ouverte chaque jour à tout ce qu'il y a de plus brillant dans Paris. Les étrangers sur-tout, attirés par les intrigues de la baronne et par la fausse apparence de son crédit, s'y portent en. foule. Madame Dorvillé, naguéres si simple et si modeste, ne trouve plus de parures assez riches et assez élégantes. Toutefois, elle est plutôt entraînée que séduite ; les dettes qu'elle a contractées pendant l'absence de son mari l'inquiètent, elle craint et désire son retour.

Non-seulement la baronne s'établit sans façon dans la maison de son beau-frère, et dispose de sa fortune, comme de la sienne ; mais elle veut encore marier Julie ; elle lui destine un homme de la cour, le comte de Saint-Far. Son projet est de s'établir ensuite chez sa nièce, de la gouverner, et de s'ouvrir ainsi un vaste champ à l'intrigue, qui est son véritable élément. Julie aime Sainville, jeune officier, fils d'un ancien ami de son père, et qui a travaillé autrefois dans ses bureaux.

Tel est l'état des choses au moment où la pièce commence. Sainville arrive de l'armée, et vient chez M. Dorvillé. Le caissier, homme franc et loyal, aussi dévoué à son maître qu'ennemi de la baronne, dont il déteste les folies, raconte au jeune homme tous les changemens survenus depuis son départ. L'exposition se fait ainsi d'une maniére naturelle, et dés la première scène, le spectateur connaît les principaux personnages de la pièce. Dubreuil, c'est le nom du caissier, finit à peine le portrait de la baronne, qu'elle arrive elle-même, et complette l'exposition.

L'action s'engage franchement par une scène de la baronne avec Julie : la première emploie tous les moyens de séduction pour amener sa nièce à épouser le comte de Saint-Far. Cette scène offre l'heureux contraste d'une intrigante consommée avec une jeune persoune naïve et sans expérience. Cependant le comte de Saint-Far, que la baronne peint comme très-amoureux et très-empressé, n'est rien moins que cela : c'est un courtisan dans toute la force du terme ; il attend pour penser les ordres de la cour, et n'ose prendre sur lui d'être amoureux sans y être autorisé. Il craint, même en amour, de paraître indépendant.

Ce premier acte est plein de traits comiques, de portraits habilement tracés ; le dialogue en est vif et animé.

M. Dorvillé arrive ; il fait d'abord le plus aimable accueil à sa belle-sœur : mais quel est son étonnement, lorsqu'il découvre ce qui s'est passé pendant son absence ? Excepté sa fille et Dubreuil, tout est nouveau pour lui. Il se trouve presqu'étranger dans sa propre maison. « Monsieur dîne-t-il avec nous ? » demande un des convives de la baronne ; car elle a invité, ce jour même, quarante-deux personnes à diner. M. Dorvillé voit qu'il n'y a pas un instant à perdre. Il ordonne à Dubreuil de congédier les nombreux valets que lui a donnés l'intrigante en son absence ; les chevaux, les équipages somptueux sont réformés : il ne garde qu'une simple voiture, et ne veut avoir que six couverts à sa table. Cette résolution déconcerte la baronne et ne l'abat point. Une scène très-vive s'engage entre elle et son beau-frère ; elle rit d'abord des reproches de M. Dorvillé, veut lui faire sentir qu'avec une fortune immense, on ne doit point vivre comme un simple bourgeois ; mais celui-ci développe les principes qui doivent servir de régie à tout négociant.

Cette simplicité, que vous avez pu voir,
Je l'observai par goût autant que par devoir :
Un vrai négociant est toujours économe :
S'il est dissipateur, il n'est point honnête homme.

M. Dorvillé prouve qu'il ne doit rien prodiguer, quelle que soit son opulence ; qu'il n'en a pas le droit; qu'il ne doit pas inquiéter le public qui s'abandonne à sa probité:

Et tant que dans ses mains il a les fonds d'autrui,
Le bien qu'il a gagné n'est pas encore à lui.

La baronne ne doute pas au moins que M. Dorvillé ne soit séduit par l'alliance illustre qu'elle a projetée pour Julie, et lui présente le comte de Saint-Far comme l'époux destiné à sa fille.

Cette scène, fortement écrite, a été applaudie avec vivacité. On n'a pas moins goûté celle où le courtisan, sûr enfin du consentement de la cour, et ne doutant pas de celui du père, vient avec une politesse orgueilleuse demander la main de Julie. M. Dorvillé élude d'abord avec le comte, et s'explique ensuite avec la baronne. Son choix est fixé : Sainville doit épouser sa fille ; rien ne peut faire changer cette détermination. Les difficultés ne font qu'irriter la baronne. C'est ici que son génie intrigant se déploie dans toute son étendue. Tandis que, d'un côté, elle persuade au comte que M. Dorvillé ne demande pas mieux que lui donner sa fille, elle fait entendre au père que la cour a arrêté ce mariage, et moitié par menace, moitié par séduction, essaie de décider Sainville à renoncer à son amour. Tous ces moyens ayant échoué, elle parvient à faire mander M. Dorvillé chez le ministre, et à faire donner à Sainville l'ordre de partir dans la province. Julie craint pour son père, dont l'absence se prolonge d'une manière inquiétante ; elle n'est pas moins effrayée sur le sort de son amant ; pour les sauver, elle consent à tout. Le retour de M. Dorvillé déjoue toutes ces intrigues. On avait indignement compromis l'autorité. Une simple explication a suffi pour dissiper tous ces fantômes créés par la baronne. Sous un gouvernement juste et -ferme à-la-fois, un père .doit être

...... Sujet du prince et roi dans sa famille.

Dans cette courte analyse, je ne me suis occupé que des principaux personnages ; je n'ai point parlé d'un médecin de cour, premier ministre de la baronne, qui envoie ses élèves chez les artistes et les bourgeois, ne traite que les grands seigneurs, leur donne en même-temps un placet et une ordonnance, et qui, rebuté quelquefois lorsqu'on se porte bien, attend la première indisposition pour faire valoir son crédit : ce rôle, dont les intentions étaient comiques, mais qui n'occupe pas une place assez marquée dans l'action, n'a pas été rendu d'une manière satisfaisante par Thénard. Il aurait fallu un autre acteur pour représenter l'importance du personnage, et faire ressortir les traits plaisans que l'auteur lui a mis dans la bouche, et dissimuler quelques légères inconvenances et quelques répétitions. Je n'ai point parlé non plus d'un baron allemand qui vient solliciter la baronne, et dont elle se sert pour faire ses commissions. Ce personnage, représenté d'une manière originale par Baptiste cadet, produirait peut-être plus d'effet si l'auteur ne l'avait pas employé deux fois à-peu-prés de la même manière.

La pièce a été vivement applaudie pendant les trois premiers actes, quoiqu'on eût cependant remarqué des longueurs et des détails qu'il était fort aisé de faire disparaître.

Dès le milieu du quatrième acte, la bienveillance commençait à se rallentir, et cet effet, dont on pouvait facilement s'appercevoir, a permis à quelques personnes, mal disposées peut-être, d'exprimer plus énergiquemeut leur désapprobation. Chaque chose faible ou douteuse, et par conséquent les fautes ont été saisies avec avidité, et l'on a profité avidement d'une scène, bonne en elle-même, mais trop prolongée, pour exciter du tumulte. Le calme, enfin, s'est rétabli. Mais, au cinquième acte, l'impatience s'est accrue, et quoique la majorité des spectateurs réclamât le silence, la pièce n'a été achevée qu'au milieu du bruit et des cris d'un certain nombre de personnes qui paraissaient déterminées à faire baisser la toile. Après avoir donné un bon ouvrage, prétendre à un second succès n'est pas, cependant, un crime irrémissible, et peutêtre l'auteur des Deux Gendres méritait-il assez d'encouragement pour que l'on entendit sa comédie jusques au bout.

Le défaut capital de la pièce est la faiblesse de l'intérêt ; la baronne n'est pas assez intrigante ; elle ne fait pas jouer d'assez grands ressorts ; elle ne met pas ceux qu'elle attaque dans un danger qui inspire de la crainte pour eux. On sent, dès le second acte, qu'un seul mot d'un homme annoncé comme ayant un caractère aussi prononcé que Dorvillé, fera cesser sur-le-champ les abus dont il se plaint, et l'influence usurpée par l'intrigante. Aussi la chose la plus indispensable, c'est de raccourcir la pièce, dont la longueur rend plus saillant encore un vice qui tient à la première conception de l'auteur, et non pas à l'absence du talent. Il est plus que probable que M. Etienne aura senti la nécessité de faire des coupures, et que sa pièce, devenue plus rapide, gagnera de l'effet aux représentations suivantes.

Le véritable prix de la nouvelle comédie est dans le style. Plein de fermeté et de franchise, brillant et vrai, semé de vers saillans, de traits satiriques, il annonce des progrès réels dans l'art d'écrire, et doit concilier beaucoup de suffrages à l'auteur. Au mérite incontestable du style, M. Etienne joint le talent de l'observation ; la nature l'a doué de beaucoup d'esprit ; il a l'ambition de la gloire littéraire ; avec ces qualités et ces avantages unis au travail, on peut et on doit aspirer à une noble place dans la carrière périlleuse où il s'est annoncé par un succès.                                Y.

Jules Brisson et Félix Ribeyre, les Grand Journaux de France (Paris, 1862), p. 272 :

[Après le rappel des « ennuis » d'Etienne avec les Deux gendres :]

Une comédie, l'Intrigante, attira à M. Etienne de nouveaux désagréments. Ses ennemis dénoncèrent dans quelques vers de cette œuvre des intentions malignes contre la Cour impériale. L'Empereur voulut voir la pièce aux Tuileries. Il en avait ri d'assez bon cœur ; mais les courtisans qui s'y croyaient attaqués prirent la chose moins gaiement, et sur leurs instances les représentations de l'Intrigante furent suspendues. En 1814, le gouvernement royal leva l'interdiction ; mais M. Etienne, par un sentiment de convenance, ne crut pas devoir profiter de cette bienveillance. Aussi, dès la première restauration M. Etienne perdit tontes ses places. Le retour de Napoléon les lui rendit. De plus, M. Etienne fut nommé chevalier de la Légion d'honneur. Président de l'Institut dans cette circonstance difficile, c'est lui qui, au nom de ce corps, félicita Napoléon. Dans son discours, qui n'était pas d'un courtisan, il ne négligea pas de faire connaître le vœu général qui alors réclamait hautement la liberté de la presse. Après la seconde restauration, il n'en fut pas moins rayé de l'Institut.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, l’Intrigante ou l’École des familles, comédie en cinq actes en vers de Charles-Guillaume Etienne, n’a connu que neuf représentations, toutes en 1813, à partir du 6 mars.

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