Janvier et nivôse

Janvier et nivôse, étrennes en vaudeville, par MM. Sewrin et Chazet, 10 nivôse an 14 [31 décembre 1805].

Théâtre Montansier-Variétés,

Courrier des spectacles, n° 3260 du mercredi 1er janvier 1806, p. 2-3 :

[Ce numéro est le premier à reprendre le calendrier grégorien pour donner la date. La pièce nouvelle célèbre le retour du calendrier hérité du passé, du catholicisme pour l’auteur de l'article, retour dont il crédite « le héros qui commande à la victoire ». Pour fêter ce retour, il faut bien sûr une intrigue du style des vaudevilles, et c’est l'histoire d’une dénommée Victoire recherchée par deux prétendants, Janvier et Nivose, le vieux et le jeune, et pour une fois, c'est le vieux qui triomphe, la fin de la pièce annonçant même la mort de Nivose. Le succès de la pièce est attribué à l'excellente interprétation des principaux acteurs, qui ont su mettre en valeur tant les traits à la gloire de nos armées que la prolifération des calembours, le public adhérant à cette mise en valeur de l'ancien calendrier. On est à peine à la moitié de l'article, et c'est l'éloge de l'ancien calendrier ressuscité qui va être le sujet de tout ce qui suit. L'auteur passe en revue toutes les fêtes religieuses et montre combien elles rythment la vie de chacun. L'intercession des saints est également mise en valeur : ces saints protègent les professions, mais aussi les enfants trouvés, les captifs des pirates ou les voyageurs passant le col du Grand Saint-Bernard. Un long paragraphe est consacré à ridiculiser les noms de légumes ou d'animaux mis à la place, dans le calendrier républicain, des « noms révérés » des saints patrons. C'est tout l'héritage de la Révolution qu'il faut ainsi abandonner, ces « derniers monuments de nos imprudentes innovations », quelques dates bien choisies rappelant de terribles moments des années passées (18 fructidor – coup d'État de l'an 5 –, 3 nivôse – date de l'attentat de la rue Nicaise contre Bonaparte, en l'an 9 –) : on ne garderait bien sûr que le souvenir de la date du 18 brumaire, an 8. Tout le numéro du jour est d'ailleurs centré sur cette idée de l'ouverture d'une ère nouvelle.]

Théâtre Montansier.

Janvier et Nivose

Rien ne pouvoit venir plus à propos que la rencontre et les adieux de ces deux mois. Depuis long-tems ils marchaient ensemble, mats non pas sur la même ligne ; l’un jeune, fier et audacieux, se montroit avec toute la confiance et l’appareil de la force et du pouvoir ; l’autre blanchi par les années, timide et dédaigné, suivoit humblement son rival, se cachoit quelquefois et n’osoit se produire qu’à l’aide de quelques vieux amis qui réclamoient pour lut 1’indulgence et la pitié publiques ; mais si dans la turbulence des passions on oublie quelquefois ses anciens amis, on revient à eux quand le cœur est calme et que la raison a recouvré son empire. Déjà le dimanche avoit remporté la victoire sur la décade ; déjà .les lundi et les samedi avoient triomphé des primidi et des nonidi ; il ne reçoit plus que le combat de nivose et de janvier. Le Héros qui commande à la victoire a parlé, et nivose se retire humilié devant l’antique dieu qui depuis plus de deux mille ans présidoit au renouvellement des saisons. C’est ce sujet dont les auteurs de la pièce nouvelle se sont emparés, et qu’ils ont traité de la maniéré suivante :

Une jeune fille nommée Victoire, est recherchée tout-à-la-fois par deux amans, dont l'un, déjà caduc et asthmatique, se nomme Nivose ; l’autre, jeune et gai, s appelle Janvier ; mais depuis plusieurs années Janvier est disgracié et exilé de son pays. Victoire se désole du sort qui l'attend, lorsqu’elle reçoit une lettre de son amant, qui lui apprend qu’il a gagné son procès, et qu’il revient dans sa patrie.

Elle fait aussi-tôt part de cette heureuse nouvelle à M. Carême, son ami, qui se trouve en ce moment employé chez M. Février, restaurateur. On dispose tout pour recevoir Janvier d’une manière digne de lui. Il ne tarde pas à arriver, paré de bouquets, entourré [sic] de chanteurs, et chargé d’almanachs. Nivose se présenté pour lui disputer la main de Victoire. Janvier le défie et le combat. Les deux champions se rendent sur le pré, et quelque tems après, on annonce la mort de Nivose, sur l’air : Monsieur Malbrough est mort. Carême apporte ses dépouilles, et célèbre sa triste fin par une complainte. Janvier, dé livré de son rival, devient libre possesseur de Victoire.

Cette pièce a dû son succès à l’excellente caricature de Brunet dans le rôle de Carême, à des couplets agréablement tournés et bien chantés par Mlle. Caroline et Bosquier-Gavaudan, à plusieurs traits spirituels relatifs au succès de nos armées ; enfin à beaucoup de calembourgs, dont les auteurs ont eu soin d’assaisonner cette espèce de pasquinade.

Le public a vivement saisi l’à-propos du sujet et applaudi tout ce qui se rapporte à la supériorité de l’ancien calendrier sur le nouveau.

C’est au calandrier catholique que se rapportent toutes nos habitudes et toutes nos institutions ; il »e mêle à tous les événemens de notre vie ; il règle nos travaux et nos engagemens Ses rapports .avec nous commencent aux premiers instans de notre vie, et se mêlent à tous les événemens qui la remplissent. C’est dans ses pages que nous choisissons notre premier nom, que nous invoquons nos premiers protecteurs ; ses fêtes religieuses nous ramènent sans cesse à lui.

Au premier janvier, lorsque le soleil recommence son cours (et non point lorsqu’il fet près de l’achever) l’enfant va se jeter dans les bras de son père et de sa mère, pour leur exprimer ses vœux tendres et naïfs, et lui souhaiter une heureuse année ; à cette époque, les divisions de famille cessent, les amis désunis se rapprochent, 1’époux embrasse plus tendrement son épouse, le fidèle serviteur sent se ranimer son attachement pour son maître, et contracte, en quelque sorte, avec lui un nouvel engagement de service et de fidelité.

C’est à la fête de l’Epiphanie, au 7 janvier, que les familles se réunissent pour chanter le Roi de la fève. C’est au printems que le laboureur commence ses Mars. Jamais vous ne lui persuaderez d’appeler ses travaux du nom de Germinal.

C’est Pâques que sa jeune famille attend pour recevoir un habit neuf ou une parure nouvelle. C’est la St.-Jean qui lui annonce l'époque où il pourra commencer à recueillir les fruits de ses travaux ; son active et prévoyante ménagère réserve les pontes produites entre les deux Notre-Dame ; c’est à la septembre qu’elle fait ses provisions d hiver ; c’est à la Toussaint, à Noël que le Père de famille va s’acquitter de ses redevances ; c’est à la St-Martin qu’il réunit ses amis autour d’un bon feu et d’une grasse volaille, nourrie dans sa basse-cour ; ce sont les saints de son calendrier qu’il interroge sur la pluie et le beau tems. St. Marc et St. Medard sont les régulateurs de ses craintes ou de ses espérances.

A quel protecteur ce vigneron, cet ouvrier a-t-il consacré ses travaux  ? c’est à St. Vincent, à St. Anne, à St. Joseph, et puis , s’il faut le dire aussi, à St Crépiu. Les médecins, les apothicaires, les chirurgiens associent St. Côme et St. Damien à Hyppocrate et à Gallien, et les Comédiens eux-mêmes, tout excommuniés qu’ils soient, ne sont-ils pas bien aises de trouver un saint de leur profession, St. Genest qui se repentit pieusement d’avoir joué de son tems les Mascarilles et les Crispins.

C’est à des hommes incrits dans les pages de notre calendrier que nous sommes redevables de nos plus belles institutions de bienfaisance. Le premier nom que la bouche des Enfans trouvés aprenne [sic] à bégayer est celui de St. Vincent de Paul.

C’est au nom de St. Jean de .Matha que les captifs sont rachetés à Alger ; c’est St. Bernard de Menthon qui a placé ces religieux hospitaliers sur le sommet des Alpes, au milieu des glaces et des neiges ; c’est lui qui leur a appris à braver les rigueurs du ciel pour secourir quelques infortunés.

Quand des novateurs imprudens et inhabiles conçurent le dessein d’anéantir les habitudes de notre enfance, de remplacer par des dyptiques philosophiques et républicains nos antiques et religieux catalogues, que substituèrent-ils à ces noms révérés ? On rit de pitié quand on jette les yeux sur leurs listes de panais, de béteraves et d’artichauds, et qu’on voit les noms des Charlemagne, des St. Louis, des St. François-de Salle, remplacés par celui d’un ours, d’un chat, d’un lapin , ou d’un cochon d’Inde. Oh ! combien le pauvre Romme ne sua-t-il pas pour trouver tout cela. Il faudra conserver cet annuaire curieux pour donner à nos descendans une idée de nos profondes conceptions en almanachs, comme il faudra conserver l’estampe des assignats pour prouver à la postérité nos grandes vues en finances et en économie.

Reprenons donc notre ancien calendrier ; revenons sans retour à nos premières habitudes, et faisons nos adieux à l’un des derniers monumens de nos imprudentes innovations. Promettons-lui d’oublier son 18 fructidor, son horrible 5 nivôse, de même que nous oublierons les funestes époques attachées à notre ancien calendrier ; mais prions-le de nous laisser le mémorable 18 brumaire.

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