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L'Isle de la Mégalantropogénésie, ou les Savans de naissance
L'Isle de la Mégalantropogénésie, ou les Savans de naissance, vaudeville en un acte, de Barré, Radet, Desfontaines et Dieulafoy, 26 mai 1807.
Théâtre du Vaudeville.
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Titre :
Isle de la Mégalantropogénésie (l’), ou les Savans de naissance
Genre
vaudeville
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
en prose, avec des couplets en vers
Musique :
vaudevilles
Date de création :
26 mai 1807
Théâtre :
Théâtre du Vaudeville
Auteur(s) des paroles :
Barré, Radet, Desfontaines et Dieulafoy
Almanach des Muses 1808.
La mégalant[h]ropogénésie, ou « art prétendu de procréer des enfants de génie, des grands hommes », selon la définition du Dictionnaire de l'Académie française (sixième édition, de 1835, la seule à faire une entrée pour ce mot) est à la mode en ce début de siècle. Elle est liée aux travaux de Lavater, et a fait l'objet d'un ouvrage savant de Robert le jeune, des Basses-Alpes (1771-1850), l'Essai sur la mégalanthropogénésie, ou L'Art de faire des enfants d'esprit, qui deviennent des grands hommes ; suivi des traits physiognomoniques propres à les faire reconnaître, décrits par Lavater, et du meilleur mode de génération (publié en 1801). On le trouve sur Internet, en particulier sur le site Gallica de la BNF. La pièce a fait naître un grand nombre de critiques.
Courrier des spectacles, n° 3758 du 27 mai 1807, p. 2-3 :
[Encore un article bien curieux. Il s’agit de rendre compte du vaudeville nouveau, et le ton est d’abord plein d’éloges : il fallait faire venir les spectateurs, le temps étant apparemment très chaud, et la nouvelle pièce est exactement ce qu’il fallait : « Le sujet, la conduite et les détails, tout y respire l’esprit, le goût et la raison ». Le sujet ? La façon dont il est expliqué le rend hautement politique, puisqu’il s’agit de critiquer, ou de ridiculiser la volonté exprimée dans des livres, mais aussi par la Révolution, d’améliorer l’humanité en procréant des enfants supérieurement intelligents. Les auteurs sont nommés, on s’attend à l’analyse de la pièce, mais l’article change brusquement de sujet pour annoncer, de façon moqueuse, la représentation qui va être donnée au profit d’un vieil acteur du Vaudeville, présent dans la distribution de la pièce nouvelle, Chapelle, qui a bien besoin d’aide matérielle. Représentation annoncée en ces termes le 26 mai en première page (elle le sera encore les jours suivants) :
Théâtre Favart.
Jeudi 28, sans retard, Représentation extraordinaire au bénéfice de M. Chapelle.
Les Comédiens ordinaires de S. M. l’Empereur et Roi réunis à ceux du Théâtre du Vaudeville donneront les 2 Pages, com. en 2 actes, précédée de la première représ, de la Tête à Callot, ou la Prison, pour rire, com. vaud. en 1 acte, et Amour et Mystère, ou Quel est mon Cousin, et une autre pièce qui sera indiquée le jour de la représentation.]
Théâtre du Vaudeville.
La Mégalantropogénésie, ou l’Isle des Savans.
Le Théâtre du Vaudeville avoit besoin de cette jolie production, pour rappeler les fugitifs dans sou enceinte, et lutter contre les ardeurs de la saison. Depuis long-tems il n’avoit donné un ouvrage aussi piquant. Le sujet, la conduite et les détails, tout y respire l’esprit, le goût et la raison. Qu’un jeune médecin, pour se faire remarquer, ait publié un livre où il proposoit aux époux de leur faire procréer des enfans aussi philosophes que Platon , aussi érudits que Varron, aussi éloquens que Démosthènes, aussi spirituels qu’Ovide, Horace ou Voltaire, c'étoit une idée plaisante. Mais des novateurs plus hardis que lui, ont essayé, il y a quelques années, d’appeler toutes les classes de la société au rang de philosophes, de législateurs et de politiques, et 1’on a vu ce qui en est résulté.
Ce sont ces abus de l’esprit, que les auteurs de la nouvelle pièce ont voulu combattre. Toute leur doctrine est renfermée dans ce vers :
Horace a bu son saoul quand il voit les Menades.
C’est-à-dire qu’il faut soigner le pot-au-feu avant de songer à faire des madrigaux, et labourer son champ, avant de calculer les éclipses. Cette vérité est exposée avec beaucoup d’esprit et d’une manière neuve et piquante
Les auteurs de cette pièce, sur laquelle nous reviendrons, sont MM. Barré , Radet, Desfontaines et Dieu-la-Foi.
Nous quittons un instant la Mégalantropogénésie, pour nous occuper d’un acteur, qui , sans être initié dans les mystères de cette science , n en est pas moins un homme estimable.
Chapelle est tout à-la-fois chanteur et épicier. Comme chanteur, il jouit de quelque estime au Vaudeville. Sa manière est ronde et joviale ; il a tout juste cette portion d’indigence dans 1’esprit qui convient pour jouer les rôles de Cassandre. Comme épicier, on prise beaucoup son miel, et les drogues de sa boutique valent souvent bien autant que celles de son théâtre. On pourroit appliquer à Chapelle la fable de La fontaine sur la Cigale et la Fourmi. M. Chapelle chante beaucoup ;, mais tandis qu’il chante, les provisions du magasin s'en vont ; et la disette entre au ménage. M. Chapelle s'est apperçu un peu tard du déficit. Effrayé du retour de l’hyver, il s’est adressé aux fourmis ses voisines. Heureusement il les a trouvées plus compatissantes que celle de La Fontaine. On ne lui a pas dit :
Que faisiez-vous au tems chaud ?
– Nuit et jour, à tout venant,
Je chantois, ne vous déplaise.
– Vous chantiez, j’en suis fort aise,
Hé bien ! dansez, maintenant,
Il y auroit de l’inhumanité à faire danser le bon Chapelle ; toute cassée que soit sa voix, elle vat encore mieux que ses jambes. On viendra donc à son secours ; et moyennant une contribution légère, le public remplacera le sucre et la canelle qui manquent dans ses magasins. C'est jeudi que cet acte de bienfaisance doit être consommé. Il faut faire des vœux pour qu’il soit fructueux ; car quand le mal est fait, rien de plus inutile que les doléances sur le passé ; mais il faut souhaiter que cet exemple serve à quelque chose. Rien de plus triste que de voir un bon bourgeois membre des six corps et métiers, abdiquer ses fonctions pour chanter en public ; c'est un travers bien plus ridicule que ceux de tous les Cassandres possibles.
Quand on joue la comédie, il faut tâcher, au moins, de ne pas la donner soi-même. C’est le cas d’appliquer au contrevenant l’adage si connu : Medice, cura te ipsum. Mais les maladies invétérées ne se guérissent guères. Malgré ses catastrophes, il est probable que le bon Chapelle chantera encore, sauf à voir périr de nouveau son gérofle et sa muscade. Cet acteur est si passionné pour le Vaudeville, qu’il a fait mettre en chanson l'enseigne de sa boutique, et les étiquettes de ses flacons. On trouve sur le verre qui renferme ses liqueurs les vers de nos Pannards modernes ; et quand la mémoire manque aux Orphées de nos banquets, il suffit de placer devant eux une bouteille du magasin de Chapelle, pour la ressuciter aussi-tôt.
C’est au Théâtre de l'Opéra-Comique que sera donnée la représentation au bénéfice de Chapelle. Ses camarades, et l’élite des acteurs Français contribueront à embellir cette soirée. Ce qui peut consoler Chapelle d’en avoir eu besoin, c’est qu’il n’est pas le seul qui se soit trouvé dans le même cas. L’amour des arts n'inspire pas toujours l'esprit d’ordre. Combien d’artistes ont eu recours à la même ressource, sans en être plus heureux aujourd’hui ! Il faut souhaiter que Chapelle soit plus sage qu'eux, et lui rappeler :
Qu’on vit de bonne soupe, et non de beau langage.
Courrier des spectacles, n° 3759 du 2_ mai 1807, p. 2 :
[Comme prévu, l’analyse de la pièce. Elle se réduit à expliquer le sujet, qualifié d’« ingénieux, spirituel et philosophique » (une île où tout le monde devient savant, mais où il ne reste plus personne pour les activités manuelles, et qui risque de ce fait de dépérir rapidement), et de donner une idée de l’intrigue (très classique c’est une intrigue sentimentale, un jeune homme amoureux de la fille du gouverneur de l’île qui va chercher dans une autre île les bras qui manquent). La pièce est bien morale, mais il ne s'agit pas de faire le procès de la science.]
La Mégalantropogénésie.
Ce n’est pas assez d’avoir dit que le sujet du Vaudeville, joué hier, est ingénieux, spirituel et philosophique, il faut encore donner une idée de la manière dont les auteurs l’ont traité.
Dans une île, dont les habitans ont d’heureuses dispositions pour les arts, est arrivé un exemplaire du fameux livre de la Mégalantropogénésie, c’est-à-dire, de l’art de procréer des grands hommes. Aussi-tôt tous les maris et toutes les femmes se hâtent de faire l’essai de la nouvelle méthode et au bout de quelques années, il en résulte une génération tellement spirituelle et savante, que personne ne veut plus étudier que l’astronomie, la chimie, la rhétorique, la poésie, la mnémonique et la gastronomie.
Le gouverneur, qui avoit été procréé avant la découverte de la mégalantropogénésie, conserve seul son bon-sens avec un Vieux domestique qui n’étoit pas plus mégalantropogénésiaque que lui. Bientôt les sciences font de si rapides progrès, qu’il ne reste pas un laboureur pour cultiver les champs, un maçon pour bâtir une maison, un cordonnier pour faire des souliers à son excellence, un tailleur pour couvrir sa nudité. Dans cette extrémité, le bon gouverneur, dont le palais est déjà en ruine, et qui n’a pas un cuisinier pour mettre son pot-au-feu, assemble ses états pour aviser aux moyens de sauver la patrie. Les savans promettent alors les plans les plus beaux ; ils composent, compilent, rédigent, parlent, écrivent, déclament, pérorent, etc., mais aucun d eux ne fait pas une seule démarche en faveur des arts méchaniques. Enfin, un jeune homme sauve tout le monde. Ce jeune homme étoit 1’amant de la fille du gouverneur. Il s’embarque pour une île voisine, où il y avoit beaucoup d’artisans et très-peu de docteurs. Il ramène des laboureurs, des maçons, des vignerons, des forgerons, des tailleurs et des cordonniers, et l’Isle savante se ranime aussi-tôt ; tout y recouvre la vie et la prospérité.
Cette idée est très-morale ; mais comme il ne faut pas non plus faire la guerre à la science, les auteurs ont trouvé le moyeu de tout concilier en faisant proposer un échange entre les deux îles. Celle qui possède les artisans en fournit à l’île sa voisine ; et celle-ci fournit des savans à 1’autre île, qui avoit beaucoup de bras pour exécuter, mais peu de tètes pour diriger.
L’Ambigu, ou variétés littéraires et politiques, volume 17 (Londres 1807), n° CLI (10 Juin 1807), p. 535-540 :
[Le compte rendu (très copieux) du vaudeville nouveau s’ouvre sur l’enjeu de la pièce : mettre en scène les théories nouvelles d’une science eugénique, en montrant une île sur laquelle vit « une génération toute entiere de savants », et les conséquences de la création d’une telle société (plus de maison, plus de culottes). Cela a donné « l'un des plus jolis vaudevilles ». Le résumé de l’intrigue, très précis, permet d’en comprendre la volonté critique (la société de savants est une catastrophe !). Le vaudeville final est riche en couplets gais et spirituels. Un des exemples cités peut passer pour une sorte de flatterie envers l’Empereur. Sinon, quelques lignes sur la qualité de l’interprétation.]
Premiere Représentation de l'ISLE DE LA MÉGALANTROPOGÉNÉSIE, ou LES SAVANS DE NAISSANCE.
La science la moins cultivée à Paris, et la plus digne de l'être, celle dont l'étude donnerait aujourd'hui les résultats les plus piquants, c'est, sans contredit, la science de la raison : rendons grâces à ceux qui nous en offrent un cours complet, en vaudevilles. Que M. Robert, du département des Hautes-Alpes s'imagine que le sort a réalisé la douce illusion qu'il s'est faite, en composant son Art de procréer des grands hommes ; qu'il se figure une île où cet art, cultivé depuis cinquante ans, aura produit une génération toute entiere de savants et de fractions de savants ; qu'il se représente des lunettes de toutes les tailles, des alambics de toutes les formes, des livres de toutes les especes ; mais qu'après avoir souri à ce doux spectacle, il ne s'offense point qu'on refuse à son art le titre de libéral, lorsqu'il ne trouvera plus ni laboureurs, ni meûniers, ni charpentiers, ni maçons, et lorsque le gouverneur de l'Isle, échappé seul avec son favori, à la contagion du génie, n'aura plus ni culotte pour se vêtir, ni maison pour donner ses audiences.
Il faut bien pourtant que ce gouverneur rassemble ses savants, pour les consulter sur les besoins de son peuple. Mais chacun d'eux n'écoute que la voix de son amour propre, et les intérêts de la science qu'il préfere. Le nouveau Sancho-Pança déplore alors le malheur de ne plus trouver, comme autrefois, dans son île, un sot ou deux par famille. Cependant l'amour qui désarme tout, jusqu'aux savants, les fait tomber aux pieds de la fille du gouverneur ; chacun voulant obtenir sa main, travaille à secourir la patrie ; le professeur de mnémonique, entre autres, promet que pour faire des imbécilles, on peut se reposer sur lui : l'un apporte des plans d'agriculture et d'économie rurale et politique ; un autre invente une charrue à cinq oreilles ; celui-là découvre l'art d'implanter des cheveux sur la tête : mais où trouver le perruquier, le laboureur, le meûnier, le forgeron, &c., où les trouver ? Il semble qu'ils soient sortis de dessous terre, car on les entend déjà tous à l'ouvrage. Les savants restent muets d'étonnement : leur habileté ne va pas jusqu'à concevoir ce prodige ; le spectateur n'est pas si embarrassé ; car il sait qu'un jeune amant de la princesse a risqué sa vie pour aller chercher ces gens là dans un pays, où l'on trouve plus d'ouvriers que d'hommes de génie ; on peut juger s'ils sont bien reçus. Le souverain de leur pays envoye proposer au gouverneur de l'ile savante un échange de tant de géometres contre un certain nombre de cuisiniers, &c. On peut s'en fier à MM. Barré, Radet, Desfontaines, et Dieulafoy, pour rendre ce marché plaisant. Leur vaudeville est d'une très-bonne morale, et d'un très-bon goût : la conception en est piquante et dramatique, les couplets ingénieux et gais ; on remarquera particulierement ceux qui terminent l'ouvrage. C'est ainsi qu'il est permis aux professeurs de la rue de Chartres, de donner des leçons au public, qui se lasse enfin de voir défigurer l'histoire, et d'entendre tour-à-tour nos grands écrivains et nos grands hommes frédonner des calembourgs, en fausset, sur le théâtre d'arlequin.
Autre Extrait de la même Piece.
Les nouvelles découvertes sont heureuses au Vaudeville ; au moins si on s'en moque, c'est avec esprit :
Ça fait, ça fait toujours plaisir
aux auteurs de la découverte. La Mnémonique a fourni un joli vaudeville ; la Mégalantropogénésie a son tour. Elle avait déjà été célébrée dans un conte fort piquant de M. Adrien de S..n, inséré il y a quelques mois dans les Archives Littéraires, et qui a fourni l'idée du vaudeville. M. de S...n suppose que le génie Adamastor, pere d'un grand nombre d'enfants dont il a peuplé l'une des îles Molucques, ne pouvant leur donner l'immortalité, leur a donné à tous en partage, pour eux et leur postérité, l'esprit, la science, le talent ; en un mot, tout ce qu'on a depuis appelé en raison de cela les dons du génie. On juge de ce qui arrive dans une île où il y a bientôt tant d'architectes qu'on n'y trouve plus un maçon ; tant de savants, de poëtes, d'orateurs, de mathématiciens, &c., qu'il ne s'y trouve plus personne pour faire des souliers, du pain ou la cuisine ; enfin où tout le monde ayant le talent de gouverner, personne ne veut qu'on le gouverne. Des révolutions et point de pain, voilà un pays en bel état : un roi a déjà été détrôné ; le second, tout prêt à l'être, pour éviter son sort et pour empêcher ses sujets de périr de misere, imagine de faire un traité d'échange avec douze peuples de ses voisins, chez lesquels il se trouve précisément que l'esprit manque ; on lui donne pour tant de peintres tant de cordonniers ; pour tant de poëtes tant de laboureurs ; pour tant de philosophes, &c. ; tout le monde s'en trouve bien, surtout les hommes de génie, fort heureux d'aller habiter chez des gens qui leur feront du pain et les admireront, tandis que dans leur pays ils mouraient de faim sans que personne prît garde à eux, parce qu'ils étaient comme tout le monde.
Voilà l'idée dont se sont emparés MM. Barré, Radet, Desfontaines et Dieu-la-Foi, pour en faire un acte de vaudeville ; ajoutez M. Adrien de S.... n, qui l'a fournie, cela fait, si je sais compter, cinq auteurs ; mais ils ont fait aussi l'un des plus jolis vaudevilles qui eût paru depuis long-temps sur ce théâtre. C'est ainsi qu'on peut s'approprier les idées des autres, et dire comme Moliere, qu'on prend son bien où on le trouve. C'est ici la Mégalantropogénésie qui a l'honneur de la procréation de tant de gens d'esprit : le traité d'échange, en projet dans le conte, est ici en action et en tableaux, et au lieu d'être proposé par un sage ministre, c'est un jeune amoureux qui l'exécute : on voit que tout est parfaitement dans le costume du Vaudeville. La scene s'ouvre au moment de la plus grande détresse. Irza, fille d'Alpha, souverain ou gouverneur de l'île, est occupée à se faire un chapeau de jonc, faute d'étoffe, de rubans, de marchande de modes et de femme-de-chambre, car il n'y a plus dans l'île que des femmes auteurs, excepté Irza dont le pere, Alpha, né avant la découverte de la mégalantropogénésie et dans le temps où chaque famille de l'île comptait au moins un sot ou deux, a voulu conserver un échantillon de l'ancienne espece, et refusé de se soumettre aux lois mégalantropogénésiques en vertu desquelles
Je ne vous dirai pas bien comme
au bout de deux ou trois ans l'ile se trouva remplie d'hommes de génie ; car, dit le vieux ministre Ruscar, ils n'étaient pas plus hauts que cela,
Qu'ils étaient déjà de grands hommes.
Cela se voit tous les jours, quoique nous n'ayons pas encore aperçu chez nous les effets de la mégalantropogénésie. Le vieux Ruscar est le seul avec Alpha qui ait résisté aux innovations, et qui, au lieu de mettre au monde un savant, ait tout bonnement donné le jour à un jeune et joli garçon nommé Azolan, plus occupé des beaux yeux d'Irza que de l'étude, et qu'elle trouve beaucoup plus à son gré qu'un certain astrologue qui lui fait la cour, mais qui toujours les yeux au firmament, n'imaginait jamais d'aller chercher son sort ailleurs que dans les astres, tandis qu'Azolan cherchait les moyens d'assurer le sien
Et ne regardait pas si haut.
Mais depuis six mois Azolan est parti, sans qu'on puisse savoir ce qu'il est devenu, parce qu'on n'a pas un commissionnaire à envoyer après lui, et le pauvre ministre Ruscar est sur le théâtre, et faisant le café de son maître, qui n'a plus d'autre maître d'hôtel. Alpha l'appelle par la fenêtre, parce qu'il ne lui reste pas un valet pour envoyer demander son café à son premier ministre. A travers cette fenêtre, on voit le palais en ruine ; de l'autre côté du théâtre est un moulin détraqué; au fond sont des terres en friche ; depuis long-temps on manquerait d'habits dans l'île, sans le naufrage récent d'un vaisseau chargé, je crois, de costumes de théâtre, dont les savants se sont accommodés comme ils ont pu. Il s'y trouvait probablement peu d'habillements de femmes ; car la pauvre Irza n'est vêtue que tout juste ce qu'il faut : mais on trouve que cela ne va pas mal à Mme. Hervey.
Les savants paraissent enfin, ce sont les habitants de l'île.
Faut des savants, pas trop n'en faut
a dit le bon Ruscar au commencement de la piece : peut-être voudrait-on avoir un peu moins de ceux-là, c'est-à-dire, qu'on voudrait qu'ils déployassent un peu moins longuement les ridicules d'une assemblée de beaux esprits ; ces ridicules là sont si connus ! Alpha a convoqué ses sujets, pour aviser avec eux aux moyens de sauver l'état par des travaux utiles ; ils s'indignent de la proposition, se radoucissent en voyant Irza qu'on promet pour récompense au plus utile ; et ils partent pour aller faire des projets. Pendant ce temps, Azolan arrive ; il n'a point fait de projets, mais il a sûrement fait fortune, car il est vêtu comme un prince ; il revient de voyager, il chante à sa maîtresse un peu longuement, qu'il a été dans des pays où il a vu des auteurs sans envie, des femmes sans jalousie, &c. ; enfin ce qu'il est convenu qu'on ne voit pas partout :
Et cependant je n'ai pas vu Paris,
dit-il. Cette tournure est un peu usée, et la chanson d'Azolan est peut-être, avec la premiere scene des savants, la seule chose qu'on voudrait abréger dans ce joli ouvrage. Du reste, Azolan dit qu'il vient sauver l'île ; il ne s'explique pas sur ses moyens ; mais au moment où les savants viennent apporter à Alpha leurs projets, et tantôt pour se faire écouter, tantôt pour se faire taire mutuellement, font un bruit à le rendre sourd, on voit paraître tout d'un coup dans le palais des maçons qui le raccommodent, une forge s'établit de l'autre côté du théâtre, un paysan paraît au fond conduisant une charrue, et des forts de la halle traversent le théâtre chargés de sacs de farine. On demande l'auteur de ces merveilles ; c'est Azolan qui paraît à la tête d'une colonie d'ouvriers de toutes les especes qu'il a été chercher dans les pays voisins, et parmi lesquels je crois bien qu'Irza aura remarqué une marchande de modes. Un ambassadeur les a accompagnés ; on propose le traité d'échange, les beaux esprits se récrient ; on leur promet des distinctions, ils s'apaisent. Azolan épouse Irza, et une espece de dialogue en vaudeville, entre les savants et les gens du peuple, termine d'une maniere piquante cette petite piece remplie de jolis tableaux, de jolis couplets, d'une gaîté franche et d'un esprit sans recherche, tel qu'il convient au vaudeville. Un grand nombre de couplets ont été redemandés ; parmi ceux qu'on a fait répéter avec le plus de transports, on a remarqué celui-ci, où Ruscar, parlant du bien que le retour d'Azolan va produire dans l'île, ajoute :
Si j'en crois un fait qu'on renomme,
Ce n'est pas le premier pays
Sauvé par le retour d'un homme.
La piece est bien jouée ; Mme. Hervey surtout y a été charmante ; elle a bien fait, car elle ne savait pas son rôle. Au reste, les autres acteurs ne le savaient pas non plus ; mais l'esprit des auteurs a tout fait passer.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1807, tome III, p. 407-408 :
L'Isle de la Mégalantropogénésie, ou les Savans de naissance.
« Si ce titre ne remplit pas votre espoir, il remplit bien l'affiche », a dit Arlequin au public dans le couplet d'annonce. Au fait, ce mot si long n'est pas comme celui dont se plaignoit Horace, et qui ne peut entrer dans un vers. Il le remplit tout entier. C'est un mot précieux, et s'il y en avoit beaucoup comme cela dans la langue, nos auteurs seroient souvent moins embarassés pour faire leurs couplets.
Venons à la pièce nouvelle.
Il y a une île, située on ne sait pas trop à quel degré de latitude et de longitude, dans lequel le livre de la Mégalantropogénésie a eu tant de succès, qu'on ne s'y est pas servi d'autre procédé pour faire des enfans, et que la génération actuelle n'est composée que de grands hommes en tout genres Cette île n'est peuplée que de géomètres, de poètes, d'astronomes, etc., etc. En conséquence, les maisons tombent en ruine, les moulins sont encombrés, et comme dit le premier ministre, à quoi nous serviroit-il ! tous les jours on voit de nouveaux astres dans les cieux, et pas un épi sur la terre ! Le premier ministre et le gouverneur de l'île, sont les seuls qui aient survécu à leur génération ; ce sont de bonnes gens qui ont fait leurs enfans par les procédés ordinaires ; aussi gémissent-ils des malheurs de l'île, dont les habitans seroient tout nuds, si le hasard n'avoit fait échouer un vaisseau sur ses côtes. On est prêt à mourir de faim ; le gouverneur expose l'urgence d'apporter un remède à tant de maux ; mais les savans ne font que des plans et des projets, et il faudroit des bras pour labourer et bâtir. Heureusement qu'Azolin, le fils du premier ministre, a prévu les malheurs de son pays.Sans avertir personne, il est parti un beau jour dans un canot qu'il a ravitaillé, et il revient avec des ouvriers de toute espèce, qui ramènent dans l'île l'activité et l'abondance. Les voisins proposent un arrangement, et on envoie des savans chez eux en échange de leurs artistes. Le tout se termine par un refrein très-gai.Cette pièce est du vrai vaudeville, la raison et l'esprit y sont réunis : on y rit de bon cœur, et la foule s'y portera long-temps. Madame Hervey s'est distinguée dans le rôle de la fille du gouverneur, qu'elle a joué avec grace et finesse. Hypolyte, Chapelle et tous les autres acteurs de la pièce ont contribué à son ensemble.
Les auteurs sont MM. Barré, Radet, Desfontaines et Dieu-Lafoi.
L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1807, tome VII, juillet 1807, p. 286-292 :
Première représentation de l'Isle de la Mégalantropogénésie, ou les Savans de Naissance.
Les nouvelles découvertes sont heureuses au Vaudeville ; au moins si on s'en moque, c'est avec esprit :
Ça fait, ça fait toujours plaisir
aux auteurs de la découverte. La Mnémonique a fourni un joli vaudeville ; la Mégalantropogénésie a son tour. Elle avait déjà été célébrée dans un conte fort piquant de M. Adrien de S...n, inséré il y a quelques mois dans les Archives Littéraires, et qui a fourni l'idée du vaudeville. M. de S...n suppose que le génie Adamastor, père d'un grand nombre d'enfans dont il a peuplé l'une des îles Molucques, ne pouvant leur donner l'immortalité, leur a donné à tous en partage, pour eux et leur postérité, l'esprit, la science, le talent ; en un mot, tout ce qu'on a depuis appellé en raison de cela les dons du génie. On juge de ce qui arrive dans une île où il y a bientôt tant d'architectes qu'on n'y trouve plus un maçon ; tant de savans, de poëtes, d'orateurs, de mathématiciens, etc., qu'il ne s'y trouve plus personne pour faire des souliers, du pain ou la cuisine ; enfin où tout le monde ayant le talent de gouverner, personne ne veut qu'on le gouverne. Des révolutions et point de pain, voilà un pays en bel état : un roi a déjà été détrôné ; le second, tout prêt à l'être, pour éviter son sort et pour empêcher ses sujets de périr de misère, imagine de faire un traité d'échange avec douze peuples de ses voisins, chez lesquels il se trouve précisément que l'esprit manque ; on lui donne pour tant de peintres tant de cordonniers ; pour tant de poëtes tant de laboureurs ; pour tant de philosophes, etc. ; tout le monde s'en trouve bien, sur-tout les hommes de génie, fort heureux d'aller habiter chez des gens qui leur feront du pain et les admireront, tandis que dans leur pays ils mouraient de faim sans que personne prît garde à eux, parce qu'ils étaient comme tout le monde.
Voilà l'idée dont se sont emparés MM. Barré, Radet, Desfontaines et Dieu-la-Foi, pour en faire un acte de vaudeville ; ajoutez M. Adrien de S...n, qui l'a fournie, cela fait, si je sais compter, cinq auteurs ; mais ils ont fait aussi l'un des plus jolis vaudevilles qui eût paru depuis long-temps sur ce théâtre. C'est ainsi qu'on peut s'approprier les idées des autres, et dire comme Molière, on prend son bien où on le trouve. C'est ici la Mégalantropogénésie qui a l'honneur de la procréation de tant de gens d'esprit : le traité d'échange, en projet dans le conte, est ici en action et en tableaux, et au lieu d'être proposé par un sage ministre, c'est un jeune amoureux qui l'exécute : on voit que tout est parfaitement dans le costume du vaudeville. La scène s'ouvre au moment de la plus grande détresse. Irza, fille d'Alpha, souverain ou gouverneur de l'île, est occupée à se faire un chapeau de jonc, faute d'étoffe, de rubans, de marchande de modes et de femme-de-chambre, car il n'y a plus dans l'île que des femmes auteurs, excepté Irza dont le père, Alpha, né avant la découverte de la mégalantropogénésie et dans le temps où chaque famille de l'île comptait au moins un sot ou deux, a voulu conserver un échantillon de l'ancienne espèce, et a refusé de se soumettre aux lois mégalantropogénésiques en vertu desquelles
Je ne vous dirai pas bien comme
au bout de deux ou trois ans l'île se trouva remplie d'hommes de génie ; car, dit le vieux ministre Ruscar, ils n'étaient pas plus hauts que cela
Qu'ils étaient déjà de grands hommes.
Cela se voit tous les jours, quoique nous n'ayons pas encore apperçu chez nous les effets de la mégalantropogénésie. Le vieux Ruscar est le seul avec Alpha qui ait résisté aux innovations, et qui, au lieu de mettre au monde un savant, ait tout bonnement donné le jour à un jeune et joli garçon nommé Azolan, plus occupé des beaux yeux d'Irza que de l'étude, et qu'elle trouve beaucoup plus à son gré qu'un certain astrologue qui lui fait la cour, mais qui, toujours les yeux au firmament, n'imaginait jamais d'aller chercher son sort ailleurs que dans les astres, tandis qu'Azolan cherchait les moyens d'assurer le sien
Et ne regardait pas si haut.
Mais depuis six mois Azolan est parti, sans qu'on puisse savoir ce qu'il est devenu, parce qu'on n'a pas un commissionnaire à envoyer après lui, et le pauvre ministre Buscar est sur le théâtre, faisant le café de son maître, qui n'a plus d'autre maître d'hôtel. Alpha l'appelle par la fenêtre, parce qu'il ne lui reste pas un valet pour envoyer demander son café à son premier ministre. A travers cette fenêtre, on voit le palais en ruine ; de l'autre côté du théâtre est un moulin détraqué ; au fond sont des terres en friche : depuis long temps on manquerait d'habits dans l'isle, sans le naufrage récent d'un vaisseau chargé, je crois, de costumes de théâtre, dont les savans se sont accommodés comme ils ont pu. Il s'y trouvait probablement peu d'habillemens de femmes ; car la pauvre Irza n'est vêtue que tout juste ce qu'il faut, mais on trouve que cela ne ya pas mal, à Mme. Hervey.
Les savans paraissent enfin, ce sont les habitans. de l'isle.
Faut des savans, pas trop n'en faut,
a dit le bon Ruscar au commencement de la pièce : peut-être voudrait-on avoir un peu moins de ceux-là, c'est-à-dire, qu'on voudrait qu'ils déployassent un peu moins longuement les ridicules d'une assemblée de beaux esprits ; ces ridicules-là sont si connus ! Alpha a convoqué ses sujets, pour-aviser avec eux aux moyens de sauver l'état par des travaux utiles ; ils s'indignent de la proposition, se radoucissent en voyant lrza qu'on promet pour récompense au plus utile ; et ils partent pour aller faire des projets. Pendant ce temps, Azolan arrive ; il n'a point fait de projets, mais il a sûrement fait fortune, car il est vêtu comme un prince ; il revient de voyager, il chante à sa maîtresse un peu longuement, qu'il a été dans des pays où il a vu des auteurs sans envie, des femmes sans jalousie, etc. ; enfin-ce qu'il est convenu qu'on ne voit pas par-tout :
Et cependant je n'ai pas vu Paris,
dit-il. Cette tournure est un peu usée ; et la chanson d'Azolan est peut-être, avec la-première scène des savans, la seule chose qu'on voudrait abréger dans ce joli ouvrage. Du reste, Azolan dit qu'il vient sauver l'isle ; il ne s'explique pas sur ses moyens ; mais au moment où les savans viennent apporter à Alpha leurs projets, et tantôt pour se faire écouter, tantôt pour se faire taire mutuellement, font un bruit à le rendre sourd, on voit paraître tout d'un coup dans le palais des maçons, qui le raccommodent ; une forge s'établit de l'autre côté du théâtre ; un paysan paraît au fond conduisant une charrue, et des forts de la halle traversent le théâtre chargés de sacs de farine. On demande l'auteur de ces merveilles ; c'est Azolan qui paraît à la tête d'une colonie d'ouvriers de toutes les espèces qu'il a été chercher dans les pays voisins, et parmi lesquels je crois bien qu'Irza aura remarqué une marchande de modes. Un ambassadeur les a accompagnés ; on propose le traité d'échange, les beaux esprits se récrient ; on leur promet des distinctions, ils s'appaisent. Azolan épouse Irza, et une espèce de dialogue en vaudeyille, entre des savans et les gens du peuple, termine d'une manière piquante cette petite pièce remplie de jolis tableaux, de jolis couplets, d'une gaîté franche et d'un esprit sans recherche, tel qu'il convient au vaudeville. Un grand nombre de couplets ont été redemandés ; parmi ceux qu'on a fait répéter avec le plus de transports, on a remarqué celui-ci, où Ruscar, parlant du bien que le retour d'Azolan va produire dans l'isle, ajoute :
Si j'en crois un fait qu'on renomme,
Ce n'est pas le premier pays
Sauvé par le retour d'un homme.
La pièce est bien jouée ; Mme. Hervey sur-tout y a été charmante.
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