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Jean Hennuyer, évêque de Lisieux
Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, drame en trois actes, de Louis Sébastien. Mercier, 10 septembre 1791.
Théâtre du Marais
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Titre :
Jean Hennuyer, évêque de Lisieux
Genre
drame
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
prose
Musique :
non
Date de création :
10 septembre 1791
Théâtre :
Théâtre du Marais
Auteur(s) des paroles :
M. Mercier
La base César indique que la pièce a été publiée à Londres et Paris en 1773. Dans la brochure publiée à Lon dres en 1778, Mercier a placé avant le texte de la pièce une longue préface :
PRÉFACE.
Ce Drame a l'avantage d'être fondé sur l'histoire, & les principaux faits qu'il renferme, sont attestés & connus. Il est donc inutile de les remettre ici sous les yeux du lecteur, il suffira de lui faire connoître le personnage qui, jouant le premier rôle dans cette piece, est demeuré, pour ainsi dire, caché dans l'ombre du tableau, qu'a tracé la plume des historiens. On jugera s'il méritoit d'en sortir avec plus d'éclat.
Jean Hennuyer nâquit à Saint-Quentin, diocese de Laon, en 1497. Il fit ses études à Paris au college de Navarre, où il fut boursier, il y prit des degrés & fut reçu Docteur. Après avoir reçu le bonnet, on lui confia la direction des études de Charles de Bourbon & de Charles de Lorraine. Il paroît qu'avant son Doctorat il avoit été précepteur d'Antoine de Bourbon, Duc de Vendôme, & depuis Roi de Navarre : dans le même temps il fut nommé Professeur en théologie. On ne sait précisément en quelle année il parut à la Cour ; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'il fut premier Aumônier de Henri II, & que ce Prince le nomma bientôt pour son confesseur : il le fut jusqu'à la mort du Roi. Il fut aussi confesseur de Cathérine de Médicis. L'on peut remarquer que ce n'étoient pas des consciences vulgaires qu'il avoit à diriger. Nommé Évêque de Lodeve en 1557, il ne prit point possession de cet Evêché, sans doute parce qu'on le retint à la Cour ; mais après la mort du Cardinal d'Annebaut, Evêque de Lisieux, arrivé au mois de Juin, 1558, François II nomma Hennuyer à cet Évêché.
Ce fut-là, & dans les temps des fureurs de la St. Barthelemi, qu'il donna cet exemple d'humanité qui seul immortalise sa vie. Le Lieutenant de Roi de sa province étant venu lui communiquer l'ordre qu'il avoit reçu de la Cour de massacrer tous les Huguenots de Lisieux, Jean Hennuyer s'y opposa fermement, & donna acte de son opposition ; il obtint de lui qu'il surseoiroit au massacre ; & par ce sage détail il préserva les Calvinistes de sa Ville & de son Diocese.
Je sais qu'on a voulu lui ravir la gloire d'avoir sauvé les Religionnaires ; mais plusieurs historiens se sont accordés à lui en conserver tout l'honneur. On croit sur de bien moindres preuves des crimes atroces & antiques qui effraient l'imagination, pourquoi auroit-on de la peine à ajouter foi à une action, qui dans le fond n'est qu'humaine ? Tout panégyriste que je suis, je crains même qu'on ne l'admire trop.
On a beaucoup écrit & disputé, pour savoir si cet Evêque avoit été Dominicain ou Sorboniste ; il fut homme, ce qu'on ne peut pas totalement affirmer de tous ses contemporains.
Ceux qui voudront voir son portrait, iront le chercher dans le réfectoire de la maison de Navarre.
Il mourut en 1578, étant Doyen de la Faculté de théologie de Paris ; ainsi il vécut environ quatre-vingts ans, dans les temps les plus orageux qu'offre notre histoire. Il n'est pas inutile de remarquer, qu'il a vécu sous les regnes de Charles VIII, de Louis XII, de François premier, de Henri II, de François II, de Charles IX, & de Henri III ; ce qui a pu servir, je pense, à lui rappeller que les Rois ne sont pas immortels. Comme le séjour habituel de la Cour, où il passa presque toute sa vie, ne put ébranler ses vertus, on peut avancer, je crois, qu'elles étoient vraiment solides.
C'est un grand & mémorable exemple que celui d'un Evêque qui tandis que Rome (*) & toute la Catholicité autorise & consacre ces meurtres au nom de Dieu, les a en horreur, s'oppose aux ordres d'un Roi foible & furieux, d'une Cour lâche & vindicative, & défend avec courage ces victimes infortunées que proscrivoient le fanatisme & une politique non moins aveugle & non moins barbare. Il n'a pas été le seul homme en place qui se soit distingué par la même fermeté ; mais ce zele, cette humanité dans un Prêtre vivant à la Cour, & Confesseur du Roi, frappe bien davantage, & a droit encore aujourd'hui de nous étonner.
Qu'il a été petit le nombre de ceux qui ne se montrent pas alors indignes (je ne dis pas du nom de Chrétien, mais du nom d'homme (**) ! A peine cinq ou six Militaires paroissent avoir conservé dans ce temps quelques traces de justice & de lumiere naturelle, les autres Commandans de Province furent des forcenés, qui ne différent pas beaucoup de ces dogues dont se servirent les Pisarres & les Vasconunès, lorsqu'ils alloient à la chasse des malheureux Indiens qu'ils faisoient dévorer. Ces dogues guerriers étoient disciplinés & soudoyés comme eux. Ils obéissoient comme eux, & le savant auteur des recherches philosophiques sur les Américains dit qu'on trouva dans l'ancien état militaire de ce temps-là, que le dogue Hérécillo gagnoit deux réaux par mois pour services par lui rendus à la Couronne. Je ne sais si ceux qui servirent si bien Charles IX & sa digne Cour, furent aussi bien récompensés ; mais je maintiens leur barbarie comme beaucoup plus inconcevable. L'histoire ne marque pas qu'ils aient eu le même goût que leurs confreres pour la chair humaine.
Le célebre Auteur de la Henriade, qui a combattu avec succès le fanatisme & la superstition, & qui sur cet article a déja fait quelque bien au monde & à sa patrie (†), a tracé ce vers profond, terrible & vrai,
Quand un Roi veut le crime, il est trop obéi.
Lorsque je médite ce vers en silence, un frémissement intérieur parcourt tout mon être, je le vois gravé en lettres de sang à chaque page de l'histoire, & je gémis d'être homme.
Quoi ! la cruauté trouve des exécuteurs si prompts, si aveugles, si fideles, si peu réfléchissans ; & le bien, lorsque l'on veut le faire même avec ardeur, rencontre mille obstacles, marche lentement, & ne peut compter enfin que des agens bientôt découragés, dont l'activité se relâche & s'épuise.
Quand un Roi veut le crime, il est trop obéi.
O fuyons d'un globe où cette maxime seroit jugée vraie, ou du moins avant de le quitter, faisons tous nos efforts pour ranger ce vers effrayant dans la classe de ceux qui ne présentent qu'une idée absurde & fausse.
On me dira, à quoi bon représenter les horreurs de la St. Barthelemi ? Nous ne sommes plus dans un siecle où l'on égorge. Ce siecle barbare est écoulé & ne reviendra plus. J'aime à le croire, je l'espere même. Il paroît que l'on ne s'assassinera plus au nom de Dieu, que la Religion ne soulevera plus ces volcans enflammés qui répandirent tant de fois leurs ravages, mais l'oserois-je dire, nous n'en avons pas moins besoin de remettre sous nos yeux les tableaux de l'esprit de persécution. Toujours dominant, il saisit tous les prétextes, il revêt toutes les formes, il s'environne de toutes les apparences, il ne fait guere que changer de nom, mais ses fureurs sont à-peu-près les mêmes. L'expérience des siecles passés seroit perdue pour les siecles qui les suivent, si la main d'un peintre éloquent ne donnoit un corps à ces couleurs qui doivent nous épouvanter en nous rappellant les égaremens de ceux qui nous ont précédés : égaremens funeftes où nous sommes souvent prêts à retomber. Qu'importe au malheureux sous quel titre on le persécute ? Mais est-il vrai que le fanatisme ait perdu toute sa force? Est-il vrai que les sciences aient émoussé ses traits ? N'a-t-on pas vu, dans un siecle tout brillant de clarté, un Monarque qui portoit le nom de grand, environné de tous les arts qui devoient lui former un caractere humain & juste, jetter le désespoir dans le cœur d'une grande partie de ses sujets, les distribuer sur des galeres ou dans des prisons, dresser même des gibets, ruiner, désoler ses plus belles provinces, & s'applaudir peut-être après cette violation des loix civiles d'un édit qu'il croyoit utile à la Religion Catholique, & qui n'attestoit que sa royale ignorance.
L'Espagne n'avoit-elle pas donné un exemple aussi déplorable, lorsqu'elle se plongea dans un état de dépérissement & de langueur, en arrachant de son sol une nation entiere qui cultivoit paisiblement ses champs, dans la seule idée que cette nation ne pouvoit pas respirer l'air sans l'infecter de ses opinions particulieres. Les maux politiques d'une nation, qui paroît paisible parce qu'elle expire, peuvent égaler & même surpasser les malheurs de la guerre civile.
Et si nous descendons à notre siecle, qu'on ne sauroit. accuser d'imbécilité, nous trouverons peut-être un fanatisme politique & rafiné qui a succédé à ce fanatisme religieux où le plus grand nombre, du moins, étoit aveugle & de bonne foi ; le sang n'a point coulé, il est vrai ; mais les calamités publiques & particulieres n'ont pas été moins accablantes. En considérant toutes les larmes répandues, les soupirs, les gémissemens, sourds & étouffés, tous les emprisonnemens, tous les exils, les proscriptions de toute espece, nous verrons que notre siecle n'a rien à reprocher à ces siecles d'erreurs & de barbarie; ce qui distingue le nôtre, c'est qu'il a mêlé quelquefois la dérision à ses autres attentats; & que non-content d'opprimer l'innocence & l'équité, il s'est efforcé de les traduire en ridicule. Dans deux cents ans notre histoire pourra à son tour effrayer les hommes sensibles, & fournir à des Drames qui arracheront aussi des larmes.
Si je parvenois à éteindre dans le cœur de ceux qui me liront quelques racines de ce penchant persécuteur qui anime les trois quarts des hommes, penchant malheureux qui se masque toujours sous des grands noms ; si je parvenois à ajouter quelque chose à la liberté publique & particuliere, à la conviction de ce droit naturel si manifestement violé tantôt par la force, tantôt par un sophisme aussi ingénieux que cruel ; si j'arrachois quelques traits à l'intolérance religieuse, civile & littéraire qui se soutiennent & se prêtent un appui mutuel. Si le tableau de ces épidémies morales, qui bouleversent toutes les notions d'ordre, de justice & d'équité, servoit à épouvanter ceux qui reçoivent l'erreur comme la vérité ; ou pour s'exprimer sans emblême, si ceux qui peuvent seuls réaliser les vœux plaintifs de l'humanité, émus par la voix touchante de la philosophie, daignoient lui prêter une force qu'elle n'a pas par elle-même, & foudroyer en conséquence ces opinions impies & déraisonnables qui attaquent la félicité publique & la leur propre, alors souriant à leurs augustes travaux, les premiers peut-être de ce genre, je m'applaudirois, en ne faisant que passer sur cette terre, d'y avoir fait le métier d'homme & d'écrivain.
(*) La nouvelle de la mort de Coligni, & du massacre, fut reçue à Rome avec les transports de la joie la plus vive. On tira le canon on alluma des feux, comme pour l'événement le plus avantageux: il y eût une messe solemnelle d'actions de graces, à laquelle le Pape Grégoire XIII assista avec l'éclat que cette Cour donne aux cérémonies qu'elle veut rendre illustres. Le Cardinal de Lorraine récompensa largement le courrier, & l'interrogea en homme instruit d'avance, (Esprit de la Ligue, Tome II.)
(**) L'ardeur du pillage échauffa encore le carnage; Brantôme rapporte que plusieurs de ses camarades, gentilshommes comme lui, y gagnerent jusqu'à dix mille écus. Les pillards n'avoient pas honte de venir offrir au Roi & à la Reine les bijoux précieux, fruits de leurs brigandages, & ils étoient acceptés. Ibid.
(†) Ce fera un ouvrage curieux à faire, que l'influence du génie de Mr. de Voltaire sur son siecle, & de son siecle sur son génie.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 11 (novembre 1791), p. 339-341 :
THÉATRE DU MARAIS.
On a donné, sur ce nouveau théatre, le samedi 10 septembre, la premiere représentation de Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, drame en trois actes, imprimé & connu depuis long-tems.
Cet essai n'a pas eu tout le succès qu'on en attendoit. Tout le monde se rappelle l'histoire de ce prélat, qui, mort en 1577, avoit été confesseur de Henri II & évêque de Lodeve. On sait qu'il s'immortalisa par son humanité, dans le tems des fureurs de la St. Barthélemy. Le lieutenant de roi de sa province vint lui communiquer l'ordre qu'il avoit reçu de massacrer tous les huguenots de Lisieux ; l'illustre prélat s'y opposa, & donna acte de son opposition. Le jeune roi, Charles IX, loin de le blâmer, rendit à sa fermeté & à son humanité tous les éloges qu'elles méritoient ; & la clémence d'Hennuyer, plus efficace que les sermons, les livres & les soldats, changea l'esprit & le cœur de tous les calvinistes, qui firent abjuration entre ses mains.
M. Mercier n'a pas tiré de ce trait historique tout l'intérêt qu'il comportoit, & celui qu'il y a mis est noyé dans des longueurs fort inutiles. Le désespoir d'Arsene, de Laure son épouse, de son frere & de son vieux pere, qui ont perdu leurs parens dans le massacre de Paris, est trop prolongé : les sottes allégations du lieutenant de roi, qui cherche à corrompre ou à effrayer Jean Hennuyer, & les lieux communs que lui répond ce dernier, sentent un peu l'écolier, & ne sont pas dignes des ouvrages de M. Mercier, dont la plupart sont très-estimables. En un mot, cette piece n'a eu qu'un très-foible succès, quoiqu'elle fût mise avec le plus grand soin, tant pour les décorations que pour les costumes du tems, qui y sont vrais & exacts. Tous les gens honnêtes & délicats conviendront sans doute avec nous, qu'il n'est pas très-malheureux que ces sortes d'ouvrages ne réussissent plus ; car, nous ne cesserons de le répéter, c'est fouler des gens à terre, qu'être toujours à parler des prêtres & des crimes qu'ont commis quelques grands, & il n'est pas de la générosité d'une nation, d'insulter sans cesse au malheur de ceux de qui elle s'est vengée, en leur rappellant leurs torts ; un poëte a dit :
Le vainqueur, satisfait, doit sourire au vaincu.
C'est la seule maniere de rappeller l'ordre, la concorde & la fraternité. Les bravades aigrissent les partis : la douceur rapproche les plus grands ennemis.
M. Courcelles a très-bien joué lc rôle de l'évêque de Lisìeux : M. Baptiste a tiré parti de celui d'Arsene, Mad. Baptiste a eu de beaux momens dans celui de Laure ; & les autres acteurs, que nous ne connoissons pas, les ont très-bien secondés.
D’après la base César, avant la première parisienne du 10 septembre 1791, la pièce a connu deux représentations à Caen, les 6 février et 13 mars 1791. Elle a été jouée 8 fois au théâtre du Marais, jusqu'au 7 octobre 1791. Elle avait été publiée en 1773, à Londres et à Paris.
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