Jeanne d'Arc, ou le Siège d’Orléans, fait historique en trois actes mêlé de vaudevilles, de Dieulafoy et Gersin, 24 février 1812.
Théâtre du Vaudeville.
Almanach des Muses 1813.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Fages, 1812 :
Jeanne d'Arc, ou le siége d'Orléans, fait historique, en trois actes, mêlé de vaudevilles, Par MM. Dieulafoy et Gersin, Représenté pour la première fois à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 24 Février 1812.
Journal des arts, des sciences et de la littérature, huitième volume (1er janvier au 31 mars 1812), n° 136 (29 février 1812), p. 282-284 :
[D'intéressantes considérations sur le mélodrame et sa place dans la hiérarchie des genres dramatiques.]
Théâtre du Vaudeville.
Première représentation de Jeanne d'Arc, ou le Siége d'Orléans, mélodrame en 3 actes, mêlé de couplets. (24 février.)
Dans l'avant-dernier n°., un de nos collaborateurs disait qu'entre autres choses singulières, on verrait en 1812 le mélodrame quitter sa terre natale pour aller s'installer au théâtre de l'Opéra-Comique. Nous aurions pu ajouter qu'avant de se rendre à la rue Feydeau, il passerait par la rue de Chartres, où, séduit par la réception amicale qu'on lui ferait, il séjournerait quelque temps. Notre prédiction alors eût été complète, et se serait trouvée justifiée par l'événement. Mais peut-on tout prévoir dans ce monde ! la prescience est un apanage de la Divinité Quel est celui d'entre nous autres pauvres, mortels, fût-il astronome, et même ce qui vaut mieux, astrologue, qui se serait imaginé que dans un voyage de si long cours, le grave et pesant mélodrame eût préféré les chemins de traverse à la grande route, des rues tortueuses à la belle chaussée du boulevard, si commode pour son cortège ; en un mot, que pour se transporter de chez Audjnot à la rue Feydeau, il se serait avisé de décrire un angle au lieu de suivre la diagonale.
Au reste, il n'a pas eu tort de s'écarter un peu de sa route ; car l'accueil empressé qu'il a reçu à son apparition sur le petit théâtre de la rue de Chartres lui a prouvé qu'il avait autant d'amis dans ce quartier que dans celui qu'il venait de quitter ; et que les habitans du Palais-Royal étaient tout aussi sensibles et susceptibles des mêmes émotions que ceux du faubourg du Temple.
La pièce jouée lundi au Vaudeville, sous le titre de Jeanne d'Arc, ou le Siége d'Orléans, est essentiellement du genre mélo-dramatique. Des évolutions, des combats, un siége, des souterrains, des remparts, une vieille tour, une poterne, un niais ; des apostrophes, des tirades héroïques, des invocations alternativement déclamées et chantées, des rêves moins obscurs que ceux de la loterie, et qu1 apprennent à celui qui les a faits tout ce qui doit se passer dans la journée, une femme enfin se battant aussi bien que mademoiselle Bourgeois, tenant toujours la flamberge d'une main et l'oriflamme de l'autre, etc., etc., etc. : ne sont-ce pas là, je le demande, tous les ingrédiens qui entrent dans la composition d'un bel et bon mélodrame, d'après la recette donnée par MM: Guibert-Pixérécourt et Caignez, les maîtres de cet art ? Eh bien ! tout cela se trouve dans Jeanne d'Arc. Que faut-il donc de plus pour justifier le titre de mélodrame que nous avons donné à cette pièce, et qu'elle conservera en dépit de l'affiche qui la qualifie de comédie héroïque ?
Au lever de la toile, Jeanne conduite par ses parens, à qui ses fréquentes visions inspirent de justes inquiétudes sur l'état de son cerveau, et qui ont jugé à propos de la dépayser pour la dissiper, arrive dans un village voisin du théâtre de la guerre, où elle trouve un détachement de soldats qui boivent et chantent. La vue de leurs armes transporte notre héroïne : elle ne peut résister au sentiment qu'elle éprouve ; elle saisit une lance et s'affuble d'un casque. Dans cet état, elle se livre aux transports les plus guerriers ; elle se dit envoyée par Dieu pour sauver la patrie, et n'aspire qu'après le moment de se mesurer avec les Anglais. Dunois, qui passe dans ce lieu, reconnaît Jeanne qu'il a vue dans son village natal ; frappé du ton d'assurance de cette fille, de ses prophéties et de ses exclamations mystiques, il s'empresse d'aller annoncer son arrivée au roi. Charles, curieux de voir notre héroïne, se présente devant elle, et malgré les précautions qu'il prend pour lui cacher son nom et son rang, celle-ci le reconnaît sur-le-champ, quoiqu'elle ne l'ait jamais vu. Charles n'a plus alors de doute sur la réalité de la mission que Jeanne dit avoir reçue du ciel. Il l'arme de son épée, lui donne son oriflamme, et l'on part avec enthousiasme pour aller combattre les Anglais.
Aux deuxième et troisième actes, la scène se passe sous les murs d'Orléans. Des combats, des évolutions, des sorties, remplissent une partie de l'action. Les habitans d'Orleans, pour hâter l'arrivée des secours que Charles leur a promis, jugent à propos de lui envoyer une lettre dont ils chargent, on ne sait trop pourquoi, leur sénéchal, espèce de benêt, qui prend le général anglais pour le roi, et lui remet la lettre destinée à ce prince. Bientôt, par un de ces hasards singuliers qui ne se voient qu'au théâtre, Jeanne se rencontre seule avec le général anglais qu'elle ne connaît point, et qui lui propose un combat singulier qu'elle accepte. Ils se mettent en garde ; mais au même moment surviennent les Francais. Suffolk, pour n'être point reconnu, baisse la visière de son casque, se fait passer pour Jean d'Orléans, et annonce qu'il est chargé de porter au roi les supplications et les vœux des habitans de cette ville. Cette ruse lui réussit, et on le relâche malgré les instances de notre héroïne, qui, par suite du don de divination qu'elle possède, croit voir dans cet inconnu le chef de l'armée ennemie.
Cependant Suffolk, pour se ménager des intelligences dans la ville dont ses troupes occupent déjà une des portes, feint d'être épris de la femme du sénéchal. Celle-ci, animée par le plus pur patriotisme, feint à son tour de répondre à ses vœux. L'Anglais donne dans un piège que lui tend cette femme généreuse, il est joué, pris, désarmé ; son armée est mise en pleine déroute par l'intrépide Jeanne, le siège d'Orléans est levé ; Charles triomphe, et proclame, à la tète de son armée, Jeanne d'Arc la libératrice de la France et l'élue de Dieu.
La pièce a réussi malgré tous ses défauts, malgré l'assemblage monstrueux qu'elle présente du sacré et du profane, du pathétique et du burlesque, quoiqu'elle ne soit, en un mot, qu'une espèce de mascarade, où les sentimens les plus louables sont continuellement travestis. Les auteurs demandés et nommés sont MM. Dieulafoi et Gersin ; mais ils doivent moins attribuer leur succès au mérite de l'ouvrage qu'au talent que mademoiselle Rivière a déployé dans le rôle de Jeaune d'Arc, rôle qui était d'autant plus difficile que par l'espèce de mysticité.qui y règne d'un bout a l'autre, toutes les situations étaient fort voisines du ridicule.
Les applaudissemens dont mademoiselle Rivière a été couverte dans ce rôle, ont excité la verve d'un de nos abonnés, qui vient de nous adresser en l'honneur de cette actrice les vers suivans que nous nous faisons un plaisir de citer, en terminant notre article.
A mademoiselle Rivière, après la première représentation de Jeanne d'Arc
Rivière, en nous peignant cette vierge sublime,
Comme tu sais étonner et charmer !
Depuis long-temps Jeanne avait notre estime,
Tu viens de nous la faire aimer :
De son esprit tu sembles pénétrée ;
Cela ne doit nous surprendre en ce jour,
On peut bien paraître inspirée
Quand on inspire autant d'amour.
Si connue toi Jeanne eût été jolie,
Dans les combats Charles n'eût eu l'envie
D'exposer des jours aussi chers !
ïl l'eût montrée à l'armée ennemie,
Et les Anglais eussent porté des fers.
( Par M. R. de L. )
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